Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
HUG_9/HUG771
Victor HUGO
L'année terrible
1872
JUILLET
IX
LES PAMPHLÉTAIRES D'ÉGLISE
Ils nous apportent Dieu | dans une diatribe. 6+6 a
Ils sont le prêtre, ils sont | le reître, ils sont le scribe. 6+6 a
Regardez écumer | leur prose de bedeau. 6+6 b
Chacun d'eux mêle un cri | d'orfraie à son credo, 6+6 b
5 Souligne avec l'estoc | sa prière, et ponctue 6+6 a
Ses oremus avec | une balle qui tue. 6+6 a
Voyez, leur chair est faible | et leur esprit est prompt. 6+6 b
Ils jettent au hasard | et devant eux l'affront 6+6 b
Comme le goupillon | jette de l'eau bénite. 6+6 a
10 La faulx sombre à leur gré | ne va pas assez vite ; 6+6 a
On les entend crier | au bourreau : Fainéant ! 6+6 b
La mort leur semble avoir | besoin d'un suppléant. 6+6 b
Ne pourrait-on trouver | quelqu'un qui ressuscite 6+6 a
Besme et fasse sortir | Laffemas du Cocyte ? 6+6 a
15 Où donc est Trestaillon, | instrumentum regni ? 6+6 b
Où sont les bons chrétiens | qui hachaient Coligny ? 6+6 b
Puisque décidément | quatre-vingt-neuf abuse 6+6 a
Rendez-nous le roi Charle | avec son arquebuse, 6+6 a
Et Montrevel, le fauve | et rude compagnon. 6+6 b
20 Où sont les portefaix | utiles d'Avignon 6+6 b
Qui traînaient Brune mort | le long du quai du Rhône ? 6+6 a
Où sont ces grands bouchers | de l'autel et du trône, 6+6 a
Dont le front au soleil | des Cévennes suait, 6+6 b
Que conduisait Bâville | et qu'aimait Bossuet ? 6+6 b
25 Certe, on fait ce qu'on peut | avec les mitrailleuses, 6+6 a
Mais le bourgeois incline | aux douceurs périlleuses, 6+6 a
Il en arrive presque | à blâmer Galifet, 6+6 b
Le sang finit par faire | aux crétins de l'effet, 6+6 b
Et l'attendrissement | a gagné ce bipède. 6+6 a
30 Quel besoin on aurait | d'un président d'Oppède ! 6+6 a
Comme un Laubardemont | serait le bienvenu ! 6+6 b
L'arc-en-ciel de la paix, | c'est un grand sabre nu. 6+6 b
Sans le glaive, après tout | le meilleur somnifère, 6+6 a
Nulle société | ne se tire d'affaire, 6+6 a
35 Et c'est un dogme auquel | on doit s'habituer 6+6 b
Que, lorsqu'on sauve, il faut | commencer par tuer. 6+6 b
Donc on est écrivain | comme on est trabucaire ! 6+6 a
On se fait lieutenant | de l'empereur, vicaire 6+6 a
Du pape, et le fondé | de pouvoirs de la mort ! 6+6 b
40 On est celui qui ment, | déchire, aboie et mord ! 6+6 b
Ils viennent, louches, vils, | dévots, frapper à terre 6+6 a
Rochefort, l'archer fier, | le puissant sagittaire 6+6 a
Dont la flèche est au flanc | de l'empire abattu. 6+6 b
Tu déterres Flourens, | chacal ! qu'en feras-tu ? 6+6 b
45 Ils outragent leurs pleurs, | les veuvages, les tombes, 6+6 a
Blanchissent les corbeaux, | noircissent les colombes, 6+6 a
Lapident un berceau | que protège un linceul, 6+6 b
Blessent Dieu dans le peuple | et l'enfant dans l'aïeul, 6+6 b
Les pères dans les fils, | les hommes dans les femmes, 6+6 a
