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12 longueur métrique
6-6 mètre
HUG_5/HUG872
Victor HUGO
LA LÉGENDE DES SIÈCLES
DERNIÈRE SÉRIE
1883

VII
LES QUATRE JOURS D’ELCIIS
Les Quatre Jours d’Elciis
Vérone se souvientd’un vieillard qui parla 6+6
Pendant quatre jours, graveet seul, dans la Scala, 6+6
A l’empereur Othonqui fut un prince oblique ; 6+6
Othon tenait sa courdans la place publique, 6+6
5 Ayant sur les degrésdu trône douze rois. 6+6
Empereur d’Allemagneet roi d’Arle, Othon trois 6+6
Étant malade avaitfait allumer un cierge 6+6
Et fait vœu, s’il étaitguéri, grâce à la Vierge, 6+6
D’entendre, d’écouter,lui césar tout-puissant, 6+6
10 Tout ce que lui diraitn’importe quel passant, 6+6
Devant les douze roiset la garde romaine, 6+6
Cet homme parlât-ilpendant une semaine. 6+6
Donc un passant fut prisrentrant dans sa maison. 6+6
On était aux beaux joursde la tiède saison ; 6+6
15 Le passant fut conduitdevant le trône ; un prêtre 6+6
Lui fit savoir le vœudu roi d’Arle, et le mtre 6+6
Lui dit : Aboie aussilongtemps que tu voudras. 6+6
Alors, comme autrefoisdevant Saül Esdras, 6+6
Pierre devant Néronet Job devant l’Abîme, 6+6
L’homme parla.
20 Le trôneétait sombre et sublime ; 6+6
Cent archers l’entouraient,pas un ne remuait ; 6+6
Et les rois semblaient sourdset l’empereur muet. 6+6
On voyait devant euxune table servie 6+6
Avec tout ce qui peutsatisfaire l’envie 6+6
25 Des heureux, des puissants,de ceux qui sont en haut, 6+6
Viandes et vins, fruits, fleurs,et dans l’ombre un billot. 6+6
L’homme était un vieillardtrès grand, à tête nue, 6+6
Tranquille ; on l’emmenaitchez lui, la nuit venue, 6+6
Puis on le ramenaitle matin ; il était 6+6
30 Comme celui qui parleau tigre qui se tait ; 6+6
Il fit boire à Césarson vœu jusqu’à la lie ; 6+6
Et sa sagesse futsemblable à la folie. 6+6
Il parla quatre jours,toute la cour songea, 6+6
Et, quand il eut fini,l’empereur dit : Déjà ! 6+6
I
LE PREMIER JOUR
GENS DE GUERRE ET GENS D’ÉGLISE
35 Je suis triste. Pourquoi ?Princes, que vous importe, 6+6
Vous êtes joyeux, vous.Je refermais ma porte, 6+6
J’allais mettre la barreet tirer les verrous, 6+6
Pourquoi m’appelez-vouset que me voulez-vous ? 6+6
Pourquoi me pousser horsde l’ombre volontaire ? 6+6
40 Pourquoi faire parlercelui qui veut se taire ? 6+6
Roi d’Arles, tant qu’il resteau vieillard une dent, 6+6
Lui faire ouvrir la boucheest toujours imprudent. 6+6
On n’est pas sûr qu’il soitde l’avis qu’on désire. 6+6
Vous avez un conseilde jeunes hommes, sire, 6+6
45 Fort galants, fort jolis,fort blonds, convenez-en ; 6+6
Pourquoi m’y faire entrer,moi le vieux paysan 6+6
Que la rude fiertédes vieilles mœurs pénètre ? 6+6
Et depuis quand a-t-onl’habitude de mettre 6+6
Une pièce de cuirau pourpoint de velours ? 6+6
50 Pour marcher devant vous,rois, mes pas sont bien lourds. 6+6
Si vous ne savez pasde quel nom je me nomme, 6+6
Je m’appelle Elciis,et je suis gentilhomme 6+6
De la ville de Pise,âpre et sévère endroit. 6+6
Je n’ai point à Pavieétudié le droit, 6+6
55 Et je n’ai pas l’espritd’un docteur de Sorbonne. 6+6
Donc, Sire, si la guerreest en soi chose bonne, 6+6
Je n’en sais rien ; mais, bonneou mauvaise, je dis 6+6
Qu’il faut la faire en genssincères et hardis, 6+6
Et que l’honnêtetépublique est en détresse, 6+6
60 Princes, de voir qu’on faitune guerre trtresse, 6+6
Une guerre humble, habileaux besognes de nuit, 6+6
Achetant des félonset des lâches sans bruit, 6+6
Faisant moins résonnerl’estoc que la cymbale, 6+6
Ayant des espions,des colporteurs de balle, 6+6
65 Des moines mendiantset des juifs pour appuis, 6+6
Et l’empoisonnementdes sources et des puits. 6+6
Les hommes de mon tempsfaisaient la guerre franche. 6+6
Tout l’arbre tressaillaitquand ils cassaient la branche, 6+6
Et, quand ils coupaient l’arbreavec leur couperet, 6+6
70 C’était au tremblementde toute la forêt ; 6+6
Car ces hommes étaientdes bûcherons sublimes. 6+6
Les survivants, et ceuxque nous ensevelîmes, 6+6
Sont dans le souvenirdes peuples à jamais. 6+6
Les hommes de mon tempshantaient les hauts sommets ; 6+6
75 Ils allaient droit au muret donnaient l’escalade ; 6+6
Ils méprisaient la nuit,le piège, l’embuscade ; 6+6
Quand on leur demandait :Quel compagnon hardi 6+6
Emmenez-vous en guerre ?Ils disaient : Plein midi. 6+6
C’étaient, sous l’humble sergeou l’hermine royale, 6+6
80 Les bons et grands enfantsde la guerre loyale. 6+6
Ils n’étaient pas de ceuxqui s’endorment longtemps ; 6+6
Hors du danger augusteils étaient mécontents ; 6+6
Ils ne quittaient l’épieuque pour prendre la hache ; 6+6
Car l’immobiliténe sied point au panache, 6+6
85 Ni la rouille à l’éclairdu glaive, et le repos 6+6
N’est pas fait pour les plisorageux des drapeaux. 6+6
Quand ils s’en revenaientdes combats, leurs armures 6+6
Étaient rouges ainsique les grenades mûres, 6+6
Et leurs femmes trouvaientle soir sous leur pourpoint 6+6
90 De larges trous saignantsdont ils ne parlaient point. 6+6
De tout bien mal acquisils disaient : qu’on le rende ! 6+6
Ils ne trouvaient jamaisde distance assez grande 6+6
Entre eux et le mensongeabject, ni de cloison 6+6
Assez épaisse entre eux,sire, et la trahison ; 6+6
95 Ils parlaient haut, étantdes fils des grandes races ; 6+6
Leurs poitrines avaientle dédain des cuirasses ; 6+6
Leur galop rendait fousles libres étriers. 6+6
Il n’était pas besoind’envoyer des fourriers 6+6
Pour leur dire : Il convientde se mettre en campagne. 6+6
100 Un noir se tord moins viteautour des reins son pagne 6+6
Qu’ils ne bouclaient l’estocà leur robuste dos. 6+6
Ils donnaient peu de tempsaux paters, aux credos, 6+6
Priant Dieu bonnement,comme fait le vulgaire ; 6+6
Droits, hommes de parole,ils ne s’embrouillaient guère 6+6
105 Aux finesses du clercqui ment au nom des cieux, 6+6
Et dédaignaient l’argotdu moine chassieux 6+6
Qui crache du latinet fait des hexamètres, 6+6
Étant des gens de guerreet non des gens de lettres. 6+6
C’est avec la gtédu rire puéril ; 6+6
110 Qu’ils se précipitaientau plus noir du péril ; 6+6
Il sortait de leur casqueun souffle d’épopée ; 6+6
Quand on disait : — L’épéeest d’acier, — leur épée, 6+6
Fière et toujours au vent,répondait l’homme aussi. 6+6
Au chaume misérableils accordaient merci. 6+6
115 Ces vaillants devenaientdoucement barbes grises, 6+6
Ayant pour toute joie,après les villes prises 6+6
Et les rois rétabliset tous leurs fiers travaux, 6+6
De regarder mangerl’avoine à leurs chevaux. 6+6
Oh ! je les ai connus !dès que les couleuvrines, 6+6
120 Dogues des tours, fronçaientleurs sinistres narines, 6+6
Dès que l’altier claironsonnait, ils étaient prêts ; 6+6
Ils étaient curieuxd’aller tout voir de près ; 6+6
Jusque dans le sépulcreils avançaient la tête ; 6+6
Et ces hommes, joyeuxsurtout dans la tempête, 6+6
125 Sans trop d’étonnementet sans trop de souci 6+6
