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e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
LAC_2/LAC110
Auguste LACAUSSADE
Poèmes et Paysages
1852
POÈMES ET PAYSAGES
LXXIX
Le Bengali
A Sainte-Beuve,
Au maître et à l'ami.
Poète au gosier d'or,enfant de nos savanes, 6+6 a
Toi qui, fuyant ton nidcaché sous l'herbe en pleurs, 6+6 b
Te beais dans la briseau roulis des lianes, 6+6 a
Et chantais la lumièreau front des bois en fleurs ; 6+6 b
5 D' viens-tu pour tombertremblant à ma fenêtre, 6+6 a
Loin des citronniers vertsde notre île d'azur ? 6+6 b
Au pays des palmierstoi que le ciel fit ntre, 6+6 a
Bengali, d' viens-tupar un hiver si dur ? 6+6 b
Il neige ; à mes carreauxla bise siffle et pleure. 6+6 a
10 Sous des cieux inclémentsqui t'a donc exilé ? 6+6 b
Viens à moi, ne crains rien !— Dans mon humble demeure 6+6 a
Soyez le bienvenu,compatriote ailé ! 6+6 b
O bonheur de te voir !ô fortune imprévue ! 6+6 a
Viens sécher sur mon seinta plume sans chaleur. 6+6 b
15 Un passé radieuxse réveille à ta vue, 6+6 a
Et tout mon pays d'orse lève dans mon cœur. 6+6 b
Comme deux chers amisqu'un même exil rassemble, 6+6 a
Comme un fils de ma mèreassis à mon foyer, 6+6 b
Du val des lataniers,oiseau, parlons ensemble ; 6+6 a
20 Chantons, doux bengali,chantons pour oublier ! 6+6 b
Chante ! et je reverrainos profondes vallées. 6+6 a
Chante ! et je revivraimon bel âge effacé. 6+6 b
Souvenirs ! frais parfumsdes choses envolées, 6+6 a
Embaumez le présentdes bonheurs du passé. 6+6 b
25 Voici la mer lointaineaux rumeurs éternelles ; 6+6 a
Là-bas, j'entends gronderle torrent orageux ; 6+6 b
Plus loin, c'est la montagneaux crêtes fraternelles 6+6 a
Dans le saphir de l'airdressant leurs fronts neigeux. 6+6 b
L'aube se lève, un airtransparent nous inonde ; 6+6 a
30 Pour aimer et bénirtout semble s'éveiller ! 6+6 b
Sous un ciel aussi purqu'il est doux d'être au monde ! 6+6 a
Chantons, ô bengali !chantons pour oublier ! 6+6 b
L'Aube
C'était l'heure jadismon enfance inspirée, 6+6 a
Comme la blonde abeille,heureuse de trouver 6+6 b
35 Dans l'air plein de soleilla liberté dorée, 6+6 a
Courait pour voir le joursur les mers se lever. 6+6 b
Sur les flots miroitantsla lumière ruisselle ; 6+6 a
L'éther s'ouvre et blanchitsous l'astre radieux. 6+6 b
Du pêcheur matinalla beante nacelle 6+6 a
40 Passe, et rapide au loinse perd au bord des cieux. 6+6 b
Dans l'infini des airsle pic fier du Salaze, 6+6 a
Placide et beau, sourità l'Océan lointain 6+6 b
Et, trempé des clartésdont l'Orient s'embrase, 6+6 a
Couvre son noir granitdes roses du matin. 6+6 b
45 La Dumas, qui descendde ses gorges profondes, 6+6 a
Semble bercer un cielen son lit vaste et pur, 6+6 b
Et, roulant vers la merla beauté de ses ondes, 6+6 a
Sous ses nappes d'argentmontre ses rocs d'azur. 6+6 b
Les forêts d'orangerscouverts d'étoiles blanches, 6+6 a
50 Les bibaciers baignésde lumière et d'odeurs, 6+6 b
