Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
LAM_9/LAM165
Alphonse de LAMARTINE
LA CHUTE D’UN ANGE
1838
QUINZIÈME VISION
────
Cependant Asrafiel, | vainqueur par sa complice, 6+6 a
De ses lâches rivaux | débarrassant la lice, 6+6 a
Le pied sur un cadavre | au trône était monté ; 6+6 b
Pour lui le prix du sang | était la volupté : 6+6 b
5 Et, pour aiguillonner | son audace assouvie, 6+6 a
Associant la mort | aux excès de la vie, 6+6 a
De débauche altéré | plus que d’ambition, 6+6 b
Il remplissait ces murs | d’abomination. 6+6 b
Sur les parvis souillés | du palais des scandales, 6+6 a
10 Le sang et les parfums | se mêlaient sur les dalles ; 6+6 a
Les hymnes effrénés, | les sons des instruments, 6+6 b
Y couvraient de la mort | les derniers râlements. 6+6 b
Des danseuses, nouant | leurs trames fugitives, 6+6 a
Secouaient des flambeaux | sur le front des convives ; 6+6 a
15 La sueur, la fumée, | obscurcissaient le ciel : 6+6 b
Cette atmosphère immonde | était l’air d’Asrafiel ; 6+6 b
On eût dit qu’effrayé | du jour qui devait suivre, 6+6 a
Des cinq sens à la fois | il se hâtait de vivre. 6+6 a
Par ces hideux tableaux | ses esprits excités 6+6 b
20 Trouvaient un nouveau sel | à ses atrocités. 6+6 b
Les yeux de Daïdha | brûlaient de loin son âme ; 6+6 a
L’empire n’était rien | pour lui sans cette femme : 6+6 a
Tous ses forfaits n’étaient | que des forfaits ingrats, 6+6 b
S’ils ne lui jetaient pas | ce rêve entre les bras ! 6+6 b
25 Il voulait, réservant | pour lui ce prix céleste, 6+6 a
Être un époux pour elle, | être un dieu pour le reste, 6+6 a
Et, lui donnant aussi | sa part de royauté, 6+6 b
Faire de sa conquête | une divinité. 6+6 b
Ces lieux étaient la scène | et cette heure était l’heure. 6+6 a
30 Conduite de la nuit | de sa morne demeure 6+6 a
À ce jour que lançaient | les torches dans les cieux, 6+6 b
Daïdha, rougissante, | était devant ses yeux. 6+6 b
Ses regards, étonnés | par l’éclat de la flamme, 6+6 a
Dans l’éblouissement | laissaient nager son âme ; 6+6 a
35 Pour abriter son corps | contre cette splendeur, 6+6 b
Ses vêtements serrés | couvraient mal sa pudeur. 6+6 b
La honte de son geste | et sa tête baissée 6+6 a
Semblaient l’envelopper | dans sa chaste pensée ; 6+6 a
Son cœur pétrifié | s’arrêtait de stupeur, 6+6 b
40 Sa peau se nuançait | des frissons de la peur ; 6+6 b
Ses épaules à nu, | se serrant aux aisselles, 6+6 a
S’efforçaient de voiler | son corps comme deux ailes 6+6 a
Dont les duvets ravis | par le cruel ciseau 6+6 b
Se replîraient en vain | sur les flancs de l’oiseau. 6+6 b
45 Tantôt elle couvrait | de ses doigts en étoile 6+6 a
Les marbres de son sein | transparents sous leur voile : 6+6 a
Tantôt, pour s’abriter | du jour qui l’offensait, 6+6 b
De l’ombre d’un pilier | elle se vêtissait. 6+6 b
Parmi tant de beautés | aux regards immodestes, 6+6 a
50 Son tremblement, sa peur, | sa rougeur et ses gestes 6+6 a
Jetaient sur elle seule | un voile de respect ; 6+6 b
Le regard déhonté | rentrait à son aspect. 6+6 b
Tant la sainte pudeur, | ce vêtement de l’âme, 6+6 a
Peut protéger le corps | contre l’audace infâme ! 6+6 a
55 Un mouvement d’extase | et de ravissement 6+6 b
Donnait à tous les yeux | les regards d’un amant. 6+6 b
Un murmure courait | dans l’assemblée immense, 6+6 a
Comme dans les forêts | la brise qui commence ; 6+6 a
Tandis que Daïdha, | rouvrant ses chastes yeux 6+6 b
60 Qu’épouvantaient d’effroi | les murs licencieux, 6+6 b
Par ces grossiers tableaux | toujours plus offensée, 6+6 a
S’enfonçait plus avant | dans sa propre pensée, 6+6 a
Comme un vase d’amour | et de dilection 6+6 b
Au fond de cette mer | d’abomination. 6+6 b
65 Le tyran, aux splendeurs | de cette beauté chaste, 6+6 a
Du vice à la vertu | contemplant le contraste, 6+6 a
Du regard malgré lui | respectait ses appas. 6+6 b
L’absence des cheveux | ne la déparait pas ; 6+6 b
Comme un jeune palmier | dont la main qui le taille 6+6 a
70 En élaguant la cime | élève encor la taille, 6+6 a
Plus souple et plus léger | son buste s’élançait, 6+6 b
Allégé des cheveux | dont le poids l’affaissait. 6+6 b
« Viens, disait Asrafiel, | ô perle de l’aurore 6+6 a
Que la vague à mes pieds | apporta pour éclore, 6+6 a
75 Viens luire sur ce front | où luit tant de grandeur ; 6+6 b
Tu seras de ces lieux | la première splendeur ! 6+6 b
Étoile de la nuit, | qui brillais inconnue 6+6 a
Derrière les forêts | ou derrière la nue, 6+6 a
Des astres du matin | viens effacer le jour ! 6+6 b
80 Le bonheur de tes yeux | coule en rayon d’amour ! 6+6 b
Sur tes lèvres de nard | un ciel entier respire ! 6+6 a
C’est pour te conquérir | que j’ai conquis l’empire ! 6+6 a
Viens, couronnant mon front | de ta chaste beauté, 6+6 b
Me payer ma grandeur | par ma félicité ! » 6+6 b
85 En lui parlant ainsi | sa main rude et robuste, 6+6 a
S’assouplissant un peu, | l’enlaçait par le buste, 6+6 a
Et ses bras musculeux | l’attiraient vers son cœur ; 6+6 b
Mais Daïdha bondit | avec un cri d’horreur. 6+6 b
Il sourit, et dardant | un regard de satyre : 6+6 a
90 « Biche à l’œil effrayé, | qui fuis ce qui t’attire, 6+6 a
Reviens à moi, dit-il, | charmante enfant, reviens ! 6+6 b
Ton pied léger, vois-tu, | traîne encor tes liens ; 6+6 b
De quoi te serviraient | la colère et la fuite ? 6+6 a
Plus vite sous ma main | tu reviendrais réduite. 6+6 a
95 Mais pourquoi t’enfuis-tu ? | viens ; tu ne sais donc pas 6+6 b
Que c’est un dieu dont l’œil | admire tes appas ? 6+6 b
Qu’il veut, n’offrant qu’à toi | sa tendresse jalouse, 6+6 a
D’esclave, sur son cœur | te proclamer épouse ? 6+6 a
Oh ! viens, folle beauté, | sur le cœur d’Asrafiel, 6+6 b
100 De bonheurs inconnus | étonner jusqu’au ciel !… » 6+6 b
Il se tut, et tendant | les bras vers la rebelle, 6+6 a
Attendit un instant | qu’elle y tombât… Mais elle, 6+6 a
D’une voix dont la honte | et l’indignation 6+6 b
Relevaient tout à coup | la molle inflexion : 6+6 b
105 « Dieu seul est Dieu, dit-elle, | et le ciel de mon âme, 6+6 a
C’est le cœur de celui | dont il m’a faite femme ! 6+6 a
Cédar, mon saint amour ! | Cédar, mon seul époux ! 6+6 b
Un cachot avec lui | plus qu’un trône avec vous ! 6+6 b
De vos pieds tout-puissants | que de mes pleurs je lave, 6+6 a
110 Frappez, rejetez-moi ; | faites-moi votre esclave ; 6+6 a
Mais rendez-moi Cédar, | Cédar, mon seul amour, 6+6 b
Et mes petits enfants | dont les yeux sont mon jour ! 6+6 b
J’embaumerai vos pieds | d’éternelles caresses, 6+6 a
Et vous serez un dieu | du moins pour mes tendresses… » 6+6 a
115 Comme si cette bouche | eût blasphémé le ciel, 6+6 b
Un murmure d’horreur | la couvrit. Asrafiel, 6+6 b
La repoussant du pied | sur le marbre abattue : 6+6 a
« Ah ! dit-il, c’est donc lui ? | Qu’on coure et qu’on le tue ! 6+6 a
Que l’on traîne à ses yeux | ses membres torturés ; 6+6 b
120 Qu’elle entende… ! Mais non, | reprit-il, demeurez ! 6+6 b
Avant que de sa vie | un geste me délivre, 6+6 a
D’un seul mot, Daïdha, | tu peux le laisser vivre ; 6+6 a
C’est toi qui vas frapper, | c’est toi qui le tueras ! 6+6 b
Viens chercher ton amant, | sa vie est dans mes bras… » 6+6 b
125 À ces mots Daïdha, | par la crainte éperdue, 6+6 a
Se jetait… Mais soudain, | sur un pied suspendue, 6+6 a
Et redressant d’horreur | son beau corps incliné : 6+6 b
« Non ! non ! qu’il meure avant | son amour profané ! 6+6 b
Qu’il meure avant de voir | son épouse avilie 6+6 a
130 Au prix de son honneur | lui racheter la vie ! 6+6 a
Qu’il meure avant de voir | flétrir de ton baiser 6+6 b
Ces lèvres où son cœur | du moins peut se poser ! 6+6 b
Frappe, mon choix est fait ! |… — Eh bien, non ! dit l’hyène, 6+6 a
