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LAC_2/LAC69
Auguste LACAUSSADE
Poèmes et Paysages
1852
POÈMES ET PAYSAGES
XXXVIII
Un Clair de lune sous les Tropiques
A la mémoire de Josselin Dupont, de l'île Maurice.
Combien de fois, ô Lune, | en ces paisibles heures 6+6 a
Où l'ombre de la nuit | s'épand sur nos demeures, 6+6 a
Quand ton globe d'argent | montait à l'horizon, 6+6 b
J'ai promené mon rêve | à travers le gazon 6+6 b
5 Où tes rayons lactés | glissaient avec mollesse ! 6+6 a
Des saules éplorés | éclairant la tristesse, 6+6 a
Tu dormais à mes pieds | sur la mousse et les fleurs, 6+6 b
Et, du dôme des bois | perçant les profondeurs, 6+6 b
Tu blanchissais là-bas | les filaos des tombes, 6+6 a
10 Les rocs du cap Bernard | que hantent les palombes. 6+6 a
Tu planais sur les monts | comme l'ange des nuits, 6+6 b
Et ta calme lumière | endormait mes ennuis ; 6+6 b
Et la belle-de-nuit, | frêle et mystérieuse, 6+6 a
S'ouvrait aux blancs reflets | de ta clarté rêveuse. 6+6 a
15 Comme elle je sentais | mon cœur s'épanouir, 6+6 b
Et les troubles secrets | en moi s'évanouir. 6+6 b
Et sous ton disque pur | dont le jour la captive, 6+6 a
Et seule à mes côtés, | la muse moins craintive 6+6 a
A la brise des soirs | abandonnait ses vers 6+6 b
20 Que semblait écouter | le silence des airs. 6+6 b
Et cette nuit, sur l'onde | où ma nef est bercée, 6+6 a
Je m'abandonne encore | à ma vague pensée 6+6 a
En te voyant flotter | sous le ciel vaste et pur, 6+6 b
Comme un navire aussi | dans une mer d'azur. 6+6 b
25 Qu'il est doux de rêver | à tes muettes flammes 6+6 a
Qui viennent près de moi | se jouer dans les lames ! 6+6 a
Tu sembles effleurer | d'un vol mystérieux 6+6 b
Le flot calme et sans fond | de l'océan des cieux ; 6+6 b
Et le rayon qui pleut | de ton globe nocturne 6+6 a
30 Vient baigner ma paupière | et mon front taciturne. 6+6 a
Bel astre, n'es-tu pas | le fortuné séjour 6+6 b
Des vivants dont les yeux | se sont fermés au jour, 6+6 b
L'asile aérien, | la flottante demeure 6+6 a
De ceux qui sont partis | et qu'ici-bas l'on pleure ? 6+6 a
35 Peut-être que l'un d'eux, | en ce même moment 6+6 b
Où mon œil te contemple | au fond du firmament, 6+6 b
Suit des claires hauteurs | de ta paisible sphère 6+6 a
Notre globe natal, | notre Éden, notre terre, 6+6 a
Dont l'orbe voyageur, | dans l'éther emporté, 6+6 b
40 De l'espace et du temps | parcourt l'immensité. 6+6 b
Ah ! quand la mort bénie | aura clos ma paupière, 6+6 a
Mon âme libre enfin | de sa prison grossière, 6+6 a
Dans ce fluide éther | déployant son essor, 6+6 b
Ira se reposer | sur ta planète d'or ! 6+6 b
45 Là, tel qu'un exilé | dont la vue attendrie 6+6 a
Revoit avec ivresse | et larmes sa patrie, 6+6 a
Mais qui, des jours passés | gardant le souvenir, 6+6 b
Songe au pays lointain | qu'il apprit à bénir ; 6+6 b
Âme heureuse et rendue | à la cité première, 6+6 a
50 Je chercherai des yeux | à ta pâle lumière 6+6 a
La très chère planète | où j'ai reçu le jour 6+6 b
Et la suivrai longtemps | d'un long regard d'amour. 6+6 b
Je me rappellerai | les lieux où mon enfance 6+6 a
Croissait libre et déjà | songeuse, et sans défense ; 6+6 a
55 Où j'écoutais — soupir | monotone et lointain — 6+6 b
La complainte du nègre | et du bobre africain ; 6+6 b
Où le souffle clément | des brises alizées 6+6 a
Rafraîchit de nos fleurs | les urnes épuisées ; 6+6 a
Où l'oiseau du Bengale | et les jeunes ramiers 6+6 b
60 Viennent fermer leur aile | à l'ombre des palmiers ; 6+6 b
Où les ruisseaux suivant | leur cours par les savanes 6+6 a
Portent leur frais murmure | au seuil de nos cabanes 6+6 a
Je me rappellerai | mon splendide soleil 6+6 b
Fécondant nos rochers | de son rayon vermeil, 6+6 b
65 Et ces arbres dont l'ombre, | abritant ma jeunesse, 6+6 a
Berçait de mes vingt ans | l'africaine mollesse : 6+6 a
L'épais tamarinier | où j'aimais à m'asseoir, 6+6 b
Et qui ferme sa feuille | aux approches du soir ; 6+6 b
Le letchy balançant | ses grappes de fruits roses, 6+6 a
70 Le manguier de son dôme | ombrageant les jam-roses, 6+6 a
Et la colline ombreuse | exhalant ses fraîcheurs, 6+6 b
D'où l'œil voit sur les mers | la barque des pêcheurs ; 6+6 b
Le front aérien | des Salazes sublimes 6+6 a
Dont aucun pied humain | n'a profané les cimes. 6+6 a
75 Je me rappellerai | les bords de la Dumas, 6+6 b
Les plaines du Champborne | aux sveltes mimosas : 6+6 b
C'est là que j'ai grandi | sous les yeux de ma mère ; 6+6 a
C'est là que s'élevait | son agreste chaumière, 6+6 a
Dont le toit dominait | les vastes champs de riz, 6+6 b
80 Comme un nid balancé | par les rameaux fleuris. 6+6 b
Je me rappellerai | ces lieux de ma naissance 6+6 a
Qu'une enfant, notre sœur, | parfumait d'innocence ; 6+6 a
Et mon âme et mes yeux | auront des pleurs d'amour, 6+6 b
Et sous l'azur sacré | du céleste séjour, 6+6 b
85 Mariant ses accords | à ma voix attendrie, 6+6 a
La lyre chantera | ma terrestre patrie. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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