Auraient suivi la mortleur criant : par ici ! 6+6
Qu’est-ce que vous voulezmaintenant qu’on vous dise ? 6+6
Ce temps-ci me répugneet sent la bâtardise. 6+6
Quand venaient les hiboux,jadis l’aigle émigrait ; 6+6
130 Je m’en vais comme lui.Barons, c’est à regret 6+6
Qu’on voit se refléterjusque dans vos repaires 6+6
Ce grand rayonnementdes anciens et des pères 6+6
Au-dessus de votre ombreau fond des cieux épars. 6+6
Vous vous croyez lions,tigres et léopards ; 6+6
135 Les lions tels que voussont pris aux souricières. 6+6
Les marmots nus qu’on porteou qu’on mène aux lisières 6+6
Seraient dans le dangermoins bégayants que vous. 6+6
Vous avez dans vos cœursimplacables et mous 6+6
Le dédain des vieux tempsque vous osez proscrire ; 6+6
140 Vous nous faites frémiret nous vous faisons rire. 6+6
Vous avez l’œil obscur,l’âme plus louche encor, 6+6
Vous faites chevaliersavec des chnes d’or 6+6
Des trahisseurs ou biendes pages de Sodomes, 6+6
Des gueux, des affranchis,de ces espèces d’hommes 6+6
145 Qu’on vend publiquementdans la rue à l’encan. 6+6
je vois le collier,je cherche le carcan. 6+6
Princes, mon cœur se serreen vous voyant, car j’aime 6+6
Le soleil sans brouillard,l’homme sans stratagème. 6+6
Vous avez l’appétitlarge, le front étroit, 6+6
150 Le mépris de tout frein,la haine de tout droit, 6+6
Et pour sceptre un couteaude boucher. Quelle histoire ! 6+6
Quels jours ! Les gros butinsse citent comme gloire. 6+6
Vous régnez en tuantsans jamais dire : assez ! 6+6
O pillards, si souventde meurtre éclaboussés 6+6
155 Que la rouille vous vientplus haut que la jambière ! 6+6
Toujours ivres ; buveursde vin, buveurs de bière, 6+6
Buveurs de sang ; couardsen même temps ; vivant 6+6
Dans on ne sait quel luxeabject, lâche, énervant ; 6+6
Car la férocité,que la volupté mine, 6+6
160 Devient facilementchair molle et s’effémine ; 6+6
Aujourd’hui tout déchoitdans notre fier métier ; 6+6
Pour faire une cuirasseon prend un bijoutier, 6+6
De sorte que l’armurea peur d’être battue. 6+6
C’est ordinairementpar derrière qu’on tue. 6+6
165 Vos plus fameux exploitset vos plus triomphants 6+6
Sont des dépouillementsde femmes et d’enfants, 6+6
Des introductionsdans les pays par fraude, 6+6
Les brusques coups de dentde la fouine qui rôde, 6+6
D’attaquer ceux qu’on ad’abord bien endormis, 6+6
170 D’arriver ennemissous des masques d’amis ; 6+6
Faits honteux pour l’épéeet pour la seigneurie, 6+6
Vils, et dont je vous veuxlaisser la rêverie. 6+6
Quant à moi, si j’étaisl’un des rois que voilà, 6+6
Je ne porterais pointlégèrement cela ; 6+6
175 Je frémirais, à l’heure l’ombre étend ses voiles, 6+6
D’être ainsi misérableet noir sous les étoiles. 6+6
Je ne vous cache pasque je suis attristé. 6+6
Tout pâlit, tout déchoit !et même la beauté, 6+6
Dernier malheur ! s’en va.Toute la grâce humaine, 6+6
180 C’est la langue toscaneet la bouche romaine ; 6+6
Et l’on parle aujourd’huije ne sais quel jargon. 6+6
Roi, qui cherche un lézardpeut trouver un dragon ; 6+6
Vous vouliez un flatteurde plus qui vous caresse 6+6
Et rie, et tout à coupla vérité se dresse. 6+6
185 Vous avez reconnuque les hommes trop prompts 6+6
Courent parfois grand risqueen vengeant leurs affronts ; 6+6
Aussi vous n’avez pasde colère soudaine. 6+6
Défié par Veniseon regarde Modène. 6+6
Vous pesez le péril,rois, quoique altiers et vains, 6+6
190 Vous ne guerroyez passans l’avis des devins ; 6+6
Un astrologue baisseou lève vos visières. 6+6
O princes, vous allezconsulter des sorcières 6+6
Sur le degré d’honneuret d’amour du devoir 6+6
Et de téméritéqu’il est prudent d’avoir ; 6+6
195 Vous combattez de loinderrière des machines ; 6+6
Et vous frottez vos bras,vos reins et vos machines, 6+6
Moins propres, sur mon âme,aux harnais qu’aux licous, 6+6
D’huile magique à rendreinvulnérable aux coups. 6+6
Je voudrais bien savoir,princes, si Charlemagne 6+6
200 Qui, se dressant, donnaitde l’ombre à l’Allemagne, 6+6
Et si le grand Cyruset le grand Attila 6+6
Se sont graissé leurs peauxavec cet onguent-là. 6+6
Vous avez fait sans peine,ô clients des sibylles, 6+6
Marcheurs de nuit, tendeursd’embûches, gens habiles, 6+6
205 Quoique chétifs de cœuret chétifs de cerveau, 6+6
Avec le vieil empireun empire nouveau. 6+6
L’empaillement d’un aigleest chose bien aisée ; 6+6
Davus remplace Alcideet Thersite Thésée. 6+6
Rois, la fraude est vilaineet donne un profit nul ; 6+6
210 Mentir ou se tuerc’est le même calcul ; 6+6
Le fourbe est transparent,tout regard le pénètre ; 6+6
La trahison devientla chair même du trtre ; 6+6
Il se sent sur les osun mépris corrosif ; 6+6
Dès qu’on est malhonnêteon est rongé tout vif 6+6
215 Par son mauvais renomet par sa perfidie 6+6
Visible à tous les yeuxet toujours agrandie ; 6+6
On est renard, la haineet l’effroi du troupeau ; 6+6
On a l’ombre et le malpour robe et pour drapeau ; 6+6
Et Carthage a péridans sa sombre tunique 6+6
220 De mensonge, de dol,de nuit, de foi punique. 6+6
La ciguë en vos champscrt mieux que le laurier. 6+6
Je verrais sans colère,ô rois, un serrurier 6+6
Bâtir, sans oublierde griller les fenêtres, 6+6
Entre vos probitéset mon argent, mes mtres, 6+6
225 Une porte solideaux verrous bien fermants. 6+6
Quant à votre paroleet quant à vos serments, 6+6
Plutôt que m’assoupirsur votre signature 6+6
Et sur vos jurementspar la sainte écriture, 6+6
Plutôt que me fierà vous, je me fierais 6+6
230 Aux jaguars, aux lynx,aux tigres des forêts, 6+6
Et j’aimerais mieux, rois,me coucher dans leur antre 6+6
Et mettre pour dormirma tête sur leur ventre. 6+6
Ah ! ce siècle est d’un flotd’opprobre submergé ! 6+6
Autre plaie ; et fâcheuseà montrer, — le clergé. 6+6
235 Puisque j’expose icila publique infortune 6+6
Puisque j’étale aux yeuxnos hontes, c’en est une 6+6
Que le prêtre ait grandiplus haut que notre droit, 6+6
Et que l’église ait prisl’allure qu’on lui voit. 6+6
De mon temps, grand, petit,riche ou gueux, vieux ou jeune, 6+6
240 On observait l’avent,les vigiles, le jne, 6+6
On priait le bon Dieu,mains jointes, fronts courbés ; 6+6
Mais on tenait la brideassez haute aux abbés. 6+6
On avait l’œil sur eux,on était économe 6+6
De baisers à leur chape,et l’on craignait peu Rome ; 6+6
245 Sire, ce que voyant,Rome se tenait coi. 6+6
Aujourd’hui Rome, à tout,dit : comment ? et pourquoi ? 6+6
On laisse les bedeauxsortir des sacristies ; 6+6
Qui touche aux clercs est pleinde piqûres d’orties. 6+6
C’est fini, plus de paix.Ils sont partout. Veut-on 6+6
250 D’un évêque trop lourdraccourcir le bâton, 6+6
Querelle. Pour blâmerles luxures d’un moine, 6+6
Pour un prieur à quil’on ôte un peu d’avoine, 6+6
Pour troubler dans son augeun capucin trop gras, 6+6
Foudre, anathème ; on ale pape sur les bras. 6+6
255 Un seul fil remuéfait sortir l’araignée. 6+6
Rome a sur tous les pointsla bataille gagnée. 6+6
On lui cède ; on la craint.