Je suspendrai le coup | pour que ta vie y tienne ! 6+6 a
135 Esclaves, apportez | ses enfants par les piés 6+6 b
Comme deux vils chevreaux | pour le couteau liés. 6+6 b
Par tous les sentiments | de sa tendre nature, 6+6 a
Sur leurs membres sanglants | donnez-lui la torture ; 6+6 a
Oui, respectez son corps | et déchirez son cœur, 6+6 b
140 Jusqu’à ce qu’elle tombe | aux bras de son vainqueur… » 6+6 b
Les petits, à ces mots, | arrachés de leur couche, 6+6 a
Chacun d’eux dans les bras | d’un esclave farouche, 6+6 a
Sur le seuil du parvis | sont apportés soudain ; 6+6 b
L’aboîment ne fait pas | bondir plus fort le daim 6+6 b
145 Que le vagissement | de ses fils qu’on apporte 6+6 a
Ne fait bondir d’amour | la mère vers la porte. 6+6 a
Avant que des bourreaux | son geste ait été vu, 6+6 b
Se jetant sur leurs mains | d’un élan imprévu, 6+6 b
Elle arrache ses fils | à leur cruelle serre, 6+6 a
150 Les étreint sur son cœur, | les embrasse, les serre, 6+6 a
Les laisse, les reprend, | roule son front sur eux, 6+6 b
Les couvre sur leurs corps | de baisers plus nombreux 6+6 b
Que l’orage du cœur | n’a de gouttes de pluie ; 6+6 a
Les baigne de ses yeux, | des lèvres les essuie ; 6+6 a
155 Puis, les pressant sur elle | à les faire crier, 6+6 b
D’un regard qui paraît | défier et prier, 6+6 b
Regarde les bourreaux | un moment en silence, 6+6 a
Aux genoux d’Asrafiel | avec ardeur s’élance, 6+6 a
Et serrant sur son sein | ses enfants d’une main, 6+6 b
160 De l’autre saisissant | le bras du monstre humain, 6+6 b
De la foudre du cœur, | que son coup d’œil lui darde, 6+6 a
L’attendrit, le foudroie : | « Oh ! dit-elle, oh ! regarde, 6+6 a
Suppliant à tes pieds | ces innocents agneaux ! 6+6 b
Des mères de tes dieux | les fils sont-ils plus beaux ? 6+6 b
165 Oh ! touche cette chair | d’ivoire, où la tigresse 6+6 a
Changerait, en léchant, | sa morsure en caresse ! 6+6 a
Vois ces yeux où tes yeux | se reflètent ; oh ! vois 6+6 b
Comme ils touchent tes pieds | avec leurs petits doigts ! » 6+6 b
Puis, avec cet instinct | rapide de la mère, 6+6 a
170 Sur les traits d’Asrafiel | voyant la joie amère, 6+6 a
Et comprenant soudain | qu’il avait découvert 6+6 b
Le seul point sans défense | où son cœur fût ouvert, 6+6 b
Du sol où se courbait | sa face prosternée, 6+6 a
Relevant les enfants | d’une main forcenée, 6+6 a
175 Et changeant tout à coup | de figure et de voix, 6+6 b
Elle se retourna | comme un cerf aux abois : 6+6 b
« Non, tu les frapperas ! | je le vois dans ton rire ! 6+6 a
Monstre ! l’amour y raille | et l’enfer y respire ! 6+6 a
Mais viens, tyran ! bourreaux, | meurtriers, venez tous 6+6 b
180 Ma seule arme de mère | est plus forte que vous. 6+6 b
Essayez d’arracher | du sein qui vous défie 6+6 a
Ce couple que j’y rentre | et que j’y pétrifie ! 6+6 a
Vous briserez plutôt | ces lourds câbles de fer 6+6 b
Que ce nœud de mes bras | qui va les étouffer ! 6+6 b
185 Vous ne les atteindrez | qu’en perçant mes entrailles ! 6+6 a
Mon sang, avec le leur, | rougira vos murailles ; 6+6 a
Et ce monstre obtiendra, | pour prix de ses forfaits, 6+6 b
Trois cadavres jetés | à ses pieds satisfaits !… 6+6 b
— Bourreaux ! dit Asrafiel | frémissant de colère, 6+6 a
190 Ouvrez, sans les briser, | ces tendres bras de mère ; 6+6 a
Prenez ces fruits séchés | avant que d’être mûrs, 6+6 b
Et broyez à ses yeux | leurs têtes sur les murs ! » 6+6 b
Deux bourreaux, à ces mots, | d’une invincible étreinte, 6+6 a
Déplièrent ses bras | qu’entrelaçait la crainte, 6+6 a
195 Et, de ses vains efforts | sans peine triomphants, 6+6 b
Écartèrent la mère | et prirent les enfants. 6+6 b
Chacun en saisit un | comme un boucher sa proie, 6+6 a
Et lui lia les pieds | d’une rude courroie. 6+6 a
Tel qu’un bloc qu’en tournant | la fronde va lancer, 6+6 b
200 Chacun vers sa colonne | on les vit s’avancer. 6+6 b
Déjà les airs sifflaient | sous le vent des deux crânes, 6+6 a
Déjà le mur rasait | leurs cheveux diaphanes : 6+6 a
Un pas de plus, leurs fronts | éclataient en débris ! 6+6 b
Le plus beau des jumeaux | jette deux faibles cris ; 6+6 b
205 À cette voix d’enfant, | dont l’accent la déchire, 6+6 a
L’horreur de Daïdha | monte jusqu’au délire ; 6+6 a
Ah ! le cœur d’une mère | est enfin le plus fort ! 6+6 b
« Pour sauver mes petits, | j’embrasserais la mort ! » 6+6 b
Dit-elle ; et, s’élançant | comme l’air à la flamme, 6+6 a
210 Dans les bras d’Asrafiel | elle tombe sans âme ! 6+6 a
· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·
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Le monstre se penchait | sur le front sans couleur, 6+6 b
Sur le corps immobile | épuisé de douleur, 6+6 b
Qu’il allait profaner | de son haleine immonde… 6+6 a
Quand un cri dont l’horreur | ferait crouler un monde, 6+6 a
215 Cri semblable au clairon | dont le terrible écho 6+6 b
Fit rentrer dans le sol | les murs de Jéricho, 6+6 b
Un cri semblable au cri | dont la puissance seule 6+6 a
Fait lâcher au lion | la brebis de sa gueule, 6+6 a
Et de l’aigle tremblant | ouvre la serre au ciel, 6+6 b
220 Fascina tout le sang | aux veines d’Asrafiel, 6+6 b
Lui fit ouvrir les mains | comme une main plus forte, 6+6 a
En laissant retomber | Daïdha demi-morte ! 6+6 a
Cédar, car c’était lui, | du haut des escaliers, 6+6 b
Cédar, montrant sa tête | entre deux hauts piliers, 6+6 b
225 Cédar, grand comme un dieu | dont la mâle statue 6+6 a
Tombe du piédestal | sur la foule abattue, 6+6 a
Les cheveux hérissés, | le bras haut, l’œil béant, 6+6 b
Marche sur les corps morts | au trône du géant. 6+6 b
Au palais dont l’orgie | a dégarni les portes, 6+6 a
230 Du peuple débordé | précédant les cohortes, 6+6 a
Précipitant ses pas | de la foule suivis, 6+6 b
Cédar était monté | jusqu’aux secrets parvis. 6+6 b
Comme avant de frapper | l’orage plane et tonne, 6+6 a
Pour assurer ses yeux | que la splendeur étonne, 6+6 a
235 Derrière une colonne | un instant arrêté, 6+6 b
Sous l’ombre du portique | il s’était abrité. 6+6 b
Pendant qu’il suspendait | ses combattants du geste, 6+6 a
Il avait vu ses fils | balancés, et le reste, 6+6 a
Daïdha, leur jetant | son dernier cri d’effroi, 6+6 b
240 Tomber inanimée | aux pieds du monstre-roi ! 6+6 b
À cet excès d’horreur, | dans son sein condensée, 6+6 a
La foudre de son âme | avait été lancée, 6+6 a
De l’orteil aux cheveux | la flamme avait jailli, 6+6 b
La racine du cœur | en avait tressailli. 6+6 b
245 Tout ce qui sent dans l’homme, | aime, frémit, abhorre, 6+6 a
Donnait a tout son être | un contre-coup sonore : 6+6 a
Rage, colère, amour, | mort, indignation, 6+6 b
S’étaient multipliés | dans sa vibration ! 6+6 b
La voix de tout ce peuple, | à sa voix confondue, 6+6 a
250 Des cieux, qu’elle ébranlait, | paraissait descendue. 6+6 a
L’enfer n’aurait pas mis | les tyrans à l’abri ; 6+6 b
La vengeance du monde | était dans ce seul cri !… 6+6 b
Comme se courbe un front | quand passe la tempête, 6+6 a
Les géants avaient mis | les deux mains sur leur tête, 6+6 a
255 Et, pareils aux épis | par l’ouragan pliés, 6+6 b
Ondoyant sous son bras | s’écartaient de ses piés. 6+6 b
Le peuple à flots pressés | l’accompagnait en foule. 6+6 a
Tel, au milieu d’un lac | quand une tour s’écroule, 6+6 a
On voit ce lac, grossi | par les rocs éboulés, 6+6 b
260 Surmonter ses hauts bords | de ses plis refoulés, 6+6 b
Et, dépassant du flot | les grèves du rivage, 6+6 a
Suspendre son écume | au rocher qui surnage : 6+6 a
Telles, tombant au sein | de ce monde avili, 6+6 b
Où de l’iniquité | l’abîme était rempli, 6+6 b
265 La colère d’un homme | et sa seule énergie 6+6 a
