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HUG_6/HUG104
Victor HUGO
LES ORIENTALES
1829
II
Canaris
Faire sans dire.
Vieille devise
Lorsqu'un vaisseau vaincu dérive en pleine mer ; 12
Que ses voiles carrées 6
Pendent le long des mâts, par les boulets de fer 12
Largement déchirées ; 6
5 Qu'on n'y voit que des morts tombés de toutes parts, 12
Ancres, agrès, voilures, 6
Grands mâts rompus, traînant leurs cordages épars 12
Comme des chevelures ; 6
Que le vaisseau, couvert de fumée et de bruit, 12
10 Tourne ainsi qu'une roue ; 6
Qu'un flux et qu'un reflux d'hommes roule et s'enfuit 12
De la poupe à la proue ; 6
Lorsqu'à la voix des chefs nul soldat ne répond ; 12
Que la mer monte et gronde ; 6
15 Que les canons éteints nagent dans l'entrepont, 12
S'entrechoquant dans l'onde ; 6
Qu'on voit le lourd colosse ouvrir au flot marin 12
Sa blessure béante, 6
Et saigner, à travers son armure d'airain, 12
20 La galère géante ; 6
Qu'elle vogue au hasard, comme un corps palpitant, 12
La carène entrouverte, 6
Comme un grand poisson mort, dont le ventre flottant 12
Argente l'onde verte ; 6
25 Alors gloire au vainqueur ! Son ancre noir s'abat 12
Sur la nef qu'il foudroie ; 6
Tel un aigle puissant pose, après le combat, 12
Son ongle sur sa proie ! 6
Puis, il pend au grand mât, comme au front d'une tour, 12
30 Son drapeau que l'air ronge, 6
Et dont le reflet d'or dans l'onde, tour à tour, 12
S'élargit et s'allonge. 6
Et c'est alors qu'on voit les peuples étaler 12
Les couleurs les plus fières, 6
35 Et la pourpre, et l'argent, et l'azur onduler 12
Aux plis de leurs bannières. 6
Dans ce riche appareil leur orgueil insensé 12
Se flatte et se repose, 6
Comme si le flot noir, par le flot effacé, 12
40 En gardait quelque chose ! 6
Malte arborait sa croix ; Venise, peuple-roi, 12
Sur ses poupes mouvantes, 6
L'héraldique lion qui fait rugir d'effroi 12
Les lionnes vivantes. 6
45 Le pavillon de Naple est éclatant dans l'air, 12
Et quand il se déploie 6
On croit voir ondoyer de la poupe à la mer 12
Un flot d'or et de soie. 6
Espagne peint aux plis des drapeaux voltigeant 12
50 Sur ses flottes avares, 6
Léon aux lions d'or, Castille aux tours d'argent, 12
Les chaînes des Navarres. 6
Rome a les clefs ; Milan, l'enfant qui hurle encor 12
Dans les dents de la guivre ; 6
55 Et les vaisseaux de France ont des fleurs de lis d'or 12
Sur leurs robes de cuivre. 6
Stamboul la turque autour du croissant abhorré 12
Suspend trois blanches queues ; 6
L'Amérique enfin libre étale un ciel doré 12
60 Semé d'étoiles bleues. 6
L'Autriche a l'aigle étrange, aux ailerons dressés, 12
Qui, brillant sur la moire, 6
Vers les deux bouts du monde à la fois menacés 12
Tourne une tête noire. 6
65 L'autre aigle au double front, qui des czars suit les lois, 12
Son antique adversaire, 6
Comme elle regardant deux mondes à la fois, 12
En tient un dans sa serre. 6
L'Angleterre en triomphe impose aux flots amers 12
70 Sa splendide oriflamme, 6
Si riche qu'on prendrait son reflet dans les mers 12
Pour l'ombre d'une flamme. 6
C'est ainsi que les rois font aux mâts des vaisseaux 12
Flotter leurs armoiries, 6
75 Et condamnent les nefs conquises sur les eaux 12
À changer de patries. 6
Ils traînent dans leurs rangs ces voiles dont le sort 12
Trompa les destinées, 6
Tout fiers de voir rentrer plus nombreuses au port 12
80 Leurs flottes blasonnées. 6
Aux navires captifs toujours ils appendront 12
Leurs drapeaux de victoire, 6
Afin que le vaincu porte écrite à son front 12
Sa honte avec leur gloire ! 6
85 Mais le bon Canaris, dont un ardent sillon 12
Suit la barque hardie, 6
Sur les vaisseaux qu'il prend, comme son pavillon, 12
Arbore l'incendie ! 6
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