Combattre des soldats, 6+6
Oh ! tant que vous voudrez !mais des prêtres, non pas ! 6+6
La cave du lionest effrayante, et l’aire 6+6
260 De l’aigle a je ne saisquel aspect de colère ; 6+6
On trouve là quelqu’und’altier qui se défend ; 6+6
Sire, attaquer cela,c’est beau, c’est triomphant ; 6+6
Le bec est flamboyant,la gueule est colossale ; 6+6
On sent que l’aquilondont l’Afrique est vassale, 6+6
265 Que l’ouragan qui grondeet qui des cieux descend, 6+6
Est dans les crins de l’unencor tout frémissant, 6+6
Et qu’aux pattes de l’autreil reste de la foudre : 6+6
L’adversaire est superbeet plt. Mais se résoudre 6+6
A mettre ses deux mainsdans les fourmillements, 6+6
270 Poursuivre au plus épaisdes cloaques dormants 6+6
La bête de la baveet celle de la fange, 6+6
Avoir pour ennemil’être plat qui se venge 6+6
De son écrasementpar sa fétidité, 6+6
C’est hideux ; et j’ai honteet peur, en vérité 6+6
275 D’attaquer une larveau fond d’une masure, 6+6
Et de combattre un troud’ sort une morsure 6+6
De là l’empiétementdes mtiers, des couvents, 6+6
Des hommes tonsuréset noirs sur les vivants, 6+6
Et le frémissementdu monde qui recule. 6+6
280 Rome a tendu sa toileau fond du crépuscule. 6+6
La vaste lâchetédes mœurs est son trésor ; 6+6
Tout à Rome aboutit.Prostituée à l’or, 6+6
Rome cote, surfait,pare, étale, brocante 6+6
Son absolutionque le vice fréquente ; 6+6
285 Le saint-père est le grandmendiant indulgent ; 6+6
Les choses en sont làqu’on a pour son argent 6+6
Plus ou moins de pitié,plus ou moins de prière, 6+6
Et que l’église en estla sinistre usurière. 6+6
Rome a, dessous, l’ordure,et la pourpre dessus. 6+6
290 Pour être petit, pauvre,humble comme Jésus 6+6
Le commandait à Jacque,à Simon, à Didyme, 6+6
Le pape a le décime,et l’évêque a la dîme. 6+6
Tout est occasionfiscale, jubilé, 6+6
Sabbat, la chaise offerteet le cierge brûlé, 6+6
295 Cloches, confession,amulettes, jurandes, 6+6
La desserte du pain,la desserte des viandes, 6+6
Droit de manger du bœuf,droit de manger du porc, 6+6
Exorcismes, tonlieux,mortuaire, déport, 6+6
Sermons, pâque fleurie,eau bénite, corvées, 6+6
300 Saint chrême, enfants perdusou filles retrouvées, 6+6
Procès, citationdevant l’official. 6+6
Partout du créancierle profil glacial. 6+6
Le fisc ne quitte pasdes yeux la femme grosse ; 6+6
L’enfant paie. Êtes-vousdans une basse-fosse, 6+6
305 Le saint-père quémandeà travers vos barreaux. 6+6
Vous plt-il de fonderun hôpital : vingt gros. 6+6
Une bonne actionpaie un droit ; rien n’échappe ; 6+6
Un juste non payantferait loucher le pape ; 6+6
Dix gros pour que l’abbédise : sois bienvenu ! 6+6
310 Pour faire devant soiporter un glaive nu, 6+6
Cent gros ; pour acheterle blé des Turcs, dispense ; 6+6
Tant pour avoir le droitde penser ce qu’on pense ; 6+6
Tant pour faire le mal,tant pour s’en repentir ; 6+6
Péage pour entrer,péage pour sortir ; 6+6
315 Le baptême, c’est tant ;n’oubliez pas l’annate ; 6+6
Tant pour l’enfant de chœurà la robe incarnate ; 6+6
Tant pour vous marier ;ah ! vous mourez ; c’est tant. 6+6
Corruption ! Toujoursune main qui se tend ! 6+6
Dès que le père expireou que la mère est morte, 6+6
320 Les enfants orphelinss’en vont de porte en porte 6+6
Mendier pour paverle prêtre, et, sans remords, 6+6
Un marchand sacré vendsa pourriture au mort. 6+6
Rome sur tout prélèveune part, s’attribue 6+6
Sur deux mules la bonneet laisse la fourbue, 6+6
325 Taxe le berger, tondla brebis, prend l’agneau, 6+6
Gte la fille au lit,le vin dans le tonneau, 6+6
Flaire la cargaisondu vaisseau dans le havre, 6+6
Et mange avant les versle meilleur du cadavre. 6+6
Jésus disait : aimer ;l’église dit : payer. 6+6
330 Le ciel est à qui peutacquitter le loyer, 6+6
On y sera logébien ou mal, mieux ou guère, 6+6
Selon qu’on sera richeou pauvre sur la terre ; 6+6
Arrière le haillon !place au riche manteau ! 6+6
Au mur du paradisRome a mis écriteau. 6+6
335 La chaire de Saint-Pierre,autrefois si sublime, 6+6
Espèce de tribuneénorme de l’abîme, 6+6
Dont le dais formidable,au mystère mêlé, 6+6
Semblait s’évanouirdans un gouffre étoilé, 6+6
Est aujourd’hui l’obscureet lugubre boutique 6+6
340 le bien et le mal,la messe et le cantique, 6+6
Le vrai, le faux, le jour,la nuit, l’ombre et le vent, 6+6
Les anges, l’infini,la tombe, tout se vend ! 6+6
Pourvu qu’il ait son crimeen ducats dans son coffre, 6+6
L’homme le plus perversvoit le prêtre qui s’offre ; 6+6
345 Et le plus noir banditqui soit sous le ciel bleu 6+6
Fouille à sa poche et ditau pape : Combien Dieu ? 6+6
Vous êtes un brigand,un gueux, un maniaque 6+6
De meurtres ; bien ; un tel,prêtre simoniaque, 6+6
Crible vos actionsdans son hideux tamis, 6+6
350 Se signe, et dit : Allez,vos torts vous sont remis. 6+6
C’est triste d’être absouspar ces viles engeances. 6+6
Rois, si j’avais sur moide telles indulgences, 6+6
De celles qui se fontmarchander et payer, 6+6
Je dirais à mon chien,pour me bien nettoyer, 6+6
355 De lécher le pardond’abord, le crime ensuite. 6+6
Mais vous ne réglez pasainsi votre conduite, 6+6
Et vous ne tombez pasdans ces scrupules vains. 6+6
Toujours, dans vos hauts faitsde nuit et de ravins, 6+6
Comme vous entendezque Dieu vous soit commode, 6+6
360 Et comme parmi vous,en outre, il est de mode 6+6
Que la vipère prêteau tigre son venin, 6+6
Vous avez près de vousun curé qui, bénin, 6+6
Vous conseille et vous sertdans toutes vos escrimes, 6+6
Qui trouve des raisonsen latin à vos crimes, 6+6
365 Qui vous bénit aprèsvos guets-apens, et coud 6+6
Un tedeum infâmeà chaque mauvais coup. 6+6
D’ la difformitéde la raison publique. 6+6
Caïphe et Busirisse donnent la réplique. 6+6
Quel est le faux ? Quel estle vrai Qui donc a tort ? 6+6
370 C’est l’honnête homme. A basle droit ! gloire au plus fort ! 6+6
Le ciel a le rayon,mais le prêtre a le prisme, 6+6
La vérité bégaieet crache le sophisme ; 6+6
La probité n’est plusqu’un enrouement confus. 6+6
Veut-on protester, vivre,essayer un refus, 6+6
375 On s’arrête, empêchédans l’immense argutie 6+6
Qu’en foule autour de vousle clergé balbutie ; 6+6
On a le prêtre, là,dans le fond du gosier ; 6+6
Et quand la consciencehumaine veut crier 6+6
Ou parler haut, elle al’église pour pituite. 6+6
380 Oh ! le ciel grand ouvert,la prière gratuite, 6+6
Le prêtre pauvre au pointde ne distinguer plus 6+6
Le cuivre d’un liardde l’or d’un carolus, 6+6
L’autel et l’évangileignorant le péage 6+6
Et la monnaie, ainsique l’astre et le nuage, 6+6
385 C’était beau, c’était grand,c’était ainsi jadis, 6+6
