Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
LEC_3/LEC157
Charles-Marie LECONTE DE LISLE
POÈMES ANTIQUES
1852
La Fontaine aux lianes
Comme le flot des mers | ondulant vers les plages, 6+6 a
Ô bois, vous déroulez, | pleins d'arôme et de nids, 6+6 b
Dans l'air splendide et bleu | vos houles de feuillages ; 6+6 a
Vous êtes toujours vieux | et toujours rajeunis. 6+6 b
5 Le temps a respecté, | rois aux longues années, 6+6 a
Vos grands fronts couronnés | de lianes d'argent ; 6+6 b
Nul pied ne foulera | vos feuilles non fanées : 6+6 a
Vous verrez passer l'homme | et le monde changeant. 6+6 b
Vous inclinez d'en haut, | au penchant des ravines, 6+6 a
10 Vos rameaux lents et lourds | qu'ont brûlés les éclairs : 6+6 b
Qu'il est doux le repos | de vos ombres divines, 6+6 a
Aux soupirs de la brise, | aux chansons des flots clairs ! 6+6 b
Le soleil de midi | fait palpiter vos sèves ; 6+6 a
Vous siégez, revêtus | de sa pourpre, et sans voix ; 6+6 b
15 Mais la nuit, épanchant | la rosée et les rêves, 6+6 a
Apaise et fait chanter | les âmes et les bois. 6+6 b
Par delà les verdeurs | des zones maternelles 6+6 a
Où vous poussez d'un jet | vos troncs inébranlés, 6+6 b
Seules plus près du ciel, | les neiges éternelles 6+6 a
20 Couvrent de leurs plis blancs | les pics immaculés. 6+6 b
Ô bois natals, j'errais | sous vos larges ramures ; 6+6 a
L'aube aux flancs noirs des monts | marchait d'un pied vermeil ; 6+6 b
La mer avec lenteur | éveillait ses murmures, 6+6 a
Et de tout œil vivant | fuyait le doux sommeil. 6+6 b
25 Au bord des nids, ouvrant | ses ailes longtemps closes, 6+6 a
L'oiseau disait le jour | avec un chant plus frais 6+6 b
Que la source agitant | les verts buissons de roses, 6+6 a
Que le rire amoureux | du vent dans les forêts. 6+6 b
Les abeilles sortaient | des ruches naturelles 6+6 a
30 Et par essaims vibraient | au soleil matinal ; 6+6 b
Et livrant le trésor | de sa corolle frêle, 6+6 a
Chaque fleur répandait | sa goutte de cristal. 6+6 b
Et le ciel descendait | dans les claires rosées 6+6 a
Dont la montagne bleue | au loin étincelait ; 6+6 b
35 Un mol encens fumait | des plantes arrosées 6+6 a
Vers la sainte nature | à qui mon cœur parlait. 6+6 b
Au fond des bois baignés | d'une vapeur céleste, 6+6 a
Il était une eau vive | où rien ne remuait ; 6+6 b
Quelques joncs verts, gardiens | de la fontaine agreste, 6+6 a
40 S'y penchaient au hasard | en un groupe muet. 6+6 b
Les larges nénuphars, | les lianes errantes, 6+6 a
Blancs archipels, flottaient | enlacés sur les eaux, 6+6 b
Et dans leurs profondeurs | vives et transparentes 6+6 a
Brillait un autre ciel | où nageaient les oiseaux. 6+6 b
45 Ô fraîcheur des forêts, | sérénité première, 6+6 a
Vents qui caressiez | les feuillages chanteurs, 6+6 b
Fontaine aux flots heureux | où jouait la lumière 6+6 a
Éden épanoui | sur les vertes hauteurs ! 6+6 b
Salut, ô douce paix, | et vous, pures haleines, 6+6 a
50 Et vous qui tombiez | du ciel et des rameaux, 6+6 b
Repos du cœur, oubli | de la joie et des peines ! 6+6 a
Salut, ô sanctuaire | interdit à nos maux ! 6+6 b
Et sous le dôme épais | de la forêt profonde, 6+6 a
Aux réduits du lac bleu | dans les bois épanché, 6+6 b
55 Dormait, enveloppé | du suaire de l'onde, 6+6 a
