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HUG_8/HUG43
Victor HUGO
Odes et Ballades
1826
ODES
LIVRE TROISIÈME
1824-1828
ODE SEPTIÈME
À LA COLONNE DE LA PLACE VENDÔME
Parva magnis.
I
Ô monument vengeur ! | trophée indélébile ! 6+6 a
Bronze qui, tournoyant | sur ta base immobile, 6+6 a
Sembles porter au ciel | ta gloire et ton néant ; 6+6 b
Et, de tout ce qu'a fait | une main colossale, 6+6 c
5 Seul es resté debout ; | — ruine triomphale 6+6 c
De l'édifice du géant ! 8 b
Débris du Grand Empire | et de la Grande Armée, 6+6 a
Colonne, d'où si haut | parle la renommée ! 6+6 a
Je t'aime : l'étranger | t'admire avec effroi. 6+6 b
10 J'aime tes vieux héros, | sculptés par la Victoire, 6+6 c
Et tous ces fantômes de gloire 8 c
Qui se pressent autour de toi. 8 b
J'aime à voir sur tes flancs, | colonne étincelante, 6+6 a
Revivre ces soldats | qu'en leur onde sanglante 6+6 a
15 Ont roulés le Danube, | et le Rhin, et le Pô ! 6+6 b
Tu mets comme un guerrier | le pied sur ta conquête. 6+6 c
J'aime ton piédestal | d'armures, et ta tête 6+6 c
Dont le panache est un drapeau ! 8 b
Au bronze de Henri | mon orgueil te marie. 6+6 a
20 J'aime à vous voir tous deux, | honneur de la patrie, 6+6 a
Immortels, dominant | nos troubles passagers, 6+6 b
Sortir, signes jumeaux | d'amour et de colère, 6+6 c
Lui, de l'épargne populaire, 8 c
Toi, des arsenaux étrangers ! 8 b
25 Que de fois, tu le sais, | quand la nuit sous ses voiles 6+6 a
Fait fuir la blanche lune | ou trembler les étoiles, 6+6 a
Je viens, triste, évoquer | tes fastes devant moi ; 6+6 b
Et, d'un œil enflammé | dévorant ton histoire, 6+6 c
Prendre, convive obscur, | ma part de tant de gloire, 6+6 c
30 Comme un pâtre au banquet d'un Roi ! 8 b
Que de fois j'ai cru voir, | ô Colonne française, 6+6 a
Ton airain ennemi | rugir dans la fournaise ! 6+6 a
Que de fois, ranimant | tes combattants épars, 6+6 b
Heurtant sur tes parois | leurs armes dérouillées, 6+6 c
35 J'ai ressuscité ces mêlées 8 c
Qui t'assiègent de toutes parts ! 8 b
Jamais, ô monument, | même ivres de leur nombre, 6+6 a
Les étrangers sans peur | n'ont passé sous ton ombre. 6+6 a
Leurs pas n'ébranlent point | ton bronze souverain. 6+6 b
40 Quand le sort une fois | les poussa vers nos rives, 6+6 c
Ils n'osaient étaler | leurs parades oisives 6+6 c
Devant tes batailles d'airain ! 8 b
II
Mais quoi ! n'entends-je point, | avec de sourds murmures, 6+6 a
De ta base à ton front | bruire les armures ? 6+6 a
45 Colonne ! il m'a semblé | qu'éblouissant mes yeux, 6+6 b
Tes bataillons cuivrés | cherchaient à redescendre… 6+6 c
Que tes demi-dieux, noirs | d'une héroïque cendre, 6+6 c
Interrompaient soudain | leur marche vers les cieux ! 6+6 b
Leur voix mêlait des noms | à leur vieille devise : 6+6 a
50 «TARENTE, REGGIO, | DALMATIE et TRÉVISE !» 6+6 a
Et leurs aigles, sortant | de leur puissant sommeil, 6+6 b
Suivaient d'un bec ardent | cette aigle à double tête, 6+6 c
Dont l'œil, ami de l'ombre | où son essor s'arrête, 6+6 c
Se baisse à leur regard, | comme aux feux du soleil ! 6+6 b
55 Qu'est-ce donc ? — Et pourquoi, | bronze envié de Rome, 6+6 a