Dans le temps qu’on étaitdes jeunes gens hardis, 6+6
Et que, libre, on allaitchanter dans la montagne ! 6+6
Est-ce que c’en est faitdans le deuil qui nous gagne ? 6+6
Est-ce que les bons cœurset les hommes de bien 6+6
390 Ne verront plus celasous les cieux : Dieu pour rien ? 6+6
Rome n’a qu’un regret,c’est que la bête échappe 6+6
A l’ombre monstrueuseet large de sa chape, 6+6
Que l’animal soit francde son pouvoir jaloux, 6+6
Que l’ours rôde en dehorsdu fisc, et que les loups 6+6
395 Respirent l’air des cieuxdepuis le temps d’Évandre 6+6
Sans qu’on puisse trouvermoyen de le leur vendre. 6+6
Dieu vole la natureau prêtre ; il la soustrait ; 6+6
Il lui dit : Sauve-toidans la vaste forêt ! 6+6
C’est son tort. Le soleilest de mauvais exemple ; 6+6
400 Il ne réserve passa dorure au seul temple ; 6+6
Il empourpre les toitslaïcs, grands et petits, 6+6
Les maisons, les palais,les cabanes, gratis. 6+6
Quoi ! le brin d’herbe est libreet donne ce scandale 6+6
De crtre effrontémentaux fentes de la dalle ! 6+6
405 La folle avoine, auprèsdu lierre son voisin, 6+6
Pousse, sans acquitterle droit diocésain ! 6+6
Quoi ! depuis que l’Etnas’assied sur sa fournaise, 6+6
Géant sombre, il n’a pasencor payé sa chaise ! 6+6
Quoi ! l’éclair passe, va,revient, sans rien donner ! 6+6
410 Quoi ! l’étoile ose luire,éclairer, rayonner, 6+6
Sans qu’on lui puisse enfinprésenter la quittance ! 6+6
Le pape est avec Dieutête à tête, et le tance. 6+6
Quoi ! l’on ne peut au lysdes champs, pris au collet, 6+6
Dire : pour les besoinsdu culte, s’il vous plt ! 6+6
415 Quoi ! la vague, lavantles gouffres insondables, 6+6
Couvre l’énormitédes plages formidables, 6+6
Quoi ! l’écume jaillitjusqu’à cette hauteur 6+6
Sans retomber liarddans la main du quêteur ! 6+6
Oh ! si le prêtre enfinpouvait jeter sa serre 6+6
420 Sur la vie, et la prendreà Dieu, son adversaire ! 6+6
Quel hosanna le jour la fleur, le buisson, 6+6
Le nid, devraient payerau curé leur rançon ! 6+6
Le jour l’on pourraitmettre une bonne taxe 6+6
Sur l’usage que faitle pôle de son axe, 6+6
425 Chicaner sa caverneau lion, et tricher 6+6
L’eau que boit le moineaudans le creux du rocher ! 6+6
Donc, viatique, psaumeet vêpres, scapulaires, 6+6
Madones à clouersur le bec des galères, 6+6
La vertu du chrétien,la liberté du juif, 6+6
430 Tout est en magasinet tout a son tarif. 6+6
Et les nécessitésd’exploits hideux que crée 6+6
Cette vente à l’encande la chose sacrée ! 6+6
Ces pillages Romea plusieurs portions ! 6+6
Ces envahissementset ces extorsions 6+6
435 D’héritages qu’on vientd’un coup de hache fendre, 6+6
Et qui n’ont plus le brasdu chef pour les défendre ! 6+6
Ces fouilles de corbeauxdans le ventre des morts ; 6+6
Ces guerres , n’osants’en prendre aux hommes forts, 6+6
Craignant le bras qui frappeet la lance qui blesse, 6+6
440 La couardise appelleau combat la faiblesse ! 6+6
Quand on a devant soides barons, la plupart 6+6
Bandits bien créneléset droits sur leur rempart, 6+6
Mtres de quelque placeà d’autres usurpée, 6+6
Qu’on arrondisse un peusa terre avec l’épée, 6+6
445 En jouant au plus braveet non pas au plus fin, 6+6
Cela n’est pas très bienpeut-être, mais enfin 6+6
Coup pour coup, le fer batle fer, cela se passe 6+6
Entre ma panoplieet votre carapace, 6+6
Nous sommes gens gantésd’acier, bottés d’airain, 6+6
450 A visière féroce,à visage serein, 6+6
En guerre ! et nous pouvonsnous regarder en face. 6+6
Mais qu’on prenne aux petitspour les gros ; mais qu’on fasse 6+6
Un apanage à telou tel prélat câlin 6+6
Avec des biens de veuveou des biens d’orphelin ; 6+6
455 Mais, au mépris des loisdivines et chrétiennes, 6+6
Pour doter des frocardset des braillards d’antiennes, 6+6
Et des clercs qui, béats,par le vin attendris, 6+6
Vous disent : faites maigre !et mangent des perdrix, 6+6
Qu’on pille son douaireà cette pauvre vieille, 6+6
460 Qu’à cet enfant, qui faitun murmure d’abeille 6+6
Et qui rit en voyantrentrer les assassins, 6+6
On vole sa maisonet son champ, par les saints ! 6+6
Je dis que c’est horrible,et toute honte est bue 6+6
Autant par qui reçoitque par qui distribue ! 6+6
465 Le meurtre vole afind’acheter le pardon. 6+6
Rome est un champ ayantle moine pour chardon ; 6+6
Que l’âne de Jésusvienne donc et le broute ! 6+6
Ces prêtres qui pour ombreont derrière eux le doute, 6+6
Faux, masqués, emmiellantde leur perfide esprit 6+6
470 Le bord du vase au fondduquel le démon rit, 6+6
Trtres du ciel, à quil’opprobre profitable 6+6
Donne bon feu, bon lit,bon gîte et bonne table, 6+6
Ah ! ces larrons sacrés,malheur sur eux, malheur ! 6+6
Oh ! que j’aime bien mieuxle simple et franc voleur ! 6+6
475 Des fauves attentatssauvage cénobite, 6+6
Il a l’ombre pour antreet pour cltre ; il habite 6+6
Les déserts, les hallierscreusés en entonnoirs, 6+6
Le derrière des murscroulants, les recoins noirs 6+6
Des palais qu’on bâtit,, la nuit, dans les pierres 6+6
480 On entend le choc brusqueet fuyant des rapières ; 6+6
Ce brigand a du sangau front, mais pas de fard ; 6+6
Il est âpre et hideux,mais il n’est point cafard, 6+6
Mais il ne se met pasun surplis sur le râble, 6+6
Mais il risque du moinssa peau, le misérable ! 6+6
485 Le seigneur est la griffeet le prêtre est la dent. 6+6
C’est grâce à tout celaque, la débauche aidant, 6+6
L’horreur est installéeen nos tours féodales. 6+6
Ah ! crimes, deuils, banquets,prêtres, femmes, scandales ! 6+6
Rire et foudre mêlantleurs funèbres éclats ! 6+6
490 Nous frissonnons de voirtout ce qu’on voit, hélas, 6+6
Dans ces vaillants manoirssi glorieux naguères, 6+6
Quand, vieux aigles blanchis,et vieux faucons des guerres, 6+6
Par les brèches que fitle glaive, nous plongeons 6+6
Nos yeux dans la noirceurlugubre des donjons ! 6+6
*
495 Le soleil déclinait ;de leurs piques bourrues 6+6
Les soldats refoulaientle peuple au coin des rues, 6+6
Les prêtres chuchotaientprès du trône rangés. 6+6
— J’ai faim, dit Elciis.L’empereur dit : — Mangez. 6+6
II
LE DEUXIÈME JOUR
ROIS ET PEUPLES
Vous êtes plusieurs roisici, j’en suis bien aise. 6+6
500 Donc on peut vous parleren face. Toi, Farnèse, 6+6
Rends-nous compte de Parme ;et toi, duc Avellan, 6+6
De Montferrat ; et toi,Visconti, de Milan, 6+6
Vous avez ces pays ;qu’est-ce que vous en faites ? 6+6
L’Italie est heureuseet voit de belles fêtes ! 6+6
505 Le duc Sforce est un sbire ;il faudrait qu’on plongeât, 6+6
Pour trouver son pareil,plus bas que le goujat ; 6+6
Voulez-vous des bandits,Guiscard vous en procure ; 6+6
Strongoni, qui mourutd’une manière obscure 6+6
L’an passé, n’avait pasvécu très clairement ; 6+6
