Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
LEC_3/LEC165
Charles-Marie LECONTE DE LISLE
POÈMES ANTIQUES
1852
Bhagavat
Le grand fleuve, à traversles bois aux mille plantes, 6+6 a
Vers le lac infiniroulait ses ondes lentes, 6+6 a
Majestueux, pareilau bleu lotus du ciel, 6+6 b
Confondant toute voixen un chant éternel ; 6+6 b
5 Cristal immaculé,plus pur et plus splendide 6+6 a
Que l'innocent espritde la vierge candide. 6+6 a
Les suras bienheureuxqui calment les douleurs, 6+6 b
Cygnes aux corps de neige,aux guirlandes de fleurs, 6+6 b
Gardaient le réservoirdes âmes, le saint fleuve, 6+6 a
10 La coupe de saphir Bhagavat s'abreuve. 6+6 a
Aux pieds des jujubiersdéployés en arceaux, 6+6 b
Trois sages méditaient,assis dans les roseaux ; 6+6 b
Des larges nymphéascontemplant les calices 6+6 a
Ils gtaient, absorbés,de muettes délices. 6+6 a
15 Sur les bambous prochains,accablés de sommeil, 6+6 b
Les aras aux becs d'orluisaient en plein soleil, 6+6 b
Sans daigner secouer,comme des étincelles, 6+6 a
Les oiseaux qui mordaientla pourpre de leurs ailes. 6+6 a
Revêtu d'un poil rudeet noir, le roi des ours 6+6 b
20 Au grondement sauvage,irritable toujours, 6+6 b
Allait se nourrissantde miel et de bananes. 6+6 a
Les singes oscillaientsuspendus aux lianes. 6+6 a
Tapi dans l'herbe humideet sur soi reployé, 6+6 b
Le tigre au ventre jaune,au souple dos rayé, 6+6 b
25 Dormait ; et par endroits,le long des vertes îles, 6+6 a
Comme des troncs pesantsflottaient les crocodiles. 6+6 a
Parfois, un éléphantsongeur, roi des forêts, 6+6 b
Passait et se perdaitdans les sentiers secrets, 6+6 b
Vaste contemporaindes races terminées, 6+6 a
30 Triste, et se souvenantdes antiques années. 6+6 a
L'inquiète gazelle,attentive à tout bruit, 6+6 b
Venait, disparaissaitcomme le trait qui fuit ; 6+6 b
Au-dessus des nopalsbondissait l'antilope ; 6+6 a
Et sous les noirs taillisdont l'ombre l'enveloppe, 6+6 a
35 Œil dilaté, le corpsnerveux et frémissant, 6+6 b
L'immobile panthèrehumait leur jeune sang. 6+6 b
Du sommet des palmierspendaient les grands reptiles, 6+6 a
Les couleuvres glissaienten spirales subtiles ; 6+6 a
Et sur les fleurs de pourpreet sur les lis d'argent, 6+6 b
40 Emplissant l'air d'un volsonore et diligent, 6+6 b
Dans la forêt touffue,aux longues échappées, 6+6 a
Les abeilles vibraient,d'un rayon d'or frappées. 6+6 a
Telle, la vie immense,auguste, palpitait, 6+6 b
Rêvait, étincelait,soupirait et chantait ; 6+6 b
45 Tels, les germes écloset les formes à ntre 6+6 a
Brisaient ou soulevaientle sein large de l'être. 6+6 a
Mais, dans l'inactionsurhumaine plongés, 6+6 b
Les brahmanes muetset de longs jours chargés, 6+6 b
Ensevelis vivantsdans leurs songes austères, 6+6 a
50 Et des roseaux du fleuvehabitants solitaires, 6+6 a
Las des vaines rumeursde l'homme et des cités, 6+6 b
En un monde inconnupuisaient leurs voluptés : 6+6 b
Des parts faites à touschoisissant la meilleure, 6+6 a
Ils fixaient leur espritsur l'âme intérieure. 6+6 a
55 Enfin, le jour, glissantsur la pente des cieux, 6+6 b
D'un long regard de pourpreillumina leurs yeux ; 6+6 b
Et, sous les jujubiersqu'un souffle pur balance, 6+6 a
Chacun interrompitle mystique silence. 6+6 a
