Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
HUG_4/HUG861
Victor HUGO
LA LÉGENDE DES SIÈCLES
NOUVELLE SÉRIE
1877
XXVIII
ABÎME
Abîme
L'HOMME
Je suis l'esprit, vivantau sein des choses mortes. 6+6
Je sais forger les clefsquand on ferme les portes ; 6+6
Je fais vers le désertreculer le lion ; 6+6
Je m'appelle Bacchus,Noé, Deucalion ; 6+6
5 Je m'appelle Shakspeare,Annibal, César, Dante ; 6+6
Je suis le conquérant ;je tiens l'épée ardente, 6+6
Et j'entre, épouvantantl'ombre que je poursuis, 6+6
Dans toutes les terreurset dans toutes les nuits. 6+6
Je suis Platon, je vois ;je suis Newton, je trouve. 6+6
10 Du hibou je fais ntreAthène, et de la louve 6+6
Rome ; et l'aigle m'a dit :Toi, marche le premier ! 6+6
J'ai Christ dans mon sépulcreet Job sur mon fumier. 6+6
Je vis ! dans mes deux mainsje porte en équilibre 6+6
L'âme et la chair ; je suisl'homme enfin, mtre et libre. 6+6
15 Je suis l'antique Adam !j'aime, je sais, je sens ; 6+6
J'ai pris l'arbre de vieentre mes poings puissants ; 6+6
Joyeux, je le secoueau-dessus de ma tête, 6+6
Et, comme si j'étaisle vent de la tempête, 6+6
J'agite ses rameauxd'oranges d'or chargés, 6+6
20 Et je crie : — Accourez,peuples ! prenez, mangez ! 6+6
Et je fais sur leurs frontstomber toutes les pommes ; 6+6
Car, science, pour moi,pour mes fils, pour les hommes 6+6
Ta sève à flots descenddes cieux pleins de bonté, 6+6
Car la Vie est ton fruit,racine Éternité ! 6+6
25 Et tout germe, et tout crt,et, fournaise agrandie, 6+6
Comme en une forêtcourt le rouge incendie, 6+6
Le beau Progrès vermeil,l'œil sur l'azur fixé, 6+6
Marche, et tout en marchantdévore le passé. 6+6
Le veux, tout obéit,la matière inflexible 6+6
30 Cède ; je suis égalpresque au grand Invisible ; 6+6
Coteaux, je fais le vincomme lui fait le miel ; 6+6
Je lâche comme luides globes dans le ciel ; 6+6
Je me fais un palaisde ce qui fut ma geôle ; 6+6
J'attache un fil vivantd'un pôle à l'autre pôle ; 6+6
35 Je fais voler l'espritsur l'aile de l'éclair ; 6+6
Je tends l'arc de Nemrod,le divin arc de fer, 6+6
Et la flèche qui siffleet la flèche qui vole 6+6
Et que j'envoie au boutdu monde, est ma parole. 6+6
Je fais causer le Rhin,le Gange et l'Orégon 6+6
40 Comme trois voyageursdans le même wagon. 6+6
La distance n'est plus.Du vieux géant Espace 6+6
J'ai fait un nain. Je vais,et, devant mon audace, 6+6
Les noirs titans jalouxlèvent leur front flétri ; 6+6
Prométhée, au Caucaseenchné, pousse un cri, 6+6
45 Tout étonné de voirFranklin voler la foudre ; 6+6
Fulton, qu'un Jupitert mis jadis en poudre, 6+6
Monte Léviathanet traverse la mer ; 6+6
Galvani, calme, étreintla mort au rire amer ; 6+6
Volta prend dans ses mainsle glaive de l'archange 6+6
50 Et le dissout ; le mondeà ma voix tremble et change ; 6+6
Caïn meurt, l'avenirressemble au jeune Abel ; 6+6
Je reconquiers Édenet j'achève Babel. 6+6
Rien sans moi. La natureébauche ; je termine. 6+6
Terre, je suis ton roi.
