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P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
HUG_8/HUG53
Victor HUGO
Odes et Ballades
1826
ODES
LIVRE QUATRIÈME
1819-1827
ODE NEUVIÈME
L'ÂME
Je ne sais quel destin trouble l'esprit des mortels ;
semblables à des cylindres, ils roulent çà et là,
accablés d'une infinité de maux… Mais prends courage,
la race des hommes est divine ; lorsque, dépouillé
de ton corps, tu t'élèveras dans les régions éthérées,
la mort n'aura plus sur toi de pouvoir, tu seras
un dieu immortel et incorruptible.
Vers dorés de Pythagore.
I
Fils du ciel, je fuirai | les honneurs de la terre ; 6+6 a
Dans mon abaissement | je mettrai mon orgueil ; 6+6 b
Je suis le roi banni, | superbe et solitaire, 6+6 a
Qui veut le trône ou le cercueil. 8 b
5 Je hais le bruit du monde, | et je crains sa poussière. 6+6 c
La retraite, paisible et fière, 8 c
Réclame un cœur indépendant ; 8 d
Je ne veux point d'esclave, | et ne veux point de maître ; 6+6 e
Laissez-moi rêver seul | au désert de mon être : — 6+6 e
10 J'y cherche le buisson ardent. 8 d
Toi, qu'aux douleurs de l'homme | un Dieu caché convie, 6+6 a
Compagne sous les cieux | de l'humble humanité, 6+6 b
Passagère immortelle, | esclave de la vie, 6+6 a
Et reine de l'éternité, 8 b
15 Âme ! aux instants heureux | comme aux heures funèbres, 6+6 c
Rayonne au fond de mes ténèbres, 8 c
Règne sur mes sens combattus ; 8 d
Oh ! de ton sceptre d'or | romps leur chaîne fatale, 6+6 e
Et nuit et jour, pareille | à l'antique vestale, 6+6 e
20 Veille au feu sacré des vertus. 8 d
Est-ce toi dont le souffle | a visité ma lyre, 6+6 a
Ma lyre, chaste sœur | des harpes de Sion ; 6+6 b
Et qui viens dans ma nuit, | avec un doux sourire, 6+6 a
Comme une belle vision ? 8 b
25 Sur mes terrestres fers, | ô vierge glorieuse, 6+6 c
Pose l'aile mystérieuse 8 c
Qui t'emporte au ciel dévoilé. 8 d
Viens-tu m'apprendre, écho | de la voix infinie, 6+6 e
Quelque secret d'amour, | de joie ou d'harmonie, 6+6 e
30 Que les anges t'ont révélé ? 8 d
II
Vis-tu ces temps d'innocence, 7 a
Où, quand rien n'était maudit, 7 b
Dieu, content de sa puissance, 7 a
Fit le monde et s'applaudit ? 7 b
35 Vis-tu, dans ces jours prospères, 7 c
Du jeune aïeul de nos pères 7 c
Ève enchanter le réveil, 7 d
Et, dans la sainte phalange, 7 e
Au front du premier archange 7 e
40 Luire le premier soleil ? 7 d
Vis-tu, des torrents de l'être, 7 a
Parmi de brûlants sillons, 7 b
Les astres, joyeux de naître, 7 a
S'échapper en tourbillons ; 7 b
45 Quand Dieu, dans sa paix féconde, 7 c
Penché de loin sur le monde, 7 c
Contemplait ces grands tableaux, 7 d
Lui, centre commun des âmes, 7 e
Foyer de toutes les flammes, 7 e
50 Océan de tous les flots ? 7 d
III
Suivais-tu du Seigneur | la marche solennelle, 6+6 a
Lorsque l'Esprit porta | la parole éternelle 6+6 a
De l'abîme des eaux | aux régions du feu ; 6+6 b
Au jour où, menaçant | la terre virginale, 6+6 c
55 Comme, d'un char léger | pressant l'ardent essieu, 6+6 b
Un roi vaincu refuse | une lutte inégale, 6+6 c
Le Chaos éperdu | s'enfuyait devant Dieu ? 6+6 b
As-tu vu, loin des cieux, | châtiant ses complices, 6+6 a
Le Roi du mal, armé | du sceptre des supplices, 6+6 a
60 Dans le gouffre où jamais | la terreur ne s'endort ? 6+6 b
Lieu funèbre, où, pleurant | les songes de la terre, 6+6 c
Le crime se réveille, | enfantant le remord, 6+6 b
Et qu'un Dieu visita, | revêtu de mystère, 6+6 c
Quand d'enfer en enfer | il poursuivit la Mort ? 6+6 b
IV
65 Montre-moi l'Éternel, | donnant, comme un royaume, 6+6 a
Le temps à l'éphémère | et l'espace à l'atome ; 6+6 a
Le vide obscur, des nuits | tombeau silencieux ; 6+6 b
Les foudres se croisant | dans leur sphère tonnante, 6+6 c
Et la comète rayonnante, 8 c
70 Tramant sa chevelure | éparse dans les cieux. 6+6 b
Mon esprit sur ton aile, | ô puissante compagne, 6+6 a
Vole de fleur en fleur, | de montagne en montagne, 6+6 a
Remonte aux champs d'azur | d'où l'homme fut banni, 6+6 b
Du secret éternel | lève le voile austère ; 6+6 c
75 Car il voit plus loin que la terre ; 8 c
Ma pensée est un monde | errant dans l'infini. 6+6 b
V
Mais la vie, ô mon âme ! | a des pièges dans l'ombre. 6+6 a
Sois le guerrier captif | qui garde sa prison, 6+6 b
Des feux de l'ennemi | compte avec soin le nombre, 6+6 a
80 Et, sous le jour brûlant | ainsi qu'en la nuit sombre, 6+6 a
Surveille au loin tout l'horizon. 8 b
Je ne suis point celui | qu'une ardeur vaine enflamme, 6+6 a
Qui refuse à son cœur | un amour chaste et saint, 6+6 b
Porte à Dagon l'encens | que Jéhovah réclame, 6+6 a
85 Et, voyageur sans guide, | erre autour de son âme, 6+6 a
Comme autour d'un cratère éteint. 8 b
Il n'ose, offrant à Dieu | sa nudité parée, 6+6 a
Flétrir les fleurs d'Éden | d'un souffle criminel ; 6+6 b
Fils banni, qui, tramant | sa misère ignorée, 6+6 a
90 Mendie et pleure, assis | sur la borne sacrée 6+6 a
De l'héritage paternel. 8 b
Et les anges entre eux | disent : « Voilà l'impie ! 6+6 a
Il a bu des faux biens | le philtre empoisonneur ; 6+6 b
Devant le juste heureux | que son crime s'expie ; 6+6 a
95 Dieu rejette son âme ! | elle s'est assoupie 6+6 a
Durant la veille du Seigneur. » 8 b
Toi, — puisses-tu bientôt, | secouant ma poussière, 6+6 a
Retourner radieuse | au radieux séjour ! 6+6 b
Tu remonteras pure | à la source première, 6+6 a
100 Et, comme le soleil | emporte sa lumière, 6+6 a
Tu n'emporteras que l'amour ! 8 b
VI
Malheureux l'insensé | dont la vue asservie 6+6 a
Ne sent point qu'un esprit | s'agite dans la vie ! 6+6 a
Mortel, il reste sourd | à la voix du tombeau ; 6+6 b
105 Sa pensée est sans aile | et son cœur est sans flamme ; 6+6 c
Car il marche, ignorant son âme, 8 c
Tel qu'un aveugle errant | qui porte un vain flambeau. 6+6 b
mètre profils métriques : 8, 7, 6+6
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