Maitreya
J'étais jeune et jouaisdans le vallon natal, 6+6 b
60 Au bord des bleus étangset des lacs de cristal, 6+6 b
les poules nageaient, cygnes et sarcelles 6+6 a
Faisaient étincelerles perles de leurs ailes ; 6+6 a
Dans les bois odorants,de lianes fleuris, 6+6 b
sur l'écorce d'orchantaient les colibris. 6+6 b
65 Et j'apeus, semblableà l'aurore céleste, 6+6 a
L'Apsaras aux doux yeux,gracieuse et modeste, 6+6 a
Qui de loin s'avançait,foulant les gazons verts. 6+6 b
Ses pieds blancs résonnaientde mille anneaux couverts ; 6+6 b
Sa voix harmonieuseétait comme l'abeille 6+6 a
70 Qui murmure et s'enivreà ta coupe vermeille, 6+6 a
Belle rose ! — Et l'amourondulait dans son sein. 6+6 b
Les bengalis charmés,la suivant par essaim, 6+6 b
Allaient boire le mielde ses lèvres pourprées ; 6+6 a
Ses longs cheveux, pareilsà des lueurs dorées, 6+6 a
75 Ruisselaient mollementsur son cou délicat ; 6+6 b
Et moi, j'étais baignéde leur divin éclat ! 6+6 b
Le souffle frais des bois,de ses deux seins de neige 6+6 a
Écartait le tissuléger qui les protège ; 6+6 a
D'invisibles oiseauxchantaient pleins de douceur, 6+6 b
80 Et toute sa beautérayonnait dans mon cœur ! 6+6 b
Je n'ai pas su le nomde l'Apsaras rapide. 6+6 a
Que ses pieds étaient blancssur le gazon humide ! 6+6 a
Et j'ai suivi longtemps,sans l'atteindre jamais, 6+6 b
La jeune illusionqu'en mes beaux jours j'aimais. 6+6 b
85 Ô contemplationde l'essence des choses, 6+6 a
Efface de mon cœurces pieds, ces lèvres roses, 6+6 a
Et ces tresses de flammeet ces yeux doux et noirs 6+6 b
Qui troublent le reposdes austères devoirs. 6+6 b
Sous les figuiers divins,le lotus à cent feuilles, 6+6 a
90 Bienheureux Bhagavat,si jamais tu m'accueilles, 6+6 a
Puissé-je, libre enfinde ce désir amer, 6+6 b
M'ensevelir en toicomme on plonge à la mer. 6+6 b
Narada
Que de jours disparus !Toujours prompte à la tâche, 6+6 a
Durant la nuit, ma mèreallait traire la vache : 6+6 a
95 Le serpent de Kalala mordit en chemin. 6+6 b
Ma pauvre mère, hélas !Mourut le lendemain. 6+6 b
Comme un enfant privédu seul être qui l'aime, 6+6 a
Moi, je me lamentaisdans ma douleur suprême. 6+6 a
De vallée en collineet de fleuve en forêts, 6+6 b
100 Pâle, cheveux éparset gémissant, j'errais 6+6 b
À travers les grands montset les riches contrées, 6+6 a
Les agrestes hameauxet les villes sacrées ; 6+6 a
Sous le soleil qui brûleet dévore, et souvent 6+6 b
Poussant des cris d'angoisseemportés par le vent. 6+6 b
105 Dans le bois redoutableou sous l'aride nue 6+6 a
Les chacals discordantssaluaient ma venue, 6+6 a
Et la plainte arrachéeà mon cœur soucieux 6+6 b
Éveillait la chouetteaux cris injurieux. 6+6 b
Venu pour y dormirdans ce lieu solitaire, 6+6 a
110 Aux pieds d'un pippalaje m'assis sur la terre ; 6+6 a
Et je vis une autre âmeen mon âme, et mes yeux 6+6 b
Voyaient crtre sur l'ondeun lotus merveilleux ; 6+6 b
Et, du sein entrouvertde la fleur éternelle, 6+6 a
Sortait une clartéqui m'attirait vers elle. 6+6 a
115 Depuis, pareils aux flotsse déroulant toujours, 6+6 b
Dans cette visionj'ai consumé mes jours ; 6+6 b
Mais la source des pleursn'est point tarie encore. 6+6 a
Dans l'ombre de ma nuitta clarté que j'adore 6+6 a
