Métrique en Ligne
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e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
HUG_5/HUG892
Victor HUGO
LA LÉGENDE DES SIÈCLES
DERNIÈRE SÉRIE
1883
XVII
LE CERCLE DES TYRANS
Un Voleur à un roi
Vous êtes, sous le cielpar moments obscurci, 6+6 a
Un ambitieux, sire,et j'en suis un aussi ; 6+6 a
Roi, nous avons, car l'hommeest diversement ivre, 6+6 b
Le même but tous deux,c'est d'avoir de quoi vivre ; 6+6 b
5 Il nous faut pour cela,suis-je sage ? es-tu fou ? 6+6 a
A toi, prince, un royaume,à moi, penseur, un sou. 6+6 a
Tout l'homme est le même hommeet fait la même chose. 6+6 b
Roi, la bonté de l'Êtreinconnu se compose 6+6 b
De la dispersionde tout dans l'infini ; 6+6 a
10 Nul n'est déshérité,personne n'est banni ; 6+6 a
Et les vents, car telle estl'immensité des souffles, 6+6 b
Jettent aux rois l'empireet l'obole aux maroufles. 6+6 b
Nous voulons tous les deuxà tout prix, n'importe , 6+6 a
Toi grossir ton royaumeet moi gagner mon sou ; 6+6 a
15 Et dans notre sagesseet dans notre démence, 6+6 b
Roi, nous sommes aidéspar le hasard immense. 6+6 b
Seulement je vaux plusque toi. Daigne écouter. 6+6 a
Nous sommes tous deux fils,toi qu'il faut redouter, 6+6 a
De l'étrangère, et moide la bohémienne ; 6+6 b
20 Roi, que ta majestéfasse pendre la mienne, 6+6 b
Cela ne prouve pasqu'en notre désaccord 6+6 a
La tienne ait raison, sire,et que la mienne ait tort. 6+6 a
Je suis né, laisse-moite raconter ce conte, 6+6 b
Pour avoir faim toujourset n'avoir jamais honte, 6+6 b
25 Car ce n'est pas honteuxde manger. Rien n'est vrai 6+6 a
Que la faim ; et l'enfer,dont l'homme fait l'essai, 6+6 a
C'est l'éternel refusdu pain fuyant les bouches ; 6+6 b
Et c'est pourquoi je rôdeau fond des bois farouches. 6+6 b
Je ne suis pas méchant,moi qui parle ; je veux, 6+6 a
30 Sans ôter aux mortelsun seul de leurs cheveux, 6+6 a
Leur retirer un peudes choses superflues 6+6 b
Et pesantes qui fontleurs bourses trop joufflues. 6+6 b
Je dépense à celabeaucoup de talent. Roi, 6+6 a
Je ne verse jamaisle sang. Écoute-moi ; 6+6 a
35 Médite si tu peux,et, si tu veux, digère, 6+6 b
Mais comprends-moi. Je haisle mal qui s'exagère ; 6+6 b
Tuer, c'est de l'orgueil.Casser un bourgeois, fi ! 6+6 a
A quoi bon ? L'assassinest un larron bouffi. 6+6 a
Roi, je suis un aimantmystérieux qui passe 6+6 b
40 Et qui, par sa douceuréparse dans l'espace, 6+6 b
Attire, sans vacarmeet sans brutalité, 6+6 a
Et fait venir à luide bonne volonté 6+6 a
Les farthings endormisdans les poches des hommes. 6+6 b
Je m'annexe les soussans mépriser les sommes ; 6+6 b
45 Mais les bons sacs bien lourdsc'est rare ; il me suffit 6+6 a
D'un denier ; et souventje n'ai pour tout profit 6+6 a
De mes subtils travaux,dignes de vos estimes, 6+6 b
Messieurs les empereurset rois, que cinq centimes ; 6+6 b
Je m'en contente, étantaux hommes indulgent. 6+6 a
50 Je tâche de cterau peuple peu d'argent, 6+6 a
Mais de manger. Avoirun trou, m'en faire un Louvre ; 6+6 b
Guetter l'homme qui passeou le volet qui s'ouvre ; 6+6 b
Attendre qu'un marchandsous les brises du soir 6+6 a
Rêve, et lisse bâillerle tiroir du comptoir, 6+6 a
55 Vite y fourrer avecune agilité d'ange 6+6 b
Ma patte, et n'être vudans ce mystère étrange 6+6 b
Que des astres pensifsau fond du ciel profond ; 6+6 a