510 Craignez Foulque après boire,Alde après un serment ; 6+6
Squillaci roue et pend ;Malaspina s’adonne 6+6
A mêler la jusquiameavec la belladone ; 6+6
Le soir voit arriverjoyeux à son festin 6+6
Des gens que voit mourirl’œil pâle du matin. 6+6
515 Si Pandolfe a trouvéquelque part sa patente 6+6
De général, pardieu,ce n’est pas dans la tente. 6+6
Sixte étrangla Thomond ;Urbin extermina 6+6
Montecchi ; le vieux cômeégorgea Gravina ; 6+6
Ezzelin est faussaire,Ottobon est bigame, 6+6
520 Litta fait poignarderdans un bal à Bergame 6+6
Bernard Tumapailler,comte de Fezensac : 6+6
Jean massacre Borso ;Ports dérobe le sac 6+6
Que Boccanegre avaitlaissé dans sa gondole ; 6+6
Bonacossi sanglantrase la Mirandole ; 6+6
525 Et quant à monsieur d’Este,ah ! tous vos généraux 6+6
L’admirent ; quel vainqueur !L’an passé, ce héros, 6+6
Avec force soudardslevant la pertuisane, 6+6
Partit pour conquérirla marche trévisane ; 6+6
On battait du tambour,on jouait du hautbois ; 6+6
530 Un gros de paysansl’attaque au coin d’un bois, 6+6
L’armée au premier chocplie, et ce guerrier rare 6+6
Prit la fuite, et revinten chemise à Ferrare 6+6
Après avoir étévolé dans le chemin. 6+6
Guy tue Alphonse afind’être comte romain ; 6+6
535 Le duc Fosdinovovend Nice au barbaresque ; 6+6
Spinetta se fait peindreayant, dans une fresque, 6+6
Un crâne entre les dentscomme un singe une noix ; 6+6
Fiesque empoisonne Azzo,c’est le mode génois ; 6+6
De par l’assassinatSapandus est exarque ; 6+6
540 Cibo, pour traverserle lac Fucin, embarque 6+6
Trois enfants, dont il doithériter, ses neveux, 6+6
Sur un bateau doréqu’il suit de tous ses vœux, 6+6
Et qui les noie, étantfait de planches trop minces. 6+6
Mais expliquons-nous donc,vous nommez ça des princes ! 6+6
545 Un tas de scélératset de coupe-jarrets ! 6+6
La justice en leur nomprononce des arrêts ; 6+6
On les appelle grands,nobles, sérénissimes ; 6+6
Ils sont comme des feuxallumés sur des cimes ; 6+6
Augustes marauds ! gueuxde l’honneur trafiquant ! 6+6
550 Drôles que frapperaient,à l’autel comme au camp, 6+6
Au nom du chaste glaive,au nom du temple vierge, 6+6
Ulysse de son sceptreet Jésus de sa verge ! 6+6
Si vous vous êtes misdans l’esprit qu’en ayant 6+6
Plus d’infamie, on estun roi plus flamboyant, 6+6
555 Si vous vous figurezvos races rajeunies 6+6
Par vos férocitéset vos ignominies, 6+6
Rois, je vous le redis,vous vous trompez ; l’erreur, 6+6
C’est de croire qu’un nompeut grandir par l’horreur, 6+6
La fraude et les forfaitsaccumulés sans cesse. 6+6
560 Une augmentationde honte et de bassesse, 6+6
D’ombre et de déshonneurn’accrt pas les maisons ; 6+6
La fange n’a jamaisredoré les blasons. 6+6
Ah ! deuil sans borne aprèsles prouesses sans nombre ! 6+6
Vous faites du passévotre piédestal sombre ; 6+6
565 Sur les grands siècles mortssans tache et sans défaut 6+6
Vous montez, pour portervotre honte plus haut ! 6+6
Vous semblez avec euxavoir fait la gageure 6+6
D’égaler leur lumièreet leur lustre en injure, 6+6
Et de ne pas laisserà leur vieille fierté 6+6
570 Une splendeur sans mettreun opprobre à côté ; 6+6
Et vous avez le prixdans cette affreuse joute 6+6
votre abjectionà leur gloire s’ajoute ! 6+6
O Dieu qui m’entendez,ces hommes sont hideux, 6+6
Certe, ils sont étonnésde nous comme nous d’eux. 6+6
575 Avez-vous fait erreur ?et que faut-il qu’on pense ? 6+6
A qui le châtiment ?à qui la récompense ? 6+6
Quelle nuit ! N’est-ce pasle plus dur des affronts 6+6
Que nous les preux ayonspour fils eux, les poltrons ! 6+6
Et qu’abjects et rompantles anciens équilibres, 6+6
580 Eux les tyrans, soient nésde nous, les hommes libres ; 6+6
Si bien que l’honnête hommeest chargé du maudit 6+6
Et que le juste doitrépondre du bandit ! 6+6
Qu’ont-ils fait pour porterdes noms comme les nôtres, 6+6
Par quel fil pouvons-noustenir les uns aux autres, 6+6
585 Dieu puissant ! et commentavons-nous mérité 6+6
Eux ces pères, et nous,cette postérité ? 6+6
Ah ! le siècle difformeet funeste nous sommes, 6+6
En étalant, auprèsdes tombes, de tels hommes, 6+6
Si lâches, si méchants,si noirs, que j’en frémis, 6+6
590 Offense la pudeurdes aïeux endormis. 6+6
Le vent à son gré rouleet tord la banderole. 6+6
Je n’avais pas desseinquand j’ai pris la parole 6+6
De dire tout cela,mais c’est dit, et c’est bon. 6+6
Rois, je sens sur ma lèvreerrer l’ardent charbon ; 6+6
595 A moi simple, il me vienten parlant des idées, 6+6
La patrie et la nuitsur moi sont accoudées 6+6
Et toute l’Italieen mon âme descend. 6+6
Je sens mon sombre espritcomme un flot grossissant. 6+6
Dieu sans doute a voulu,sire, que votre altesse 6+6
600 Vît l’indignationqui sort de la tristesse. 6+6
Je sais que par instantsle public devient froid 6+6
Pour le bien et le mal,pour le crime et le droit, 6+6
Le comble de la chuteétant l’indifférence ; 6+6
On vit, l’abjectionn’est plus une souffrance ; 6+6
605 On regarde avancersur le même cadran 6+6
Sa propre ignominieet l’orgueil du tyran ; 6+6
L’affront ne pèse plus ;et même on le déclare. 6+6
A ces époques-làde sa honte on se pare ; 6+6
Temps hideux la joueest rose du soufflet. 6+6
610 La jeunesse a perdul’élan qui la gonflait ; 6+6
Le tocsin ne fait plusdresser la sentinelle, 6+6
Ce fauve oiseau qui batles cloches de son aile 6+6
Est cloué sur la porteobscure du beffroi ; 6+6
Oui, sire, aux mauvais jours,sous quelque méchant roi, 6+6
615 Féroce, quoique vil,et, quoique lâche, rude, 6+6
Toute une nationse change en solitude ; 6+6
L’échine et le bâtonsemblent être d’accord, 6+6
L’un frappe et l’autre accepte ;et le peuple a l’air mort ; 6+6
On mange, on boit ; toujoursla foule, plus personne ; 6+6
620 Les âmes sont un solaride le pied sonne ; 6+6
Les foyers sont éteints,les cœurs sont endormis ; 6+6
Rois, voyant ce sommeil,on se croit tout permis. 6+6
Ah ! la tourbe est ignobleet l’élite est indigne. 6+6
De l’avilissementl’homme porte le signe. 6+6
625 L’air tiède et mou, le tempsqui passe, la gté, 6+6
Les chants, l’oubli des morts,tout est complicité ; 6+6
Tous sont trtres à tous,et la foule se rue 6+6
A trner les vaincuspar les pieds dans la rue ; 6+6
Le silence est au fondde tout le bruit qu’on fait ; 6+6
630 On est prêt à baiserSatan s’il triomphait ; 6+6
Le mal qui réussitdevient digne d’estime ; 6+6
L’applaudissement suit,la chne au cou, le crime, 6+6
Que la libre huéea d’abord précédé ; 6+6
On voit — car le malheurlui-même dégradé 6+6
635 Abdique la colèreet se couche et se vautre, 6+6
Dans l’espoir d’avoir partau pillage d’un autre 6+6