Parfois s'est éclipsée,et son retour est lent, 6+6 b
120 Des êtres et des dieux,ô le plus excellent ! 6+6 b
Sous les figuiers divins,le lotus à cent feuilles. 6+6 a
Bienheureux Bhagavat,si jamais tu m'accueilles, 6+6 a
Puissé-je, délivrédu souvenir amer, 6+6 b
M'ensevelir en toi,comme on plonge à la mer. 6+6 b
Angira
125 J'ai vécu, œil fixésur la source de l'être, 6+6 a
Et j'ai laissé mourirmon cœur pour mieux conntre. 6+6 a
Les sages m'ont parlé,sur l'antilope assis, 6+6 b
Et j'ai tendu l'oreilleaux augustes récits ; 6+6 b
Mais le doute toujoursappesantit ma face, 6+6 a
130 Et l'enseignement purde mon esprit s'efface. 6+6 a
Je suis très malheureux,mes frères, entre tous. 6+6 b
Mon mal intérieurn'est pas connu de vous ; 6+6 b
Et si mes yeux parfoiss'ouvrent à la lumière, 6+6 a
Bientôt la nuit épaisseobscurcit ma paupière. 6+6 a
135 Hélas ! L'homme et la mer,les bois sont agités ; 6+6 b
Mais celui qui persisteen ses austérités, 6+6 b
Celui qui, toujours pleinde leur sublime image 6+6 a
Dirige vers les dieuxson immobile hommage, 6+6 a
Ferme aux tentationsde ce monde apparent, 6+6 b
140 Voit luire Bhagavatdans son cœur transparent. 6+6 b
Tout resplendit, cité,plaine, vallon, montagne ; 6+6 a
Des nuages de fleursrougissent la campagne ; 6+6 a
Il écoute, ravi,les chœurs harmonieux 6+6 b
Des kinnaras sacrés,des femmes aux beaux yeux, 6+6 b
145 Et des flots de lumièreenveloppent le monde. 6+6 a
Le vain bonheur des senss'écoule comme l'onde ; 6+6 a
Les voluptés d'hierreposent dans l'oubli ; 6+6 b
Rien qui dans le néantne roule enseveli ; 6+6 b
Rien qui puisse apaiserta soif inexorable, 6+6 a
150 Ô passion avide,ô doute insatiable, 6+6 a
Si ce n'est le plus douxet le plus beau des dieux. 6+6 b
Sans lui tout me consumeet tout m'est odieux. 6+6 b
Sous les figuiers divins,le lotus à cent feuilles, 6+6 a
Bienheureux Bhagavat,si jamais tu m'accueilles, 6+6 a
155 Puissé-je, ô Bhagavat,chassant le doute amer, 6+6 b
M'ensevelir en toicomme on plonge à la mer. 6+6 b
Ainsi dans les roseauxse lamentaient les sages. 6+6 a
Des pleurs trop contenusinondaient leurs visages, 6+6 a
Et le fleuve gémiten réponse à leurs voix, 6+6 b
160 Et la nuit formidableenveloppa les bois. 6+6 b
Les oiseaux s'étaient tus,et sur les rameaux frêles 6+6 a
Aux nids accoutumésse reployaient leurs ailes. 6+6 a
Seuls, éveillés par l'ombre,en détours indolents, 6+6 b
Les grands pythons rôdaient,dans l'herbe étincelants ; 6+6 b
165 Les panthères, par bondsmusculeux et rapides, 6+6 a
Dans l'épaisseur des boischassaient les daims timides ; 6+6 a
Et sur le bord prochain,le tigre, se dressant, 6+6 b
Poussait par intervalleun cri rauque et puissant. 6+6 b
Mais le ciel, dénouantses larges draperies, 6+6 a
170 Faisait aux flots dorésun lit de pierreries, 6+6 a
Et la lune, inclinantson urne à l'horizon, 6+6 b
Épanchait ses lueursd'opale au noir gazon. 6+6 b
Les lotus entrouvraientsur les eaux murmurantes, 6+6 a
Plus larges dans la nuit,leurs coupes transparentes ; 6+6 a
175 L'arôme des rosiersdans l'air pur dilaté 6+6 b
Retombait plus chargéde molle volupté ; 6+6 b
Et mille mouches d'or,d'azur et d'émeraude, 6+6 a