Aux souffles du matinfont pleuvoir de leurs branches 6+6 a
Avec les fruits ambrésles neiges de leurs fleurs. 6+6 b
Dans les bananiers vertsaux palmes satinées 6+6 a
Les feux brisés du joursèment leurs diamants. 6+6 b
55 Des herbes, des gazons,des hautes graminées 6+6 a
S'exhalent des senteurset des-gazouillements. 6+6 b
Sur les blancs nénuphars,coupes larges et lisses, 6+6 a
Des larmes de cristalbrillent confusément ; 6+6 b
Et l'abeille vient boireau fond de leurs calices 6+6 a
60 Le miel, trésor tombéla nuit du firmament. 6+6 b
L'oiseau chante enivrésous la lumière chaude ; 6+6 a
Des flots d'atomes d'ornagent dans l'air lacté ; 6+6 b
Les mouches de rubis,de pourpre et d'émeraude 6+6 a
Flottent, vibrant d'amourdans la blonde clarté. 6+6 b
65 O vie universelle !ô nature parlante ! 6+6 a
Des brises et des eauxô murmure chanteur ! 6+6 b
On sent respirer l'arbre,on sent vivre la plante ; 6+6 a
Tout aime, tout bénitle soleil créateur. 6+6 b
Splendeurs du ciel natal,réveil, heures de flamme, 6+6 a
70 Heures l'aube en moifaisait fleurir les vers, 6+6 b
l'inspirationse levait sur mon-âme 6+6 a
Comme l'astre émergeantdu sein profond des mers ; 6+6 b
Paysages puissantsde mes vertes années, 6+6 a
Mer vaste je voyaisla lumière ondoyer, 6+6 b
75 Beaux lieux ! qui me rendravos blanches matinées ? 6+6 a
Chantons ! doux bengali,chantons pour oublier ! 6+6 b
Le Jour
Revois-tu dans ton âme,ô bengali, mon frère ! 6+6 a
Le mont, le bois, la plaineau verdoyant tapis ? 6+6 b
Vois-tu sous les grands ventsonduler la rizière ? 6+6 a
80 Sous le soleil vois-tufrissonner les épis ? 6+6 b
Avec l'aube laissantton nid sous la ramée, 6+6 a
Te sens-tu, plein d'accords,frémir d'aise et chanter ? 6+6 b
Et moi, debout là-basdans la plaine embaumée, 6+6 a
Pour entendre ton chantme vois-tu m'arrêter ? 6+6 b
85 Sur quelque tige molleet des brises bercée, 6+6 a
Oiseau suave, aux boistu dis tes plus doux airs ; 6+6 b
Et moi, poète encorsans voix pour ma pensée, 6+6 a
Je m'instruis à ton chantdans l'art sacré des vers. 6+6 b
Sous les hautes forêts,près des flots, sur les cimes, 6+6 a
90 J'erre, songeur éprisdes couleurs et des sons ; 6+6 b
Au lieu de fleurs, je vaiscueillant partout des rimes, 6+6 a
Dont un jour j'orneraimes sereines chansons. 6+6 b
Alors, ô barde ami !ma voix, humble rivale, 6+6 a
Pour dire aussi mon îleà ta voix s'unira ; 6+6 b
95 Et, lorsqu'ils te louerontsur la terre natale, 6+6 a
De moi peut-être alorsquelqu'un se souviendra. 6+6 b
Les Travailleurs
Mais entends-tu la clocheaux lointaines volées ? 6+6 a
Sous la main du planteurelle annonce le jour. 6+6 b
Sa voix lente, roulantdans le creux des vallées, 6+6 a
100 Remonte, appelant l'hommeaux travaux du labour. 6+6 b
Les Noirs, à son appel,quittent les toits de chaume, 6+6 a
Secouant à leurs frontsun reste de sommeil. 6+6 b
Le firmament souritet la savane embaume ; 6+6 a
