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F = "e" féminin
| = césure
LEG_1/LEG66
Charles LE GOFFIC
Poésies complètes
1889-1914
IMPRESSIONS ET SOUVENIRS
EN BRETAGNE
RÛN-ROUZ
À Édouard Beaufils.
On raconte qu’à Rome, | au temps de Léon dix, 6+6 a
Treize cents ans après | que la fille de Claude, 6+6 b
Julia, comparable aux lys, 8 a
Eut sous un marbre blanc | clos ses yeux d’émeraude, 6+6 b
5 La pioche par hasard | découvrit son tombeau, 6+6 a
Et nul corps virginal | n’apparut aussi beau. 6+6 a
Si clair était son teint | qu’on l’eût dite endormie. 6+6 a
Sa bouche allait s’ouvrir, | ses bras se décroiser, 6+6 b
Et la mystérieuse | et charmante momie 6+6 a
10 Pour renaître semblait | n’attendre qu’un baiser… 6+6 b
Rûn-Rouz, mélancolique | et sauvage domaine, 6+6 a
Ma jeunesse, pareille | à la vierge romaine, 6+6 a
Déclôt ses yeux fanés | et renaît lentement 6+6 a
A ton nom triste et doux | comme un roucoulement. 6+6 a
15 Elle aussi semblait morte | et n’était qu’endormie. 6+6 a
Vois : la pourpre reflue | à sa lèvre blêmie. 6+6 a
Il a suffi qu’un soir | ton nom fût prononcé 6+6 a
Pour qu’elle se levât | du fond de mon passé 6+6 a
Dans sa grâce ondoyante | et pensive de Celte, 6+6 a
20 Avec ses cheveux blonds, | ses yeux verts, son cou svelte 6+6 a
Et ce rythme léger, | ce verbe sobre et clair. 6+6 a
Qu’un gondolier perdu | sur les rives du Guer 6+6 a
Lui transmit autrefois | de Fiume ou de Ravennes, 6+6 a
Mêlés au sang latin | qui coulait dans ses veines… 6+6 a
25 Elle approche, et son cœur | bat plus fort sous sa main 6+6 a
Aux effluves d’amour | qui montent du chemin. 6+6 a
Bien des ans ont passé, | bien des nuits, bien des aubes, 6+6 a
Et l’ardent souvenir | parfume encor ses robes. 6+6 a
C’est que rien n’a changé : | paysage, horizon, 6+6 a
30 Gens et choses, autour | de toi, chère maison, 6+6 a
Tout a gardé sa grâce | austère et primitive. 6+6 a
Voici tes humbles murs | quadrillés de chaux vive, 6+6 a
Le puits et l’échalier, | le balcon sous l’auvent, 6+6 a
Et la grêle saulaie | au feuillage mouvant 6+6 a
35 Et, dans l’étroit courtil | cerné d’épines blanches, 6+6 a
Les paresseux asters | et les souples pervenches. 6+6 a
O sapins que j’ai vu | planter, est-ce bien vous ? 6+6 a
Est-ce vous, Landrellec, | Guern, Roc’h-Pic, Coztankous, 6+6 a
Vieux noms tout imprégnés | d’une saveur bretonne ?… 6+6 a
40 Landiers que vêtaient d’or | les fuseaux de l’automne 6+6 a
Et que poudrait d’argent | la houppe des avrils, 6+6 a
Roseaux qui palpitiez | au vent comme des cils, 6+6 a
Stellaire qui frangeais, | dans un pli de la dune, 6+6 a
La mare où les troupeaux | viennent boire à la brune, 6+6 a
45 Tels je vous ai quittés | et tels je vous revois : 6+6 a
C’est bien vous, c’est bien vous, | vieux amis d’autrefois ! 6+6 a
Un air plus vif déjà | fouette mon épiderme. 6+6 a
De l’est à l’ouest, la mer | est là qui vous enferme 6+6 a
Dans un cercle éternel | de sourds gémissements ; 6+6 a
50 Mais sa plainte, où des glas | sanglotent par moments, 6+6 a
Nostalgiques appels | des cités sous-marines, 6+6 a
Dont l’écho retentit | au fond de nos poitrines 6+6 a
Et fait pleurer en nous | des morts mystérieux, 6+6 a
Sa plainte, sous le vide | exaspérant des cieux, 6+6 a
55 Peut s’enfler : de tiédeur | et d’ombre enveloppée, 6+6 a
Elle expire à vos bords | en vague mélopée… 6+6 a
Amis, je veux vieillir | et mourir parmi vous. 6+6 a
L’hiver même et ses dards | cruels me seront doux, 6+6 a
Si je puis abriter | ici mon dernier songe. 6+6 a
60 Gloire, fortune, honneurs, | beaux oiseaux de mensonge, 6+6 a
Dont la quête stérile | a déçu maint chasseur ! 6+6 a
Seule, tu ne mens pas, | Nature aux yeux de sœur… 6+6 a
Ô véridique, | ô salutaire, | ô consolante, 4+4+4 a
Par tes soins s’élabore | un baume en chaque plante. 6+6 a
65 Et n’es-tu pas aussi | celle de qui les doigts 6+6 a
Guidaient sur leurs pipeaux | les chevriers andois ? 6+6 a
D’un Tityre breton | me prêtant l’âme heureuse, 6+6 a
Tandis que je ferai | chanter l’avoine creuse, 6+6 a
Déroule sur le plan | large et pur de mes vers 6+6 a
70 Le souple enchaînement | des lois de l’univers ; 6+6 a
Exalte au fond des soirs | les feux des écobues ; 6+6 a
Dis les poulains cabrés | et les chèvres barbues ; 6+6 a
Ramène les troupeaux | des pâtis où descend 6+6 a
Le crépuscule d’or, | d’améthyste et de sang ; 6+6 a
75 Sur les routes du ciel, | d’escales en escales, 6+6 a
Rappelle au clocher blanc | des légendes pascales 6+6 a
Les angélus bénits | par l’Anneau du Pêcheur ; 6+6 a
Verse en nous ta bonté, | ton calme, ta fraîcheur 6+6 a
Et, de tout vain désir | afin qu’elle s’abstienne, 6+6 a
80 Accorde notre vie | au rythme de la tienne. 6+6 a
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