Épier la minute les belles défont 6+6 a
Leur jarretière afinde leur chiper leur montre ; 6+6 b
60 Des sous avec ma griffeopérer la rencontre ; 6+6 b
Ajouter pour rallongeau destin mes dix doigts ; 6+6 a
Dire à Dieu : Tu sais bien,au fond, que tu me dois, 6+6 a
Donc ne te fâche pas !telle est ma vie, altesse. 6+6 b
Vous avez la grandeur,moi j'ai la petitesse ; 6+6 b
65 Mais devant le soleil,ce prodige flagrant, 6+6 a
L'infiniment petitvaut l'infiniment grand. 6+6 a
Vaut mieux. Je ne prends pasau sérieux l'étoffe 6+6 b
Qui m'habille, moi verde terre et philosophe ; 6+6 b
Jouer la comédieest le faible de Dieu ; 6+6 a
70 Il ne s'irrite pas,mais il se moque un peu ; 6+6 a
C'est un poète ; et l'hommeest sa marionnette. 6+6 b
La naissance et la mortsont deux coups de sonnette, 6+6 b
L'un à l'entrée, et l'autreau départ du pantin ; 6+6 a
Je ris avec le vieuxmachiniste Destin. 6+6 a
75 Tout est décor. Au fondla réalité manque. 6+6 b
Tout est fardé, le roicomme le saltimbanque ; 6+6 b
Jocrisse, Hamlet. Sachezceci, mortels tremblants, 6+6 a
Avec du calicotqui fait de grands plis blancs, 6+6 a
Avec de la farineet du blanc de céruse, 6+6 b
80 On est en scène un spectre,ou bien Pierrot. Ma ruse, 6+6 b
A moi, qui suis un êtreinfinitésimal, 6+6 a
C'est de ne vraiment faireaux hommes aucun mal, 6+6 a
Et de vivre pourtant.Fais ça, je t'en défie. 6+6 b
Roi, ce n'est pas de tropcette philosophie ; 6+6 b
Je poursuis.
85 Je prétendsque je vaux mieux que toi, 6+6 a
Que tous ; et je le prouve,à toi foule, à vous roi. 6+6 a
J'ai remarqué que l'homme,infirme et pâle ébauche, 6+6 b
N'a rien que la main droite,et tout au plus la gauche, 6+6 b
Ce qui fait que toi, prince,homme, auguste animal, 6+6 a
90 Tu portes bien la forceet la justice mal ; 6+6 a
Alors j'ai médité,voulant dépasser l'homme ; 6+6 b
Et, sûr de mon bon droit,mais d'emphase économe, 6+6 b
Bienveillant, point hâbleur,discret sous le ciel bleu, 6+6 a
Réparateur obscurdes lacunes de Dieu, 6+6 a
95 A force de songeret de vouloir, à force 6+6 b
De sonder toute choseau delà de l'écorce, 6+6 b
Prince, et d'étudierà fond le cœur humain, 6+6 a
J'ai fini par avoirune troisième main. 6+6 a
Celle qu'on ne voit pas.La bonne. Tel est, sire, 6+6 b
100 Mon art. Le résultat,voleur. Masque de cire, 6+6 b
Fantôme, ombre, poussièreet cendre, majesté, 6+6 a
As-tu compris ? O rois,vous êtes un côté ; 6+6 a
Je suis l'autre. Je suisl'homme d'esprit ; le mtre 6+6 b
Du crépuscule obscur,du risque, du peut-être, 6+6 b
105 Du néant, du passant,du souffle aérien ; 6+6 a
Je possède ce toutque vous appelez rien ; 6+6 a
Je combine le ventavec la destinée ; 6+6 b
Et j'existe. Mon âmeest vers l'azur tournée. 6+6 b
Et songeant qu'après tout,dans ce monde gueusard, 6+6 a
110 Je suis un becqueteurpaisible du hasard, 6+6 a
Que mes dents ne sont pasdes dents inexorables, 6+6 b
Que je ne répands pointle sang des misérables 6+6 b
Comme un juge, comme unbourreau, comme un soldat, 6−6 a
Songeant que de zéroje suis le candidat, 6+6 a
115 Que mon ambition,sans haine et sans durée, 6+6 b
Plane sur les humainsd'une aile modérée 6+6 b
Et s'arrête à l'endroit s'achève ma faim, 6+6 a
Et que je ne fais rienque ce que font enfin 6+6 a
Les gais oiseaux du cielsous l'orme et sous l'érable, 6+6 b
120 Pour n'être point méchantje me sens vénérable. 6+6 b