Avaient d’un peuple entier | troublé la léthargie, 6+6 a
Et de ces murs sacrés, | qu’il n’osait regarder, 6+6 b
Jusque sur ses tyrans | l’avaient fait déborder ! 6+6 b
Armés de jougs brisés, | de socs et de massues, 6+6 a
270 Il se précipitait | par toutes les issues, 6+6 a
Entraînant dans son flux, | noyant dans sa fureur 6+6 b
Ces dieux qu’une heure avant | adorait sa terreur. 6+6 b
Nul n’osait se roidir | contre ce grand déluge ; 6+6 a
Tous tombaient ou mouraient, | ou cherchaient un refuge. 6+6 a
275 La droite de Cédar | agitait leur linceul. 6+6 b
Asrafiel pâlissant | osa s’arrêter seul : 6+6 b
Il ne connaissait pas | la force d’un bras libre ; 6+6 a
Sur ses muscles tendus | reprenant l’équilibre, 6+6 a
De toute sa hauteur | se dressant en sursaut, 6+6 b
280 De Cédar qu’il défie | il attendait l’assaut. 6+6 b
Daïdha d’une main | pressait encor sa jambe. 6+6 a
Cédar venant à lui | sur le corps qu’il enjambe, 6+6 a
Comme un bélier jaloux | qui, pour abattre un tronc, 6+6 b
Incline obliquement | les cornes de son front, 6+6 b
285 Le souffle du désert | grondant dans sa narine, 6+6 a
D’un seul coup de sa tête | enfonce la poitrine. 6+6 a
Asrafiel, à ce choc | qui le fait chanceler, 6+6 b
De ses côtes de fer | sent les os vaciller ; 6+6 b
La force de son bras | manque au coup qu’il assène ; 6+6 a
290 Ses poumons écrasés | font ronfler son haleine ; 6+6 a
Mais, pressant de Cédar | la nuque entre ses doigts, 6+6 b
Ses deux coudes ouverts, | il l’écrase du poids, 6+6 b
Et, comme un sanglier | plonge sa dent d’ivoire, 6+6 a
Dans son épaule nue | enfonce sa mâchoire. 6+6 a
295 Tel on voit, pour ouvrir | ses cinq ongles mordants, 6+6 b
Le dogue secouer | le tigre avec ses dents, 6+6 b
Cédar, sans étancher | son sang pur qui ruisselle, 6+6 a
Écrase le géant | sous sa robuste aisselle. 6+6 a
Le colosse à l’instant, | frappé du coup mortel, 6+6 b
300 Croule avec son vainqueur | aux marches de l’autel. 6+6 b
Les globes de ses yeux | tournent sous sa paupière ; 6+6 a
Son front sonore est pâle | et froid comme la pierre. 6+6 a
Cédar, penché sur lui, | le prend par les cheveux, 6+6 b
Tend, pour le soulever, | ses deux poignets nerveux, 6+6 b
305 Et, contre l’autel même | où son forfait s’expie, 6+6 a
Comme un vautour dans l’œuf, | brise son crâne impie ; 6+6 a
Puis, cherchant du regard | ses autres ennemis, 6+6 b
Il voit tout, devant lui, | mort, fuyant ou soumis. 6+6 b
Le peuple fluctuant, | que la peur encourage, 6+6 a
310 Pendant l’affreux duel, | s’acharnant au carnage, 6+6 a
Avait, vengeant d’un jour | tant de jours odieux, 6+6 b
Égorgé sans combat | la moitié de ses dieux ; 6+6 b
L’autre moitié, fuyant | le fer levé sur elle, 6+6 a
Avait, par des détours, | gagné la citadelle ; 6+6 a
315 Tour qui montait au ciel, | et dont les murs de roc, 6+6 b
Dressés en précipice | et ne formant qu’un bloc, 6+6 b
Défiant des béliers | la poutre la plus forte, 6+6 a
Recevaient l’air du ciel | et n’avaient qu’une porte. 6+6 a
Pendant que leur vainqueur | s’enivrait du succès, 6+6 b
320 De cette tour d’airain | gardant l’unique accès, 6+6 b
Les dieux, réfugiés | dans cet antre de pierre, 6+6 a
En refermant la porte, | avaient roulé derrière 6+6 a
Trois fragments de granit | dont la masse et le poids 6+6 b
Auraient épouvanté | mille hommes d’autrefois, 6+6 b
325 Et que de la colline | à leur masse soudée 6+6 a
Trente siècles n’ont pu | déplacer en idée ! 6+6 a
Ce reste de tyrans | couverts par ses remparts 6+6 b
Du faîte des créneaux | plonge en bas ses regards. 6+6 b
Le peuple, dont la rage | à leur aspect s’allume, 6+6 a
330 Contre les murs se brise | en impuissante écume : 6+6 a
Sa fureur, qui ne peut | si haut les assaillir, 6+6 b
Sur les corps mutilés | des morts vient rejaillir ; 6+6 b
L’incendie au palais | s’attache en longues lames ; 6+6 a
Le vent souffle engouffré | dans des courants de flammes ; 6+6 a
335 Sous des vagues de feu | le ciel semble ondoyer ; 6+6 b
Tout roule et s’engloutit | dans ce large foyer. 6+6 b
Il calcine la pierre, | il effeuille le marbre ; 6+6 a
La colonne s’allume | ainsi que le tronc d’arbre, 6+6 a
Et, comme des rameaux | sur les herbes fumants, 6+6 b
340 Sème du haut des airs | ses grands entablements. 6+6 b
On dirait qu’un volcan | allumé de lui-même 6+6 a
Dévore avec le sol | ces temples du blasphème. 6+6 a
De ces foyers vengeurs | les feux semblaient vivants. 6+6 b
Les siècles en un jour | rendent leur cendre au vent. 6+6 b
345 L’œuvre d’impiété | des âges consumée, 6+6 a
Éteinte en un clin d’œil, | se balaye en fumée. 6+6 a
L’ange de la justice | et de la liberté, 6+6 b
Sur ses ailes de feu | par les flammes porté, 6+6 b
Tel qu’un pasteur qui brûle | une ruche d’abeilles, 6+6 a
350 Avec l’iniquité | consume ses merveilles. 6+6 a
Aux sinistres éclairs | des bûchers dévorants, 6+6 b
Aux bouillons de la lave, | aux clameurs des mourants, 6+6 b
On voit courir le peuple, | ivre d’horrible joie, 6+6 a
Repousser dans la flamme | ou disputer sa proie, 6+6 a
355 Battre des mains aux feux, | encourager les vents, 6+6 b
Jeter sur les charbons | des esclaves vivants, 6+6 b
Assouvir de ses sens | les vengeances brutales, 6+6 a
Du crime et de la mort | mener les saturnales, 6+6 a
Et, d’agneaux égorgés | devenus égorgeurs, 6+6 b
360 Surpasser les forfaits | dont ils sont les vengeurs ! 6+6 b
Cédar, encor souillé | de sang et de fumée, 6+6 a
Relevant Daïdha | par sa voix ranimée, 6+6 a
Emportait loin du feu, | sur ses bras triomphants, 6+6 b
Pressés contre son cœur, | sa femme et ses enfants. 6+6 b
365 Ne pouvant s’arracher | à leur tremblante étreinte, 6+6 a
Il s’assit à l’écart | au pied d’un térébinthe, 6+6 a
Dont sur un grand bassin | les immenses rameaux, 6+6 b
Par leurs feuilles courbés, | se baignaient dans les eaux. 6+6 b
Tel qu’un buffle altéré | lave ses crins immondes, 6+6 a
370 Il se plonge trois fois | tout fumant dans les ondes, 6+6 a
Et trois fois, élevant | sa tête sur les flots, 6+6 b
De son sang encor tiède | il lave les caillots. 6+6 b
La bave d’Asrafiel | sortit de sa morsure. 6+6 a
Daïdha de ses pleurs | arrosa la blessure, 6+6 a
375 Et de Cédar enfin | restaurant la vigueur, 6+6 b
Avec ses deux enfants | se jeta sur son cœur. 6+6 b
Oh ! de crainte et d’amour | quels rapides échanges 6+6 a
De mots inachevés | qu’entendaient seuls les anges, 6+6 a
D’éclairs d’une âme à l’autre | éclatant tour à tour, 6+6 b
380 Illuminant d’un mot | les doutes de l’amour, 6+6 b
Dans ce rapide instant | absorbèrent leurs âmes ! 6+6 a
Pendant que l’incendie | en ses longs jets de flammes 6+6 a
Leur jetait par moments | ses sinistres reflets, 6+6 b
Et que le sol tremblait | aux chutes des palais, 6+6 b
385 Amant, père, vainqueur, | enfant, épouse, mère, 6+6 a
Leur joie accumulée | était leur atmosphère. 6+6 a
Le ciel aurait croulé | sur le monde englouti, 6+6 b
Que le bruit dans leur cœur | n’en eût pas retenti. 6+6 b
Cependant ce vil peuple, | achevant son ouvrage, 6+6 a
390 Jusqu’après le triomphe | étendait le carnage. 6+6 a
Cédar en eût pitié ; | la tête dans sa main, 6+6 b
Il pleura sur lui-même | et sur le genre humain. 6+6 b
« Ô race, pensait-il, | faite pour qu’on l’opprime, 6+6 a
Vengeras-tu toujours | le crime par le crime ?… » 6+6 a
395 Il regardait fumer | ces sinistres débris : 6+6 b
Un géant que la foule | assiégeait à grands cris 6+6 b
Vint tomber aux genoux | du vainqueur de sa race. 6+6 a
Où la force éclatait, | il espérait la grâce : 6+6 a
« Sauve-moi, cria-t-il, | de ce peuple assassin ! » 6+6 b
400 Cédar lui fit contre eux | un rempart de son sein ; 6+6 b
