Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
LAM_1/LAM34
Alphonse de LAMARTINE
MÉDITATIONS POÉTIQUES
PREMIÈRES MÉDITATIONS
1820
TRENTE-QUATRIÈME MÉDITATION
DIEU
À M. L’ABBÉ F. DE LAMENNAIS
Oui, mon âme se pltà secouer ses chnes : 6+6 a
Déposant le fardeaudes misères humaines, 6+6 a
Laissant errer mes sensdans ce monde des corps, 6+6 b
Au monde des espritsje monte sans efforts. 6+6 b
5 Là, foulant à mes piedscet univers visible, 6+6 a
Je plane en libertédans les champs du possible. 6+6 a
Mon âme est à l’étroitdans sa vaste prison : 6+6 b
Il me faut un séjourqui n’ait pas d’horizon. 6+6 b
Comme une goutte d’eaudans l’Océan versée, 6+6 a
10 L’infini dans son seinabsorbe ma pensée ; 6+6 a
Là, reine de l’espaceet de l’éternité, 6+6 b
Elle ose mesurerle temps, l’immensité, 6+6 b
Aborder le néant,parcourir l’existence, 6+6 a
Et concevoir de Dieul’inconcevable essence. 6+6 a
15 Mais sitôt que je veuxpeindre ce que je sens, 6+6 b
Toute parole expireen efforts impuissants : 6+6 b
Mon âme croit parler ;ma langue embarrassée 6+6 a
Frappe l’air de vains sons,ombre de ma pensée. 6+6 a
Dieu fit pour les espritsdeux langages divers : 6+6 b
20 En sons articulésl’un vole dans les airs ; 6+6 b
Ce langage bornés’apprend parmi les hommes ; 6+6 a
Il suffit aux besoinsde l’exil nous sommes, 6+6 a
Et, suivant des mortelsles destins inconstants, 6+6 b
Change avec les climatsou passe avec les temps. 6+6 b
25 L’autre, éternel, sublime,universel, immense, 6+6 a
Est le langage innéde toute intelligence : 6+6 a
Ce n’est point un son mortdans les airs répandu, 6+6 b
C’est un verbe vivantdans le cœur entendu ; 6+6 b
On l’entend, on l’explique,on le parle avec l’âme ; 6+6 a
30 Ce langage sentitouche, illumine, enflamme : 6+6 a
De ce que l’âme éprouveinterprètes brûlants, 6+6 b
Il n’a que des soupirs,des ardeurs, des élans ; 6+6 b
C’est la langue du cielque parle la prière, 6+6 a
Et que le tendre amourcomprend seul sur la terre. 6+6 a
35 Aux pures régions j’aime à m’envoler, 6+6 b
L’enthousiasme aussivient me la révéler ; 6+6 b
Lui seul est mon flambeaudans cette nuit profonde, 6+6 a
Et mieux que la raisonil n’explique le monde. 6+6 a
Viens donc ! il est mon guide,et je veux t’en servir 6+6 b
40 À ses ailes de feu,viens, laisse-toi ravir. 6+6 b
Déjà l’ombre du mondeà nos regards s’efface : 6+6 a
Nous échappons au temps,nous franchissons l’espace ; 6+6 a
Et, dans l’ordre éternelde la réalité, 6+6 b
Nous voilà face à faceavec la vérité ! 6+6 b
45 Cet astre universel,sans déclin, sans aurore, 6+6 a
C’est Dieu, c’est ce grand tout,qui soi-même s’adore ! 6+6 a
Il est ; tout est en lui :l’immensité, les temps, 6+6 b
De son être infinisont les purs éléments ; 6+6 b
L’espace est son séjour,l’éternité son âge ; 6+6 a
50 Le jour est son regard,le monde est son image : 6+6 a
Tout l’univers subsisteà l’ombre de sa main ; 6+6 b
L’être à flots éternelsdécoulant de son sein, 6+6 b
Comme un fleuve nourripar cette source immense, 6+6 a
S’en échappe, et revientfinir tout commence. 6+6 a
55 Sans bornes comme lui,ses ouvrages parfaits 6+6 b
Bénissent en naissantla main qui les a faits ; 6+6 b
