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HUG_8/HUG71
Victor HUGO
Odes et Ballades
1826
ODES
LIVRE CINQUIÈME
1819-1828
ODE NEUVIÈME
MON ENFANCE
Voilà que tout cela est passé…
Mon enfance n'est plus ; elle est
morte pour ainsi dire, quoique je
vive encore.
SAINT AUGUSTIN, Confessions.
I
J'ai des rêves de guerre | en mon âme inquiète ; 6+6 a
J'aurais été soldat, | si je n'étais poète. 6+6 a
Ne vous étonnez point | que j'aime les guerriers ! 6+6 b
Souvent, pleurant sur eux, | dans ma douleur muette, 6+6 a
5 J'ai trouvé leur cyprès | plus beau que nos lauriers. 6+6 b
Enfant, sur un tambour | ma crèche fut posée. 6+6 a
Dans un casque pour moi | l'eau sainte fut puisée. 6+6 a
Un soldat, m'ombrageant | d'un belliqueux faisceau, 6+6 b
De quelque vieux lambeau | d'une bannière usée 6+6 a
10 Fit les langes de mon berceau. 8 b
Parmi les chars poudreux, | les armes éclatantes, 6+6 a
Une muse des camps | m'emporta sous les tentes ; 6+6 a
Je dormis sur l'affût | des canons meurtriers ; 6+6 b
J'aimai les fiers coursiers, | aux crinières flottantes, 6+6 a
15 Et l'éperon froissant | les rauques étriers. 6+6 b
J'aimai les forts tonnants, | aux abords difficiles ; 6+6 a
Le glaive nu des chefs | guidant les rangs dociles ; 6+6 a
La vedette, perdue | en un bois isolé ; 6+6 b
Et les vieux bataillons | qui passaient dans les villes, 6+6 a
20 Avec un drapeau mutilé. 8 b
Mon envie admirait, | et le hussard rapide, 6+6 a
Parant de gerbes d'or | sa poitrine intrépide, 6+6 a
Et le panache blanc | des agiles lanciers, 6+6 b
Et les dragons, mêlant | sur leur casque gépide 6+6 a
25 Le poil taché du tigre | aux crins noirs des coursiers. 6+6 b
Et j'accusais mon âge : | — « Ah ! dans une ombre obscure, 6+6 a
Grandir, vivre ! laisser | refroidir sans murmure 6+6 a
Tout ce sang jeune et pur, | bouillant chez mes pareils, 6+6 b
Qui dans un noir combat, | sur l'acier d'une armure, 6+6 a
30 Coulerait à flots si vermeils ! » 8 b
Et j'invoquais la guerre, | aux scènes effrayantes ; 6+6 a
Je voyais en espoir, | dans les plaines bruyantes, 6+6 a
Avec mille rumeurs | d'hommes et de chevaux, 6+6 b
Secouant à la fois | leurs ailes foudroyantes, 6+6 a
35 L'un sur l'autre à grands cris | fondre deux camps rivaux. 6+6 b
J'entendais le son clair | des tremblantes cymbales, 6+6 a
Le roulement des chars, | le sifflement des balles, 6+6 a
Et de monceaux de morts | semant leurs pas sanglants, 6+6 b
Je voyais se heurter, | au loin, par intervalles 6+6 a
40 Les escadrons étincelants ! 8 b
II
Avec nos camps vainqueurs, | dans l'Europe asservie 6+6 a
J'errai, je parcourus | la terre avant la vie ; 6+6 a
Et, tout enfant encor, | les vieillards recueillis 6+6 b
M'écoutaient racontant, | d'une bouche ravie, 6+6 a
45 Mes jours si peu nombreux | et déjà si remplis ! 6+6 b
Chez dix peuples vaincus | je passai sans défense, 6+6 a
Et leur respect craintif | étonnait mon enfance ; 6+6 a
Dans l'âge où l'on est plaint, | je semblais protéger 6+6 b
Quand je balbutiais | le nom chéri de France, 6+6 a
50 Je faisais pâlir l'étranger. 8 b
Je visitai cette île, | en noirs débris féconde, 6+6 a
Plus tard, premier degré | d'une chute profonde. 6+6 a
Le haut Cenis, dont l'aigle | aime les rocs lointains, 6+6 b
Entendit, de son antre | où l'avalanche gronde, 6+6 a
55 Ses vieux glaçons crier | sous mes pas enfantins. 6+6 b
Vers l'Adige et l'Arno | je vins des bords du Rhône. 6+6 a
Je vis de l'Occident | l'auguste Babylone, 6+6 a
Rome, toujours vivante | au fond de ses tombeaux, 6+6 b
Reine du monde encor | sur un débris de trône, 6+6 a
60 Avec une pourpre en lambeaux. 8 b
Puis Turin, puis Florence | aux plaisirs toujours prête, 6+6 a
Naple, aux bords embaumés, | où le printemps s'arrête 6+6 a
Et que Vésuve en feu | couvre d'un dais brûlant, 6+6 b
Comme un guerrier jaloux | qui, témoin d'une fête, 6+6 a
65 Jette au milieu des fleurs | son panache sanglant. 6+6 b
L'Espagne m'accueillit, | livrée à la conquête. 6+6 a
Je franchis le Bergare, | où mugit la tempête ; 6+6 a
De loin, pour un tombeau, | je pris l'Escurial ; 6+6 b
Et le triple aqueduc | vit s'incliner ma tête 6+6 a
70 Devant son front impérial. 8 b
Là, je voyais les feux | des haltes militaires 6+6 a
Noircir les murs croulants | des villes solitaires ; 6+6 a
La tente, de l'église | envahissait le seuil ; 6+6 b
Les rires des soldats, | dans les saints monastères, 6+6 a
75 Par l'écho répétés, | semblaient des cris de deuil. 6+6 b
III
Je revins, rapportant | de mes courses lointaines 6+6 a
Comme un vague faisceau | de lueurs incertaines. 6+6 a
Je rêvais, comme si | j'avais, durant mes jours, 6+6 b
Rencontré sur mes pas | les magiques fontaines 6+6 a
80 Dont l'onde enivre pour toujours. 8 b
L'Espagne me montrait | ses couvents, ses bastilles ; 6+6 a
Burgos, sa cathédrale | aux gothiques aiguilles ; 6+6 a
Irun, ses toits de bois ; | Vittoria, ses tours ; 6+6 b
Et toi, Valladolid, | tes palais de familles, 6+6 a
85 Fiers de laisser rouiller | des chaînes dans leurs cours. 6+6 b
Mes souvenirs germaient | dans mon âme échauffée ; 6+6 a
J'allais chantant des vers | d'une voix étouffée ; 6+6 a
Et ma mère, en secret | observant tous mes pas, 6+6 b
Pleurait et souriait, | disant : « C'est une fée 6+6 a
90 Qui lui parle, et qu'on ne voit pas ! » 8 b
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