Étoilaient de leurs feuxla mousse humide et chaude. 6+6 a
Les brahmanes pleuraienten proie aux noirs ennuis. 6+6 b
180 Une plainte est au fondde la rumeur des nuits, 6+6 b
Lamentation largeet souffrance inconnue 6+6 a
Qui monte de la terreet roule dans la nue : 6+6 a
Soupir du globe errantdans l'éternel chemin, 6+6 b
Mais effacé toujourspar le soupir humain. 6+6 b
185 Sombre douleur de l'homme,ô voix triste et profonde, 6+6 a
Plus forte que les bruitsinnombrables du monde, 6+6 a
Cri de l'âme, sanglotdu cœur supplicié, 6+6 b
Qui t'entend sans frémird'amour et de pitié ! 6+6 b
Qui ne pleure sur toi,magnanime faiblesse ! 6+6 a
190 Esprit qu'un aiguillondivin excite et blesse, 6+6 a
Qui t'ignores toi-mêmeet ne peux te saisir, 6+6 b
Et sans borner jamaisl'impossible désir, 6+6 b
Durant l'humaine nuitqui jamais ne s'achève, 6+6 a
N'embrasses l'infiniqu'en un sublime rêve ! 6+6 a
195 Ô douloureux esprit,dans l'espace emporté, 6+6 b
Altéré de lumière,avide de beauté, 6+6 b
Qui retombes toujoursde la hauteur divine 6+6 a
tout être vivantcherche son origine, 6+6 a
Et qui gémis, saiside tristesse et d'effroi, 6+6 b
200 Ô conquérant vaincu,qui ne pleure sur toi ! 6+6 b
Et les sages pleuraient.Mais la blanche déesse, 6+6 a
Ganga, sous l'onde assise,entendit leur détresse. 6+6 a
Dans la grotte de nacre,aux sables d'or semés, 6+6 b
Mille femmes peignaienten anneaux parfumés 6+6 b
205 Sa vierge chevelure,odorante et vermeille ; 6+6 a
Mais aux voix de la riveelle inclina l'oreille, 6+6 a
Et voilée à demid'un bleuâtre éventail, 6+6 b
Avec ses braceletsde perle et de corail, 6+6 b
Son beau corps diaphaneet frais, sa bouche rose 6+6 a
210 le sourire ailécomme un oiseau se pose, 6+6 a
Et ses cheveux divinsde nymphéas ornés, 6+6 b
Elle apparut et vitles sages prosternés. 6+6 b
Ganga
Brahmanes ! Qui vivezet priez sur mes rives, 6+6 a
Vous qui d'un œil pieuxcontemplez mes eaux vives, 6+6 a
215 Pourquoi gémir ? Quel estvotre tourment cruel ? 6+6 b
Un brahmane est toujoursun roi spirituel. 6+6 b
Il reçoit au berceaumille dons en partage ; 6+6 a
Aimé des dieux, il estintelligent et sage ; 6+6 a
Il porte au sacrificeun cœur pur et des mains 6+6 b
220 Sans tache ; il vit et meurtvénérable aux humains. 6+6 b
Pourquoi gémissez-vous,ô brahmanes que j'aime ? 6+6 a
Ne possédez-vous plusla science suprême ? 6+6 a
Avez-vous offensél'essentiel esprit 6+6 b
Pour n'avoir point priédans le rite prescrit ? 6+6 b
225 Confiez-vous en moi,mes paroles sont sûres : 6+6 a
Je puis tarir vos pleurset fermer vos blessures, 6+6 a
Et fixer de nouveau,loin du monde agité, 6+6 b
Vos âmes dans le rêveet l'immobilité. 6+6 b
Sur le large lotus son corps divin siège, 6+6 a
230 Ainsi parlait Ganga,blanche comme la neige. 6+6 a
Maitreya
Salut, vierge aux beaux yeux,reine des saintes eaux, 6+6 b
Plus douce que le chantmatinal des oiseaux, 6+6 b
Que l'arôme amolliqui des jasmins émane ; 6+6 a
Reçois, belle Ganga,le salut du brahmane. 6+6 a
235 Je te dirai le trouble s'égare mon cœur. 6+6 b
Je me suis enivréd'une ardente liqueur, 6+6 b
Et l'amour, me versantson ivresse funeste, 6+6 a
Dirige mon esprithors du chemin céleste. 6+6 a
Ô vierge, brise en moiles liens de la chair ! 6+6 b