Il peuple l’infinichaque fois qu’il respire ; 6+6 a
Pour lui, vouloir c’est faire,exister c’est produire ! 6+6 a
Tirant tout de soi seul,rapportant tout à soi, 6+6 b
60 Sa volonté suprêmeest sa suprême loi. 6+6 b
Mais cette volonté,sans ombre et sans faiblesse, 6+6 a
Est à la fois puissance,ordre, équité, sagesse. 6+6 a
Sur tout ce qui peut êtreil l’exerce à son gré : 6+6 b
Le néant jusqu’à luis’élève par degré : 6+6 b
65 Intelligence, amour,force, beauté, jeunesse. 6+6 a
Sans s’épuiser jamais,il peut donner sans cesse ; 6+6 a
Et, comblant le néantde ses dons précieux, 6+6 b
Des derniers rangs de l’êtreil peut tirer des dieux ! 6+6 b
Mais ces dieux de sa main,ces fils de sa puissance, 6+6 a
70 Mesurent d’eux à luil’éternelle distance, 6+6 a
Tendant par la natureà l’être qui les fit : 6+6 b
Il est leur fin à tous,et lui seul se suffit ! 6+6 b
Voilà, voilà le Dieuque tout esprit adore, 6+6 a
Qu’Abraham a servi,que rêvait Pythagore, 6+6 a
75 Que Socrate annonçait,qu’entrevoyait Platon ; 6+6 b
Ce Dieu que l’universrévèle à la raison, 6+6 b
Que la justice attend,que l’infortune espère, 6+6 a
Et que le Christ enfinvint montrer à la terre ! 6+6 a
Ce n’est plus là ce Dieupar l’homme fabriqué, 6+6 b
80 Ce Dieu par l’impostureà l’erreur expliqué, 6+6 b
Ce Dieu défigurépar la main des faux prêtres, 6+6 a
Qu’adoraient en tremblantnos crédules ancêtres : 6+6 a
Il est seul, il est un,il est juste, il est bon ; 6+6 b
La terre voit son œuvre,et le ciel sait son nom ! 6+6 b
85 Heureux qui le connt !plus heureux qui l’adore ! 6+6 a
Qui, tandis que le mondeou l’outrage ou l’ignore, 6+6 a
Seul, aux rayons pieuxdes lampes de la nuit, 6+6 b
S’élève au sanctuaire la foi l’introduit, 6+6 b
Et, consumé d’amouret de reconnaissance, 6+6 a
90 Brûle, comme l’encens,son âme en sa présence ! 6+6 a
Mais, pour monter à lui,notre esprit abattu 6+6 b
Doit emprunter d’en hautsa force et sa vertu ; 6+6 b
Il faut voler au cielsur des ailes de flamme : 6+6 a
Le désir et l’amoursont les ailes de l’âme. 6+6 a
95 Ah ! que ne suis-je nédans l’âge les humains, 6+6 b
Jeunes, à peine encoreéchappés de ses mains, 6+6 b
Près de Dieu par le temps,plus près par l’innocence, 6+6 a
Conversaient avec lui,marchaient en sa présence ! 6+6 a
Que n’ai-je vu le mondeà son premier soleil ! 6+6 b
100 Que n’ai-je entendu l’hommeà son premier réveil ! 6+6 b
Tout lui parlait de toi,tu lui parlais toi-même ; 6+6 a
L’univers respiraitta majesté suprême ; 6+6 a
La nature, sortantdes mains du Créateur, 6+6 b
Étalait en tous sensle nom de son auteur : 6+6 b
105 Ce nom, caché depuissous la rouille des âges, 6+6 a
En traits plus éclatantsbrillait sur tes ouvrages ; 6+6 a
L’homme dans le passéne remontait qu’à toi ; 6+6 b
Il invoquait son père,et tu disais : C’est moi. 6+6 b
Longtemps comme un enfantta voix daigna l’instruire, 6+6 a
110 Et par la main longtempstu voulus le conduire. 6+6 a
Que de fois dans ta gloireà lui tu t’es montré, 6+6 b
Aux vallons de Sennar,aux chênes de Membré, 6+6 b
Dans le buisson d’Oreb,ou sur l’auguste cime 6+6 a
Moïse aux Hébreuxdictait sa loi sublime ! 6+6 a
115 Ces enfants de Jacob,premiers-nés des humains, 6+6 b
