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P = préposition
C = clitique
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F = "e" féminin
| = césure
HUG_6/HUG118
Victor HUGO
LES ORIENTALES
1829
XVI
La bataille perdue
Sur la plus haute colline
Il monte, et sa javeline
Soutenant ses membres lourds,
Il voit son armée en fuite
Et de sa tente détruite
Pendre en lambeaux le velours.
Ém. Deschamps. Rodrigue pendant la bataille.
« Allah ! qui me rendra | ma formidable armée, 6+6 a
Émirs, cavalerie | au carnage animée, 6+6 a
Et ma tente, et mon camp, | éblouissant à voir, 6+6 b
Qui la nuit allumait | tant de feux qu'à leur nombre, 6+6 c
5 On eût dit que le ciel | sur la colline sombre 6+6 c
Laissait ses étoiles pleuvoir ? 8 b
« Qui me rendra mes beys | aux flottantes pelisses ? 6+6 a
Mes fiers timariots, | turbulentes milices ? 6+6 a
Mes khans bariolés ? | mes rapides spahis ? 6+6 b
10 Et mes bédouins hâlés, | venus des Pyramides, 6+6 c
Qui riaient d'effrayer | les laboureurs timides, 6+6 c
Et poussaient leurs chevaux | par les champs de maïs ? 6+6 b
« Tous ces chevaux, à l'œil | de flamme, aux jambes grêles, 6+6 a
Qui volaient dans les blés | comme des sauterelles, 6+6 a
15 Quoi, je ne verrai plus, | franchissant les sillons, 6+6 b
Leurs troupes, par la mort | en vain diminuées, 6+6 c
Sur les carrés pesants | s'abattant par nuées, 6+6 c
Couvrir d'éclairs les bataillons ! 8 b
« Ils sont morts : dans le sang | traînent leurs belles housses ; 6+6 a
20 Le sang souille et noircit | leur croupe aux taches rousses ; 6+6 a
L'éperon s'userait | sur leur flanc arrondi 6+6 b
Avant de réveiller | leurs pas jadis rapides, 6+6 c
Et près d'eux sont couchés | leurs maîtres intrépides 6+6 c
Qui dormaient à leur ombre | aux halles de midi ! 6+6 b
25 « Allah ! qui me rendra | ma redoutable armée ? 6+6 a
La voilà par les champs | tout entière semée, 6+6 a
Comme l'or d'un prodigue | épars sur le pavé. 6+6 b
Quoi ! chevaux, cavaliers, | Arabes et Tartares, 6+6 c
Leurs turbans, leur galop, | leurs drapeaux, leurs fanfares, 6+6 c
30 C'est comme si j'avais rêvé ! 8 b
« Ô mes vaillants soldats | et leurs coursiers fidèles ! 6+6 a
Leur voix n'a plus de bruit | et leurs pieds n'ont plus d'ailes. 6+6 a
Ils ont oublié tout, | et le sabre et le mors. 6+6 b
De leurs corps entassés | cette vallée est pleine : 6+6 c
35 Voilà pour bien longtemps | une sinistre plaine ! 6+6 c
Ce soir, l'odeur du sang : | demain, l'odeur des morts. 6+6 b
« Quoi ! c'était une armée, | et ce n'est plus qu'une ombre ! 6+6 a
Ils se sont bien battus ! | de l'aube à la nuit sombre, 6+6 a
Dans le cercle fatal | ardents à se presser. 6+6 b
40 Les noirs linceuls des nuits | sur l'horizon se posent. 6+6 c
Les braves ont fini : | maintenant ils reposent, 6+6 c
Et les corbeaux vont commencer. 8 b
« Déjà, passant leur bec | entre leurs plumes noires, 6+6 a
Du fond des bois, du haut | des chauves promontoires, 6+6 a
45 Ils accourent : des morts | ils rongent les lambeaux ; 6+6 b
Et cette armée, hier | formidable et suprême, 6+6 c
Cette puissante armée, | hélas ! ne peut plus même 6+6 c
Effaroucher un aigle | et chasser des corbeaux ! 6+6 b
« Oh ! si j'avais encor | cette armée immortelle, 6+6 a
50 Je voudrais conquérir | des mondes avec elle ; 6+6 a
Je la ferais régner | sur les rois ennemis ; 6+6 b
Elle serait ma sur, | ma dame et mon épouse. 6+6 c
Mais que fera la mort, | inféconde et jalouse, 6+6 c
De tant de braves endormis ? 8 b
55 « Que n'ai-je été frappé ! | que n'a sur la poussière 6+6 a
Roulé mon vert turban | avec ma tête altière ! 6+6 a
Hier j'étais puissant ; | hier trois officiers, 6+6 b
Immobiles et fiers | sur leur selle tigrée, 6+6 c
Portaient, devant le seuil | de ma tente dorée, 6+6 c
60 Trois panaches ravis | aux croupes des coursiers. 6+6 b
« Hier j'avais cent tambours | tonnant à mon passage ; 6+6 a
J'avais quarante agas | contemplant mon visage, 6+6 a
Et d'un sourcil froncé | tremblant dans leurs palais. 6+6 b
Au lieu des lourds pierriers | qui dorment sur les proues, 6+6 c
65 J'avais de beaux canons, | roulant sur quatre roues, 6+6 c
Avec leurs canonniers anglais. 8 b
« Hier j'avais des châteaux ; | j'avais de belles villes ; 6+6 a
Des Grecques par milliers | à vendre aux juifs serviles ; 6+6 a
J'avais de grands harems | et de grands arsenaux. 6+6 b
70 Aujourd'hui, dépouillé, | vaincu, proscrit, funeste, 6+6 c
Je fuis… De mon empire, | hélas ! rien ne me reste ; 6+6 c
Allah ! je n'ai plus même | une tour à créneaux ! 6+6 b
« Il faut fuir, moi, pacha, | moi, vizir à trois queues ! 6+6 a
Franchir l'horizon vaste | et les collines bleues, 6+6 a
75 Furtif, baissant les yeux, | presque tendant la main, 6+6 b
Comme un voleur qui fuit | troublé dans les ténèbres, 6+6 c
Et croit voir des gibets | dressant leurs bras funèbres 6+6 c
Dans tous les arbres du chemin ! » 8 b
Ainsi parlait Reschid, | le soir de sa défaite. 6+6 a
80 Nous eûmes mille Grecs | tués à cette fête. 6+6 a
Mais le vizir fuyait, | seul, ce champ meurtrierces champs meurtriers. 6+6 b
Rêveur, il essuyait | son rouge cimeterre ; 6+6 c
Deux chevaux près de lui | du pied battaient la terre, 6+6 c
Et, vides, sur leurs flancs | sonnaient les étriers. 6+6 b
mètre profils métriques : 8, 6+6
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