Du géant sans défense | il protégea la vie : 6+6 a
Le peuple abandonna | sa victoire ravie, 6+6 a
Tel qu’à la voix de l’homme | un tigre rugissant 6+6 b
Qui laisse et qui regrette | une goutte de sang. 6+6 b
405 Mais Cédar indigné, | les réprimant du geste, 6+6 a
Des géants poursuivis | préserva quelque reste. 6+6 a
« Qui de vous, disait-il | en détournant les yeux, 6+6 b
Du maître ou de l’esclave, | est le plus odieux ? 6+6 b
Oh ! fuyons, Daïdha, | ces races de vipères ! 6+6 a
410 Emportons nos enfants | aux forêts de nos pères ! 6+6 a
N’est-il donc plus un juste | au fond des nations ? » 6+6 b
Et Daïdha pleurant | lui répondit : « Fuyons ! » 6+6 b
Au sommet de la tour | qui leur servait d’asile, 6+6 a
Les géants consternés | regardant sur la ville, 6+6 a
415 Voyant cette pitié | d’un vainqueur généreux, 6+6 b
Comprirent leur salut | et parlèrent entre eux. 6+6 b
Dans ce monde pétri | de mal et d’artifice, 6+6 a
Chaque vertu du juste | est une arme du vice. 6+6 a
Quand l’incendie éteint | languit sans aliment, 6+6 b
420 Et que l’épaisse nuit | couvrit le firmament, 6+6 b
L’un d’eux par une corde | aux créneaux suspendue, 6+6 a
Et du poids de son corps | jusqu’aux fossés tendue, 6+6 a
Glissa le long du mur, | et d’un pas indécis 6+6 b
S’avança vers Cédar | sous le grand arbre assis. 6+6 b
425 Tombant à ses genoux | et simulant la crainte, 6+6 a
Il lui pressait les pieds | d’une muette étreinte ; 6+6 a
Sa voix cherchait des mots | et ne pouvait parler, 6+6 b
Sa pensée en suspens | semblait aussi trembler. 6+6 b
Comme un coupable enfin | que son juge rassure 6+6 a
430 Et sur les mots pesés | composant sa figure : 6+6 a
« O divin étranger, | envoyé par le ciel 6+6 b
Pour délivrer la terre | et punir Asrafiel, 6+6 b
De quelque nom caché | que Jéhovah te nomme, 6+6 a
Puissante main d’en haut | qui vient relever l’homme ! 6+6 a
435 L’homme qu’elle relève | est indigne de toi. 6+6 b
A leurs iniquités, | ô juste ! arrache-moi. 6+6 b
Tu vois devant tes yeux | une de leurs victimes, 6+6 a
Respirant l’air impur | qu’ils infectent de crimes, 6+6 a
Buvant l’iniquité | tout en la détestant, 6+6 b
440 Et de leur échapper | guettant toujours l’instant. 6+6 b
Du sommet de la tour | où cette race impie, 6+6 a
Comme l’aigle blessé, | de son aire t’épie, 6+6 a
Je t’ai vu tout à l’heure | à ces hommes ingrats 6+6 b
Ravir tes ennemis | protégés par ton bras ; 6+6 b
445 J’ai reconnu ma race | à ta vertu sublime, 6+6 a
J’ai mis ma confiance | en ton cœur magnanime ; 6+6 a
Et du haut des remparts | glissant inaperçu, 6+6 b
Comme l’ombre de Dieu | ton ombre m’a reçu. 6+6 b
Sauve-moi, choisis-moi | de cette race infâme 6+6 a
450 Que ma tribu déteste | et que vomit mon âme ! 6+6 a
Mon nom n’est pas leur nom, | mon Dieu n’est pas le leur ; 6+6 b
Jeune, ils m’ont pris au piège, | ainsi que l’oiseleur. 6+6 b
Sous ses palmiers sacrés, | la Mésopotamie 6+6 a
M’enfanta d’une race | à leur race ennemie ; 6+6 a
455 Là, le nom des géants | comme un crime est haï, 6+6 b
Là, règne seul au ciel | le Dieu d’Adonaï ! 6+6 b
Là, le lait et le miel | coulent d’un sol propice, 6+6 a
Et du cœur des mortels | l’amour et la justice ; 6+6 a
Là, tout homme, plantant | ses tentes en tout lieu, 6+6 b
460 A son frère dans l’homme | et son père dans Dieu. 6+6 b
Oh ! laisse-moi m’enfuir | vers ces rives prospères, 6+6 a
Et reporter mes os | aux tombes de mes pères ! » 6+6 a
Cédar le relevant | en lui prenant la main : 6+6 b
« Saurais-tu de ces bords | retrouver le chemin ? 6+6 b
465 Pourrais-tu vers ce ciel | me guider sur ta trace ? 6+6 a
Parle ! oh ! parle ! dit-il, | enfant d’une autre race. 6+6 a
Si tu sais où trouver | les fils de Jéhova, 6+6 b
Mes pieds seront tes pieds, | et tes yeux mes yeux : va ! 6+6 b
» — Vers ces climats bénis | où l’aurore a sa source, 6+6 a
470 Neuf soleils, dit Stagyr, | achèveront la course. 6+6 a
Nous marcherons d’abord | par un profond vallon, 6+6 b
La poitrine tournée | au vent de l’aquilon. 6+6 b
Nous passerons bientôt | les ondes de l’Euphrate ; 6+6 a
Nous entrerons après | dans une terre ingrate 6+6 a
475 Qui n’enfanta jamais | herbe ni nations, 6+6 b
Déserts où Dieu versa | ses malédictions, 6+6 b
Dont les vents creusent seuls | les vagues infécondes, 6+6 a
Où l’océan de feu | déroule seul ses ondes ; 6+6 a
Là, pour ne pas mourir, | sur les flancs du chameau 6+6 b
480 Le patriarche errant | charge deux sources d’eau. 6+6 b
Après trois jours entiers, | du côté de l’aurore, 6+6 a
La terre des palmiers | commencera d’éclore. 6+6 a
Un fleuve indiquera | les bords que nous cherchons. » 6+6 b
Ainsi parla Stagyr, | et Cédar dit : « Marchons ! » 6+6 b
485 Détournant les regards | de ce séjour d’alarmes, 6+6 a
Il prit sur chaque bras | un des fils de ses larmes, 6+6 a
Appuya sur son cou | la main de Daïdha, 6+6 b
Et suivit hors des murs | l’homme, qui le guida. 6+6 b
A la lueur des feux | sur des monceaux de cendre, 6+6 a
490 De la cité du crime | on le vit redescendre, 6+6 a
Et, maudissant du cœur | l’infâme nation, 6+6 b
Secouer de ses pieds | l’abomination ! 6+6 b
Il vit autour des murs | errer une chamelle 6+6 a
Dont le petit suçait | la pendante mamelle ; 6+6 a
495 Stagyr, d’un geste adroit | lui passant le licou, 6+6 b
En chassant son petit | l’emmena par le cou. 6+6 b
Sur les marges du puits | deux outres oubliées 6+6 a
Pleines d’eau, par Stagyr | l’une à l’autre liées, 6+6 a
Du fleuve qu’ils fuyaient | emprisonnant les flots, 6+6 b
500 Balancèrent leur poids | en liquides ballots. 6+6 b
Daïdha sur le dos | de l’animal robuste 6+6 a
Tenait les deux jumeaux | pressés contre son buste. 6+6 a
En suivant du chemin | les cahots ondulants, 6+6 b
Leurs pieds nus du chameau | battaient les rudes flancs. 6+6 b
505 Cédar, qui du regard | surveillait cette charge, 6+6 a
Lui prêtait pour soutien | son bras solide et large ; 6+6 a
Le désert admirait | ce beau groupe ondoyant. 6+6 b
La main de Daïdha, | sur Cédar s’appuyant, 6+6 b
Essuyait de son front | la sueur goutte à goutte, 6+6 a
510 Et son souffle d’amour | rafraîchissait la route. 6+6 a
Quand le couple enfantin | s’éveillait ou criait, 6+6 b
Dans le creux de sa main, | que leur lèvre essuyait, 6+6 b
Cédar, faisant un peu | ruisseler l’outre pleine, 6+6 a
Du vent sur leur visage | en humectait l’haleine. 6+6 a
515 Ainsi, cherchant l’abri | d’un Dieu juste et vengeur, 6+6 b
Fuyait vers l’Orient | le couple voyageur ; 6+6 b
Et chacun de leurs pas, | rapprochant l’espérance, 6+6 a
Semblait jeter un siècle | entre eux et leur souffrance ! 6+6 a
· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·
· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·
Ils marchèrent ainsi | jusqu’au pâle matin. 6+6 b
520 Déjà le grand désert, | rougissant le lointain, 6+6 b
Comme une flamme envoie | un reflet au nuage, 6+6 a
Incendiait le ciel | de sa livide image. 6+6 a
La vapeur que la nuit | lui faisait exhaler 6+6 b
Aux rayons bas du ciel | paraissait onduler. 6+6 b
525 Les sillons sablonneux | fumaient comme une braise 6+6 a
Que la pelle remue | aux bords de la fournaise. 6+6 a
Tout l’horizon flottait | dans la confusion. 6+6 b
Seulement, par moments, | un oblique rayon, 6+6 b
Rasant du sable d’or | la crête qu’il allume, 6+6 a
530 Le faisait éclater | comme un bouillon d’écume ; 6+6 a
Puis, d’un sommet à l’autre | avec le jour glissant, 6+6 b
Semait de points de feu | le sol éblouissant, 6+6 b
Et, noyant le regard | dans des horizons vagues, 6+6 a
De cette mer de flamme | entre-croisait les vagues. 6+6 a
535 En entrant sous ce ciel | par la vapeur terni, 6+6 b
