Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
HUG_6/HUG136
Victor HUGO
LES ORIENTALES
1829
XXXIV
Mazeppa
à M. Louis Boulanger
En avant ! En avant !
Away ! — Away !
BYRON, Mazeppa.
I
Ainsi, quand Mazeppa, | qui rugit et qui pleure, 6+6 a
A vu ses bras, ses pieds, | ses flancs qu'un sabre effleure, 6+6 a
Tous ses membres liés 6 b
Sur un fougueux cheval, | nourri d'herbes marines, 6+6 c
5 Qui fume, et fait jaillir | le feu de ses narines 6+6 c
Et le feu de ses pieds ; 6 b
Quand il s'est dans ses nœuds | roulé comme un reptile, 6+6 a
Qu'il a bien réjoui | de sa rage inutile 6+6 a
Ses bourreaux tout joyeux, 6 b
10 Et qu'il retombe enfin | sur la croupe farouche, 6+6 c
La sueur sur le front, | l'écume dans la bouche, 6+6 c
Et du sang dans les yeux, 6 b
Un cri part; et soudain | voilà que par la plaine 6+6 a
Et l'homme et le cheval , | emportés, hors d'haleine, 6+6 a
15 Sur les sables mouvants, 6 b
Seuls, emplissant de bruit | un tourbillon de poudre 6+6 c
Pareil au noir nuage | où serpente la foudre, 6+6 c
Volent avec les vents ! 6 b
Ils vont. Dans les vallons | comme un orage ils passent, 6+6 a
20 Comme ces ouragans | qui dans les monts s'entassent, 6+6 a
Comme un globe de feu ; 6 b
Puis déjà ne sont plus | qu'un point noir dans la brume, 6+6 c
Puis s'effacent dans l'air | comme un flocon d'écume 6+6 c
Au vaste océan bleu. 6 b
25 Ils vont. L'espace est grand. | Dans le désert immense, 6+6 a
Dans l'horizon sans fin | qui toujours recommence, 6+6 a
Ils se plongent tous deux. 6 b
Leur course comme un vol | les emporte, et grands chênes, 6+6 c
Villes et tours, monts noirs | liés en longues chaînes, 6+6 c
30 Tout chancelle autour d'eux. 6 b
Et si l'infortuné, | dont la tête se brise, 6+6 a
Se débat, le cheval, | qui devance la brise, 6+6 a
D'un bond plus effrayé, 6 b
S'enfonce au désert vaste, | aride, infranchissable, 6+6 c
35 Qui devant eux s'étend, | avec ses plis de sable, 6+6 c
Comme un manteau rayé. 6 b
Tout vacille et se peint | de couleurs inconnues : 6+6 a
Il voit courir les bois, | courir les larges nues, 6+6 a
Le vieux donjon détruit, 6 b
40 Les monts dont un rayon | baigne les intervalles ; 6+6 c
Il voit ; et des troupeaux | de fumantes cavales 6+6 c
Le suivent à grand bruit ! 6 b
Et le ciel, où déjà | les pas du soir s'allongent, 6+6 a
Avec ses océans | de nuages où plongent 6+6 a
45 Des nuages encor, 6 b
Et son soleil qui fend | leurs vagues de sa proue, 6+6 c
Sur son front ébloui | tourne comme une roue 6+6 c
De marbre aux veines d'or ! 6 b
Son œil s'égare et luit, | sa chevelure traîne, 6+6 a
50 Sa tête pend ; son sang | rougit la jaune arène, 6+6 a
Les buissons épineux ; 6 b
Sur ses membres gonflés | la corde se replie, 6+6 c
Et comme un long serpent | resserre et multiplie 6+6 c
Sa morsure et ses nœuds. 6 b
55 Le cheval, qui ne sent | ni le mors ni la selle, 6+6 a
Toujours fuit, et toujours | son sang coule et ruisselle, 6+6 a
Sa chair tombe en lambeaux ; 6 b
Hélas ! voici déjà | qu'aux cavales ardentes 6+6 c
Qui le suivaient, dressant | leurs crinières pendantes, 6+6 c
60 Succèdent les corbeaux ! 6 b
Les corbeaux, le grand-duc | à l'œil rond, qui s'effraie, 6+6 a
L'aigle effaré des champs | de bataille, et l'orfraie, 6+6 a
Monstre au jour inconnu, 6 b
Les obliques hiboux, | et le grand vautour fauve 6+6 c
65 Qui fouille au flanc des morts | où son col rouge et chauve 6+6 c
Plonge comme un bras nu ! 6 b
Tous viennent élargir | la funèbre volée ; 6+6 a