Les extorqués faisantcortège aux extorqueurs. 6+6
Pas une résistanceillustre dans les cœurs ! 6+6
La tyrannie altière,atroce, inexorable, 6+6
640 Est le vaste échafaudde l’homme misérable ; 6+6
Le mtre est le gibet,les flatteurs sont les clous. 6+6
Mangé de la vermineou dévoré des loups, 6+6
Tel est le sort du peuple ;il faut qu’il s’y résigne. 6+6
Des vautours, des corbeaux.Mais donc est le cygne ? 6+6
645 donc est la colombe ? donc est l’alcyon ? 6+6
Quand on n’est pas Tibèreon est Trimalcion. 6+6
L’un rampe, lèche et ritpendant que l’autre opprime. 6+6
Sombre histoire ! le viceest le fumier du crime ; 6+6
Les hommes sont bassesseou bien férocité ; 6+6
650 Meurtre dans le palais,fange dans la cité ; 6+6
Le tyran est doublédu valet ; et le monde 6+6
Va de l’antre du fauveà l’auge de l’immonde. 6+6
Tout ce que je dis làvous fait l’esprit content, 6+6
C’est votre joie, ô rois ;mais écoutez pourtant. 6+6
655 Rois, qu’une seule voixproteste, elle réveille 6+6
Au fond de ce silenceune sinistre oreille. 6+6
Et fait rouvrir un œilterrible en cette nuit ; 6+6
Prenez garde à celuiqui fait le premier bruit ; 6+6
Un seul passant sévèreet ferme déconcerte 6+6
660 Dans son abjectionl’immensité déserte ; 6+6
Un vivant n’a qu’à direaux cadavres un mot, 6+6
Et l’ossuaire vase lever en sursaut. 6+6
Princes, aussi longtempsqu’on croit le ciel compère, 6+6
On se tait ; tant qu’on voitle tyran qui prospère 6+6
665 Et le lâche succèsqui le suit comme un chien, 6+6
C’est bon ; tant que le malqu’il fait se porte bien, 6+6
Sa personne est un dogmeet son règne est un culte. 6+6
Un beau jour, brusquement,catastrophe, tumulte, 6+6
Tout croule et se disperse,et dans l’ombre, les cris, 6+6
670 L’horreur, tout dispart ;et, quant a moi, je ris 6+6
De ceux qu’ébahiraientces chutes de tonnerre. 6+6
Pisistrate, Manfred,Hippias, Foulques-Nerre, 6+6
Hatto du Rhin, Jean deux,le pire des dauphins, 6+6
Macrin, Vitellius,ont fait de sombres fins ; 6+6
675 Rois, ce ne sont point làdes choses que j’invente ; 6+6
C’est de l’histoire. On peutrégner par l’épouvante 6+6
Et la fraude, assistéde tel prêtre moqueur 6+6
Et fourbe, à qui les versmangent déjà le cœur, 6+6
On peut courber les grands,fouler la basse classe ; 6+6
680 Mais à la fin quelqu’undans la foule se lasse, 6+6
Et l’ombre soudain s’ouvre,et de quelque manteau 6+6
Sort un poing qui se crispeet qui tient un couteau. 6+6
Vous dites : — Devant moitout fléchit et recule ; 6+6
Moi, je viens de Turnus ;moi je descends d’Hercule ; 6+6
685 J’ai le respect de tous,étant né radieux 6+6
Et fils de ces hérosqui touchaient presque aux dieux. — 6+6
Ne vous fiez pas tropà vos grands noms, mes mtres ; 6+6
Car vous seriez frappés,quels que soient vos ancêtres, 6+6
Eussiez-vous sur le frontl’étoile Aldébaran. 6+6
690 On s’inquiète peudes aïeux d’un tyran, 6+6
Du Chéréas quelconqueon applaudit l’audace. 6+6
Qu’Aurélien soit nobleou bourgeois, qu’il soit dace 6+6
Ou hongrois, ce n’est pasce que je veux savoir, 6+6
Mais il fut dur et sombre ;et, quant au vengeur noir 6+6
695 Qui rejette au tombeaucette âme ensanglantée, 6+6
Que ce soit Mucaporou que ce soit Mnesthée, 6+6
Qu’importe ? Un tyran tombe,un despote est détruit, 6+6
Je n’en demande pasdavantage à la nuit. 6+6
Ces meurtres-là sont grandsBrutus en est la marque ; 6+6
700 Chion, Léonidasen poignardant Cléarque, 6+6
Ont montré qu’il étaientdisciples de Platon ; 6+6
Harmodius n’avaitpas de poil au menton 6+6
Quand il dit : je tueraile tyran ; il le tue ; 6+6
Et la Grèce lui faitdresser une statue 6+6
705 Qui tenait à la mainune épée et des fleurs. 6+6
On peut frapper le roiqui vit de vos malheurs, 6+6
L’usurpateur arméde forfaits et de ruses ; 6+6
C’était l’opiniondes grecs amants des muses, 6+6
Peuple si délicatque, sous ces nobles cieux, 6+6
710 Les orfèvres, sculpteursdes métaux précieux, 6+6
Moulaient les coupes d’orsur la gorge des femmes. 6+6
Ainsi furent puniscertains hommes infâmes, 6+6
Car on n’épargne pointqui n’a rien épargné ; 6+6
Et l’histoire les suitd’un regard indigné. 6+6
715 Moi, je ne juge pasces justices sinistres ; 6+6
Je les vois, je n’ai pointla garde des registres 6+6
Ni la révisiondes arrêts ; je n’ai pas 6+6
De signature à mettreau bas de ces trépas ; 6+6
C’est la chose de Dieu,non la mienne ; l’affaire 6+6
720 Le regarde, et non moi,vieux néant de la guerre, 6+6
Spectre, qui vais trnantmes pas estropiés 6+6
Et qui sens des douleurssous la plante des pieds ; 6+6
Après tout, je ne suisni mage ni prophète ; 6+6
Et que la volontédu ciel profond soit faite ! 6+6
725 Rois, je n’apporte icique l’avertissement. 6+6
O princes, vous pouvezcrouler subitement. 6+6
Vous avez beau comptersur vos soldats horribles ; 6+6
Les comètes aussisont fortes et terribles, 6+6
Elles vont à l’assautdu soleil rayonnant, 6+6
730 Elles font peur au ciel ;mais Dieu, rien qu’en tournant 6+6
Son doigt mystérieuxvers les nuits scélérates, 6+6
Fait dans l’océan noirfuir ces astres pirates. 6+6
*
Le pas des lansquenetssonnait sur les pavés. 6+6
— J’ai soif, dit Elciis.L’empereur dit : — Buvez. 6+6
III
LE TROISIÈME JOUR
LES CATASTROPHES
735 L’éternité n’est pointdans vos apothéoses ; 6+6
Et Dieu ne l’a donnéeà rien, pas même aux roses. 6+6
Le temps que vous avezn’est pas illimité. 6+6
Un jour vient, tout se paie ;et la calamité, 6+6
Qui sortit si souventde vos palais, y rentre. 6+6
740 La foule alors, autourdu mtre dans son antre, 6+6
Bouillonne et s’enfle ; on voitles pauvres demi-nus 6+6
Rugir, humbles hier,brusquement devenus 6+6
Plus hagards que les hunset que les assagètes. 6+6
Ah ! les reines — je plainsles femmes — sont sujettes 6+6
745 Aux cheveux blanchissantdans une seule nuit. 6+6
L’incendie au sommetdes tours s’épanouit, 6+6
Seule utile lueurqui sorte du despote ; 6+6
Au-dessus du palais,buisson de flamme, il flotte, 6+6
Et, croissant à traversles toits, ouvre au milieu 6+6
750 Ses pétales d’auroreet ses feuilles de feu, 6+6
Étant la rose horribleet fauve des décombres. 6+6
Vous avez dans vos cœursces pressentiments sombres ; 6+6
C’est pourquoi, malgré vous,vous êtes pleins d’ennuis. 6+6
Qui suis-je maintenant,moi qui parle ? Je suis 6+6
755 Un vieux homme qui vasur la route. On l’arrête. 6+6
Entrez ; il parle, il ditson avis sur la fête ; 6+6
Rien de plus. Rois, je suiscet horrible inconnu 6+6
Qu’on nomme le passantet le premier venu ; 6+6
Je suis la grande voixdu dehors ; et les choses 6+6
760 Que je dis, et qui fontblêmir vos fronts moroses, 6+6
Sont celles qu’à vos piedstout un peuple vivant 6+6