Un mort, les yeux au ciel, | sur le sable couché. 6+6 b
Il ne sommeillait pas, | calme comme Ophélie, 6+6 a
Et souriant comme elle | et les bras sur le sein ; 6+6 b
Il était de ces morts | que bientôt on oublie ; 6+6 a
60 Pâle et triste, il songeait | au fond du clair bassin. 6+6 b
La tête au dur regard | reposait sur la pierre ; 6+6 a
Aux replis de la joue | où le sable brillait, 6+6 b
On eût dit que des pleurs | tombaient de la paupière, 6+6 a
Et que le cœur encor | par instants tressaillait. 6+6 b
65 Sur les lèvres errait | la sombre inquiétude. 6+6 a
Immobile, attentif, | il semblait écouter 6+6 b
Si quelque pas humain, | troublant la solitude, 6+6 a
De son suprême asile | allait le rejeter. 6+6 b
Jeune homme, qui choisis | pour ta couche azurée 6+6 a
70 La fontaine des bois | aux flots silencieux, 6+6 b
Nul ne sait la liqueur | qui te fut mesurée 6+6 a
Au calice éternel | des esprits soucieux. 6+6 b
De quelles passions | ta jeunesse assaillie 6+6 a
Vint-elle ici chercher | le repos dans la mort ? 6+6 b
75 Ton âme à son départ | ne fut pas recueillie, 6+6 a
Et la vie a laissé | sur ton front un remord. 6+6 b
Pourquoi jusqu'au tombeau | cette tristesse amère ? 6+6 a
Ce cœur s'est-il brisé | pour avoir trop aimé ? 6+6 b
La blanche illusion, | l'espérance éphémère 6+6 a
80 En s'envolant au ciel | l'ont-elles vu fermé ? 6+6 b
Tu n'es pas né sans doute | au bord des mers dorées, 6+6 a
Et tu n'as pas grandi | sous les divins palmiers, 6+6 b
Mais l'avare soleil | des lointaines contrées 6+6 a
N'a pas mûri la fleur | de tes songes premiers. 6+6 b
85 À l'heure où de ton sein | la flamme fut ravie, 6+6 a
Ô jeune homme qui vins | dormir en ces beaux lieux, 6+6 b
Une image divine | et toujours poursuivie, 6+6 a
Un ciel mélancolique | ont passé dans tes yeux. 6+6 b
Si ton âme ici-bas | n'a point brisé sa chaîne, 6+6 a
90 Si la source au flot pur | n'a point lavé tes pleurs, 6+6 b
Si tu ne peux partir | pour l'étoile prochaine, 6+6 a
Reste, épuise la vie | et tes chères douleurs ! 6+6 b
Puis, ô pâle étranger, | dans ta fosse bleuâtre, 6+6 a
Libre des maux soufferts | et d'une ombre voilé, 6+6 b
95 Que la nature au moins | ne te sois pas marâtre : 6+6 a
Repose entre ses bras, | paisible et consolé. 6+6 b
Tel je songeais. Les bois, | sous leur ombre odorante, 6+6 a
Épanchant un concert | que rien ne peut tarir 6+6 b
Sans m'écouter, berçaient | leur gloire indifférente, 6+6 a
100 Ignorant que l'on souffre | et qu'on puisse en mourir. 6+6 b
La fontaine limpide, | en sa splendeur native, 6+6 a
Réfléchissait toujours | les cieux de flamme emplis ; 6+6 b
Et sur ce triste front | nulle haleine plaintive 6+6 a
Des flots riants et purs | ne vint rider les plis. 6+6 b
105 Sur les blancs nénuphars | l'oiseau ployant ses ailes 6+6 a
Buvait de son bec rose | en ce bassin charmant, 6+6 b
Et sans penser aux morts, | tout couvert d'étincelles, 6+6 a
Volait sécher sa plume | au tiède firmament. 6+6 b
La nature se rit | des souffrances humaines ; 6+6 a
110 Ne contemplant jamais | que sa propre grandeur, 6+6 b
Elle dispense à tous | ses forces souveraines, 6+6 a
Et garde pour sa part | le calme et la splendeur. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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