Mais pour l'esclave est-ildes fleurs et du soleil ? 6+6 b
105 Ils viennent ; on les compte,et le Mtre gourmande ; 6+6 a
La glèbe aride attendleurs fécondes sueurs. 6+6 b
Ils s'éloignent, suivisdu Chef qui les commande, 6+6 a
Et la plaine a reçul'essaim des travailleurs. 6+6 b
Vois-tu ce Commandeur,hélas ! comme eux esclave, 6+6 a
110 Du fouet armé, deboutsous l'arbre du chemin ? 6+6 b
Un chien est à ses pieds ;lui, sur un bloc de lave, 6+6 a
Il surveille pensifson noir bétail humain. 6+6 b
Le fer creuse et gémit ;la bande aux bras d'athlètes, 6+6 a
Fouille le sol brûlantsous l'astre ardent et clair ; 6+6 b
115 Parmi les blonds roseauxluisent les noires têtes ; 6+6 a
L'oiseau libre et joyeuxpasse en chantant dans l'air ! 6+6 b
O dure servitude !ô sort ! ô lois cruelles ! 6+6 a
Au joug de l'homme ainsil'homme se voit plier ! 6+6 b
Ah ! loin de ces tableauxnavrants ouvrons nos ailes ! 6+6 a
120 Fuyons, doux bengali,fuyons pour oublier ! 6+6 b
L'Heure De Midi
Évoquons des penserset des tableaux moins sombres. 6+6 a
Dans les ravins dortun silence attiédi, 6+6 b
Au bord des étangs clairsvoilés de hautes ombres, 6+6 a
Ensemble abritons-nousdes ardeurs de midi. 6+6 b
125 Midi ! l'heure de feu !l'heure à la rouge haleine ! 6+6 a
Sur les champs embraséspèse un air étouffant : 6+6 b
Le soleil darde à picses flammes sur la plaine ; 6+6 a
Le ciel brûle implacableet la terre se fend. 6+6 b
La nature n'a plusni brises, ni murmures ; 6+6 a
130 Le flot tarit ; dans l'herbeon n'entend rien frémir ; 6+6 b
Les pics ardents, les boisaux muettes ramures, 6+6 a
D'un morne et lourd sommeiltout semble au loin dormir. 6+6 b
L'immobile palmierdes savanes brûlantes, 6+6 a
Abritant les troupeauxde ses rameaux penchés, 6+6 b
135 Courbe languissammentses palmes indolentes 6+6 a
Sur les bœufs ruminantsdans son ombre couchés. 6+6 b
C'est l'heure dans la sourceà la vte pierreuse 6+6 a
Le chasseur, fils des monts,plonge ses pieds nerveux ; 6+6 b
C'est l'heure le ramierde la forêt ombreuse 6+6 a
140 Trempe son bleu plumageaux eaux des bassins bleus. 6+6 b
Comme eux, tandis qu'au loinla glèbe s'ouvre et fume, 6+6 a
Parmi les nymphéas,dans ce lac argenté, 6+6 b
Baigne, ô doux bengali !baigne ta molle plume, 6+6 a
Ta plume au duvet rougeet de blanc moucheté. 6+6 b
La Dumas
145 Mais j'entends la Dumasqui passe et nous appelle. 6+6 a
Viens dans ses flots puissantsavec moi te jeter. 6+6 b
Hardis nageurs, bercéspar l'onde maternelle, 6+6 a
Mollement vers la merlaissons-nous emporter. 6+6 b
Devant nous, et longeantles vagues diaphanes, 6+6 a
150 La rive marche avecses groupes de pêcheurs, 6+6 b
Ses laveuses, ses rocs,ses remparts de lianes 6+6 a
Laissant trner sur l'eaules grappes de leurs fleurs. 6+6 b
Site agreste et mouvant,ondoyant paysage ! 6+6 a
Là, c'est la sucrerieassise au bord des eaux ; 6+6 b
155 Là, sur le pic ardupt la chèvre sauvage ; 6+6 a
Là, s'abreuve au courantla vache aux blonds naseaux. 6+6 b
