Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
HUG_9/HUG714
Victor HUGO
L'année terrible
1872
JANVIER 1871
VII
LE PIGEON
Sur terre un gouffre d'ombre | énorme où rien ne luit, 6+6 a
Comme si l'on avait | versé là de la nuit, 6+6 a
Et qui semble un lac noir ; | dans le ciel un point sombre. 6+6 b
Lac étrange. Des flots, | non, mais des toits sans nombre ; 6+6 b
5 Des ponts comme à Memphis, | des tours comme à Sion ; 6+6 a
Des têtes, des regards, | des voix ; ô vision ! 6+6 a
Cette stagnation | de ténèbres murmure, 6+6 b
Et ce lac est vivant, | une enceinte le mure, 6+6 b
Et sur lui de l'abîme | on croit voir l'affreux sceau. 6+6 a
10 Le lac sombre est la ville, | et le point noir l'oiseau ; 6+6 a
Le vague alérion | vole au peuple fantôme ; 6+6 b
Et l'un vient au secours | de l'autre. C'est l'atome 6+6 b
Qui vient dans l'ombre en aide | au colosse.
L'oiseau 6+6 a
Ignare, et, doux lutteur, | à travers ce réseau 6+6 a
15 De nuée et de vent | qui flotte dans l'espace, 6+6 b
Il vole, il a son but, | il veut, il cherche, il passe, 6+6 b
Reconnaissant d'en haut | fleuves, arbres, buissons, 6+6 a
Par-dessus la rondeur | des blêmes horizons. 6+6 a
Il songe à sa femelle, | à sa douce couvée, 6+6 b
20 Au nid, à sa maison, | pas encor retrouvée, 6+6 b
Au roucoulement tendre, | au mois de mai charmant ; 6+6 a
Il vole ; et cependant, | au fond du firmament, 6+6 a
Il traîne à son insu | toute notre ombre humaine ; 6+6 b
Et tandis que l'instinct | vers son toit le ramène 6+6 b
25 Et que sa petite âme | est toute à ses amours, 6+6 a
Sous sa plume humble et frêle | il a les noirs tambours, 6+6 a
Les clairons, la mitraille | éclatant par volées, 6+6 b
La France et l'Allemagne | éperdument mêlées, 6+6 b
La bataille, l'assaut, | les vaincus, les vainqueurs, 6+6 a
30 Et le chuchotement | mystérieux des cœurs, 6+6 a
Et le vaste avenir | qui, fatal, enveloppe 6+6 b
Dans le sort de Paris | le destin de l'Europe. 6+6 b
Oh ! qu'est-ce que c'est donc | que l'Inconnu qui fait 6+6 a
Croître un germe malgré | le roc qui l'étouffait ; 6+6 a
35 Qui, tenant, maniant, | mêlant les vents, les ondes, 6+6 b
Les tonnerres, la mer | où se perdent les sondes, 6+6 b
Pour faire ce qui vit | prenant ce qui n'est plus, 6+6 a
Maître des infinis, | a tous les superflus, 6+6 a
Et qui, puisqu'il permet | la faute, la misère, 6+6 b
40 Le mal, semble parfois | manquer du nécessaire ; 6+6 b
Qui pour une hirondelle | édifie un donjon, 6+6 a
Qui pour créer un lys, | ou gonfler un bourgeon, 6+6 a
Ou pousser une feuille | à travers les écorces, 6+6 b
Prodigue l'océan | mystérieux des forces ; 6+6 b
45 Qui n'a l'air de savoir | que faire de l'amas 6+6 a
Des neiges, et de l'urne | obscure des frimas 6+6 a
Toujours prête à noyer | les cieux ; qui parfois semble, 6+6 b
Laissant dépendre tout | d'un point d'appui qui tremble, 6+6 b
D'un roseau, d'un hasard, | d'un souffle aérien, 6+6 a
50 S'épuiser en efforts | prodigieux pour rien ; 6+6 a
Qui se sert d'un titan | moins bien que d'un pygmée ; 6+6 b
Qui dépense en colère | inutile, en fumée, 6+6 b
Tous ces géants, Vésuve, | Etna, Chimborazo, 6+6 a
Et fait porter un monde | à l'aile d'un oiseau ! 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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