On croyait tout vivant | entrer dans l’infini. 6+6 b
Le doute et la terreur | reposaient sur ces cimes. 6+6 a
A l’effrayant aspect | de ces mouvants abîmes, 6+6 a
Cédar et Daïdha, | l’un sur l’autre appuyés, 6+6 b
540 Sentirent tous leurs nerfs | se crisper dans leurs piés ; 6+6 b
Refusant d’avancer, | d’un geste involontaire, 6+6 a
Leurs orteils contractés | s’attachaient à la terre ; 6+6 a
Mais, se tournant vers eux, | Stagyr dit : « Le voilà ! 6+6 b
Des hommes et de Dieu | la terre est au delà ! » 6+6 b
545 Sous l’haleine de feu | que le désert apporte, 6+6 a
Sur la terre déjà | toute vie était morte. 6+6 a
Ils ne voyaient au loin | que des troncs calcinés, 6+6 b
Sous le poids du simoun | et du sable inclinés : 6+6 b
Semblables à ces mâts, | grands débris des naufrages, 6+6 a
550 Qu’en ses jours de courroux | la mer jette aux rivages, 6+6 a
Et qui dressent de loin, | à l’œil des matelots, 6+6 b
Leurs cadavres penchés | et souillés par les flots. 6+6 b
Ainsi, sur les confins | de la terre vivante, 6+6 a
Le désert dépliait | son écume mouvante ; 6+6 a
555 Et le sable en bouillons | débordait de son lit. 6+6 b
Comme une eau sur le feu | qui bout et rejaillit. 6+6 b
Rassurés par la voix | de l’homme qui les guide, 6+6 a
Les époux, abordant | cette arène torride, 6+6 a
Comme un esquif se lance | aux flots des océans, 6+6 b
560 Confièrent leurs pas | à des sables béants. 6+6 b
Les ondulations | des premières collines 6+6 a
Leur cachèrent bientôt | les campagnes voisines. 6+6 a
L’horizon décroissant | s’affaissa sous leurs yeux : 6+6 b
Ils ne voyaient au loin | que la poudre et les cieux. 6+6 b
565 Leur route, serpentant | de l’abîme au nuage, 6+6 a
D’un vaisseau qui talonne | imitait le tangage ; 6+6 a
Le gouffre, dont à peine | on les voyait sortir, 6+6 b
Ne les rendait au jour | que pour les engloutir ; 6+6 b
Ils levaient un moment | au sommet de ces lames 6+6 a
570 Leurs deux fronts que le jour | colorait de ses flammes, 6+6 a
Comme l’on voit surgir | et plonger tour à tour 6+6 b
La voile des pêcheurs | teinte des feux du jour. 6+6 b
Le vent qui fraîchissait, | soufflant à leur figure, 6+6 a
Ballottait de Cédar | la noire chevelure, 6+6 a
575 Et la faisait fouetter | et claquer sur son dos 6+6 b
Avec un bruit pareil | au claquement des flots. 6+6 b
Depuis que leurs regards | avaient perdu la terre, 6+6 a
De leurs impressions | symptôme involontaire, 6+6 a
Ils marchaient en silence | et n’osaient échanger 6+6 b
580 Une pensée entre eux, | trop pleins de leur danger : 6+6 b
Soit que la majesté | de ce roulant abîme 6+6 a
Imprimât à leur lèvre | une terreur intime ; 6+6 a
Soit que de leur péril | le secret sentiment 6+6 b
Accumulât sa force | en ce grave moment. 6+6 b
585 Comme une caravane | aux défilés entrée, 6+6 a
Aucun son ne troublait | leur marche mesurée ; 6+6 a
Le pied sourd du chameau | ne retentissait pas : 6+6 b
Le sable absorbait tout, | jusqu’au bruit de leurs pas. 6+6 b
Seulement, par instants, | sous leur corps qui chancelle, 6+6 a
590 Il leur semblait entendre | un bruit d’eau qui ruisselle. 6+6 a
Leur oreille, trompée, | avec ravissement 6+6 b
Écoutait gazouiller | ce doux ruissellement ; 6+6 b
Au murmure de l’eau | leurs yeux cherchaient la source ; 6+6 a
Pour y tremper leur âme | ils suspendaient leur course ; 6+6 a
595 Mais cette illusion | bientôt se refoulait : 6+6 b
Ce n’était sous leurs pieds | qu’un gravier qui coulait, 6+6 b
Comme si du désert | cette arène tarie 6+6 a
Eût à l’aridité | mêlé la raillerie. 6+6 a
Reflétés par la terreDe la terre et du ciel | les rayons du soleil 6+6 b
600 Fondaient leur tête nue | et leur brûlaient l’orteil ; 6+6 b
Quelquefois sur le flanc | d’un monticule sombre, 6+6 a
Se collant à la pente, | ils goûtaient un peu d’ombre, 6+6 a
Et de leur front baissé | laissant égoutter l’eau, 6+6 b
Ils reprenaient haleine | et partaient de nouveau. 6+6 b
605 Ils marchèrent ainsi | jusqu’à l’heure tardive 6+6 a
Où le soleil plongea | sous ces vagues sans rive. 6+6 a
La brise de la lune | enfin se fit sentir ; 6+6 b
La longue ombre du soir | commença de vêtir 6+6 b
La nudité du sol | d’apparences plus douces ; 6+6 a
610 L’œil trompé le voyait | teint d’herbes et de mousses. 6+6 a
Le désert, que renflait | quelque roc souterrain, 6+6 b
Affectait la rudesse | et les plis du terrain ; 6+6 b
Les coteaux élargis | arrondissaient leurs croupes ; 6+6 a
Sur leurs pieds affaissés | des monts nouaient leurs groupes, 6+6 a
615 Leurs flancs se découpaient | sur le fond gris des cieux, 6+6 b
Les astres en rasaient | les pics audacieux. 6+6 b
L’illusion jetait | aux crêtes de ces chaînes 6+6 a
Les profils nuageux | des cèdres et des chênes. 6+6 a
On aurait pu se croire | errant sur quelques bancs 6+6 b
620 Des rochers du Taurus | ou des monts des Libans, 6+6 b
Et, des sommets ombreux | de leurs cimes voilées, 6+6 a
Voir leur neige écumer | dans la nuit de vallées. 6+6 a
De ces illusions | leur cœur se nourrissait ; 6+6 b
Sur leurs pas ralentis | la nuit s’épaississait. 6+6 b
625 Dans le creux d’un vallon | de ces trompeuses pentes 6+6 a
Où les rideaux des nuits | furent leurs seules tentes, 6+6 a
Les époux épuisés | s’arrêtèrent enfin : 6+6 b
Ils choisirent pour place | un lit de sable fin. 6+6 b
Après avoir tiré | le lait de sa mamelle, 6+6 a
630 ils remirent en garde | à Stagyr la chamelle. 6+6 a
Ils mangèrent des fruits | cueillis pour le chemin ; 6+6 b
Se passèrent après | l’outre de main en main ; 6+6 b
Et, rendant grâce à Dieu | de ces sobres délices, 6+6 a
Se couchèrent en paix | aux flancs des précipices. 6+6 a
635 Stagyr de quelques pas | s’était éloigné d’eux. 6+6 b
Après tant de misère | ils étaient là tous deux. 6+6 b
Ils entendaient dormir | les deux fruits de leur couche, 6+6 a
Un vent frais sur le front | et du lait sur la bouche ; 6+6 a
Le cœur contre le cœur | et la main dans la main, 6+6 b
640 Leur espoir se portait | sur un long lendemain ; 6+6 b
Ils avaient retrouvé | le ciel dans leur présence. 6+6 a
Il est dans les repos | de l’humaine existence 6+6 a
De célestes moments, | moments, hélas ! trop courts, 6+6 b
Où dans le cœur trop plein | le sang suspend son cours, 6+6 b
645 Où des afflictions | que le présent soulève 6+6 a
Sur l’esprit dilaté | le poids n’est plus qu’un rêve, 6+6 a
Où, comme la brebis | au tournant des saisons, 6+6 b
L’âme se sent pousser | de nouvelles toisons, 6+6 b
Et, de ce lac de joie | où Dieu l’a retrempée, 6+6 a
650 Sort sans se souvenir | de sa toison coupée ! 6+6 a
Semblables à ces jours | de soleil pur et clair, 6+6 b
Jours de printemps jetés | au milieu de l’hiver, 6+6 b
Qu’au-dessus du brouillard | qui ternit les campagnes 6+6 a
Le voyageur rencontre | au sommet des montagnes, 6+6 a
655 Où le rayon du ciel | chauffe comme un manteau, 6+6 b
Où la lumière baigne | et dore le coteau, 6+6 b
Où du brouillard des nuits | le cèdre qui s’essuie 6+6 a
En rosée odorante | égoutte aux pieds la pluie, 6+6 a
Où le merle frileux | siffle au bord du chemin, 6+6 b
660 Où rien ne manque au jour, | hélas ! qu’un lendemain ! 6+6 b
Ainsi dans son repos | ce couple solitaire 6+6 a
Se sentait vers le ciel | enlevé de la terre ; 6+6 a
Ils se laissaient bercer | par leur ravissement, 6+6 b
Ainsi que le nageur | par le flot écumant. 6+6 b
665 Leur âme, à qui la paix | rendait la confiance, 6+6 a
Ne se fatiguait plus | d’obscure prévoyance ; 6+6 a
Sous les regards de Dieu | qui les enveloppaient, 6+6 b
Comme leurs membres las, | leurs cœurs s’abandonnaient. 6+6 b
Le front devant le front | et les mains enlacées, 6+6 a