Plus loin, d'enfants bergersc'est un couple tranquille, 6+6 a
Causant sous le rochervoilé de vétiver, 6+6 b
Comme autrefois causaientles pasteurs de Sicile, 6+6 a
160 A leurs pieds les troupeauxet devant eux la mer. 6+6 b
La Mer
La mer ! voici la merdevant moi, grande ouverte ! 6+6 a
L'onde écume et blanchitles rochers dentelés ; 6+6 b
Le fleuve roule, et moi,loin de la plage verte, 6+6 a
Je roule avec le fleuveau sein des flots salés, 6+6 b
165 Et la vague en ses brasm'accueille et me soulève, 6+6 a
Et l'onde sur son seinme berce, heureux enfant ! 6+6 b
Et la houle puissante,au large et vers la grève, 6+6 a
Dans ses longs plis d'azurm'emporte triomphant. 6+6 b
O joute de l'enfanceavec l'onde marine ! 6+6 a
170 O mes bonds sur la vagueau poitrail écumant ! 6+6 b
O bonheur de sentirsous ma jeune poitrine 6+6 a
Le sein des eaux s'enfleret battre largement ! 6+6 b
O mer ! le temps n'est plus sur ta croupe altière, 6+6 a
Enfant, tu m'emportaiscomme un coursier fougueux ; 6+6 b
175 mes mains caressaientta fumante crinière, 6+6 a
ta brillante écumeargentait mes cheveux. 6+6 b
Ce temps n'est plus. J'ai fuiles plages maternelles : 6+6 a
Sur leurs galets déserts,le soir, seul et songeur, 6+6 b
Je n'entends plus roulerces plaintes solennelles 6+6 a
180 Qui me grandissaient l'âmeet me haussaient le cœur. 6+6 b
J'ai vu sous d'autres cieux,insondable et sans bornes, 6+6 a
Se perdre devant moiton flot illimité ; 6+6 b
J'ai vu sous d'autres cieuxtes solitudes mornes 6+6 a
Emplir de leurs désertsla bleue immensité. 6+6 b
185 Miroir de l'Infini !trône de l'Invisible ! 6+6 a
Immaculable abîme dort l'éternité ! 6+6 b
Sous tous les horizons,orageuse ou paisible, 6+6 a
J'ai, voyageur pieux,contemplé ta beauté. 6+6 b
Au cap d'Adamastor rugit la tourmente, 6+6 a
190 Sous la zone torride,aux bords de l'Équateur, 6+6 b
Partout ! sur ta poitrineirritée ou dormante, 6+6 a
Comme un fils de tes flancs,j'ai reposé sans peur. 6+6 b
Sans peur ! car ma jeunesse,entre tes bras bercée, 6+6 a
Vieil Océan ! t'aimaitcomme un auguste ami ; 6+6 b
195 Car sur ta grève aridea fleuri ma pensée ; 6+6 a
Car à tes bruits sacrésmon enfance a dormi. 6+6 b
Grandissant en plein cielsur tes libres rivages, 6+6 a
Toi que l'homme jamaisn'a souillé ni dompté, 6+6 b
Tu trempas mes instinctsdans tes humeurs sauvages, 6+6 a
200 Tu marquas mon espritdu sceau de ta fierté ! 6+6 b
Il est sur les hauteurs,il est un charme austère ; 6+6 a
Notre âme et la naturey mêlent leurs accords. 6+6 b
Ce sympathique échangeentre l'homme et la terre, 6+6 a
Sombre Océan ! mon cœurl'a connu sur tes bords. 6+6 b
205 Que de fois sur ces capsqui longent tes abîmes, 6+6 a
Ces caps d' j'écoutaisse lamenter les flots, 6+6 b
Buvant dans l'air des nuitstes tristesses sublimes, 6+6 a
Que de fois j'ai mêlémes pleurs à tes sanglots ! 6+6 b
Que de fois, le cœur pleind'indicibles malaises, 6+6 a
