Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
LAM_7/LAM103
Alphonse de LAMARTINE
HARMONIES POÉTIQUES ET RELIGIEUSES
1830
LIVRE DEUXIÈME
HARMONIE IV
L'INFINI DANS LES CIEUX
C'est une nuit d'été ; nuit dont les vastes ailes 6+6 a
Font jaillir dans l'azur des milliers d'étincelles ; 6+6 a
Qui, ravivant le ciel comme un miroir terni, 6+6 b
Permet à l'œil charmé d'en sonder l'infini ; 6+6 b
5 Nuit où le firmament, dépouillé de nuages. 6+6 a
De ce livre de feu rouvre toutes les pages ! 6+6 a
Sur le dernier sommet des monts, d'où le regard 6+6 b
Dans un double horizon se répand au hasard, 6+6 b
Je m'assieds en silence, et laisse ma pensée 6+6 a
10 Flotter comme une mer où la lune est bercée. 6+6 a
L'harmonieux Éther, dans ses vagues d'azur, 6+6 b
Enveloppe les monts d'un fluide plus pur ; 6+6 b
Leurs contours qu'il éteint, leurs cimes qu'il efface, 6+6 a
Semblent nager dans l'air et trembler dans l'espace, 6+6 a
15 Comme on voit .jusqu'au fond d'une mer en repos 6+6 b
L'ombre de son rivage onduler sous les flots ! 6+6 b
Sous ce jour sans rayon, plus serein qu'une aurore, 6+6 a
A l'œil contemplatif la terre semble éclore ; 6+6 a
Elle déroule au loin ses horizons divers 6+6 b
20 Où se joua la main qui sculpta l'univers ! 6+6 b
Là, semblable à la vague, une colline ondule. 6+6 a
Là le coteau poursuit le coteau qui recule. 6+6 a
Et le vallon, voilé de verdoyants rideaux, 6+6 b
Se creuse comme un lit pour l'ombre et pour les eaux ; 6+6 b
25 Ici s'étend la plaine, où, comme sur la grève, 6+6 a
La vague des épis s'abaisse et se relève ; 6+6 a
Là, pareil au serpent dont les nœuds sont rompus, 6+6 b
Le fleuve, renouant ses flots interrompus. 6+6 b
Trace à son cours d'argent des méandres sans nombre. 6+6 a
30 Se perd sous la colline et reparaît dans l'ombre ; 6+6 a
Comme un nuage noir, les profondes forêts 6+6 b
D'une tache grisâtre ombragent les guérets, 6+6 b
Et plus loin, où la plage en croissant se reploie, 6+6 a
Où le regard confus dans les vapeurs se noie, 6+6 a
35 Un golfe de la mer, d'îles entrecoupé. 6+6 b
Des blancs reflets du ciel par la lune frappé. 6+6 b
Comme un vaste miroir, brisé sur la poussière. 6+6 a
Réfléchit dans l'obscur des fragments de lumière. 6+6 a
Que le séjour de l'homme est divin, quand la nuit 6+6 b
40 De la vie orageuse étouffe ainsi le bruit ! 6+6 b
Ce sommeil qui d'en haut tombe avec la rosée 6+6 a
Et ralentit le cours de la vie épuisée, 6+6 a
Semble planer aussi sur tous les éléments. 6+6 b
Et de tout ce qui vit calmer les battements ; 6+6 b
45 Un silence pieux s'étend sur la nature, 6+6 a
Le fleuve a son éclat, mais n'a plus son murmure. 6+6 a
Les chemins sont déserts, les chaumières sans voix. 6+6 b
Nulle feuille ne tremble à la voûte des bois. 6+6 b
Et la mer elle-même, expirant sur sa rive. 6+6 a
50 Roule à peine à la plage une lame plaintive ; 6+6 a
On dirait, en voyant ce monde sans échos, 6+6 b
Où l'oreille jouit d'un magique repos, 6+6 b
Où tout est majesté, crépuscule, silence. 6+6 a
