Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
LAM_2/LAM43
Alphonse de LAMARTINE
MÉDITATIONS POÉTIQUES
SECONDES MÉDITATIONS
1823
DEUXIÈME MÉDITATION
ISCHIA 1
Le soleil va porter | le jour à d’autres mondes ; 6+6 a
Dans l’horizon désert | Phébé monte sans bruit, 6+6 b
Et jette, en pénétrant | les ténèbres profondes, 6+6 a
Un voile transparent | sur le front de la nuit. 6+6 b
5 Voyez du haut des monts | ses clartés ondoyantes 6+6 a
Comme un fleuve de flamme | inonder les coteaux, 6+6 b
Dormir dans les vallons, | ou glisser sur les pentes, 6+6 a
Ou rejaillir au loin | du sein brillant des eaux. 6+6 b
La douteuse lueur, | dans l’ombre répandue. 6+6 a
10 Teint d’un jour azuré | la pâle obscurité, 6+6 b
Et fait nager au loin | dans la vague étendue 6+6 a
Les horizons baignés | par sa molle clarté. 6+6 b
L’Océan amoureux | de ces rives tranquilles 6+6 a
Calme, en noyant leurs pieds, | ses orageux transports, 6+6 b
15 Et, pressant dans ses bras | ces golfes et ces îles, 6+6 a
De son humide haleine | en rafraîchit les bords. 6+6 b
Du flot qui tour à tour | s’avance et se retire 6+6 a
L’œil aime à suivre au loin | le flexible contour : 6+6 b
On dirait un amant | qui presse en son délire 6+6 a
20 La vierge qui résiste | et cède tour à tour. 6+6 b
Doux comme le soupir | de l’enfant qui sommeille, 6+6 a
Un son vague et plaintif | se répand dans les airs : 6+6 b
Est-ce un écho du ciel | qui charme notre oreille ? 6+6 a
Est-ce un soupir d’amour | de la terre et des mers ? 6+6 b
25 Il s’élève, il retombe, | il renaît, il expire, 6+6 a
Comme un cœur oppressé | d’un poids de volupté ; 6+6 b
Il semble qu’en ces nuits | la nature respire, 6+6 a
Et se plaint comme nous | de sa félicité. 6+6 b
Mortel, ouvre ton âme | à ces torrents de vie ; 6+6 a
30 Reçois par tous les sens | les charmes de la nuit : 6+6 b
À t’enivrer d’amour | son ombre te convie ; 6+6 a
Son astre dans le ciel | se lève et te conduit. 6+6 b
Vois-tu ce feu lointain | trembler sur la colline ? 6+6 a
Par la main de l’amour | c’est un phare allumé ; 6+6 b
35 Là, comme un lis penché, | l’amante qui s’incline 6+6 a
Prête une oreille avide | aux pas du bien-aimé. 6+6 b
La beauté, dans le songe | où son âme s’égare, 6+6 a
Soulève un œil d’azur | qui réfléchit les cieux, 6+6 b
Et ses doigts au hasard | errant sur sa guitare 6+6 a
40 Jettent aux vents du soir | des sons mystérieux : 6+6 b
« Viens : l’amoureux silence | occupe au loin l’espace ; 6+6 a
» Viens du soir près de moi | respirer la fraîcheur ! 6+6 b
» C’est l’heure ; à peine au loin | la voile qui s’efface 6+6 a
» Blanchit, en ramenant | le paisible pêcheur. 6+6 b
45 » Depuis l’heure où ta barque | a fui loin de la rive, 6+6 a
» J’ai suivi tout le jour | ta voile sur les mers, 6+6 b
» Ainsi que de son nid | la colombe craintive 6+6 a
» Suit l’aile du ramier | qui blanchit dans les airs. 6+6 b
» Tandis qu’elle glissait | sous l’ombre du rivage, 6+6 a
50 » J’ai reconnu ta voix | dans la voix des échos ; 6+6 b
» Et la brise du soir, | en mourant sur la plage, 6+6 a
» Me rapportait tes chants | prolongés sur les flots. 6+6 b
» Quand la vague a grondé | sur la côte écumante, 6+6 a
» À l’étoile des mers | j’ai murmuré ton nom ; 6+6 b
55 » J’ai rallumé ma lampe, | et de ta seule amante 6+6 a
» L’amoureuse prière | a fait fuir l’aquilon. 6+6 b
» Maintenant sous le ciel | tout repose, ou tout aime : 6+6 a
» La vague en ondulant | vient dormir sur le bord, 6+6 b
» La fleur dort sur sa tige, | et la nature même 6+6 a
60 » Sous le dais de la nuit | se recueille et s’endort. 6+6 b
» Vois : la mousse a pour nous | tapissé la vallée ; 6+6 a
» Le pampre s’y recourbe | en replis tortueux, 6+6 b
» Et l’haleine de l’onde, | à l’oranger mêlée, 6+6 a
» De ses fleurs qu’elle effeuille | embaume mes cheveux. 6+6 b
65 » À la molle clarté | de la voûte sereine 6+6 a
» Nous chanterons ensemble | assis sous le jasmin, 6+6 b
» Jusqu’à l’heure où la lune, | en glissant sur Misène, 6+6 a
» Se perd en pâlissant | dans les feux du matin. » 6+6 b
Elle chante ; et sa voix | par intervalle expire, 6+6 a
70 Et, des accords du luth | plus faiblement frappés, 6+6 b
Les échos assoupis | ne livrent au zéphyre 6+6 a
Que des soupirs mourants, | de silences coupés. 6+6 b
Celui qui, le cœur plein | de délire et de flamme, 6+6 a
A cette heure d’amour, | sous cet astre enchanté, 6+6 b
75 Sentirait tout à coup | le rêve de son âme 6+6 a
S’animer sous les traits | d’une chaste beauté ; 6+6 b
Celui qui, sur la mousse, | au pied du sycomore 6+6 a
Au murmure des eaux, | sous un dais de saphirs, 6+6 b
Assis à ses genoux, | de l’une à l’autre aurore, 6+6 a
80 N’aurait pour lui parler | que l’accent des soupirs ; 6+6 b
Celui qui, respirant | son haleine adorée, 6+6 a
Sentirait ses cheveux, | soulevés par les vents, 6+6 b
Caresser en passant | sa paupière effleurée, 6+6 a
Ou rouler sur son front | leurs anneaux ondoyants ; 6+6 b
85 Celui qui, suspendant | les heures fugitives, 6+6 a
Fixant avec l’amour | son âme en ce beau lieu, 6+6 b
Oublîrait que le temps | coule encor sur ces rives, 6+6 a
Serait-il un mortel, | ou serait-il un dieu ? 6+6 b
Et nous, aux doux penchants | de ces verts Élysées, 6+6 a
90 Sur ces bords où l’amour | eût caché son Éden ; 6+6 b
Au murmure plaintif | des vagues apaisées, 6+6 a
Aux rayons endormis | de l’astre élyséen, 6+6 b
Sous ce ciel où la vie, | où le bonheur abonde, 6+6 a
Sur ces rives que l’œil | se plaît à parcourir, 6+6 b
95 Nous avons respiré | cet air d’un autre monde, 6+6 a
Élise !… Et cependant | on dit qu’il faut mourir ! 6+6 b
Île de la Méditerranée, dans le golfe de Naples.
mètre profil métrique : 6+6
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