Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
HUG_9/HUG760
Victor HUGO
L'année terrible
1872
JUIN
XVI
Je ne veux condamner | personne, ô sombre histoire. 6+6 a
Le vainqueur est toujours | traîné par sa victoire 6+6 a
Au-delà de son but | et de sa volonté ; 6+6 b
Guerre civile ! ô deuil ! | le vainqueur emporté 6+6 b
5 Perd pied dans son triomphe | et sombre en cette eau noire 6+6 a
Qu'on appelle succès | n'osant l'appeler gloire. 6+6 a
C'est pourquoi tous, martyrs | et bourreaux, je les plains. 6+6 c
Hélas ! malheur à ceux | qui font des orphelins ! 6+6 c
Malheur ! malheur ! malheur | à ceux qui font des veuves ! 6+6 d
10 Malheur quand le carnage | affreux rougit les fleuves, 6+6 d
Et quand, souillant leur lit | d'un flot torrentiel, 6+6 e
Le sang de l'homme coule | où coule l'eau du ciel ! 6+6 e
Devant un homme mort | un double effroi me navre. 6+6 f
J'ai pitié du tueur | autant que du cadavre. 6+6 f
15 Le mort tient le vivant | dans sa rigide main. 6+6 g
Le meurtrier prendra | n'importe quel chemin, 6+6 g
Il peut chasser ce mort, | et le chasser encore, 6+6 h
L'enfouir dans la nuit, | le noyer dans l'aurore, 6+6 h
Le jeter à la mer, | le perdre, et, plein d'ennui, 6+6 i
20 Mettre une épaisseur d'ombre | entre son crime et lui ; 6+6 i
Toujours il reverra | ce spectre insubmersible. 6+6 j
De l'arc tendu là-haut | nous sommes tous la cible ; 6+6 j
Sa flèche tour à tour | nous vise ; le vainqueur 6+6 k
L'a dans l'esprit avant | de l'avoir dans le cœur ; 6+6 k
25 Il craint l'événement | dont il est le ministre ; 6+6 l
Il sent dans le lointain | sourdre une heure sinistre ; 6+6 l
Il sent que lui non plus, | même en hâtant le pas, 6+6 m
A sa propre victoire | il n'échappera pas. 6+6 m
Un jour, à son tour, pris | par le piège des choses, 6+6 n
30 Tremblant du résultat | dont il construit les causes, 6+6 n
Il fuira, demandant | un asile, un appui, 6+6 i
Un abri. « Non ! diront | ses amis d'aujourd'hui, 6+6 i
Non ! Va-t'en ! — C'est pourquoi | je tiens ma porte ouverte. » 6+6 o
Le penseur en songeant | fait une découverte : 6+6 o
Personne n'est coupable. |
35 Un si noir dénoûment 6+6 p
Laisse au fond de son gouffre | entrevoir l'élément. 6+6 p
Le futur siècle gronde | et s'enfle en d'âpres cuves 6+6 q
Comme la lave écume | aux bouches des vésuves. 6+6 q
Qui donc dans ce chaos | travaillait ? Je ne sais. 6+6 b
40 Des foudres ont rugi, | des aigles ont passé ; 6+6 b
Tout ce que nous voyons | s'est fait entre les serres 6+6 s
Des fléaux inconnus, | hideux et nécessaires ; 6+6 s
Ils se sont rués comme | une troupe d'oiseaux ; 6+6 t
Le sang profond du cœur, | la moelle des os, 6+6 t
45 Tout l'homme a tressailli | dans l'homme, à la venue 6+6 v
Du sombre essaim des faits | nouveaux fendant la nue ; 6+6 v
Et dans l'inattendu | s'abattant sur nos fronts 6+6 w
Nous avons reconnu | le mal dont nous souffrons ; 6+6 w
Alors les appétits | des foules redoutables 6+6 x
50 Se sont mis à mugir | au fond de leurs étables, 6+6 x
Et nous avons senti | que l'appétit enfin 6+6 g
A tort s'il est l'envie | et droit s'il est la faim. 6+6 g
La lumière un moment | s'est toute évanouie. 6+6 y
Qu'est-ce que c'était donc | que cette heure inouïe ? 6+6 y
55 Là des chocs furieux, | là des venins subtils. 6+6 z
Pourquoi ces vents ont-ils | soufflé ? d'où viennent-ils ? 6+6 z