Et dont le regard seul atteste l'existence, 6+6 a
55 Que l'on contemple en songe, à travers le passé, 6+6 b
Le fantôme d'un monde où la vie a cessé ! 6+6 b
Seulement, dans les troncs des pins aux larges cimes, 6+6 a
Dont les groupes épars croissent sur ces abîmes, 6+6 a
L'haleine de la nuit, qui se brise parfois, 6+6 b
60 Répand de loin en loin d'harmonieuses voix. 6+6 b
Comme pour attester, dans leur cime sonore, 6+6 a
Que ce monde, assoupi, palpite et vit encore. 6+6 a
Un monde est assoupi sous la voûte des cieux ? 6+6 b
Mais dans la voûte même où s'élèvent mes yeux, 6+6 b
65 Que de mondes nouveaux, que de soleils sans nombre. 6+6 a
Trahis par leur splendeur, étincellent dans l'ombre ! 6+6 a
Les signes épuisés s'usent à les compter, 6+6 b
Et l'âme infatigable est lasse d'y monter ! 6+6 b
Les siècles, accusant leur alphabet stérile, 6+6 a
70 De ces astres sans fin n'ont nommé qu'un sur mille ; 6+6 a
Que dis-je ? Aux bords des cieux, ils n'ont vu qu'ondoyer 6+6 b
Les mourantes lueurs de ce lointain foyer ; 6+6 b
Là l'antique Orion des nuits perçant les voiles. 6+6 a
Dont Job a le premier nommé les sept étoiles ; 6+6 a
75 Le navire fendant l'éther silencieux. 6+6 b
Le bouvier dont le char se traîne dans les cieux, 6+6 b
La lyre aux cordes d'or, le cygne aux blanches ailes, 6+6 a
Le coursier qui du ciel tire des étincelles, 6+6 a
La balance inclinant son bassin incertain. 6+6 b
80 Les blonds cheveux livrés au souffle du matin, 6+6 b
Le bélier, le taureau, l'aigle, le sagittaire. 6+6 a
Tout ce que les pasteurs contemplaient sur la terre, 6+6 a
Tout ce que les héros voulaient éterniser. 6+6 b
Tout ce que les amants ont pu diviniser, 6+6 b
85 Transporté dans le ciel par de touchants emblèmes. 6+6 a
N'a pu donner des noms à ces brillants systèmes. 6+6 a
Les cieux pour les mortels sont un livre entr'ouvert. 6+6 b
Ligne à ligne à leurs yeux par la nature offert ; 6+6 b
Chaque siècle avec peine en déchiffre une page, 6+6 a
90 Et dit : Ici finit ce magnifique ouvrage, 6+6 a
Mais sans cesse le doigt du céleste écrivain 6+6 b
Tourne un feuillet de plus de ce livre divin. 6+6 b
Et l'œil voit, ébloui par ces brillants mystères, 6+6 a
Étinceler sans fin de plus beaux caractères ! 6+6 a
95 Que dis-je ? A chaque veille, un sage audacieux 6+6 b
Dans l'espace sans bords s'ouvre de nouveaux cieux ; 6+6 b
Depuis que le cristal qui rai)proche les mondes 6+6 a
Perce du vaste éther les distances profondes, 6+6 a
Et porte le regard dans l'infini perdu, 6+6 b
100 Jusqu'où l'œil du calcul recule confondu. 6+6 b
Les cieux se sont ouverts comme une voûte sombre 6+6 a
Qui laisse en se brisant évanouir son ombre ; 6+6 a
Ses feux multipliés plus que l'atome errant 6+6 b
Qu'éclaire du soleil un rayon transparent, 6+6 b
105 Séparés ou groupés, par couches, par étages, 6+6 a
En vagues, en écume, ont inondé ses plages, 6+6 a
Si nombreux, si pressés, que notre œil ébloui, 6+6 b
Qui poursuit dans l'espace un astre évanoui, 6+6 b