210 Par nos beaux soirs de luneet de calme enchanté, 6+6 b
Te contemplant du hautdes tranquilles falaises, 6+6 a
J'ai retrouvé la paixdans ta sérénité ! 6+6 b
Et plus-tard, quand la Museet l'âge aux nobles rêves 6+6 a
Et l'Infini grondaientdans mon sein douloureux, 6+6 b
215 C'est toi qui m'enseignasaux rumeurs de tes grèves 6+6 a
L'amour des larges verset des rythmes nombreux. 6+6 b
Et, depuis, j'ai montéla vie aux rudes cimes : 6+6 a
Plus d'un sol a rougisous mes pieds déchirés, 6+6 b
Et dans l'homme, à mon tour,j'ai trouvé des abîmes 6+6 a
220 Plus amers que tes flotset plus désespérés ! 6+6 b
Ah ! puisque tous les cieuxrecèlent des orages, 6+6 a
Puisque la terre, et l'homme,et l'espoir, tout nous ment, 6+6 b
Puisque la même angoisseet les mêmes naufrages 6+6 a
Nous attendent sur l'unou sur l'autre élément ; 6+6 b
225 Puisque tout est mystèreet misère en nos âmes, 6+6 a
Puisqu'en nul lieu ne brilleun permanent soleil, 6+6 b
Océan ! que ne puis-je,au long bruit de tes lames, 6+6 a
M'oublier et dormirmon suprême sommeil ! 6+6 b
Je ne veux point dormirsur la terre étrangère, 6+6 a
230 Sur la terre du nordje ne veux point mourir ! 6+6 b
J'aurais froid sous un solsans flamme et sans lumière, 6+6 a
Mes yeux veulent se clore Dieu les fit s'ouvrir ! 6+6 b
Au pied du cap Bernard,frais paradis des tombes, 6+6 a
Il est un cimetière, sous les filaos, 6+6 b
235 L'oiseau blanc des récifs,les mauves, les palombes, 6+6 a
Mêlent leur voix plaintiveaux plaintes de tes flots ; 6+6 b
C'est là. — Sous ce cap morne vient gémir ton onde, 6+6 a
Puissé-je un jour trouverle repos souhaité ! 6+6 b
Puissé-je, ombre bercéeà ta rumeur profonde, 6+6 a
240 T'entendre encor du fondde mon éternité ! 6+6 b
Le Crépuscule
Mais pourquoi devancerl'heure des glas funèbres ? 6+6 a
En attendant la mortn'avons-nous pas l'oubli ? 6+6 b
Bénissons nos soleilsmême au sein des ténèbres ! 6+6 a
Chantons pour oublier,chantons, doux bengali ! 6+6 b
245 Voici des soirs pourprésl'heure calme et sereine. 6+6 a
Au sein des mers, lasséd'un radieux essor, 6+6 b
L'astre du jour s'abaisseet lentement ramène 6+6 a
Sa paupière d'azursur sa prunelle d'or. 6+6 b
Voici l'heure , semantdans l'air ses violettes, 6+6 a
250 Le crépuscule passeau front des pics altiers. 6+6 b
Le chasseur des grands bois,le pêcheur des îlettes, 6+6 a
De leur chaume à pas lentsreprennent les sentiers. 6+6 b
De bleuâtres vapeursondulent par les plaines. 6+6 a
Les mille bruits du jours'éteignent sous les cieux. 6+6 b
255 Les abeillesL'abeille, les oiseaux,les mouches, les phalènes, 6+6 a
Dans les buissons muetsdorment silencieux. 6+6 b
Déjà sous la roséeet les brises nocturnes 6+6 a
Les mimosas frileuxpenchent leurs rameaux noirs ; 6+6 b
Mais la belle-de-nuitlève ses frches urnes 6+6 a
260 se pose et frémitle papillon des soirs. 6+6 b
La cloche du planteurvibre sur les savanes, 6+6 a