50 Et pensent qu'ils sont forts | parce qu'ils sont infâmes ! 6+6 a
Nous les voyons s'ébattre | au-dessus de Paris 6+6 b
Comme un troupeau d'oiseaux | jetant au vent des cris, 6+6 b
Ou comme ce bon vieux | télégraphe de Chappe 6+6 a
Faisant un geste obscur | dont le sens nous échappe ; 6+6 a
55 Mais nous apercevons | distinctement leur but. 6+6 b
L'opprobre que la France | et que l'Europe but, 6+6 b
Ils veulent, meurtriers, | nous le faire reboire. 6+6 a
Rome infaillible emploie | à cela son ciboire. 6+6 a
Le sanglant droit divin, | l'effrayant bon plaisir, 6+6 b
60 Le vice pour sultan, | le crime pour visir, 6+6 b
Eux ayant le festin, | le pauvre ayant les miettes, 6+6 a
L'espoir mort, la rentrée | affreuse aux oubliettes, 6+6 a
Voilà leur rêve. Il faut | pour vaincre jeter bas 6+6 b
Ce Christ, le peuple, et mettre | au pavois Barabbas, 6+6 b
65 Il faut faire de tous | et de tout table rase, 6+6 a
Il faut, si quelque front | se dresse, qu'on l'écrase, 6+6 a
Il faut que le premier | devienne le dernier, 6+6 b
Il faut jeter Voltaire | et Jean-Jacque au panier ! 6+6 b
Si Caton souffle un mot, | qu'à la barre on le cite. 6+6 a
70 Et qu'on traîne devant | monsieur Gaveau, Tacite ! 6+6 a
Il s'agit du passé | qu'on veut galvaniser ; 6+6 b
Il faut tant diffamer, | insulter, dénoncer, 6+6 b
Mentir, calomnier, | baver, hurler et mordre, 6+6 a
Que le bon goût renaisse | à côté du bon ordre ! 6+6 a
75 Et quel rire ! ô ciel noir ! | railler la France en deuil ! 6+6 b
Ils lui font de la honte | avec son vieil orgueil. 6+6 b
Ils l'accusent d'avoir | mis en liberté l'homme, 6+6 a
D'avoir fait Sparte avec | les débris de Sodome, 6+6 a
D'avoir au front du peuple | essuyé la sueur, 6+6 b
80 D'être le grand orage | et la grande lueur, 6+6 b
D'être sur l'horizon | la haute silhouette, 6+6 a
De s'être réveillée | au cri de l'alouette 6+6 a
Et d'avoir réparti | la tâche aux travailleurs ; 6+6 b
De dire à qui voit Dieu | dans Rome : il est ailleurs ; 6+6 b
85 De confronter le dogme | avec la conscience ; 6+6 a
D'avoir on ne sait quelle | auguste impatience ; 6+6 a
D'épier la blancheur | que sur nos horizons 6+6 b
Doivent faire en s'ouvrant | les portes des prisons ; 6+6 b
De nous avoir crié : | Marchez ! quand nous agîmes 6+6 a
90 Contre tous les vieux jougs | et tous les vieux régimes, 6+6 a
Et de tenir là-haut | la balance, et d'avoir 6+6 b
Dans un plateau le droit, | dans l'autre le devoir. 6+6 b
Ils lui reprochent, quoi ? | la fin des servitudes, 6+6 a
La chute du mur noir | troué par les Latudes, 6+6 a
95 Le fanal allumé | dans l'ombre où nous passions, 6+6 b
Le lever successif | des constellations, 6+6 b
Tous ces astres parus | au ciel l'un après l'autre, 6+6 a
Molière, ce moqueur | pensif comme un apôtre, 6+6 a
Pascal et Diderot, | Danton et Mirabeau ; 6+6 b
100 Ses fautes sont le Vrai, | le Bien, le Grand, le Beau ; 6+6 b
Son crime, c'est cette œuvre | étoilée et profonde, 6+6 a