Tous quittent pour le suivre | et l'yeuse isolée, 6+6 a
Et les nids du manoir. 6 b
70 Lui, sanglant, éperdu, | sourd à leurs cris de joie, 6+6 c
Demande en les voyant | qui donc là-haut déploie 6+6 c
Ce grand éventail noir. 6 b
La nuit descend lugubre, | et sans robe étoilée. 6+6 a
L'essaim s'acharne, et suit, | tel qu'une meute ailée, 6+6 a
75 Le voyageur fumant. 6 b
Entre le ciel et lui, | comme un tourbillon sombre 6+6 c
Il les voit, puis les perd, | et les entend dans l'ombre 6+6 c
Voler confusément. 6 b
Enfin, après trois jours | d'une course insensée, 6+6 a
80 Après avoir franchi | fleuves à l'eau glacée, 6+6 a
Steppes, forêts, déserts, 6 b
Le cheval tombe aux cris | de mille oiseaux de proie, 6+6 c
Et son ongle de fer | sur la pierre qu'il broie 6+6 c
Éteint ses quatre éclairs. 6 b
85 Voilà l'infortuné, | gisant, nu, misérable, 6+6 a
Tout tacheté de sang, | plus rouge que l'érable 6+6 a
Dans la saison des fleurs. 6 b
Le nuage d'oiseaux | sur lui tourne et s'arrête ; 6+6 c
Maint bec ardent aspire | à ronger dans sa tête 6+6 c
90 Ses yeux brûlés de pleurs. 6 b
Eh bien ! ce condamné | qui hurle et qui se traîne, 6+6 a
Ce cadavre vivant, | les tribus de l'Ukraine 6+6 a
Le feront prince un jour. 6 b
Un jour, semant les champs | de morts sans sépultures, 6+6 c
95 Il dédommagera | par de larges pâtures 6+6 c
L'orfraie et le vautour. 6 b
Sa sauvage grandeur | naîtra de son supplice. 6+6 a
Un jour, des vieux hetmans | il ceindra la pelisse, 6+6 a
Grand à l'œil ébloui ; 6 b
100 Et quand il passera, | ces peuples de la tente, 6+6 c
Prosternés, enverront | la fanfare éclatante 6+6 c
Bondir autour de lui ! 6 b
II
Ainsi, lorsqu'un mortel, | sur qui son dieu s'étale, 6+6 a
S'est vu lier vivant | sur ta croupe fatale, 6+6 a
105 Génie, ardent coursier, 6 b
En vain il lutte, hélas ! | tu bondis, tu l'emportes 6+6 c
Hors du monde réel | dont tu brises les portes 6+6 c
Avec tes pieds d'acier ! 6 b
Tu franchis avec lui | déserts, cimes chenues 6+6 a
110 Des vieux monts, et les mers, | et, par delà les nues, 6+6 a
De sombres régions ; 6 b
Et mille impurs esprits | que ta course réveille 6+6 c
Autour du voyageur, | insolente merveille, 6+6 c
Pressent leurs légions ! 6 b
115 Il traverse d'un vol, | sur tes ailes de flamme, 6+6 a
Tous les champs du possible, | et les mondes de l'âme ; 6+6 a
Boit au fleuve éternel ; 6 b
Dans la nuit orageuse | ou la nuit étoilée, 6+6 c
Sa chevelure, aux crins | des comètes mêlée, 6+6 c
120 Flamboie au front du ciel. 6 b
Les six lunes d'Herschel, | l'anneau du vieux Saturne, 6+6 a
Le pôle, arrondissant | une aurore nocturne 6+6 a
Sur son front boréal, 6 b
Il voit tout ; et pour lui | ton vol, que rien ne lasse, 6+6 c
125 De ce monde sans borne | à chaque instant déplace 6+6 c
L'horizon idéal. 6 b
Qui peut savoir, hormis | les démons et les anges, 6+6 a
Ce qu'il souffre à te suivre, | et quels éclairs étranges 6+6 a
À ses yeux reluiront, 6 b
130 Comme il sera brûlé | d'ardentes étincelles, 6+6 c
Hélas ! et dans la nuit | combien de froides ailes 6+6 c
Viendront battre son front ? 6 b
Il crie épouvanté, | tu poursuis implacable. 6+6 a
Pâle, épuisé, béant, | sous ton vol qui l'accable 6+6 a
135 Il ploie avec effroi ; 6 b
Chaque pas que tu fais | semble creuser sa tombe. 6+6 c
Enfin le terme arrive… | il court, il vole, il tombe, 6+6 c
Et se relève roi ! 6 b
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