Vois-je tes légions | frémir comme un seul homme ? 6+6 a
Quel impossible outrage | à ta hauteur atteint ? 6+6 b
Qui donc a réveillé | ces ombres immortelles, 6+6 c
Ces aigles qui, battant | ta base de leurs ailes, 6+6 c
60 Dans leur ongle captif | pressent leur foudre éteint ? 6+6 b
III
Je comprends : — l'étranger, | qui nous croit sans mémoire, 6+6 a
Veut, feuillet par feuillet, | déchirer notre histoire, 6+6 a
Écrite avec du sang, | à la pointe du fer. — 6+6 b
Ose-t-il, imprudent ! | heurter tant de trophées ? 6+6 c
65 De ce bronze, forgé | de foudres étouffées, 6+6 c
Chaque étincelle est un éclair ! 8 b
Est-ce Napoléon | qu'il frappe en notre armée ? 6+6 a
Veut-il, de cette gloire | en tant de lieux semée, 6+6 a
Disputer l'héritage | à nos vieux généraux ? 6+6 b
70 Pour un fardeau pareil | il a la main débile : 6+6 c
L'empire d'Alexandre | et les armes d'Achille 6+6 c
Ne se partagent qu'aux héros. 8 b
Mais non : l'Autrichien, | dans sa fierté qu'il dompte, 6+6 a
Est content si leurs noms | ne disent que sa honte. 6+6 a
75 Il fait de sa défaite | un titre à nos guerriers, 6+6 b
Et, craignant des vainqueurs | moins que des feudataires, 6+6 c
Il pardonne aux fleurons | de nos ducs militaires, 6+6 c
Si ce ne sont que des lauriers. 8 b
Bronze ! Il n'a donc jamais, | fier pour une victoire, 6+6 a
80 Subi de tes splendeurs | l'aspect expiatoire ? 6+6 a
D'où vient tant de courage | à cet audacieux ? 6+6 b
Croit-il impunément | toucher à nos annales ? 6+6 c
Et comment donc lit-il | ces pages triomphales 6+6 c
Que tu déroules dans les cieux ? 8 b
85 Est-ce un langage obscur | à ses regards timides ? 6+6 a
Eh ! qu'il s'en fasse instruire | au pied des Pyramides, 6+6 a
À Vienne, au vieux Kremlin, | au morne Escurial ! 6+6 b
Qu'il en parle à ces Rois, | cour dorée et nombreuse, 6+6 c
Qui naguère peuplait | d'une tente poudreuse 6+6 c
90 Le vestibule impérial ! 8 b
IV
À quoi pense-t-il donc, | l'étranger qui nous brave ? 6+6 a
N'avions-nous pas hier | l'Europe pour esclave ? 6+6 a
Nous, subir de son joug | l'indigne talion ! 6+6 b
Non ! au champ du combat | nous pouvons reparaître. 6+6 c
95 On nous a mutilés ; | mais le temps a peut-être 6+6 c
Fait croître l'ongle du lion. 8 b
De quel droit viennent-ils | découronner nos gloires ? 6+6 a
Les Bourbons ont toujours | adopté des victoires. 6+6 a
Nos rois t'ont défendu | d'un ennemi tremblant, 6+6 b
100 Ô trophée ! à leurs pieds | tes palmes se déposent ; 6+6 c
Et si tes quatre aigles reposent, 8 c
C'est à l'ombre du drapeau blanc. 8 b
Quoi ! le globe est ému | de volcans électriques ; 6+6 a
Derrière l'océan | grondent les Amériques ; 6+6 a
105 Stamboul rugit ; Hellé | remonte aux jours anciens ; 6+6 b
Lisbonne se débat | aux mains de l'Angleterre… 6+6 c
Seul, le vieux peuple franc | s'indigne que la terre 6+6 c
Tremble à d'autres pas que les siens ! 8 b
Prenez garde, étrangers : | — nous ne savons que faire ! 6+6 a
110 La paix nous berce en vain | dans son oisive sphère, 6+6 a
L'arène de la guerre | a pour nous tant d'attrait ! 6+6 b