Sa voix jusqu'à la mersonne la fin du jour. 6+6 b
Au fond des chemins creux,le long des champs de cannes, 6+6 a
Nègres et bœufs, là-bas,reviennent du labour. 6+6 b
265 De son seuil, comme au tempsdu patriarche antique, 6+6 a
Le colon voit rentrerses Noirs et ses troupeaux ; 6+6 b
L'appel du soir se fait,et dans le camp rustique 6+6 a
Bientôt tout est silence,obscurité, repos. 6+6 b
La Nuit
Nuit bienfaisante, ô Nuit !mère des molles trêves, 6+6 a
270 Sur ces fronts épuisésde peine et de labeurs 6+6 b
Verse, avec le sommeil,les brises et les rêves, 6+6 a
Verse l'oubli sacrédes terrestres douleurs ! 6+6 b
Et tout dort, et partoutl'ombre épaissit ses voiles. 6+6 a
Seule, aux feux dont le cielemplit ses bleus déserts, 6+6 b
275 La blanche Rêverie,amante des étoiles, 6+6 a
Seule médite et veille,assise au bord des mers. 6+6 b
De la plage, en mourant,l'onde argente les sables. 6+6 a
Au large, balancésau lent roulis des eaux, 6+6 b
Les navires du port,ondulant sur leurs câbles, 6+6 a
280 Se bercent endormiscomme de grands oiseaux. 6+6 b
Dans le vide étoiléla montagne aux trois cimes 6+6 a
Plonge, sombres et fiers,ses cônes sourcilleux, 6+6 b
Et, coupant l'horizonde ses lignes sublimes, 6+6 a
Montre son noir profilsur le fond bleu des cieux. 6+6 b
La Lune
285 Mais l'orient s'emplitd'une clarté nouvelle : 6+6 a
Âme aux ailes d'opale,âme aux grands yeux rêveurs, 6+6 b
Du sein moiré des flots,la lune lente et belle 6+6 a
Sort, inondant la nuitde divines blancheurs. 6+6 b
Sur la brune falaise la vague déferle, 6+6 a
290 Sur les ombreux vallons,sur les caps veloutés, 6+6 b
Flotte en nappe d'argentsa lumière de perle : 6+6 a
Les eaux, les bois, les monts,ruissellent de clartés. 6+6 b
Elle monte, et des airs son vol se balance, 6+6 a
Son long regard, planantsur un monde endormi, 6+6 b
295 Des profondes forêtsblanchit le vert silence : 6+6 a
L'oiseau trompé s'éveilleet gazouille à demi. 6+6 b
Dormez, heureux oiseaux !le jour est loin encore ; 6+6 a
Attendez pour chanterque l'aube soit au ciel. 6+6 b
Vos ramages joyeux,gardez-les pour l'aurore ; 6+6 a
300 Ne troublez point des nuitsle calme solennel. 6+6 b
Quelle voix cependants'élève des collines ? 6+6 a
Est-ce un soupir de l'homme ?est-ce un soupir des flots ? 6+6 b
Il semble qu'en passantla brise des ravines 6+6 a
Avec l'odeur des boism'apporte des sanglots. 6+6 b
305 Pauvre esclave, c'est toi !Tout repose, et tu veilles : 6+6 a
La terre en vain sourità son astre enchanté, 6+6 b
Que t'importent des nuitsles tranquilles merveilles ! 6+6 a
Les nuits, pour toi, les jours,ont perdu leur beauté. 6+6 b
Debout sous le palmierdont l'ombre à ses pieds trne, 6+6 a
310 Là-bas, le voyez-vous,pensif, les yeux baissés ? 6+6 b
La lune brille en pleinsur sa tête d'ébène : 6+6 a
L'esprit des souvenirspleure dans ses pensers. 6+6 b
Aux rêveuses lueursqui tombent des cieux calmes, 6+6 a
Les chères visionsd'un passé regretté 6+6 b