Rêve et pense, et qu’emporteau fond des cieux le vent. 6+6
Car lorsque je disaisque les âmes sont mortes, 6+6
Tout à l’heure, et que rienne remue à vos portes, 6+6
765 Et que la lâchetépublique a fait la paix 6+6
Avec votre infamie,ô rois, je me trompais. 6+6
Non, Rome vit dans Rome,et l’eau bout dans le vase. 6+6
Mais à mon âge on peutbroncher dans une phrase ; 6+6
Faire erreur sur un motn’est rien ; l’essentiel 6+6
770 C’est d’être une âme honnêteet droite sous le ciel. 6+6
Donc, le moment approche la grappe, étant mûre, 6+6
Tombera. L’heure vient.— Mais j’entends qu’on murmure. 6+6
Est-ce que par hasardils ont imaginé, 6+6
Ces princes, ces banditscompagnons d’un damné, 6+6
775 Ces gangrenés du mal,ces rois en qui suppure 6+6
Toute l’abjectionde notre époque impure, 6+6
Que j’étais un soldatde l’humeur des valets ; 6+6
Qu’en me disant : parlez,vous qui passez ! j’allais 6+6
Avec la flatterie,immonde et vil dictame 6+6
780 Panser complaisammentl’ulcère de leur âme ; 6+6
Que moi, le vieux pisan,je courberais le front, 6+6
Et qu’ils pourraient, étantles malheureux qu’ils sont, 6+6
Ce Ranuce, ce Jean,ce Ratbert, cet Alonze, 6+6
Faire sucer leur plaieà la bouche de bronze ? 6+6
785 Pour adorer Ratbertil faut être Ratbert ; 6+6
Pour admirer Ranuceen perfidie expert 6+6
Et Jean l’homme du meurtre,il faudrait que je n’eusse 6+6
Pas plus de cœur que Jeanni d’âme que Ranuce. 6+6
Oh ! laissez-moi cachermon front sous mon manteau. 6+6
790 Quand me descendra-t-ondans le Campo-Santo, 6+6
Avec les trépassésaugustes qu’on oublie, 6+6
Avec les chevaliersde la vieille Italie, 6+6
Loin des vivants, parmiles spectres d’Orcagna ? 6+6
Pourquoi faut-il qu’à ceuxque la guerre épargna 6+6
795 La mort vienne si tard,hélas ! menant en laisse 6+6
Ces deux chiens monstrueux,la honte et la vieillesse ? 6+6
Ah ! jeunes gens ! les ansfont plier mes genoux, 6+6
Je suis triste jusqu’àla haine devant vous. 6−6
Ah ! la décrépitudeà l’opprobre ressemble ! 6+6
800 Le dedans reste ferme ;hélas, le dehors tremble. 6+6
Nous avons beau flétrirces nouveaux arrivants, 6+6
Nous ne pouvons punir ;nous ne sommes vivants 6+6
Que juste ce qu’il fautpour endurer l’offense. 6+6
Qu’il est dur de rentrerdans la mort par l’enfance 6+6
805 Ah ! c’est un grand malheuret c’est un grand dépit 6+6
D’être encore lionquand le renard glapit, 6+6
D’entendre les chacalset les bêtes funèbres 6+6
Faire leur fête horribleau milieu des ténèbres, 6+6
Et de ne pouvoir pas,étant malade et vieux, 6+6
810 Secouer sa crinièreénorme jusqu’aux cieux ! 6+6
Je vois ce qui s’écrouleet je vois ce qui monte, 6+6
Ruine de la gloireet croissance de honte ; 6+6
Et l’ouvre avec regretmes vieux yeux assoupis. 6+6
Et si je vais trop loindans mes discours, tant pis ! 6+6
815 Car je n’ai pas le tempsde prendre des mesures 6+6
Du degré de respectqu’on doit à vos masures, 6+6
A vos tours, à vous, sire,et de la quantité 6+6
De mépris qui convientà votre majesté. 6+6
O misère ! pendantque tout entiers vous êtes 6+6
820 Aux plaisirs, aux chansons,aux bals, aux coupe-têtes, 6+6
Aux meurtres, aux festinsabjects, aux jeux brutaux, 6+6
Aux pièges qu’on se tendde châteaux à châteaux, 6+6
Ceux-ci pillant ceux-là,ceux-là tondant les autres, 6+6
Les plus sanglants disanttout bas des patenôtres, 6+6
825 Sournois, avant toujoursvotre ami pour danger ; 6+6
Pendant que vous passezvotre temps à manger, 6+6
A vous sler de vinet d’horreurs inconnues, 6+6
Regardant l’impudeurdes femmes presque nues, 6+6
Contemplant aux miroirsvos malsaines pâleurs, 6+6
830 Vous parfumant de musc,vous couronnant de fleurs, 6+6
Et des gens que j’ai ditgrossissant les prébendes, 6+6
Hélas ! les sarrasinsdu Fraxinet, par bandes, 6+6
Infestent la Provenceet le bas Dauphiné ; 6+6
Humbert, dauphin de Vienne,est chez lui confiné ; 6+6
835 Personne ne défendla marche occidentale 6+6
la cavalerieespagnole s’installe, 6+6
Et je ne sache pasqu’un comte ou qu’un marquis 6+6
S’en montre curieuxet qu’on se soit enquis 6+6
De quels Guadalquivirset de quelles Navarres 6+6
840 Sortent ces catalanset ces almogavares. 6+6
Partout l’étranger vientet de Naple aux Grisons 6+6
Montre sa pique au bordde nos noirs horizons. 6+6
Chocs, alertes, assauts,invasions soudaines ; 6+6
Ils viennent de Nubie,ils viennent des Ardennes. 6+6
845 Au duc Welf qui, lasséde ne voir ni vaillant, 6+6
Ni prince devant lui,vous regarde en bâillant, 6+6
Quel bras opposez-vous,dites ? Quel capitaine 6+6
Aux usurpationsdes tyrans d’Aquitaine ? 6+6
Une maille de moinsdéfait tout le tricot ; 6+6
850 Vous n’avez plus le Var,vous n’avez plus l’Escaut. 6+6
Chaque passant arracheau vieux temple une brique. 6+6
Abraham, empereurdes maures en Afrique, 6+6
Laissant derrière luiles royaumes penchés 6+6
Et saignants, et les champsde cadavres jonchés, 6+6
855 Approche, et le voilàqui touche à l’Italie ; 6+6
Nos murs, dont le drapeaufrissonnant se replie, 6+6
Chancellent, et déjàsur leur morne blancheur 6+6
Nous pouvons voir grandirl’ombre de ce faucheur. 6+6
Du sud accourt le nègre,et du nord vient le singe ; 6+6
860 Les huns sortent velusdes forêts de Thuringe ; 6+6
Le spectre d’Alaricrôde et sonne du cor ; 6+6
Les vieilles nationsvandales sont encor 6+6
A nos portes, grinçantles dents et hurlant toutes, 6+6
Dans la Souabe, paysfauve et qui n’a pour routes 6+6
865 Que des sentiers perdusdans le sombre des bois. 6+6
L’empereur grec pâlitdans Byzance aux abois ; 6+6
Son armée est sans duc,sa flotte est sans drungaire ; 6+6
Pas d’hommes, pas d’argent ;comment faite la guerre ? 6+6
Toute la chrétientéle laisse sans appui ; 6+6
870 Ce livide Andronic,entre les turcs et lui, 6+6
N’a plus qu’un bras de merde deux milles de large ; 6+6
Ce césar plie au poidsdu monde qui le charge ; 6+6
Du toit de son palais,il voit à l’orient 6+6
Les barbares tirerleurs sabres en riant ; 6+6
875 Son fils, Kyr Michaël,craint de livrer bataille. 6+6
Ici, quels chefs a-t-on ?qui ? de la valetaille. 6+6
Car vous n’obéissezqu’à plus petit que vous ; 6+6
Vous avez l’orgueil basayant le cœur jaloux. 6+6
Princes, l’infirmitéde ce croulant empire, 6+6
880 C’est que toujours le moindreest choisi par le pire ; 6+6
Le cul-de-jatte est ducdans le camp des gtreux. 6+6
Quant aux moines à casque,ils se battent entre eux, 6+6
Au lieu de s’occuperde notre délivrance. 6+6
Villiers de l’Île-Adam,de la langue de France, 6+6
885 Guerroie Ugoccion,grand mtre des portiers. 6+6
Une gorgone sortde tous ces bénitiers ; 6+6
Et le pape à servirdes messes utilise 6+6
