Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
JUR_1/JUR1
corpus Pamela Puntel
Jules-F.-U. JURGENSEN
PENDANT LA GUERRE
1871
LE SOIR DU COMBAT
I
La bataille a duré | tout le jour, et la nuit 6+6 a
Qui surprend les soldats, n’y met pas encore terme ; 13 b
Le soleil a baissé | vers l’horizon qu’il fuit, 6+6 a
Mais là brûle un château, | plus près flambe une ferme, 6+6 b
5 Et ce double foyer, | sinistre et vacillant, 6+6 a
Éclaire le fiévreux, | épique, horrible, 6+4 b
Qu’un démon satisfait, | dans l’ombre grandissant, 6+6 a
Semble animer du geste | et d’un regard terrible ! 6+6 b
Un village est perdu, | repris, encor perdu. 6+6 a
10 On se bat dans ‘église | dans le cimetière : 6−6 b
A l’appel des clairons | chacun a répondu. 6+6 a
Les corps tombés, hélas ! | sont comme une litière 6+6 b
Où d’autres combattants | pourront dormir bientôt. 6+6 a
On frappe, on hâche, on tue | aveuglément, sans trêve ; 6+6 b
15 C’est parfois la débâcle | et puis reprend l’assaut ; 6+6 a
Les boulets sont vainqueurs, | le coup de crosse achève. 6+6 b
Mais pourtant épuisé, | décimé, plein d’horreur, 6+6 a
L’ennemi ralentit | ses coups et sa poursuite ; 6+6 b
La lassitude, infirm | surmonte la fureur 6+6 a
20 Et l’on dit un des deux | états.majors en fuite. 6+6 b
Écoutez le galop | des escadrons pressés ; 6+6 a
Le canon tonne au loin. | Quelle nuit d’épouvante ! 6+6 b
Dans les bois les oiseaux, | par la peur oppressés, 6+6 a
S’interrogent, blottis, | d’une voix murmurante. 6+6 b
25 Le vent redouble et pleure | avec de sourds accords, 6+6 a
Il gémit sur les maux | qu’il côtoie en voyage, 6+6 b
Et proteste en passant, | chœur irrité des morts, 6+6 a
Contre ce rang versé, | ces forfaits, ce carnage. 6+6 b
Un clame solennel | envahit le plateau 6+6 a
30 Et, n’était par instants | d’un mutilé la plainte, 6+6 b
On se croirait au sein | d’un immense tombeau. 6+6 a
Entendez-vous, là-bas, | cette cloche qui tinte ? 6+6 b
C’est le tocsin qu’on sonne | un peu plus loin. O Ciel ! 6+6 a
Toujours du sang, du sang, | des larmes, des ruines ! 6+6 b
35 Dans le cœur des puissants | entre-t-il tant de fiel 6+6 a
Qu’il faille à leur orgueil | immoler les chaumines ? 6+6 b
II
Mais un convoi s’avance | à travers le pays. 6+6 a
Des hommes, des fourgons | s’agitent dans la brume : 6+6 b
On les voit se mouvoir | derrière les taillis, 6+6 a
40 Aux flammes des tisons | que l’ouragan rallume. 6+6 b
Ils s’approchent pourtant, | Ce sont les médecins, 6+6 a
Les infirmiers, un prêtre | et des porteurs de tentes. 6+6 b
Plus loin voici venir | les vivres et les vins, 6+6 a
Puis des femmes encore, | inquiètes, tremblantes, 6+6 b
45 Que guide au champ de mort | la lueur des flambeaux. 6+6 a
Les blessés que torture | une soif dévorante 6+6 b
Se soulèvent alors | pour sortir des tombeaux. 6+6 a
Ils demandent secours | d’une voix déchirante : 6+6 b
« A nous ! » — « Venez à moi ! | » — « J’ai soif ! » — « Ah ! je me meurs ! » 6+6 a
50 « De l’eau ! » Je n’y vois plus… | sur l’herbe mon sang coule ! » 6+6 b
« Oh ! ma mère ! » — «Mon fils ! | » — « Mon épouse ! » — « Mes sœurs ! » 6+6 a
« Adieu ! » — « Moi je veux vivre | et l’heure qui s’écoule 6+6 b
Sans qu’on vienne à mon aide | aura raison de moi !! » 6+6 a
Et d’appels, de sanglots, | de cris et de prières 6+6 b
55 Le tumulte oppressant | glace les cœurs d’effroi. 6+6 a
On s’empresse, on accourt ; | cet amas de misères 6+6 b
Donne aux indifférents | des ailes et du cœur ; 6+6 a
Des abris sont dressés, | on emplit les voitures, 6+6 b
On lutte avec le mal | et contre la douleur. 6+6 a
60 La charité proteste, | élevant ses mains pures 6+6 b
Au-dessus des mourants, | et leur parle d’espoir. 6+6 a
Allemands et Français | sont couchés pêle-mêle. 6+6 b
Innocents, ils sont là, | ces enfants du devoir, 6+6 a
A l’honneur du drapeau | faisant garde fidèle. 6+6 b
III
65 Deux mères dans la plaine, | à pas précipités, 6+6 a
Cherchent leurs fils, hélas ! | que la loi de la guerre 6+6 b
Ravit à leur amour, | qu’elle a tous deux jetés 6+6 a
En des camps opposés | sur cette froide terre. 6+6 b
L’une dit : «Mon village | est, Messieurs, près d’ici. 6+6 a
70 Quand le garçon partit, | aux beaux jours de l’année, 6+6 b
J’avais le cœur bien triste | et tout plein de souci. 6+6 a
Il ne me restait plus | que sa sœur, son aînée, 6+6 b