315 S'éveillent : il revoitsur la terre des palmes 6+6 a
La cabane jouaitsa jeune liberté. 6+6 b
Devant ces frais tableauxsi purs dans l'esclavage, 6+6 a
Son cœur s'ouvre : au silenceil conte ses douleurs, 6+6 b
Et si triste est sa plainteen sa douceur sauvage, 6+6 a
320 Que l'ange de la nuitl'écoute avec des pleurs. 6+6 b
Chante et pleure à l'écart,pauvre enfant de l'Afrique ! 6+6 a
Ton chant, c'est ta prière ;exilé sur ces bords, 6+6 b
Fais monter jusqu'à Dieuta voix mélancolique : 6+6 a
Tout un monde enchnégémit dans tes accords. 6+6 b
325 Et nous, doux bengali,pour ce Noir, notre frère, 6+6 a
Chantons aussi ! Chanter,poète, c'est prier. 6+6 b
De ce nouveau Josephparlons au commun Père. 6+6 a
Prions, ô bengali !prions pour oublier ! 6+6 b
La Prière
O Père universelqui régnez sur les mondes, 6+6 a
330 Roi de l'immensité,mtre de l'infini, 6+6 b
Par l'espace et les temps,les airs, les feux, les ondes, 6+6 a
Père ! que votre nomà jamais soit béni. 6+6 b
Comme aux plages du ciel,que sur l'humaine rive 6+6 a
Chaque être veuille au gréde votre volonté ! 6+6 b
335 Sur cette terre en pleursque votre règne arrive, 6+6 a
Le règne de l'amouret de la liberté ! 6+6 b
Assez longtemps, Seigneur,l'esclavage et la haine 6+6 a
Ont divisé ce mondeet déchiré nos cœurs. 6+6 b
Qu'à votre souffle ardentse fonde enfin la chne 6+6 a
340 , rivés aux vaincus,gémissent les vainqueurs ! 6+6 b
Assez longtemps Caïnet sa lignée injuste 6+6 a
En opprimant la terreont fait douter du ciel : 6+6 b
Contre l'arbre homicideayez soin de l'arbuste ! 6+6 a
Seigneur, prenez pitiéde la race d'Abel ! 6+6 b
345 Ce que j'implore, ô Dieu !ce n'est point ta vengeance. 6+6 a
J'ai vécu : mon espritest pur d'inimitié. 6+6 b
Pour l'homme et sa misèreet ma propre indigence, 6+6 a
Je n'ai plus rien au cœurqu'une immense pitié. 6+6 b
Il fut un âge , pleinde juvéniles fièvres, 6+6 a
350 Devant le crime heureuxmon esprit s'irritait ; 6+6 b
, l'indignationbrûlant mes jeunes lèvres, 6+6 a
Vers toi de ma poitrineun hymne ardent montait. 6+6 b
Hélas ! c'est que j'entraisà peine dans la vie : 6+6 a
De justice altéré,dans le bien ayant foi, 6+6 b
355 Âme aspirant toujours,toujours inassouvie, 6+6 a
Je voulais l'idéalqui gémissait en moi ; 6+6 b
C'est que, des jours faisantle dur apprentissage, 6+6 a
Des êtres les plus chersfrappé sur mon chemin, 6+6 b
Je sentais l'amitié,fragile appui du sage, 6+6 a
360 Se brisant sous mes doigts,m'ensanglanter la main ; 6+6 b
C'est que, partout blessédans mes rêves austères, 6+6 a
Devant le fait brutal,mon regard consterné 6+6 b
Voyait, agenouillés,tes prêtres adultères 6+6 a
Trahir ta cause aux piedsde Satan couronné ; 6+6 b
365 C'est qu'au sang des martyrstrempant leurs mains cruelles, 6+6 a
Je voyais les bourreauxrailler les dévments, 6+6 b
Et que, perdue enfindans ses doutes rebelles, 6+6 a
Mon âme errait en proieaux épouvantements ! 6+6 b