Azon cinq, généraldes troupes de l’église. 6+6
Le peu qui nous restaitdes bons vieux généraux 6+6
890 Meurt de votre dédainaidé de vos bourreaux ; 6+6
On oublie à Finaldon Fabrice, on expulse 6+6
Roger, on met au bande l’empire Trivulce ; 6+6
Et l’ennemi s’avance,et vous n’avez plus là 6+6
Bélisaire pour faireéchec à Totila. 6+6
895 Tout le vieux fer romainn’est plus que de la rouille. 6+6
Deux femmes autrefoisqui filaient leur quenouille, 6+6
Voyant que l’étrangerenjambait le fossé, 6+6
Ont crié : guerre ! et prisla pique, et l’ont chassé ; 6+6
Ces deux femmes, c’étaient,autant qu’il m’en souvienne, 6+6
900 Auxilia de Nice,et Mahaud d’Albon-Vienne. 6+6
Fils de ces femmes-làqui battaient vos vainqueurs, 6+6
Vous avez héritédes fuseaux, non des cœurs. 6+6
Déserteurs du pays,oppresseurs de l’empire, 6+6
Le peuple est stupéfaitet ne sait plus que dire 6+6
905 Dans le saisissementde votre lâcheté. 6+6
Que reste-t-il du ciel,rois, le soleil ôté, 6+6
Et de la terre, hélas !l’Italie éclipsée ? 6+6
Voilà. Je vous ai dità peu près ma pensée. 6+6
*
Elciis s’arrêtant,car le jour était chaud, 6+6
910 Dit : — Je voudrais dormir.L’empereur dit : — Bientôt. 6+6
IV
LE QUATRIÈME JOUR
DIEU
Le mtre est insenséde peser ce qu’il pèse, 6+6
Et, parce qu’on se tait,de croire qu’on s’apaise. 6+6
*
Princes, sachez-le bien.Les hommes d’autrefois 6+6
Valaient mieux paysansque vous ne valez rois. 6+6
915 La clarté de leurs yeuxgêne vos regards trtres. 6+6
Leurs pieds font en marchantun bruit de pas d’ancêtres. 6+6
Quand, survenant du fonddu vieil honneur lointain, 6+6
Un d’eux entre chez vousà l’heure du festin, 6+6
Il sent frémir autourde ses talons sévères 6+6
920 Le tremblement des cœurs,des glaives, et des verres. 6+6
Oui, vous êtes les nainsd’un temps chétif et laid ; 6+6
Que le plus grand de vousmette mon gantelet, 6+6
Je gage que son poingentrera dans le pouce. 6+6
Au rebours de l’honneurle vil instinct vous pousse. 6+6
925 Nous sommes les vaillants ;vous, vos morts même ont peur ; 6+6
L’angoisse d’un cœur fauxet d’un esprit trompeur 6+6
Fait grelotter vos os ;si bien que nos natures 6+6
Se distinguent encorjusqu’en nos pourritures ; 6+6
Vous êtes les petitset nous sommes les bons ; 6+6
930 Et lorsque vous tombez,et lorsque nous tombons, 6+6
La mort montre, parmiles broussailles farouches, 6+6
Nos cadavres aux loups,et les vôtres aux mouches. 6+6
Les signes de ce temps,les voici : des clairons, 6+6
Des femmes dans les camps,des plumes sur les fronts, 6+6
935 Des carnavals durantla moitié de l’année, 6+6
Une jeunesse folleau plaisir acharnée, 6+6
Joyeuse ; et la rougeursinistre des vieillards. 6+6
Quand deux pères rôdantle soir dans les brouillards 6+6
Se rencontrent non loinde vos éclats de rire, 6+6
940 Ils passent sans leverles yeux et sans rien dire. 6+6
Spectacle ténébreuxqu’un peuple décroissant ! 6+6
Même quand tous sont là,l’on sent quelqu’un d’absent ; 6+6
C’est l’âme, c’est l’espritsacré, c’est la patrie. 6+6
Une foule avilie,une race flétrie 6+6
945 Perd sa lumière ainsiqu’un bois mort perd sa fleur. 6+6
Que ce soit l’Italieajoute à ma douleur. 6+6
La chose est surprenanteet triste que des trtres, 6+6
Des coquins, générauxde moines et de rtres, 6+6
Puissent rapetisserlentement dans leur main 6+6
950 Un peuple, quand ce peupleest le peuple romain. 6+6
En lisant aux enfantsl’histoire d’Agricole 6+6
Ou de Cincinnatus,les vieux mtres d’école 6+6
S’arrêtent et n’ont pasla force d’achever. 6+6
Hélas ! on voit encorles astres se lever, 6+6
955 L’aube sur l’Apenninjeter sa clarté douce, 6+6
L’oiseau faire son nidavec les brins de mousse, 6+6
La mer battre les rocsdans ses flux et reflux, 6+6
Mais la grandeur des cœurs,c’est ce qu’on ne voit plus. 6+6
Ne croyez pas pourtantque je me décourage. 6+6
960 Je ne fais pas icile bruit d’un vent d’orage 6+6
Pour n’aboutir qu’au douteet qu’à l’accablement. 6+6
Non, je vous le redis,sire, le grand dormant 6+6
S’éveillera ; non, non,Dieu n’est pas mort, ô princes. 6+6
Le peuple, ramassantses tronçons, ses provinces, 6+6
965 Tous ses morceaux coupéspar vous, pâle, effrayant, 6+6
Se dressera, le frontdans la nuée, ayant 6+6
Des jaillissements d’aubeaux cils de ses paupières 6+6
Tout luira ; le tocsinsonnera dans les pierres ; 6+6
Tout frémira, du capd’Otrante au mont Ventoux ; 6+6
970 L’Italie, ô tyrans,sortira de vous tous. 6+6
De votre monstrueuseet cynique mêlée 6+6
Elle s’évadera,la belle échevelée, 6+6
En poussant jusqu’au cielce cri : la liberté ! 6+6
Le vieil honneur tient bonet n’a pas déserté. 6+6
975 Pour ouvrir dans la honteou la roche une issue, 6+6
Il suffit d’un coup d’âmeou d’un coup de massue. 6+6
Tous les peuples sont vrais,même les plus niés. 6+6
Vous vous tromperiez fortsi vous imaginiez 6+6
Que Dieu permet aux rois,conseillés par le prêtre, 6+6
980 D’éteindre la lumièreauguste, et qu’il peut être 6+6
Au pouvoir de quelque hommeici-bas que ce soit 6+6
De le vaincre, et d’alleraux cieux tuer le droit. 6+6
Régnez, frappez, soyezmauvais, faites des fautes, 6+6
Faites des crimes, soit ;il est des lois très hautes. 6+6
985 Les flots sont doute, erreur,trouble ; le fond est sûr. 6+6
Sachez-le, rois d’en bas ;pour que ce globe obscur, 6+6
Création fataleet sainte, rayonnante, 6+6
Puis lugubre, et de tantde souffles frissonnante, 6+6
Ne soit pas, dans l’horreurde l’abîme ignoré, 6+6
990 Comme un sombre navireerrant désemparé, 6+6
Rois, afin que la vie,et l’être, et la nature, 6+6
Restent et n’aillent passe perdre à l’aventure 6+6
Dans le morne océandu mystère inconnu, 6+6
Par quatre chnes d’orle monde est retenu ; 6+6
995 Ces chnes sont : Raison,Foi, Vérité, Justice ; 6+6
Et l’homme, en attendantque la mort l’engloutisse, 6+6
Pèse sur l’infini,sur Dieu, sur l’univers, 6+6
Et s’agite, et s’efforce,orageux, noir, pervers, 6+6
Avec ses passionsfolles ou criminelles, 6+6
1000 Sans pouvoir arracherces ancres éternelles ! 6+6
*
Les yeux sous les sourcils,l’empereur très clément 6+6
Et très noble écoutal’homme patiemment, 6+6
Et consulta des yeuxles rois ; puis il fit signe 6+6
Au bourreau, qui saisitla hache.
— J’en suis digne, 6+6
1005 Dit le vieillard, c’est bien,et cette fin me plt. — 6+6
Et calme il rabattitde ses mains son collet, 6+6
Se tourna vers la hache,et dit : Je te salue. 6+6
Mtres, je ne suis pointde la taille voulue, 6+6
Et vous avez raison.Vous, princes, et vous, roi, 6+6
1010 J’ai la tête de plusque vous, ôtez-la-moi. 6+6
mètre profil métrique : 6−6
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