240 Ô vierge, guéris-moidu tourment qui m'est cher ! 6+6 b
Narada
Salut, vierge aux beaux yeux,aux boucles d'or fluide, 6+6 a
Plus frche que l'Auroreau diadème humide, 6+6 a
Que les brises du fleuveau fond des bois rêvant ; 6+6 b
Reçois, belle Ganga,mon hommage fervent. 6+6 b
245 Je te raconteraima peine encore amère. 6+6 a
Oui, le dernier baiserque me donna ma mère, 6+6 a
Suprême embrassementaprès de longs adieux, 6+6 b
De larmes de tendresseemplit toujours mes yeux. 6+6 b
Quand vient l'heure fataleet que le jour s'achève, 6+6 a
250 Cette image rentet trouble le saint rêve. 6+6 a
Ô vierge, efface en moice souvenir cruel ! 6+6 b
Ô vierge, guéris-moide tout amour mortel ! 6+6 b
Angira
Salut, vierge aux beaux yeux,rayonnante de gloire, 6+6 a
Plus blanche que le cygneet que le pur ivoire, 6+6 a
255 Qui sur ton cou d'albâtreenroules tes cheveux ; 6+6 b
Reçois, belle Ganga,l'offrande de mes vœux. 6+6 b
Mon malheur est plus fortque ta pitié charmante, 6+6 a
Ô déesse ! Le douteinfini me tourmente. 6+6 a
Pareil au voyageurdans les bois égaré, 6+6 b
260 Mon cœur dans la nuit sombreerre désespéré. 6+6 b
Ô vierge, qui dirace que je veux conntre : 6+6 a
L'origine et la finet les formes de l'être ? 6+6 a
Sous un rayon de lune,au bord des flots muets, 6+6 b
Tels parlaient tour à tourles sages inquiets. 6+6 b
Ganga
265 Quand de telles douleurstroublent l'âme blessée, 6+6 a
Ô brahmanes chéris,l'attente est insensée. 6+6 a
Si le remède est prêt,les longs discours sont vains. 6+6 b
Levez-vous, et quittezle fleuve aux flots divins, 6+6 b
Et la forêt profonde son beau cours commence. 6+6 a
270 Ô sages, le temps presseet la route est immense. 6+6 a
Par delà les lacs bleusde lotus embellis, 6+6 b
Que le souffle vitalberce dans leurs grands lits, 6+6 b
Le klasa céleste,entre les monts sublimes, 6+6 a
Élève le plus hautses merveilleuses cimes. 6+6 a
275 Là, sous le dôme épaisdes feuillages pourprés, 6+6 b
Parmi les kokilaset les paons diaprés, 6+6 b
Réside Bhagavatdont la face illumine. 6+6 a
Son sourire est mâyâ,l'illusion divine ; 6+6 a
Sur son ventre d'azurroulent les grandes eaux ; 6+6 b
280 La charpente des montsest faite de ses os. 6+6 b
Les fleuves ont germédans ses veines, sa tête 6+6 a
Enferme les védas ;son souffle est la tempête ; 6+6 a
Sa marche est à la foisle temps et l'action ; 6+6 b
Son coup œil éternelest la création, 6+6 b
285 Et le vaste universforme son corps solide. 6+6 a
Allez, la route est longueet la vie est rapide. 6+6 a
Et Ganga disparutdans le fleuve endormi 6+6 b
Comme un rayon qui plongeet s'éclipse à demi 6+6 b
Pareils à l'éléphantqui, de son pied sonore, 6+6 a
290 Fuit l'ardente forêtqu'un feu soudain dévore ; 6+6 a
Qui mugit à traversles flamboyants rameaux, 6+6 b
Et respirant à peineet consumé de maux, 6+6 b
Emportant l'incendieà son flanc qui palpite, 6+6 a
Dans la frcheur des eauxroule et se précipite ; 6+6 a
295 À la voix de Gangales sages soucieux 6+6 b
Sentaient les pleurs amersse sécher dans leurs yeux. 6+6 b
Sept fois, les bras tendusvers l'onde bleue et claire, 6+6 a
Ils bénirent ton nom,ô vierge tutélaire, 6+6 a
Ô fille d'Himavat,déesse au corps charmant, 6+6 b
