Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
LEC_1/LEC46
Charles-Marie LECONTE DE LISLE
POÈMES BARBARES
1862
Le Jaguar
Sous le rideau lointain des escarpements sombres 6+6 a
La lumière, par flots écumeux, semble choir ; 6+6 b
Et les mornes pampas où s'allongent les ombres 6+6 a
Frémissent vaguement à la fraîcheur du soir. 6+6 b
5 Des marais hérissés d'herbes hautes et rudes, 6+6 a
Des sables, des massifs d'arbres, des rochers nus, 6+6 b
Montent, roulent, épars, du fond des solitudes, 6+6 a
De sinistres soupirs au soleil inconnus. 6+6 b
La lune, qui s'allume entre des vapeurs blanches, 6+6 a
10 Sur la vase d'un fleuve aux sourds bouillonnements, 6+6 b
Froide et dure, à travers l'épais réseau des branches, 6+6 a
Fait reluire le dos rugueux des caïmans. 6+6 b
Les uns, le long du bord traînant leurs cuisses torses, 6+6 a
Pleins de faim, font claquer leurs mâchoires de fer ; 6+6 b
15 D'autres, tels que des troncs vêtus d'âpres écorces, 6+6 a
Gisent, entre-bâillant la gueule aux courants d'air. 6+6 b
Dans l'acajou fourchu, lové comme un reptile, 6+6 a
C'est l'heure où, l'œil mi-clos et le mufle en avant, 6+6 b
Le chasseur au beau poil flaire une odeur subtile, 6+6 a
20 Un parfum de chair vive égaré dans le vent. 6+6 b
Ramassé sur ses reins musculeux, il dispose 6+6 a
Ses ongles et ses dents pour son œuvre de mort ; 6+6 b
Il se lisse la barbe avec sa langue rose ; 6+6 a
Il laboure l'écorce et l'arrache et la mord. 6+6 b
25 Tordant sa souple queue en spirale, il en fouette 6+6 a
Le tronc de l'acajou d'un brusque enroulement ; 6+6 b
Puis sur sa patte roide il allonge la tête, 6+6 a
Et, comme pour dormir, il râle doucement. 6+6 b
Mais voici qu'il se tait, et, tel qu'un bloc de pierre, 6+6 a
30 Immobile, s'affaisse au milieu des rameaux : 6+6 b
Un grand bœuf des pampas entre dans la clairière, 6+6 a
Corne haute et deux jets de fumée aux naseaux. 6+6 b
Celui-ci fait trois pas. La peur le cloue en place : 6+6 a
Au sommet d'un tronc noir qu'il effleure en passant, 6+6 b
35 Plantés droit dans sa chair où court un froid de glace, 6+6 a
Flambent deux yeux zébrés d'or, d'agate et de sang. 6+6 b
Stupide, vacillant sur ses jambes inertes, 6+6 a
Il pousse contre terre un mugissement fou ; 6+6 b
Et le jaguar, du creux des branches entr'ouvertes, 6+6 a
40 Se détend comme un arc et le saisit au cou. 6+6 b
Le bœuf cède, en trouant la terre de ses cornes, 6+6 a
Sous le choc imprévu qui le force à plier ; 6+6 b
Mais bientôt, furieux, par les plaines sans bornes 6+6 a
Il emporte au hasard son fauve cavalier. 6+6 b
45 Sur le sable mouvant qui s'amoncelle en dune, 6+6 a
De marais, de rochers, de buissons entravé, 6+6 b
Ils passent, aux lueurs blafardes de la lune, 6+6 a
L'un ivre, aveugle, en sang, l'autre à sa chair rivé. 6+6 b
Ils plongent au plus noir de l'immobile espace, 6+6 a
50 Et l'horizon recule et s'élargit toujours ; 6+6 b
Et, d'instants en instants, leur rumeur qui s'efface 6+6 a
Dans la nuit et la mort enfonce ses bruits sourds. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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