Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
LEC_3/LEC178
Charles-Marie LECONTE DE LISLE
POÈMES ANTIQUES
1852
Thestylis
Aux pentes du coteau, | sous les roches moussues, 6+6 a
L'eau vive en murmurant | filtre par mille issues, 6+6 a
Croît, déborde, et remue | en son cours diligent 6+6 b
La mélisse odorante | et les cailloux d'argent. 6+6 b
5 Le soir monte : on entend | s'épandre dans les plaines 6+6 a
De flottantes rumeurs | et de vagues haleines, 6+6 a
Le doux mugissement | des grands bœufs fatigués 6+6 b
Qui s'arrêtent pour boire | en traversant les gués, 6+6 b
Et sous les rougeurs d'or | du soleil qui décline 6+6 a
10 Le bruit grêle des pins | au front de la colline. 6+6 a
Dans les sentiers pierreux | qui mènent à la mer, 6+6 b
Rassasié de thym | et de cytise amer, 6+6 b
L'indocile troupeau | des chèvres aux poils lisses 6+6 a
De son lait parfumé | va remplir les éclisses ; 6+6 a
15 Le tintement aigu | des agrestes grelots 6+6 b
S'unit par intervalle | à la plainte des flots, 6+6 b
Tandis que, prolongeant | d'harmonieuses luttes, 6+6 a
Les jeunes chevriers | soufflent aux doubles flûtes. 6+6 a
Tout s'apaise : l'oiseau | rentre dans son nid frais ; 6+6 b
20 Au sortir des joncs verts, | les nymphes des marais, 6+6 b
Le sein humide encor, | ceintes d'herbes fleuries, 6+6 a
Les bras entrelacés, | dansent dans les prairies. 6+6 a
C'est l'heure où Thestylis, | la vierge de l'Aitna, 6+6 b
Aux yeux étincelants | comme ceux d'Athana, 6+6 b
25 En un noir diadème | a renoué sa tresse, 6+6 a
Et sur son genou ferme | et nu de chasseresse, 6+6 a
À la hâte, agrafant | la robe aux souples plis, 6+6 b
Par les âpres chemins | de sa grâce embellis, 6+6 b
Rapide et blanche, avec | son amphore d'argile, 6+6 a
30 Vers cette source claire | accourt d'un pied agile, 6+6 a
Et s'assied sur le roc | tapissé de gazon, 6+6 b
D'où le regard s'envole | à l'immense horizon. 6+6 b
Ni la riche Milet | qu'habitent les iônes, 6+6 a
Ni Syracuse où croît | l'hélichryse aux fruits jaunes, 6+6 a
35 Ni Korinthe où le marbre | a la blancheur du lys, 6+6 b
N'ont vu fleurir au jour | d'égale à Thestylis. 6+6 b
Grande comme Artémis | et comme elle farouche, 6+6 a
Nul baiser n'a jamais | brûlé sa belle bouche ; 6+6 a
Jamais, dans le vallon, | autour de l'oranger, 6+6 b
40 Elle n'a, les pieds nus, | conduit un chœur léger, 6+6 b
Ou, le front couronné | de myrtes et de rose, 6+6 a
Au furtif hyménée | ouvert sa porte close ; 6+6 a
Mais quand la nuit divine | allume l'astre aux cieux, 6+6 b
Il lui plaît de hanter | le mont silencieux, 6+6 b
45 Et de mêler au bruit | de l'onde qui murmure 6+6 a
D'un cœur blessé la plainte | harmonieuse et pure : 6+6 a
— Jeune immortel, que j'aime | et que j'attends toujours, 6+6 b
Chère image entrevue | à l'aube de mes jours ! 6+6 b
Si, d'un désir sublime | en secret consumée, 6+6 a
50 J'ai dédaigné les pleurs | de ceux qui m'ont aimée, 6+6 a
Et si je n'ai versé, | dans l'attente du ciel, 6+6 b
Les parfums de mon cœur | qu'au pied de ton autel ; 6+6 b
Soit que ton arc résonne | au sein des halliers sombres ; 6+6 a
Soit que, réglant aux cieux | le rythme d'or des nombres, 6+6 a
55 D'un mouvement égal | ton archet inspiré 6+6 b
Des muses aux neuf voix | guide le chœur sacré ; 6+6 b
Soit qu'à l'heure riante | où, sous la glauque aurore, 6+6 a
L'aile du vent joyeux | trouble la mer sonore, 6+6 a
Des baisers de l'écume | argentant tes cheveux, 6+6 b
60 Tu fendes le flot clair | avec tes bras nerveux ; 6+6 b
Oh ! Quel que soit ton nom, | dieu charmant de mes rêves, 6+6 a
Entends-moi ! Viens ! Je t'aime, | et les heures sont brèves ! 6+6 a
Viens ! Sauve par l'amour | et l'immortalité, 6+6 b
Ravis au temps jaloux | la fleur de ma beauté ; 6+6 b
65 Ou, si tu dois un jour | m'oublier sur la terre, 6+6 a
Que ma cendre repose | en ce lieu solitaire, 6+6 a
Et qu'une main amie | y grave pour adieu : 6+6 b
— Ici dort Thestylis, | celle qu'aimait un dieu ! — 6+6 b
Elle se tait, écoute, | et dans l'ombre nocturne, 6+6 a
70 Accoudant son beau bras | sur la rondeur de l'urne. 6+6 a
Le sein ému, le front | à demi soulevé, 6+6 b
Inquiète, elle attend | celui qu'elle a rêvé. 6+6 b
Et le vent monotone | endort les noirs feuillages ; 6+6 a
La mer en gémissant | berce les coquillages ; 6+6 a
75 La montagne muette, | au loin, de toutes parts, 6+6 b
Des coteaux aux vallons, | brille de feux épars ; 6+6 b
Et la source elle-même, | au travers de la mousse, 6+6 a
S'agite et fuit avec | une chanson plus douce. 6+6 a
Mais le jeune immortel, | le céleste inconnu, 6+6 b
80 L'amant mystérieux | et cher n'est pas venu ! 6+6 b
Il faut partir, hélas ! | Et regagner la plaine. 6+6 a
Thestylis sur son front | pose l'amphore pleine, 6+6 a
S'éloigne, hésite encore, | et sent couler ses pleurs ; 6+6 b
De la joue et du col | s'effacent les couleurs ; 6+6 b
85 Son corps charmant, Éros, | frissonne de tes fièvres ! 6+6 a
Mais bientôt, œil brillant, | un fier sourire aux lèvres, 6+6 a
Elle songe tout bas, | reprenant son chemin : 6+6 b
— Je l'aime et je suis belle ! | Il m'entendra demain ! — 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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