670 Leurs regards mutuels | s’envoyaient leurs pensées. 6+6 a
Des étoiles du ciel | les rayons amoureux 6+6 b
Enviaient les coups d’œil | qu’ils échangeaient entre eux. 6+6 b
Des brises de la nuit | l’haleine parfumée 6+6 a
En effleurant leur bouche | en était embaumée. 6+6 a
675 Leur âme s’exhalait | dans un ardent soupir ; 6+6 b
Leurs touchants entretiens | ne pouvaient s’assoupir ; 6+6 b
Pour s’enivrer du son | de la voix retrouvée, 6+6 a
Ils faisaient mille fois | gazouiller leur couvée ; 6+6 a
Et pour saisir l’épaule | ou le cou de l’amant, 6+6 b
680 Daïdha dépliait | son bras déjà dormant ; 6+6 b
Cédar, pour écouter | le souffle de sa bouche, 6+6 a
S’appuyait sur le coude | au sable de sa couche. 6+6 a
Le sommeil du bonheur | enfin ferma leurs yeux. 6+6 b
Astres, amis du cœur, | qui regardiez des cieux ! 6+6 b
685 De l’éclatante nuit | brillantes providences, 6+6 a
Étoiles où montaient | leurs chastes confidences ! 6+6 a
Yeux ouverts du Seigneur | sur l’ombre des déserts ! 6+6 b
Esprits qui remplissez | l’air, la terre et les mers ; 6+6 b
Anges de tous les noms, | mystérieux fantômes 6+6 a
690 Dont le monde invisible | est plus plein que d’atomes ; 6+6 a
Ministres du Très-Haut | présent dans tous les lieux, 6+6 b
Qui passiez dans ces vents, | qui luisiez dans ces feux, 6+6 b
Oh ! pourquoi, déjouant | des desseins sacriléges, 6+6 a
N’avez-vous pas gardé | ces beaux pieds de tous piéges ? 6+6 a
695 Pourquoi, pourquoi laisser | jusqu’au réveil du jour 6+6 b
S’assoupir ces deux cœurs | dans l’embûche d’amour ? 6+6 b
N’avaient-ils point d’ami | dans le monde céleste 6+6 a
Qui pût les éveiller | d’une idée ou d’un geste ? 6+6 a
Pour l’incompréhensible | et sainte volonté, 6+6 b
700 La ruine de l’homme | est-elle volupté ? 6+6 b
Mais silence : envers Dieu | la plainte est une offense ; 6+6 a
Ses anges ne sont saints | que par l’obéissance !… 6+6 a
· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·
· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·
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· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·
Quand la barre de feu | fendit le firmament, 6+6 b
Ils furent éveillés | par le gazouillement 6+6 b
705 Des enfants assoupis, | dont la main étendue 6+6 a
Cherchait la coupe humaine | à leurs lèvres rendue, 6+6 a
Mais que l’anxiété | d’un sevrage cruel 6+6 b
Avait vidée, hélas, | sur le sein maternel. 6+6 b
À ces doux cris, Cédar | de son repos se lève ; 6+6 a
710 Il promène d’en haut | ses regards sur la grève. 6+6 a
Trois fois d’une voix forte | il appelle Stagyr : 6+6 b
De chaque pli du sable | il croit le voir surgir ; 6+6 b
Mais sa voix, du désert | seulement entendue, 6+6 a
Expire sans réponse | et meurt dans l’étendue… 6+6 a
· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·
· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·
715 Son esprit est frappé | d’une horrible lueur ; 6+6 b
Sa tête, sous l’effroi | se couvrant de sueur, 6+6 b
Se tourne sous l’assaut | de confuses idées ; 6+6 a
Son pied heurte en marchant | les deux outres vidées, 6+6 a
Dont le sable stérile | avait bu toute l’eau, 6+6 b
720 Et qui portaient aux flancs | l’empreinte du couteau ! 6+6 b
À ce témoin parlant | de tant de perfidie, 6+6 a
Comme d’un coup mortel | son âme est engourdie. 6+6 a
Aux yeux de Daïdha, | pétrifiés d’horreur, 6+6 b
Ses yeux en se portant | redoublent sa terreur. 6+6 b
725 Plus leur regard troublé | dans le désert s’enfonce, 6+6 a
Plus à leur doute affreux | la mort est la réponse ; 6+6 a
Dans ce regard muet, | dialogue sans mots, 6+6 b
D’une longue agonie | ils ont bu tous les flots. 6+6 b
Du poids du désespoir | leurs cous brisés se ploient ; 6+6 a
730 Pour mourir sur la place | en silence ils s’assoient. 6+6 a
L’aspect de leurs enfants | les secoue et les mord. 6+6 b
Ils s’éveillaient riant | à l’aube de leur mort. 6+6 b
À leur vue, en sursaut | Cédar encor se lève ; 6+6 a
Les yeux sur la poussière, | interrogeant la grève, 6+6 a
735 Il cherche à retrouver | dans le sable mouvant 6+6 b
La route de Stagyr ; | mais les ailes du vent 6+6 b
Qui se lève au matin | sur ces vagues arides 6+6 a
De l’océan de poudre | ont nivelé les rides, 6+6 a
Et du guide infidèle | enseveli les pas. 6+6 b
740 Le pied du passereau | ne s’y connaîtrait pas. 6+6 b
Il revient épuisé | de sa course inutile. 6+6 a
Daïdha, se penchant | sur l’arène stérile, 6+6 a
À la place où de l’eau | le sol était imbu, 6+6 b
Cherchait à retrouver | l’onde qu’il avait bu, 6+6 b
745 Mordait le sable sec | d’une lèvre farouche ; 6+6 a
Approchait les enfants, | leur y collait la bouche, 6+6 a
Espérant que le sol, | de leur soif attendri, 6+6 b
Ne refuserait pas | de la rendre à leur cri ; 6+6 b
Et, bondissant sous elle | ainsi qu’une panthère, 6+6 a
750 Comme pour se venger | frappait du poing la terre. 6+6 a
Cédar, les bras levés, | un moment regarda ; 6+6 b
Puis à ce vain délire | arrachant Daïdha, 6+6 b
Et remettant au ciel | un cœur transi de doute, 6+6 a
Pour qu’un guide invisible | illuminât leur route, 6+6 a
755 Il prit un des enfants | sur chacun de ses bras, 6+6 b
Et marcha sans savoir | où le menaient ses pas 6+6 b
Daïdha, regardant | l’horizon et sa brume, 6+6 a
Le désert qui poudroie | ou le brouillard qui fume, 6+6 a
Montrant avec un cri | son espoir de la main, 6+6 b
760 Le faisait revenir | cent fois sur son chemin, 6+6 b
Voyant dans les vapeurs, | sous son regard de mère, 6+6 a
Surgir à l’horizon | chimère sur chimère : 6+6 a
À tous ces buts changés | leur force succombait ; 6+6 b
D’un poids plus lourd sur eux | le doute retombait ; 6+6 b
765 Sans cesse un repentir | ramenait en arrière 6+6 a
Leurs pieds, dont les erreurs | centuplaient la carrière ; 6+6 a
Puis, saisis tout à coup | d’un nouveau repentir, 6+6 b
On les voyait s’asseoir, | se lever, repartir. 6+6 b
Le soleil cependant, | suspendu dans sa voûte, 6+6 a
770 Marquait de leur sueur | les haltes de leur route ; 6+6 a
De leurs membres trempés | leur vigueur ruisselait. 6+6 b
Daïdha se frappait | les seins vicies de lait : 6+6 b
Au lieu du blanc nectar | dont son malheur les sèvre, 6+6 a
Arrachant à Cédar | ses enfants, sur leur lèvre 6+6 a
775 Elle faisait couler, | pour les désaltérer, 6+6 b
Ses larmes, lait du cœur | que les yeux font filtrer ! 6+6 b
Mais le sel de ses pleurs, | qui rend cette onde amère, 6+6 a
Détournait les petits | des baisers de leur mère 6+6 a
« Flanc qui les as portés, | les laisses-tu mourir ? 6+6 b
780 Sein qui les a conçus, | ne peux-tu les nourrir ? 6+6 b
Criait-elle en voyant | toutes ses ruses vaines. 6+6 a
Oh ! s’ils voulaient du sang, | je m’ouvrirais les veines ! » 6+6 a
Et déchirant sa peau | de son ongle impuissant : 6+6 b
« Que n’êtes-vous lions ? | vous lécheriez ce sang ! » 6+6 b
785 De ses cris maternels | la douleur insensée, 6+6 a
En épuisant son corps, | égarait sa pensée. 6+6 a
Cédar contre son cœur | vainement l’appuyait ; 6+6 b
De ses bras contractés | ce cher fardeau fuyait, 6+6 b
Et, lassé d’un espoir | qui sans cesse retombe, 6+6 a
790 Embrassait le désert | de feu, comme une tombe ! 6+6 a
Les étoiles du ciel | commençaient à jaillir, 6+6 b
La nuit de ses terreurs | revint les assaillir ; 6+6 b
D’une étreinte mortelle, | assis, ils s’embrassèrent, 6+6 a
Comme deux naufragés, | et muets s’affaissèrent. 6+6 a
795 Nul n’osait de sa voix | faire entendre le son ; 6+6 b
Leurs cœurs ne se parlaient | que par leur seul frisson : 6+6 b
En proférant le mot | qu’il eût fallu répondre, 6+6 a
Ils craignaient de sentir | tout leur courage fondre. 6+6 a