300 Qui jadis habitaisle large firmament, 6+6 b
Et que Bhagiratha,le roi du sacrifice, 6+6 a
Fit descendre en ce mondeen proie à l'injustice. 6+6 a
Puis adorant ton nom,béni par eux sept fois, 6+6 b
Ils quittèrent le fleuveet l'épaisseur des bois ; 6+6 b
305 Et vers la régiondes montagnes neigeuses, 6+6 a
Durant les chauds soleilset les nuits orageuses, 6+6 a
Dédaigneux du périlet du rire moqueur, 6+6 b
Les yeux clos, ils marchaientaux clartés de leur cœur. 6+6 b
Enfin les lacs sacrés,à l'horizon en flammes, 6+6 a
310 Resplendirent, beantdes esprits sur leurs lames. 6+6 a
Dans leur sein azuré,le mont intelligent, 6+6 b
L'immense klasamirait ses pics d'argent 6+6 b
siège Bhagavatsur un trône d'ivoire ; 6+6 a
Et les sages en chœursaluèrent sa gloire. 6+6 a
Les brahmanes
315 Klasa, klasa !Montagne, appui du ciel, 6+6 b
Des dieux supérieursséjour spirituel, 6+6 b
Centre du monde, abrides âmes innombrables, 6+6 a
les kalahamsaschantent sur les érables ; 6+6 a
Klasa, klasa !Trône de l'incréé, 6+6 b
320 Que tu t'élances hautdans l'espace sacré ! 6+6 b
Oh ! Qui pourrait montersur tes degrés énormes, 6+6 a
Si ce n'est Bhagavat,le créateur des formes ? 6+6 a
Nous qui vivons un jouret qui mourrons demain, 6+6 b
Hélas ! Nos pieds mortelss'useront en chemin ; 6+6 b
325 Et sans doute épuisésde vaine lassitude, 6+6 a
Nous tomberons, vaincus,sur la pente trop rude, 6+6 a
Sans boire l'air vitalqui baigne tes sommets ; 6+6 b
Mais les yeux qui t'ont vune t'oublieront jamais ! 6+6 b
Les urnes de l'autel,qui fument d'encens pleines, 6+6 a
330 Ont de moins doux parfumsque tes vives haleines ; 6+6 a
Tes fleuves sont pareilsaux pythons lumineux 6+6 b
Qui sur les palmiers vertsenroulent leurs beaux nœuds ; 6+6 b
Ils glissent au détourde tes belles collines 6+6 a
En guirlandes d'argent,d'azur, de perles fines ; 6+6 a
335 Tes étangs de saphir, croissent les lotus, 6+6 b
Luisent dans tes vallonsd'un éclair revêtus ; 6+6 b
Une rouge vapeurà ton épaule ondoie 6+6 a
Comme un manteau de pourpre le couchant flamboie. 6+6 a
Mille fleurs, sur ton sein,plus brillantes encor, 6+6 b
340 Au vent voluptueuxlivrent leurs tiges d'or, 6+6 b
Beant dans leur calice, le miel étincelle, 6+6 a
Mille oiseaux dont la plumeen diamants ruisselle. 6+6 a
Klasa, klasa !Soit que nos pieds hardis 6+6 b
Atteignent la hauteurpure tu resplendis ; 6+6 b
345 Soit que le souffle humainmanquant à nos poitrines 6+6 a
Nous retombions mortssur tes larges racines ; 6+6 a
Ô merveille du monde,ô demeure des dieux, 6+6 b
Du visible universmonarque radieux, 6+6 b
Sois béni ! Ta beauté,dans nos cœurs honorée, 6+6 a
350 Fatiguera du tempsl'éternelle durée. 6+6 a
Salut, route du cielque vont fouler nos pas ; 6+6 b
Dans la vie ou la mortnous ne t'oublierons pas. 6+6 b
Ayant chanté le montKlasa, les Brahmanes 6+6 a
Se baignèrent trois foisdans les eaux diaphanes. 6+6 a
355 Ainsi purifiésdes souillures du corps, 6+6 b
Ils gravirent le mont,plus sages et plus forts. 6+6 b
Les aurores naissaient,et, semblables aux roses, 6+6 a
S'effeuillaient aux soleilsqui brûlent toutes choses ; 6+6 a
Et les soleils voilaientleur flamme, et, tour à tour, 6+6 b
360 Du sein profond des nuitsrejaillissait le jour. 6+6 b