Oui, je suis un morteldoué de facultés 6+6 a
Que n'ont pas bien des roisdans le marbre sculptés ; 6+6 a
Un baïoque, métalinerte, simple cuivre, 6+6 b
S'il me sent là, devientvivant, cherche à me suivre, 6+6 b
125 Et la monnaie en moivoit son Pygmalion ; 6+6 a
Et les sous des bourgeoisqui sans rébellion, 6+6 a
Sans bruit, reconnaissantun chef à mon approche, 6+6 b
Les quittent pour venirtendrement dans ma poche, 6+6 b
Représentent, seigneur,de ma part tant de soins, 6+6 a
130 Tant d'adresse, un si beauscrupule en mes besoins, 6+6 a
Et tant de glissementsd'anguille et de couleuvre, 6+6 b
Qu'ils sont chez eux des souset chez moi des chefs-d'œuvre. 6+6 b
Ah ! quel art que le mien !Mon collaborateur, 6+6 a
Dieu, qui met le possible,ô prince, à ma hauteur, 6+6 a
135 Sait tout ce qu'il me fautde calcul, d'industrie, 6+6 b
D'héroïsme, d'aplomb,de haute rêverie, 6+6 b
De sourires au sortbourru, de doux regards 6+6 a
A la fortune, filleaimable aux yeux hagards, 6+6 a
De patience augusteet d'étude acharnée, 6+6 b
140 Et de travaux, pour faire,au bout d'une journée 6+6 b
De pas errants, d'essaispuissants, d'efforts hardis, 6+6 a
Changer de mtre à deuxou trois maravédis ! 6+6 a
Mais toi, quelle est ta peine ?aucune ; et ton mérite ? 6+6 b
Nul. On croit être grand,quoi ! parce qu'on hérite ! 6+6 b
145 Ton père t'a laisséle monde en s'en allant. 6+6 a
Être né, quel effort !avoir faim, quel talent ! 6+6 a
Téter sa mère, et puismanger un peuple ! O prince ! 6+6 b
Ton appétit est gros,mais ton génie est mince, 6+6 b
Un beau jour, sous ta pourpreet sous ton cordon bleu, 6+6 a
150 Trouvant qu'avoir un peupleà toi seul, c'est trop peu, 6+6 a
Tu jettes un regardde douce convoitise 6+6 b
Sur un empire ainsiqu'un bouc sur un cytise. 6+6 b
Tu dis : Si j'empochaisle peuple d'à côté ? 6+6 a
Alors, de force, aidédans ta férocité 6+6 a
155 Par le prêtre qui fouilleau fond du ciel, dévisse 6+6 b
La foudre, et met le Dieude l'ombre à ton service, 6+6 b
De ton flamboiement noirtoi-même t'aveuglant, 6+6 a
Tu saisis, glorieux,sacré, béni, sanglant, 6+6 a
N'importe quel paysqui soit à ta portée ; 6+6 b
160 Toute la terre trembleet crie épouvantée ; 6+6 b
Toi, tu viens dévorer,tu fais ce qu'on t'apprit ; 6+6 a
Tu ne te mets en fraisd'aucun effort d'esprit ; 6+6 a
Tu fais assassinertout avec nonchalance, 6+6 b
A coups d'obus, à coupsde sabre, à coups de lance. 6+6 b
165 C'est simple. Eh bien, tu viensprendre une nation, 6+6 a
Voilà tout. N'es-tu pasl'extermination, 6+6 a
Le droit divin, l'éluqu'un fakir, un flamine, 6+6 b
Un bonze, a frotté d'huileet mis dans de l'hermine ? 6+6 b
Va, prends. Les hommes sontta chose. Alors cités, 6+6 a
170 Fleuves, monts, bois tremblantsd'un vent sombre agités, 6+6 a
Les plaines, les hameaux,tant pis s'ils sont en flammes, 6+6 b
Les berceaux, les foyerssacrés, l'honneur des femmes, 6+6 b
Tu mets sur tout celates ongles monstrueux ; 6+6 a
Et l'église te brûleun encens tortueux, 6+6 a
175 Et le doux tedeuméclaire avec des cierges 6+6 b
Le meurtre des enfantset le viol des vierges ; 6+6 b
Et tout ce qui n'est pasgisant est à genoux. 6+6 a
Moi, pendant ce temps-làje rôde, calme et doux. 6+6 a
Telle est notre nuance,ô le meilleur des princes, 6+6 b
180 Je conquiers des liards,tu voles des provinces. 6+6 b
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