Des lamentables faitsinterrogeant les causes, 6+6 a
370 C'est alors que, sondantton insondable loi, 6+6 b
Suprême Ordonnateurdes esprits et des choses, 6+6 a
Du mal que je voyaisje n'accusais que toi ; 6+6 b
C'est alors que, s'ouvrantau désespoir farouche, 6+6 a
Ma lèvre a blasphémémes espoirs avortés, 6+6 b
375 Et qu'au vent de l'orgueilqui soufflait sur ma bouche, 6+6 a
De mon sein a jaillil'hymne des révoltés ; 6+6 b
C'est alors qu'aveuglésur mes propres souillures, 6+6 a
Maudissant le spectacleà mes regards offert, 6+6 b
Ma voix… — Oublie, ô Dieu !ce cri de mes blessures : 6+6 a
380 Je ne veux plus haïrceux par qui j'ai souffert ! 6+6 b
J'abjure devant toil'orgueil de mes colères ! 6+6 a
L'exemple du pardonsur la croix fut donné. 6+6 b
Dans mes pleurs repentantsj'ai lavé mes misères : 6+6 a
Pardonnez-nous, Seigneur !Nous avons pardonné. 6+6 b
385 Du fond de ma tristesseet de mes solitudes, 6+6 a
De mes besoins vers vousla voix se tourne enfin : 6+6 b
Je vous demande, avecle pain des fortitudes, 6+6 a
Ce pain quotidiendont notre corps a faim. 6+6 b
Comme à l'herbe des champs,comme à la fleur brisée, 6+6 a
390 Votre main, chaque soir,verse la goutte d'eau, 6+6 b
Dieu de force ! épanchezdans notre âme épuisée 6+6 a
Ce qu'il lui faut d'espoirpour porter son fardeau. 6+6 b
De ce monde de troubleet de lutte et de chne, 6+6 a
Depuis longtemps mes yeuxse détournent lassés. 6+6 b
395 Laissez-moi m'envolervers l'étoile prochaine ! 6+6 a
D'un jour plus pur, Seigneur,baignez mes yeux blessés. 6+6 b
Mais s'il faut ici-baspoursuivre mon épreuve, 6+6 a
Retremper mon espritau creuset des douleurs 6+6 b
Et, vidant jusqu'au fondla coupe je m'abreuve, 6+6 a
400 Vivre pour mériter,Seigneur, de vivre ailleurs ; 6+6 b
Que tes ailes du moins,invisibles égides, 6+6 a
Dans les assauts du douteabritent ma raison ! 6+6 b
Maintiens-moi calme et fermeen mes espoirs rigides ! 6+6 a
Dans ma nuit, montre-moiton astre à l'horizon ! 6+6 b
405 Que dans un siècle en proieaux basses frénésies, 6+6 a
L'amour du juste soitma seule passion ! 6+6 b
Que le succès du lâcheet ses apostasies 6+6 a
Ne soient point pour mon âmeune tentation ! 6+6 b
Que le Protée impur,ce digne roi d'un monde 6+6 a
410 le droit n'est qu'un mot, la force est la loi, 6+6 b
Que le fait triomphant,ce tentateur immonde, 6+6 a
Dans l'absolu du bienn'ébranle point ma foi ! 6+6 b
Confessant l'avenirdu sein de nos défaites, 6+6 a
Que je vive demaintel qu'hier je vécus ! 6+6 b
415 Fidèle au sang versépar les martyrs-prophètes, 6+6 a
Que mon esprit toujoursreste avec tes vaincus ! 6+6 b
Mais sous l'onde acharnée, troublé, je m'affaisse, 6+6 a
Si tu vois s'abîmerl'homme et son idéal, 6+6 b
Rappelle-toi, Seigneur,ce cri de ma faiblesse, 6+6 a
420 Le cri des humbles cœurs :« Délivrez-nous du Mal ! » 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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