La Révolution, | par qui renaît le monde, 6+6 a
Cette création | deuxième qui refait 6+6 b
L'homme après Christ, après | Cécrops, après Japhet. 6+6 b
105 Là-dessus ces gredins | font le procès en règle 6+6 a
A la patrie, à l'ange | immense aux ailes d'aigle ; 6+6 a
Elle est vaincue, elle est | sanglante ; on crie : A bas 6+6 b
Sa gloire ! à bas ses vœux, | ses travaux, ses combats ! 6+6 b
Le coupable de tous | les désastres, c'est elle ! 6+6 a
110 Et ces pieds ténébreux | marchent sur l'immortelle ; 6+6 a
Elle est perverse, absurde | et folle ! et chacun d'eux 6+6 b
Sur ce malheur sacré | crache un rire hideux. 6+6 b
Or sachez-le, vous tous, | toi vil bouffon, toi cuistre, 6+6 a
Mal parler de sa mère | est un effort sinistre, 6+6 a
115 C'est un crime essayé | qui fait frémir le ciel, 6+6 b
O monstres, c'est payer | son lait avec du fiel, 6+6 b
C'est gangrener sa plaie, | envenimer ses fièvres, 6+6 a
Et c'est le parricide, | enfin, du bout des lèvres ! 6+6 a
Mais quand donc ceux qui font | le mal seront-ils las ? 6+6 b
120 Une minute peut | blesser un siècle, hélas ! 6+6 b
Je plains ces hommes d'être | attendus par l'histoire. 6+6 a
Comme elle frémira | la grande muse noire, 6+6 a
Et comme elle sera | stupéfaite de voir 6+6 b
Qu'on cloue au pilori | ceux qui font leur devoir, 6+6 b
125 Que le peuple est toujours | pâture, proie et cible, 6+6 a
Que la tuerie en masse | est encore possible, 6+6 a
Et qu'en ce siècle, après | Locke et Voltaire, ont pu 6+6 b
Reparaître, dans l'air | tout à coup corrompu, 6+6 b
Les Fréron, les Sanchez, | les Montluc, les Tavannes, 6+6 a
130 Plus nombreux que les fleurs | dans l'herbe des savanes ! 6+6 a
Peuple, tu resteras | géant malgré ces nains. 6+6 b
France, un jour sur le Rhin | et sur les Apennins, 6+6 b
Ayant sous le sourcil | l'éclair de Prométhée, 6+6 a
Tu te redresseras, | grande ressuscitée ! 6+6 a
135 Tu surgiras ; ton front | jettera les frayeurs, 6+6 b
L'épouvante et l'aurore | à tes noirs fossoyeurs ; 6+6 b
Tu crieras : Liberté ! | Paix ! Clémence ! Espérance ! 6+6 a
Eschyle dans Athène | et Dante dans Florence 6+6 a
S'accouderont au bord | du tombeau, réveillés, 6+6 b
140 Et te regardant, fiers, | joyeux, les yeux mouillés, 6+6 b
Croiront voir l'un la Grèce | et l'autre l'Italie. 6+6 a
Tu diras : Me voici ! | j'apaise et je délie ! 6+6 a
Tous les hommes sont l'Homme ! | un seul peuple ! un seul Dieu ! 6+6 b
Ah ! par toute la terre, | ô patrie, en tout lieu, 6+6 b
145 Des mains se dresseront | vers toi ; nulle couleuvre, 6+6 a
Nulle hydre, nul démon | ne peut empêcher l'œuvre ; 6+6 a
Nous n'avons pas encor | fini d'être Français ; 6+6 b
Le monde attend la suite | et veut d'autres essais ; 6+6 b
Nous entendrons encor | des ruptures de chaînes, 6+6 a
150 Et nous verrons encor | frissonner les grands chênes ! 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
logo du CRISCO logo de l'université