Et je suis pauvre. Enfin | quand le tambour 6+4 a
Annonça qu’il fallait | vite entrer en campagne, 6+6 b
75 Je me dis : Ah ! pourquoi | n’est-il pas de retour ? 6+6 a
Que m’importent, à moi, | Bismarck et rois d’Espagne !… 6+6 b
Il écrivait alors… | il était plein d’espoir : 6+6 a
« — Ne t’inquiète pas. | Je serai capitaine ! 6+6 b
« Tu me verras entrer | dans ta chambre, un beau soir, 6+6 a
80 « Non plus en paysan, | en habits de milaine, 6+6 b
« Mais brillant officier | avec la croix d’honneur 6+6 a
« Et l’épaulette d’or ! | Va ! ne crains rien, ma mère, 6+6 b
« Dieu protège la France | et nous avons du cœur. 6+6 a
« Pendant qu’on se battra, | prie, attends, crois, espère ! » 6+6 b
85 « Voici le soir venu… | tantôt son régiment, 6+6 a
Diminué du tiers, | a passé. — « Camarades ! 6+6 b
« Mon fils n’était-il pas | avec vous ? » Oh ! tourment ! 6+6 a
« — Non, mère, il est resté… | » — « Mort ? » — « Parmi les malades… » 6+6 b
« Mais ils ont dit cela | d’un ton qui m’a fait peur 6+6 a
90 Et je viens… Le voici ! | Quoi ! C’est lui que je trouve 6+6 b
En cet état, grand Dieu ! | Vous n’avez point de cœur ! 6+6 a
Brigands ! oh ! je vous hais ! |…» Et, pareille à la louve 6+6 b
Qui défend son petit | contre un chien enragé, 6+6 a
Elle prend de son fils | la tête inanimée… 6+6 b
95 « Oui, c’est lui ! C’est bien lui ! | Comme ils l’ont arrangé ! 6+6 a
Viens dans mes bras, Charlot ! | De douleur abîmée, 6+6 b
Comme toi, je voudrais | mourir en cet instant. 6+6 a
Tes beaux cheveux sont pleins | de sang et de poussière, 6+6 b
Tes cheveux que j’ai tant | soignés, alors qu’enfant 6+6 a
100 Tu faisais le bonheur | de la famille entière… 6+6 b
Ils étaient blonds, bouclés… et maintenant ils sont noirs… 13 a
Chacun te trouvait beau, | les mamans et les filles ; 6+6 b
Ta sœur me le disait, | en cousant, tous les soirs… 6+6 a
J’aime mieux te voir mort | que marchant en béquilles, 6+6 b
105 Et, puisque la patrie | est perdue à toujours, 6+6 a
Nous pleurerons sur toi, | nous pleurerons sur elle… » 6+6 b
« — Femme ! Ayez bon courage, | et dans les sombres jours 6+6 a
Pensez à l’avenir | de notre âme immortelle, » 6+6 b
Lui dit en l’embrassant | la Sœur de Charité 6+6 a
110 Qui pour la soutenir | l’avait de près suivie 6+6 b
Et depuis un moment | priait à son coté. 6+6 a
« — Voyez, vers ce canon, | d’horreur évanouie, 6+6 b
Cette mère allemande | et son fils qui n’est plus : 6+6 a
Elle aussi, comme vous, | mais de bien loin, sans doute, 6+6 b
115 Veuve et seule avec lui | (que d’efforts superflus !) 6+6 a
L’accompagna sans pleurs | jusqu’au bout de la route. 6+6 b
Elle vient de Bavière, | et chez nous, ce matin, 6+6 a
Sachant qu’au nom de Christ | notre porte est ouverte, 6+6 b
Fatiguée et craintive | elle tendit la main. 6+6 a
120 Pour elle aussi, ma sœur, | la maison est déserte 6+6 b
Désormais. Aimez-là. | Pitié pour son malheur ! 6+6 a
Vos enfants ont lutté | ce soir l’un contre l’autre 6+6 b
Sans s’être jamais vus, | sans haine dans le cœur… 6+6 a
Bannissez le courroux | qui semble emplir le vôtre. 6+6 b
125 Ces deux chrétiens, ensemble, | ont monté vers le ciel. 6+6 a
Souvenez-vous, ma sœur, | des larmes de Marie… 6+6 b
On n’est jamais vaincu | lorsqu’on est immortel. 6+6 a
Dieu parle, Dieu sourit | à la mère qui prie… » 6+6 b
IV
Quand la pauvre étrangère | au sentiment revint, 6+6 a
130 Que son œil se rouvrit | à la clarté douteuse, 6+6 b
La Française en ses bras | doucement la soutint, 6+6 a
Malheureuse elle dit | à l’autre malheureuse : 6+6 b
« — Madame, je suis veuve | et je n’ai plusse fils… 6+6 a
Pleurons d’un même cœur | notre perte cruelle. » 6+6 b
135 A ces mots, leurs chagrins | parurent adoucis, 6+6 a
La fraternité vint | les couvrir de son aile. 6+6 b
« Fossoyeur, fais ton œuvre | et descends ces soldats 6+6 a
Dans leur dernier logis. | Malgré les uniformes, 6+6 b
Ils sont frères là-haut. | Pour eux plus de combats ! 6+6 a
140 Ils ont fui le séjour | de nos haines difformes, » 6+6 b
Dit la religieuse — | et l’on vit les trois femmes 6+6 a
Bien avant dans la nuit | demeurer à genoux. 6+6 b
Leurs pensers s’envolaient | au blanc pays des âmes… 6+6 a
Quand donc, ange de paix, descendras-t vers nous ? !!!… 11 b
mètre profils métriques : 6÷6, 13, 6+4, (11)
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