Les brahmanes montaient,pleins de force et de joie. 6+6 a
Déjà les kokilas,sur le bambou qui ploie, 6+6 a
Et les paons et les coqsau plumage de feu 6+6 b
Annonçaient le séjour,l'inénarrable lieu, 6+6 b
365 D' s'épanche sans cesse,en torrents de lumière, 6+6 a
La divine mâyâ,l'illusion première. 6+6 a
Mille femmes au frontd'ambre, aux longs cheveux noirs, 6+6 b
Des flots aux frais baiserstroublaient les bleus miroirs ; 6+6 b
Et du timbre argentéde leurs lèvres pourprées 6+6 a
370 Disaient en souriantles hymnes consacrées ; 6+6 a
Et les esprits nageaientdans l'air mystérieux ; 6+6 b
Et les doux kinnaras,musiciens des dieux, 6+6 b
Sur les flûtes d'ébèneet les vinâs d'ivoire, 6+6 a
Chantaient de Bhagavatl'inépuisable histoire. 6+6 a
Les kinnaras
I
375 Il était en principe,unique et virtuel, 6+6 b
Sans forme et contenantl'univers éternel. 6+6 b
Rien n'était hors de lui,l'abstraction suprême ! 6+6 a
Il regardait sans voiret s'ignorait soi-même. 6+6 a
Et soudain tu jailliset tu l'enveloppas, 6+6 b
380 Toi, la source infinie,et de ce qui n'est pas 6+6 b
Et des choses qui sont !Toi par qui tout s'oublie, 6+6 a
Meurt, rent, dispart,souffre et se multiplie, 6+6 a
Mâyâ ! Qui, dans ton seininvisible et béant, 6+6 b
Contiens l'homme et les dieux,la vie et leant ! 6+6 b
II
385 La terre était tombéeau profond de l'abîme, 6+6 a
Et les richis jetaientune plainte unanime ; 6+6 a
Mais bhagavat, semblableau lion irrité, 6+6 b
Rugit dans la hauteurdu ciel épouvanté. 6+6 b
Le divin sanglier,mâle du sacrifice, 6+6 a
390 Œil rouge, et secouantson poil qui se hérisse, 6+6 a
Tel qu'un noir tourbillon,un souffle impétueux, 6+6 b
Traversant d'un seul bondles airs tumultueux, 6+6 b
Favorable aux richisdont la voix le supplie, 6+6 a
Suivait à l'odoratla terre ensevelie. 6+6 a
395 Il plongea sans tarderau fond des grandes eaux ; 6+6 b
Et l'océan souffritalors d'étranges maux, 6+6 b
Et les flancs tout meurtrisde la chute sacrée, 6+6 a
Étendit les longs brasde l'onde déchirée, 6+6 a
Poussant une clameurdouloureuse et disant : 6+6 b
400 Seigneur ! Prends en pitiél'abîme agonisant ! 6+6 b
Mais bhagavat nageaitsous les flots sans rivage. 6+6 a
Il vit, dans l'algue épaisseet les limons sauvages, 6+6 a
La terre qui gisaitet palpitait encor ; 6+6 b
Et transfixant, du boutde ses défenses d'or, 6+6 b
405 L'univers échouédans l'étendue humide, 6+6 a
Il remonta couvertd'une écume splendide. 6+6 a
III
Quand sur la nue assis,noir de colère, Indra, 6+6 b
Amassera la pluieet la déchnera 6+6 b
Pour engloutir le mondeet venger son offense ; 6+6 a
410 Le jeune Bhagavat,dans la fleur de l'enfance, 6+6 a
Qui, sous les açokascherchant de frais abris, 6+6 b
Jra dans la roséeavec les colibris, 6+6 b
Voulant sauver la terreencor féconde et belle, 6+6 a
Soutiendra d'un seul doigt,comme une large ombrelle, 6+6 a
415 Sous les torrents du cielqui rugiront en vain, 6+6 b
Durant sept jours entiers,l'Himalaya divin ! 6+6 b
IV
Le chef des éléphants,brûlé par la lumière, 6+6 a
Vers midi se baignaitdans la frche rivière ; 6+6 a
Et tout murmurant d'aiseet lavé d'un flot pur, 6+6 b
420 Respirait des lotusles calices d'azur. 6+6 b