Dans un sommeil trompeur | leur faim s’assoupissant, 6+6 b
800 Le cri des deux jumeaux | allait s’affaiblissant ; 6+6 b
Serrant ces petits corps | entre leurs deux poitrines, 6+6 a
À peine entendaient-ils | le vent de leurs narines. 6+6 a
Comme la poule encor | couve mort son poussin, 6+6 b
La mère réchauffait | ces deux corps dans son sein. 6+6 b
805 Oh ! durant cette longue | et suprême insomnie, 6+6 a
Combien le sable but | de gouttes d’agonie ! 6+6 a
La brise du matin | les rafraîchit un peu, 6+6 b
Le soleil nu monta | comme un charbon de feu : 6+6 b
L’aube, qui se jouait | splendide sur leur tête, 6+6 a
810 Teignit le firmament | d’une couleur de fête. 6+6 a
Cette gaîté semblait | une insulte des cieux. 6+6 b
Pour y chercher secours, | ils levèrent les yeux : 6+6 b
Une cigogne, seule, | à l’aile diaprée, 6+6 a
Sans doute, hélas ! aussi | de sa route égarée, 6+6 a
815 Comme une longue flèche | à la fin de son vol, 6+6 b
Fendait l’air résonnant | à quelques pieds du sol, 6+6 b
Dans ses deux pattes d’or | emportant avec elle 6+6 a
Un de ses chers petits | à l’ombre sous son aile. 6+6 a
L’oiseau, comme étonné | de l’aspect des humains, 6+6 b
820 S’approcha d’eux ; Cédar | éleva les deux mains 6+6 b
Comme pour arrêter | cet ami dans sa course, 6+6 a
Et conjurer l’oiseau | de lui montrer la source. 6+6 a
Le fort vent de son vol | effleura ses cheveux ; 6+6 b
Mais l’oiseau s’éloigna | sans entendre ses vœux. 6+6 b
825 Ils suivirent longtemps, | de colline en colline, 6+6 a
Son vol bas, jusqu’au bord | où l’horizon décline, 6+6 a
Et marchèrent plus seuls | quand l’oiseau disparut. 6+6 b
Le matin de ce jour, | un des jumeaux mourut ; 6+6 b
L’autre mourut le soir. | Faux sourire de joie 6+6 a
830 Qui finit en sanglots | et qu’une larme noie ! 6+6 a
Cédar n’entendit pas | mourir leurs souffles sourds : 6+6 b
Seulement il sentit | leurs corps froids et plus lourds ; 6+6 b
Leurs têtes, qui pendaient | au bras qui les supporte, 6+6 a
Battirent sur son corps | comme une chose morte. 6+6 a
835 Son œil pétrifié | sans pleurs les regarda, 6+6 b
Et, de son seul bras libre | enlaçant Daïdha, 6+6 b
Il s’enfuit emportant | ses fils morts et sa femme, 6+6 a
Comme un spectre emportant | les trois parts de son âme, 6+6 a
Ou comme la victime | échappée au boucher, 6+6 b
840 Qui traîne dans son sang | les lambeaux de sa chair. 6+6 b
Il courut au hasard | jusqu’au bout de sa laisse, 6+6 a
Tant que ses nerfs tendus | trompèrent sa faiblesse. 6+6 a
Ces pas pressés, ce poids, | ce fougueux mouvement, 6+6 b
De ses maux à son âme | ôtaient le sentiment. 6+6 b
845 Quand son pied s’arrêta, | ses forces succombèrent ; 6+6 a
Sur lui, de tout leur poids, | ses fardeaux retombèrent ; 6+6 a
Daïdha, de son sein, | sur le sable glissa ; 6+6 b
Ses enfants sur son cœur, | lui-même il s’affaissa. 6+6 b
Précurseur de la mort, | dont il était l’image, 6+6 a
850 Le sommeil sur ses yeux | répandit son mirage, 6+6 a
Et, de songes trompeurs | abusant sa raison, 6+6 b
De ruisseaux et de lacs | inonda l’horizon. 6+6 b
Quand il se réveilla | de cette léthargie, 6+6 a
Le matin à ses sens | rendait quelque énergie ; 6+6 a
855 La nature lutta, | plus forte que la mort ; 6+6 b
Son œil crut du désert | apercevoir le bord : 6+6 b
« Oh ! lève-toi, dit-il, | si ton cœur bat encore ; 6+6 a
Je vois des hauts palmiers | tout noyés dans l’aurore ! 6+6 a
Les anges du Seigneur | ont eu pitié de toi. 6+6 b
860 — Me lever ! me lever ! | dit la mère, et pourquoi ! 6+6 b
Tu voudrais, du désert | m’infligeant le supplice, 6+6 a
Faire mourir de soif | mes enfants sur sa lice ? 6+6 a
· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·
· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·
Oh ! non, non, à mes bras | le ciel les a rendus ! 6+6 b
Par ce cœur à jamais | ils y sont défendus. 6+6 b
865 Vois comme ils sont heureux | aux bords garnis de mousses, 6+6 a
Où leurs petites mains | puisent des eaux si douces ! 6+6 a
Comme du nénufar | l’ombre les rafraîchit ! 6+6 b
Comme du citronnier | le rameau qui fléchit 6+6 b
Roule à leurs pieds joueurs | ses savoureuses pommes ! 6+6 a
870 Que de fleurs, que de miel, | que de sucs et de gommes 6+6 a
Distillent de l’écorce | ou pleuvent des rameaux, 6+6 b
Ou de la ruche pleine | échappent en ruisseaux !… 6+6 b
Qu’il fait bon en ces lieux, | qu’un seul aspect offense, 6+6 a
Que menace un seul mal ! | bourreau, c’est ta présence !… » 6+6 a
875 Et, regardant Cédar | avec ce long regard 6+6 b
Où l’œil de l’insensé | semble rougir un dard, 6+6 b
Daïdha reculait | sa tête renversée, 6+6 a
Et d’un geste à l’époux | traduisait sa pensée ; 6+6 a
Pressant contre son cœur, | hélas ! ses enfants morts, 6+6 b
880 Elle les dérobait | dans les plis de son corps ! 6+6 b
En vain, des plus doux noms | conjurant ce délire, 6+6 a
Cédar cherchait ses yeux, | leur parlait du sourire ; 6+6 a
Ses plus tendres regards | n’inspiraient que terreur, 6+6 b
Elle n’avait pour lui | que geste et cri d’horreur ! 6+6 b
885 Ah ! ce fut là le fond | de son amer calice ! 6+6 a
Dans la dernière goutte | il but tout son supplice. 6+6 a
Dans ce sort à son sort | par le trépas lié, 6+6 b
Son cœur fort jusque-là | s’était multiplié : 6+6 b
Mourir, oui ! mais mourir | aimé de ce qu’on aime 6+6 a
890 Attendrirait du moins | l’embrassement suprême ! 6+6 a
S’en aller réunis | vers un plus doux séjour, 6+6 b
Cette agonie encore | eût été de l’amour ! 6+6 b
Mais n’être plus connu | de cet œil fixe et sombre, 6+6 a
Du seul point lumineux | qui restât dans son ombre ! 6+6 a
895 Ne pouvoir rappeler | du regard, de la voix, 6+6 b
Ce rayon dont l’amour | l’inondait autrefois ! 6+6 b
Frapper de sa parole | une oreille de pierre, 6+6 a
Ne trouver qu’un abîme | au fond de sa paupière ! 6+6 a
Que dis-je ? être soudain | devenu pour ses yeux 6+6 b
900 L’objet le plus étrange | et le plus odieux ! 6+6 b
La voir tendre les mains | pour que Dieu la délivre ! 6+6 a
Ah ! c’est mourir cent fois | par ce qui faisait vivre ! 6+6 a
C’est voir le passé même | échapper ! c’est sentir 6+6 b
Le cœur où s’appuyait | le cœur s’anéantir ! 6+6 b
905 À l’horrible lueur | de ce tourment suprême, 6+6 a
Cédar douta de lui, | d’elle, de Dieu lui-même ; 6+6 a
Comme un homme qui sent | finir tout sentiment, 6+6 b
Son âme eut du néant | l’évanouissement. 6+6 b
Il roula dans ce gouffre, | écrasé sur les pointes. 6+6 a
910 Le cou plié, le pied | en avant, les mains jointes, 6+6 a
Immobile il resta | contemplant Daïdha, 6+6 b
Et la mer de douleurs | flot à flot l’inonda. 6+6 b
Quand il revint à lui | pour marcher vers l’aurore, 6+6 a
Il voulut dans ses bras | la soulever encore : 6+6 a
915 Mais Daïdha, nouant | ses doigts comme attachés 6+6 b
Aux maigres filaments | d’arbustes desséchés, 6+6 b
Et cramponnée au sol | d’une étreinte farouche, 6+6 a
De poussière et de sang | se remplissait la bouche ; 6+6 a
Et, couvrant contre lui | ses enfants de son sein, 6+6 b
920 Dans son époux, hélas ! | voyait leur assassin. 6+6 b
Il ne put l’arracher, | trop faible, de la terre 6+6 a
Où sa fureur cherchait | une mort volontaire ; 6+6 a
Il alla quêter seul | au loin la goutte d’eau, 6+6 b
Et, marchant plus léger | sans son triple fardeau, 6+6 b
925 Il espéra trouver | la source poursuivie, 6+6 a
Et, devançant la mort, | lui rapporter la vie. 6+6 a
Il partit vers la plage | où l’espoir avait lui. 6+6 b
Le sable du désert | disparaissait sous lui. 6+6 b
Ainsi qu’un fossoyeur | qui mesure une tombe 6+6 a
930 Et marque en enjambant | la place où son pied tombe, 6+6 a
Les anges le voyaient | arpenter à grands pas, 6+6 b