Voit cent fois dans le champ qu'embrasse sa paupière 6+6 a
110 Des mondes circuler en torrents de poussière ! 6+6 a
Plus loin sont ces lueurs que prirent nos aïeux 6+6 b
Pour les gouttes du lait qui nourrissait les dieux ; 6+6 b
Ils ne se trompaient pas : ces perles de lumière 6+6 a
Qui de la nuit lointaine ont blanchi la carrière, 6+6 a
115 Sont des astres futurs, des germes enflammés 6+6 b
Que la main toujours pleine a pour les temps semés, 6+6 b
Et que l'esprit de Dieu, sous ses ailes fécondes, 6+6 a
De son ombre de feu couve au berceau des mondes. 6+6 a
C'est de là que, prenant leur vol au jour écrit, 6+6 b
120 Comme un aiglon nouveau qui s'échappe du nid, 6+6 b
Ils commencent sans guide et décrivent sans trace 6+6 a
L'ellipse radieuse au milieu de l'espace, 6+6 a
Et vont, brisant du choc un astre à son déclin, 6+6 b
Renouveler des cieux toujours à leur matin. 6+6 b
125 Et l'homme cependant, cet insecte invisible, 6+6 a
Rampant dans les sillons d'un globe imperceptible. 6+6 a
Mesure de ces feux les grandeurs et les poids, 6+6 b
Leur assigne leur place, et leur route, et leurs lois, 6+6 b
Comme si, dans ses mains que le compas accable, 6+6 a
130 Il roulait ces soleils comme des grains de sable ! 6+6 a
Chaque atome de feu que dans l'immense éther 6+6 b
Dans l'abîme des nuits l'œil distrait voit flotter, 6+6 b
Chaque étincelle errante aux bords de l'empyrée, 6+6 a
Dont scintille en mourant la lueur azurée ; 6+6 a
135 Chaque tache de lait qui blanchit l'horizon. 6+6 b
Chaque teinte du ciel qui n'a pas même un nom, 6+6 b
Sont autant de soleils, rois d'autant de systèmes, 6+6 a
Qui, de seconds soleils, se couronnant eux-mêmes, 6+6 a
Guident, en gravitant dans ces immensités, 6+6 b
140 Cent planètes brûlant de leurs feux empruntés. 6+6 b
El tiennent dans l'éther chacune autant de place 6+6 a
Que le soleil de l'homme en tournant en embrasse, 6+6 a
Lui, sa lune et sa terre, et l'astre du matin, 6+6 b
Et Saturne obscurci de son anneau lointain ! 6+6 b
145 Oh ! que les cieux sont grands ! et que l'esprit de l'homme 6+6 a
Plie et tombe de haut, mon Dieu ! quand il le nomme ! 6+6 a
Quand, descendant du dôme où s'égaraient ses yeux, 6+6 b
Atome, il se mesure à l'infini des cieux, 6+6 b
Et que, de ta grandeur soupçonnant le prodige, 6+6 a
150 Son regard s'éblouit, et qu'il se dit : Que suis-je ? 6+6 a
Oh ! que suis-je, Seigneur ! devant les cieux et toi ? 6+6 b
De ton immensité le poids pèse sur moi, 6+6 b
Il m'égale au néant, il m'efface, il m'accable. 6+6 a
Et je m'estime moins qu'un de ces grains de sable : 6+6 a
155 Car ce sable roulé par les flots inconstants. 6+6 b
S'il a moins d'étendue, hélas ! a plus de temps ; 6+6 b
Il remplira toujours son vide dans l'espace 6+6 a
Lorsque je n'aurai plus ni nom, ni temps, ni place ; 6+6 a
Son sort est devant toi moins triste que le mien, 6+6 b
160 L'insensible néant ne sent pas qu'il n'est rien, 6+6 b
Il ne se ronge pas pour agrandir son être. 6+6 a
Il ne veut ni monter, ni juger, ni connaître, 6+6 a