Un crocodile noir,troublant sa quiétude, 6+6 a
Le saisit tout à couppar son pied lourd et rude. 6+6 a
Seigneur ! Dit l'éléphantplein de crainte, entends-moi ! 6+6 b
Seigneur des âmes, viens !Je vais mourir sans toi. 6+6 b
425 Bhagavat l'entendit,et d'un effort facile 6+6 a
Brisa comme un roseaules dents du crocodile. 6+6 a
Aux chants des kinnaras,de désirs consumés, 6+6 b
Les brahmanes foulaientles gazons parfumés ; 6+6 b
Et sur les bleus étangset sous le vert feuillage, 6+6 a
430 Cherchant de bhagavatla glorieuse image, 6+6 a
Ils virent, plein de grâceet plein de majesté, 6+6 b
Un être pur et beaucomme un soleil d'été. 6+6 b
C'était le dieu. Sa noireet lisse chevelure, 6+6 a
Ceinte de fleurs des boiset vierge de souillure, 6+6 a
435 Tombait divinementsur son dos radieux ; 6+6 b
Le sourire animaitle lotus de ses yeux ; 6+6 b
Et dans ses vêtementsjaunes comme la flamme, 6+6 a
Avec son large sein s'anéantit l'âme, 6+6 a
Et ses bracelets d'orde joyaux enrichis, 6+6 b
440 Et ses ongles pourprésqu'adorent les richis ; 6+6 b
Son nombril merveilleux,centre unique des choses, 6+6 a
Ses lèvres de corail fleurissent les roses, 6+6 a
Ses éventails de cygneet son parasol blanc ; 6+6 b
Il siégeait, plus sublimeet plus étincelant 6+6 b
445 Qu'un nuage, unissant,dans leur splendeur commune, 6+6 a
L'éclair et l'arc-en-ciel,le soleil et la lune. 6+6 a
Tel était bhagavat,visible à œil humain. 6+6 b
Le nymphéa sacrés'agitait dans sa main. 6+6 b
Comme un mont d'émeraudeaux brillantes racines, 6+6 a
450 Aux pics d'or, embellisde guirlandes divines, 6+6 a
Et portant pour ceintureà ses reins florissants 6+6 b
Des lacs et des vallonset des bois verdissants, 6+6 b
Des jardins diapréset de limpides ondes ; 6+6 a
Tel il siégeait. Son corpsembrassait les trois mondes ; 6+6 a
455 Et de sa propre gloireun pur rayonnement 6+6 b
Environnait son frontmajestueusement. 6+6 b
Bhagavat, bhagavat !Essence des essences, 6+6 a
Source de la beauté,fleuve des renaissances ! 6+6 a
Lumière qui fait vivreet mourir à la fois ! 6+6 b
460 Ils te virent, seigneur,et restèrent sans voix. 6+6 b
Comme l'herbe courbéeau souffle de la plaine 6+6 a
Leur tête s'abaissasous ta mystique haleine, 6+6 a
Et leur cœur bondissant,dans leur sein dilaté, 6+6 b
Comme un lion captifchercha la liberté. 6+6 b
465 L'air vital, attirépar la chaleur divine, 6+6 a
D'un insensible effortmonta dans la poitrine, 6+6 a
Et sous le crâne épais,à l'esprit réuni, 6+6 b
Se fraya le cheminqui mène à l'infini. 6+6 b
Ainsi que le soleilami des hautes cimes, 6+6 a
470 Tu souris, bhagavat,à ces âmes sublimes. 6+6 a
Toi-même, ô dieu puissant,dispensateur des biens, 6+6 b
Dénouas de l'espritles suprêmes liens ; 6+6 b
Et dans ton sein sans borne,océan de lumière, 6+6 a
Ils s'unirent tous troisà l'essence première, 6+6 a
475 Le principe et la fin,erreur et vérité, 6+6 b
Abîme de néantet de réalité 6+6 b
Qu'enveloppe à jamaisde sa flamme féconde 6+6 a
L'invisible mâyâ,créatrice du monde ; 6+6 a
Espoir et souvenir,le rêve et la raison : 6+6 b
480 L'unique, l'éternelleet sainte illusion. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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