Pourquoi ces becs de flamme | écrasant ces couvées ? 6+6 a
Pourquoi ces profondeurs | brusquement soulevées ? 6+6 a
On a fait des forfaits | dont on est innocent. 6+6 p
60 Les révolutions | parfois versent le sang, 6+6 p
Et, quand leur volonté | de vaincre se déchaîne, 6+6 c
Leur formidable amour | ressemble à de la haine. 6+6 c
Maintenons, maintenons | les principes sacrés ; 6+6 d
Mais quand par l'aquilon | les cœurs sont égarés, 6+6 d
65 Quand ils soufflent sur nous | comme sur de la cendre, 6+6 e
Au fond du noir problème | il faut savoir descendre ; 6+6 e
L'homme subit, le gouffre | agit ; les ouragans 6+6 f
Sont les seuls scélérats | et sont les seuls brigands. 6+6 f
Envoyez la tempête | et la trombe à Cayenne ! 6+6 c
70 Non, notre âme n'est pas | tout à coup une hyène, 6+6 c
Non, nous ne sommes pas | brusquement des bandits ; 6+6 z
Non, je n'accuse point | l'homme faible, et je dis 6+6 z
Que la fureur du vent | fatal qui nous emmène 6+6 c
Peut t'arracher ton ancre, | ô conscience humaine ! 6+6 c
75 L'homme qu'hier la mer | sauvage secouait, 6+6 g
Répond-il de ce flot | dont il fut le jouet ? 6+6 g
Peut-il être à la fois | le vautour et la proie ? 6+6 h
Bien qu'ayant confiance | en ce qui nous foudroie, 6+6 h
Bien que pour l'inconnu | je me sente clément, 6+6 p
80 Je le dis, l'accusé | pour moi, c'est l'élément. 6+6 p
L'élément, dur moteur | que rien ne déconcerte. 6+6 o
Mais faut-il donc trembler | devant l'avenir ? Certe, 6+6 o
Il faut songer. Trembler, | non pas. Sachez ceci : 6+6 i
Ce rideau du destin | par l'énigme épaissi, 6+6 i
85 Cet océan difforme | où flotte l'âme humaine, 6+6 c
La vaste obscurité | de tout le phénomène, 6+6 c
Ce monde en mal d'enfant | ébauchant le chaos, 6+6 t
Ces idéals ayant | des profils de fléaux, 6+6 t
Ces émeutes manquant | toujours la délivrance, 6+6 i
90 Toute cette épouvante, | oui, c'est de l'espérance. 6+6 i
Le matin glacial | consterne l'horizon ; 6+6 j
Parfois le jour commence | avec un tel frisson 6+6 j
Que le soleil levant | semble une attaque obscure. 6+6 k
La branche offre la fleur | au prix de la piqûre. 6+6 k
95 Par un sentier d'angoisse | aux bleus sommets j'irai. 6+6 d
La vie ouvrant de farce | un ventre déchiré, 6+6 b
A pour commencement | une auguste souffrance. 6+6 i
L'onde de l'inconnu | n'a qu'une transparence 6+6 i
Livide, où la clarté | ne vient que par degrés ; 6+6 b
100 Ce qu'elle montre flotte | en plis démesurés. 6+6 b
La dilatation | de la forme et du nombre 6+6 m
Étonne, et c'est hideux | d'apercevoir dans l'ombre 6+6 m
Aujourd'hui ce qui doit | n'être vu que demain. 6+6 g
Demain semble infernal | tant il est surhumain. 6+6 g
105 Ce qui n'est pas encor | germe en d'obscurs repaires ; 6+6 s
Demain qui charmera | les fils, fait peur aux pères, 6+6 s
L'azur est sous la nuit | dont nous nous effrayons, 6+6 w
Et cet œuf ténébreux | est rempli de rayons. 6+6 w
Cette larve lugubre | aura plus tard des ailes. 6+6 n
110 Spectre visible au fond | des ombres éternelles, 6+6 n
Demain dans Aujourd'hui | semble un embryon noir, 6+6 o
Rampant en attendant | qu'il plane, étrange à voir, 6+6 o
Informe, aveugle, affreux ; | plus tard l'aube le change. 6+6 p
L'avenir est un monstre | avant d'être un archange. 6+6 p
mètre profil métrique : 6+6
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