Nous froissons dans nos mains, | hélas ! inoccupées, 6+6 c
Des lyres, à défaut d'épées ! 8 c
Nous chantons, comme on combattrait ! 8 b
115 Prenez garde ! — La France, | où grandit un autre âge, 6+6 a
N'est pas si morte encor | qu'elle souffre un outrage ! 6+6 a
Les partis pour un temps | voileront leur tableau. 6+6 b
Contre une injure, ici, | tout s'unit, tout se lève, 6+6 c
Tout s'arme, et la Vendée | aiguisera son glaive 6+6 c
120 Sur la pierre de Waterloo. 8 b
Vous dérobez des noms ! | — Quoi donc ! faut-il qu'on aille 6+6 a
Lever sur tous vos champs | des titres de bataille ? 6+6 a
Faut-il, quittant ces noms | par la valeur trouvés, 6+6 b
Pour nos gloires, chez vous, | chercher d'autres baptêmes ? 6+6 c
125 Sur l'airain de vos canons mêmes 8 c
Ne sont-ils point assez gravés ? 8 b
L'étranger briserait | le blason de la France ! 6+6 a
On verrait, enhardi | par notre indifférence, 6+6 a
Sur nos fiers écussons | tomber son vil marteau ! 6+6 b
130 Ah !… comme ce Romain | qui remuait la terre, 6+6 c
Vous portez, ô Français ! | et la paix et la guerre 6+6 c
Dans le pli de votre manteau. 8 b
Votre aile en un moment | touche, à sa fantaisie, 6+6 a
L'Afrique par Cadix | et par Moscou l'Asie. 6+6 a
135 Vous chassez en courant | Anglais, Russes, Germains ; 6+6 b
Les tours croulent devant | vos trompettes fatales ; 6+6 c
Et de toutes les capitales 8 c
Vos drapeaux savent les chemins. 8 b
Quand leur destin se pèse | avec vos destinées, 6+6 a
140 Toutes les nations | s'inclinent détrônées. 6+6 a
La gloire pour vos noms | n'a point assez de bruit. 6+6 b
Sans cesse autour de vous | les états se déplacent. 6+6 c
Quand votre astre paraît, | tous les autres s'effacent ; 6+6 c
Quand vous marchez, l'univers suit ! 8 b
145 Que l'Autriche en rampant | de nœuds vous environne, 6+6 a
Les deux géants de France | ont foulé sa couronne ! 6+6 a
L'histoire, qui des temps | ouvre le Panthéon, 6+6 b
Montre empreints aux deux fronts | du vautour d'Allemagne 6+6 c
La sandale de Charlemagne, 8 c
150 L'éperon de Napoléon. 8 b
Allez ! — Vous n'avez plus | l'aigle qui de son aire 6+6 a
Sur tous les fronts trop hauts | portait votre tonnerre ; 6+6 a
Mais il vous reste encor | l'oriflamme et les lys. 6+6 b
Mais c'est le Coq gaulois | qui réveille le monde ; 6+6 c
155 Et son cri peut promettre | à votre nuit profonde 6+6 c
L'aube du soleil d'Austerlitz ! 8 b
V
C'est moi qui me tairais ! | Moi qu'enivrait naguère 6+6 a
Mon nom saxon, mêlé | parmi des cris de guerre ! 6+6 a
Moi, qui suivais le vol | d'un drapeau triomphant ! 6+6 b
160 Qui, joignant aux clairons | ma voix entrecoupée, 6+6 c
Eus pour premier hochet | le nœud d'or d'une épée ! 6+6 c
Moi, qui fus un soldat | quand j'étais un enfant ! 6+6 b
Non, Frères ! non, Français | de cet âge d'attente ! 6+6 a
Nous avons tous grandi | sur le seuil de la tente. 6+6 a
165 Condamnés à la paix, | aiglons bannis des cieux, 6+6 b
Sachons du moins, veillant | aux gloires paternelles, 6+6 c
Garder de tout affront, | jalouses sentinelles, 6+6 c
Les armures de nos aïeux ! 8 b
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