Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
LEG_1/LEG44
Charles LE GOFFIC
Poésies complètes
1889-1914
LE BOIS DORMANT
RONDES ET CHANSONS
LITS-CLOS
À une Parisienne.
Vous m’avez montré | dans votre antichambre, 5+5 a
Luxueux fouillis | d’objets d’entrepôt, 5+5 b
Un grand lit de Scaër | aux tons de vieil ambre, 5+5 a
Mué par votre art | en porte-chapeau. 5+5 b
5 Mais les lits sculptés | de Basse-Bretagne, 5+5 a
Même les lits-clos | du temps d’Henri deux, 5+5 b
Dans ces nids de soie | où l’ennui les gagne 5+5 a
Sentent comme un deuil | flotter autour d’eux. 5+5 b
Ils n’étaient pas faits | pour ces belles choses : 5+5 a
10 Un fruste artisan, | dans leur bois grossier, 5+5 b
Tourna des fuseaux, | évida des roses 5+5 a
Et grava son nom | sur le banc-dossier. 5+5 b
C’était quelque pâtre, | un marin peut-être, 5+5 a
Bloqué par l’hiver | sous son toit de glui ; 5+5 b
15 L’outil, dans son poing, | mordait en plein hêtre, 5+5 a
Et sa mère-grand | filait près de lui. 5+5 b
Et, tandis qu’aux doigts | de la bonne femme 5+5 a
S’étirait la laine | ou le fil écru, 5+5 b
Un rêve, il est vrai, | chantait dans son âme, 5+5 a
20 Mais non pas celui | que vous avez cru. 5+5 b
Ni rêve d’argent, | ni rêve de gloire. 5+5 a
D’autres, l’œil en feu, | s’en allaient cueillir, 5+5 b
Guidés par Coulomb | aux rives de Loire, 5+5 a
Le vert plant qui garde | un nom de vieillir ; 5+5 b
25 Ou bien se louant | pour un vil salaire 5+5 a
Chez quelque huchier | du pays gallot, 5+5 b
Pliaient au canon | d’un strict formulaire 5+5 a
Leur art ingénu, | mystique ou falot. 5+5 b
Lui rêvait d’offrir | à sa fiancée, 5+5 a
30 Pour le jour prochain | qui les unirait, 5+5 b
Ce meuble fleuri | comme sa pensée, 5+5 a
Comme elle accueillant, | profond et discret. 5+5 b
Il l’imaginait | dressé près de l’âtre, 5+5 a
Sous ses beaux draps blancs, | rugueux et cossus, 5+5 b
35 Avec son buis vert | et ses saints de plâtre, 5+5 a
Madame la Vierge | et Monsieur Jésus. 5+5 b
Et de frais rideaux | de souple percale 5+5 a
Coulaient de sa frise | en plis onduleux : 5+5 b
C’était l’abri sûr | et la bonne escale, 5+5 a
40 Le nid tiède où chante | un chœur d’oiseaux bleus. 5+5 b
Ils y goûteraient | une paix profonde 5+5 a
Dans le cadre ouvré | des panneaux à jour. 5+5 b
Tous deux seraient là | comme au bout du monde, 5+5 a
Isolés, perdus | dans leur grand amour. 5+5 b
45 Quand les ajoncs d’or | font craquer leurs cosses, 5+5 a
La graine autour d’eux | s’éparpille au vent ; 5+5 b
Ainsi jailliraient | de ses flancs précoces 5+5 a
Les blonds héritiers | dont ils vont rêvant : 5+5 b
Rudes fillots, certe, | et tous de même aune, 5+5 a
50 A qui sourirait, | fleur de la Duché, 5+5 b
Dans son justin bleu | soutaché de jaune, 5+5 a
Quelque jeune sœur | en béguin ruché. 5+5 b
Chaque an sonnerait | un nouveau baptême. 5+5 a
Ô muids ! Ô boudins ! | Ô guadiguennous ! 5+5 b
55 Mais c’est toi, bon lit, | qu’après Dieu lui-même 5+5 a
Béniraient d’abord | les heureux époux. 5+5 b
N’est-ce pas chez toi | qu’ils ont par avance 5+5 a
Savouré le miel | des premiers baisers, 5+5 b
Et n’as-tu pas vu | leur double jouvence 5+5 a
60 Du même rayon | dorer tes vieux ais ? 5+5 b
Lit de leurs vingt ans, | couche parfumée, 5+5 a
Tu verrais aussi | leur déclin pareil, 5+5 b
Et c’est dans ta crypte | à tout bruit fermée 5+5 a
Qu’ils s’endormiraient | du dernier sommeil. 5+5 b
65 Mais d’autres viendraient | après eux, puis d’autres, 5+5 a
Surgeons vigoureux | du vieux tronc penchant. 5+5 b
Pâtres sûr leurs glés, | marins sur leurs cotres. 5+5 a
Aucun d’eux tailleur, | commis ou marchand. 5+5 b
La foi leur serait | un sûr viatique, 5+5 a
70 Et l’on entendrait | ainsi qu’un essaim, 5+5 b
Dans les longues nuits | de l’hiver celtique, 5+5 a
Leur peuple futur | frémir en ton sein. 5+5 b
Toi près du foyer, | comme un patriarche, 5+5 a
Tu verrais passer | ces fils d’un moment : 5+5 b
75 De tes flancs brunis, | profonds comme l’arche, 5+5 a
Ils ruisselleraient | éternellement. 5+5 b
Telle était, du moins, | ta ferme espérance, 5+5 a
Et féal aux tiens, | les jugeant féaux, 5+5 b
Tu ne pensais pas | qu’aux bourgeois de France 5+5 a
80 Ils te céderaient | pour quelques réaux. 5+5 b
C’est fait. Nos lits-clos | de Scaër et de Vanne 5+5 a
S’en sont allés tous | du pays breton : 5+5 b
Bétail douloureux, | morne caravane, 5+5 a
Vers quel abattoir | les conduisait-on ? 5+5 b
85 Hélas ! Plût à Dieu | qu’une main grossière, 5+5 a
Jonchant de leurs blocs | le pavé voisin, 5+5 b
Les eût d’un seul coup | réduits en poussière ! 5+5 a
L’abattoir vaut mieux | que le magasin. 5+5 b
Il leur a fallu | prendre une autre forme. 5+5 a
90 De lourds brocanteurs | sans style et sans goût 5+5 b
Les ont rapiécés | de mélèze ou d’orme 5+5 a
Et d’un brou menteur | ont enduit le tout. 5+5 b
Mais, ô vieux débris, | j’entends comme un râle 5+5 a
Dans le craquement | de vos ais disjoints : 5+5 b
95 Pieux confidents | de l’âme ancestrale, 5+5 a
Nous perdons en vous | ses derniers témoins. 5+5 b
mètre profil métrique : 5+5
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