D'un immense désir il n'est point agité ; 6+6 b
Mort, il ne rêve pas une immortalité ! 6+6 b
165 Il n'a pas cette horreur de mon âme oppressée, 6+6 a
Car il ne porte pas le poids de ta pensée ! 6+6 a
Hélas ! pourquoi si haut mes yeux ont-ils monté ? 6+6 b
J'étais heureux en bas dans mon obscurité, 6+6 b
Mon coin dans l'étendue et mon éclair de vie 6+6 a
170 Me paraissaient un sort presque digne d'envie ; 6+6 a
Je regardais d'en haut celle herbe ; en comparant, 6+6 b
Je méprisais l'insecte et je me trouvais grand ; 6+6 b
Et maintenant, noyé dans l'abîme de l'être. 6+6 a
Je doute qu'un regard du Dieu qui nous fit naître 6+6 a
175 Puisse me démêler d'avec lui, vil, rampant. 6+6 b
Si bas, si loin de lui, si voisin du néant ! 6+6 b
Et je me laisse aller à ma douleur profonde, 6+6 a
Comme une pierre au fond des abîmes de l'onde ; 6+6 a
Et mon propre regard, comme honteux de soi, 6+6 b
180 Avec un vil dédain se détourne de moi, 6+6 b
Et je dis en moi-même à mon âme qui doute : 6+6 a
Va, ton sort ne vaut pas le coup d'œil qu'il te coûte ! 6+6 a
Et mes yeux desséchés retombent ici-bas. 6+6 b
Et je vois le gazon qui fleurit sous mes pas. 6+6 b
185 Et j'entends bourdonner sous l'herbe que je foule 6+6 a
Ces flots d'être vivants que chaque sillon roule : 6+6 a
Atomes animés par le souffle divin. 6+6 b
Chaque rayon du jour en élève sans fin, 6+6 b
La minute suffit pour compléter leur être, 6+6 a
190 Leurs tourbillons flottants retombent pour renaître ; 6+6 a
Le sable en est vivant, l'éther en est semé, 6+6 b
Et l'air que je respire est lui même animé ; 6+6 b
Et d'où vient cette vie, et d'où peut-elle éclore, 6+6 a
Si ce n'est du regard où s'allume l'aurore ? 6+6 a
195 Qui ferait germer l'herbe et fleurir le gazon, 6+6 b
Si ce regard divin n'y portait son rayon ? 6+6 b
Cet œil s'abaisse donc sur toute la nature ! 6+6 a
Il n'a donc ni mépris, ni faveur, ni mesure ; 6+6 a
Et devant l'infini, pour qui tout est pareil, 6+6 b
200 Il est donc aussi grand d'être homme que soleil ! 6+6 b
Et je sens ce rayon m'échauffer de sa flamme. 6+6 a
Et mon cœur se console, et je dis à mon âme : 6+6 a
Homme ou monde, à ses pieds, tout est indifférent, 6+6 b
Mais réjouissons-nous, car notre maître est grand ! 6+6 b
205 Flottez, soleils des nuits, illuminez les sphères ; 6+6 a
Bourdonnez sous votre herbe, insectes éphémères ; 6+6 a
Rendons gloire là-haut, et dans nos profondeurs, 6+6 b
Vous par votre néant, et vous par vos grandeurs. 6+6 b
Et toi par ta pensée, homme ! grandeur suprême, 6+6 a
210 Miroir qu'il a créé pour s'admirer lui-même, 6+6 a
Écho que dans son œuvre il a si loin jeté, 6+6 b
Afin que son saint nom fût partout répété. 6+6 b
Que cette humilité qui devant lui m'abaisse 6+6 a
Soit un sublime hommage, et non une tristesse ; 6+6 a
215 Et que sa volonté, trop haute pour nos yeux, 6+6 b
Soit faite sur la terre ainsi que dans les cieux ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
logo du CRISCO logo de l'université