Reçurent quarante ansla manne de tes mains : 6+6 b
Tu frappais leur espritpar tes vivants oracles ; 6+6 a
Tu parlais à leurs yeuxpar la voix des miracles ; 6+6 a
Et lorsqu’ils t’oubliaient,tes anges descendus 6+6 b
120 Rappelaient ta mémoireà leurs cœurs éperdus. 6+6 b
Mais enfin, comme un fleuveéloigné de sa source, 6+6 a
Ce souvenir si purs’altéra dans sa course ; 6+6 a
De cet astre vieillila sombre nuit des temps 6+6 b
Éclipsa par degrésles rayons éclatants. 6+6 b
125 Tu cessas de parler :l’oubli, la main des âges, 6+6 a
Usèrent ce grand nomempreint dans tes ouvrages ; 6+6 a
Les siècles en passantfirent pâlir la foi ; 6+6 b
L’homme plaça le douteentre le monde et toi. 6+6 b
Oui, ce monde, Seigneur,est vieilli pour ta gloire ; 6+6 a
130 Il a perdu ton nom,ta trace et ta mémoire ; 6+6 a
Et pour les retrouveril nous faut, dans son cours, 6+6 b
Remonter flots à flotsle long fleuve des jours. 6+6 b
Nature, firmament !l’œil en vain vous contemple : 6+6 a
Hélas ! sans voir le Dieu,l’homme admire le temple ; 6+6 a
135 Il voit, il suit en vain,dans les déserts des cieux, 6+6 b
De leurs mille soleilsle cours mystérieux ; 6+6 b
Il ne reconnt plusla main qui les dirige : 6+6 a
Un prodige éternelcesse d’être un prodige. 6+6 a
Comme ils brillaient hier,ils brilleront demain ! 6+6 b
140 Qui sait commençaleur glorieux chemin ? 6+6 b
Qui sait si ce flambeauqui luit et qui féconde, 6+6 a
Une première foiss’est levé sur le monde ? 6+6 a
Nos pères n’ont point vubriller son premier tour, 6+6 b
Et les jours éternelsn’ont point de premier jour. 6+6 b
145 Sur le monde moralen vain ta providence 6+6 a
Dans ces grands changementsrévèle ta présence, 6+6 a
C’est en vain qu’en tes jeuxl’empire des humains 6+6 b
Passe d’un sceptre à l’autre,errant de mains en mains ; 6+6 b
Nos yeux, accoutumésà sa vicissitude, 6+6 a
150 Se sont fait de la gloireune froide habitude : 6+6 a
Les siècles ont tant vude ces grands coups du sort ! 6+6 b
Le spectacle est usé,l’homme engourdi s’endort. 6+6 b
Réveille-nous, grand Dieu !parle, et change le monde ; 6+6 a
Fais entendre au néantta parole féconde : 6+6 a
155 Il est temps ! lève-toi !sors de ce long repos ; 6+6 b
Tire un autre universde cet autre chaos. 6+6 b
À nos yeux assoupisil faut d’autres spectacles ; 6+6 a
À nos esprits flottantsil faut d’autres miracles. 6+6 a
Change l’ordre des cieux,qui ne nous parle plus ! 6+6 b
160 Lance un nouveau soleilà nos yeux éperdus ; 6+6 b
Détruis ce vieux palais,indigne de ta gloire ; 6+6 a
Viens ! montre-toi toi-même,et force-nous de croire ! 6+6 a
Mais peut-être, avant l’heure dans les cieux déserts 6+6 b
Le soleil cesserad’éclairer l’univers, 6+6 b
165 De ce soleil moralla lumière éclipsée 6+6 a
Cessera par degrésd’éclairer la pensée, 6+6 a
Et le jour qui verrace grand flambeau détruit 6+6 b
Plongera l’universdans l’éternelle nuit ! 6+6 b
Alors tu briseraston inutile ouvrage. 6+6 a
170 Ses débris foudroyésrediront d’âge en âge : 6+6 a
« Seul je suis ! hors de moirien ne peut subsister ! 6+6 b
» L’homme cessa de croire,il cessa d’exister ! » 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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