Dans le deuil de son cœur, | le champ de son trépas. 6+6 b
Son ombre le suivait | comme une aile cassée 6+6 a
Que traîne sur le sol | la cigogne blessée. 6+6 a
935 Les pentes du désert | par degrés s’abaissaient ; 6+6 b
Sous le sable déjà | les pierres le blessaient ; 6+6 b
Les têtes des palmiers | d’une terre féconde 6+6 a
Sortaient de l’horizon | comme les mâts de l’onde. 6+6 a
Sous le voile ondoyant | de ses bords de roseaux 6+6 b
940 Le fleuve tout à coup | lui déroula ses eaux. 6+6 b
Cet aspect lui rendit | l’espérance et la force ; 6+6 a
D’un palmier séculaire | il déchira l’écorce, 6+6 a
Sa main en large coupe | en déplia les bords : 6+6 b
Il descendit au fleuve, | il y plongea son corps. 6+6 b
945 Écumante au niveau | de sa lèvre altérée, 6+6 a
Flottait la brise humide | et la vague azurée : 6+6 a
Il détourna de l’eau | sa bouche et son regard 6+6 b
Avant que son amour | en eût goûté sa part ; 6+6 b
Il en remplit l’écorce, | et, reprenant sa route, 6+6 a
950 Tout tremblant que sa main | n’en perdît une goutte, 6+6 a
Il courut le corps droit, | les deux mains en avant, 6+6 b
Retrouva tous ses pas | sur le terrain mouvant ; 6+6 b
Et de tout son amour | voyant de loin le groupe. 6+6 a
Sur la tête en criant | il éleva la coupe. 6+6 a
955 Hélas ! à cette voix | nulle ne répondit ! 6+6 b
Vers le bras qu’il tendait | nul bras ne s’étendit. 6+6 b
Daïdha sommeillait | sur sa dernière couche. 6+6 a
L’air ne frémissait plus | du souffle de sa bouche. 6+6 a
Le lézard s’approchait ; | la mouche et la fourmi 6+6 b
960 Parcouraient librement | son visage endormi ; 6+6 b
Sur sa lèvre entr’ouverte | on pouvait encor lire 6+6 a
Le sourire insensé | de son dernier délire. 6+6 a
Les jumeaux en travers | sur elle étaient couchés, 6+6 b
Leurs visages au sein | étaient encor penchés : 6+6 b
965 On eût dit, à la fin | d’une longue journée, 6+6 a
Aux cris de ses enfants | la mère retournée, 6+6 a
En leur donnant le lait | surprise de sommeil, 6+6 b
Et dormant avec eux | seule et nue au soleil ! 6+6 b
À l’immobilité | de ce funèbre groupe 6+6 a
970 Il reconnut la mort ! | et, renversant la coupe, 6+6 a
Il regarda couler | sa vie avec cette eau, 6+6 b
Comme un désespéré | son sang sous le couteau ! 6+6 b
Puis, se roulant aux pieds | des êtres qu’il adore, 6+6 a
Et frappant de ses poings | sa poitrine sonore, 6+6 a
975 Pour courir autour d’eux | bientôt se relevant, 6+6 b
Tel qu’un taureau qui fait | de la poussière au vent, 6+6 b
Il ramassait du sable | en sa main indignée ; 6+6 a
Et contre un ciel d’airain | le lançant à poignée, 6+6 a
Comme l’insulte au front | que l’on veut offenser, 6+6 b
980 Il eût voulu tenir | son cœur pour le lancer ! 6+6 b
« Ô terre ! criait-il, | ô marâtre de l’homme ! 6+6 a
Sois maudite à jamais | dans le nom qui te nomme ! 6+6 a
Dans tout brin de ton sable, | et tout brin de gazon 6+6 b
D’où la vie et l’esprit | sortent comme un poison ! 6+6 b
985 Dans la séve de mort | qui sous ta peau circule, 6+6 a
Dans l’onde qui t’abreuve | et le feu qui te brûle, 6+6 a
Dans l’air empoisonné | que tu fais respirer 6+6 b
À l’être, ton jouet, | qui naît pour expirer ! 6+6 b
Dans ses os, dans sa chair, | dans son sang, dans sa fibre, 6+6 a
990 Où le sens du supplice | est le seul sens qui vibre ! 6+6 a
Où de tout cœur humain | les palpitations 6+6 b
Ne sont de la douleur | que les pulsations ! 6+6 b
Où l’homme, cet enfant | d’outrageante ironie, 6+6 a
Ne mesure son temps | que par son agonie ! 6+6 a
995 Où ce souffle animé, | qui s’exhale un moment, 6+6 b
Ne se connaît esprit | qu’à son gémissement ! 6+6 b
Tout être que de toi | l’inconnu fait éclore. 6+6 a
Gémit en t’arrivant, | en s’en allant t’abhorre ! 6+6 a
Nul homme ne se lève | un jour de son séant 6+6 b
1000 Que pour frapper du pied | et pleurer le néant ! 6+6 b
Que maudite à jamais, | qu’à jamais effacée, 6+6 a
Soit l’heure lamentable | où je t’ai traversée ! 6+6 a
Que ta fange m’oublie | et ne conserve pas 6+6 b
Une heure seulement | la trace de mes pas ! 6+6 b
1005 Que le vent, qui te touche | à regret de ses ailes, 6+6 a
De nos corps consumés | disperse les parcelles ! 6+6 a
Que sur ta face, ô terre ! | il ne reste de moi 6+6 b
Que l’imprécation | que je jette sur toi ! » 6+6 b
Pour unique réponse | à son mortel délire, 6+6 a
1010 L’air muet retentit | d’un long éclat de rire. 6+6 a
Derrière un monticule | il vit de près surgir 6+6 b
Les fronts de cinq géants | et du traître Stagyr. 6+6 b
« Meurs, lui crièrent-ils, | vile brute aux traits d’ange ! 6+6 a
Ta force nous vainquit, | mais la fourbe nous venge. 6+6 a
1015 Laissons cette pâture | aux chacals des déserts ; 6+6 b
Sa mort nous laisse dieux, | et l’homme attend nos fers ! » 6+6 b
Ils dirent ; et tournant | le dos, ils disparurent, 6+6 a
Et leurs voix par degrés | sur le désert moururent. 6+6 a
Cédar, dont leur mépris | fut le dernier adieu, 6+6 b
1020 À cet excès d’horreur | se dressa contre Dieu. 6+6 b
Tout l’univers tourna | dans sa tête insensée ; 6+6 a
Il n’eut plus qu’une soif, | un but, une pensée : 6+6 a
Anéantir son cœur | et le jeter au vent. 6+6 b
Comme un gladiateur | blessé se relevant, 6+6 b
1025 Il cueillit sur les flancs | arides des collines 6+6 a
Une immense moisson | de ronces et d’épines 6+6 a
Autour du groupe mort | où son pied les roula, 6+6 b
En bûcher circulaire | il les accumula ; 6+6 b
Puis, prenant dans ses bras | ses enfants et sa femme, 6+6 a
1030 Ces trois morts sur le cœur, | il attendit la flamme. 6+6 a
· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·
· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·
La flamme, en serpentant | dans l’énorme foyer 6+6 b
Que le vent du désert | fit bientôt ondoyer, 6+6 b
Comme une mer qui monte | au naufrage animée, 6+6 a
L’ensevelit vivant | sous des flots de fumée. 6+6 a
1035 L’édifice de feu | par degrés s’affaissa. 6+6 b
Du ciel sur cette flamme | un esprit s’abaissa, 6+6 b
Et d’une aile irritée | éparpillant la cendre : 6+6 a
« Va ! descends, cria-t-il, | toi qui voulus descendre ! 6+6 a
Mesure, esprit tombé, | ta chute et ton remord ! 6+6 b
1040 Dis le goût de la vie | et celui de la mort ! 6+6 b
Tu ne remonteras | au ciel qui te vit naître 6+6 a
Que par les cent degrés | de l’échelle de l’être, 6+6 a
Et chacun en montant | te brûlera le pié ; 6+6 b
Et ton crime d’amour | ne peut être expié. 6+6 b
1045 Qu’après que cette cendre | aux quatre vents semée, 6+6 a
Par le temps réunie | et par Dieu ranimée, 6+6 a
Pour faire à ton esprit | de nouveaux vêtements 6+6 b
Aura repris ton corps | à tous les éléments, 6+6 b
Et, prêtant à ton âme | une enveloppe neuve, 6+6 a
1050 Renouvelé neuf fois | ta vie et ton épreuve ; 6+6 a
À moins que le pardon, | justice de l’amour. 6+6 b
Ne descende vivant | dans ce mortel séjour ! » 6+6 b
· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·
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L’ouragan, à ces mots | se levant sur la plaine, 6+6 a
Souffla sur le bûcher | de toute son haleine, 6+6 a
1055 Et dispersa la cendre | en pâles tourbillons, 6+6 b
Comme un semeur, l’hiver, | la semence aux sillons. 6+6 b
L’immobile désert | sentit frémir sa poudre, 6+6 a
L’occident se couvrit | de menace et de foudre ; 6+6 a
Des nuages pesants, | pleins de tonnerre et d’eau, 6+6 b
1060 Posèrent sur les monts | comme un sombre fardeau ; 6+6 b
L’homme, le front levé | vers la céleste voûte, 6+6 a
Du déluge sentit | une première goutte. 6+6 a
· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·
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