LA TERRE
Tu n'es que ma vermine. 6+6
55 Le sommeil, lourd besoin,la fièvre, feu subtil, 6+6
Le ventre abject, la faim,la soif, l'estomac vil, 6+6
T'accablent, noir passant,d'infirmités sans nombre, 6+6
Et, vieux, tu n'es qu'un spectre,et mort, tu n'es qu'une ombre, 6+6
Tu t'en vas dans la cendre !Et moi je reste au jour ; 6+6
60 J'ai toujours le printemps,l'aube, les fleurs, l'amour ; 6+6
Je suis plus jeune aprèsdes millions d'années. 6+6
J'emplis d'instincts rêveursles bêtes étonnées. 6+6
Du gland je tire un chêneet le fruit du pépin. 6+6
Je me verse, urne sombre,au brin d'herbe, au sapin, 6+6
65 Au cep d' sort la grappe,aux blés qui font les gerbes. 6+6
Se tenant par la main,comme des sœurs superbes, 6+6
Sur ma face s'épandl'ombre, le rayon luit, 6+6
Les douze heures du jour,les douze heures de nuit 6+6
Dansent incessammentune ronde sacrée. 6+6
70 Je suis source et chaos ;j'ensevelis, je crée. 6+6
Quand le matin naquitdans l'azur, j'étais là. 6+6
Vésuve est mon usine,et ma forge est l'Hékla ; 6+6
Je rougis de l'Etnales hautes cheminées. 6+6
En remuant Cuzco,j'émeus les Pyrénées. 6+6
75 J'ai pour esclave un astre ;alors que vient le soir 6+6
Sur un de mes côtésjetant un voile noir, 6+6
J'ai ma lampe, la luneau front humain m'éclaire ; 6+6
Et si quelque assassin,dans un bois séculaire, 6+6
Vers l'ombre la plus sûreet le plus âpre lieu 6+6
80 S'enfuit, je le poursuisde ce masque de feu. 6+6
Je peuple l'air, la flammeet l'onde ; et mon haleine 6+6
Fait comme l'oiseau-moucheéclore la baleine ; 6+6
Comme je fais le ver,j'enfante les typhons. 6+6
Globe vivant, je suisvêtu des flots profonds, 6+6
85 Des forêts et des montsainsi que d'une armure. 6+6
SATURNE
Qu'est-ce que cette voixchétive qui murmure ? 6+6
Terre, à quoi bon tournerdans ton champ si borné, 6+6
Grain de sable, d'un grainde cendre accompagné ? 6+6
Moi dans l'immense azurje trace un cercle énorme ; 6+6
90 L'espace avec terreurvoit ma beauté difforme ; 6+6
Mon anneau, qui des nuitsempourpre la pâleur, 6+6
Comme les boules d'orque croise le jongleur 6+6
Lance, mêle et retientsept lunes colossales. 6+6
LE SOLEIL
Silence au fond des cieux,planètes, mes vassales ! 6+6
95 Paix ! Je suis le pasteur,vous êtes le bétail. 6+6
Comme deux chars de frontpassent sous un portail, 6+6
Dans mon moindre volcanSaturne avec la Terre 6+6
Entreraient sans toucheraux parois du cratère. 6+6
Chaos ! je suis la loi.Fange ! je suis le feu. 6+6
100 Contemplez-moi ! je suisla vie et le milieu, 6+6
Le Soleil, l'éternelorage de lumière. 6+6
SIRIUS
J'entends parler l'atome.Allons, Soleil, poussière, 6+6
Tais-toi ! Tais-toi, fantôme,espèce de clarté ! 6+6
Pâtres dont le troupeaufuit dans l'immensité, 6+6
105 Globes obscurs, je suismoins hautain que vous n'êtes. 6+6
Te voilà-t-il pas fier,ô gardeur de planètes, 6+6
Pour sept ou huit moutonsque tu pais dans l'azur ! 6+6
Moi, j'emporte en mon orbeauguste, vaste et pur, 6+6
Mille sphères de feudont la moindre a cent lunes. 6+6
110 Le sais-tu seulement,larve qui m'importunes ? 6+6
Que me sert de brillerauprès de ce géant ? 6+6
L'astre nain ne voit pasmême l'astre géant. 6+6
ALDEBARAN
Sirius dort ; je vis !C'est à peine s'il bouge. 6+6
J'ai trois soleils, l'un blanc,l'autre vert, l'autre rouge ; 6+6
115 Centre d'un tourbillonde mondes effrénés, 6+6
Ils tournent, d'une chneinvisible enchnés, 6+6
Si vite, qu'on croit voirpasser une flamme ivre, 6+6
Et que la foudre a dit :le renonce à les suivre ! 6+6
ARCTURUS
Moi, j'ai quatre soleilstournants, quadruple enfer, 6+6
120 Et leurs quatre rayonsne font qu'un seul éclair. 6+6
LA COMÈTE
Place à l'oiseau comète,effroi des nuits profondes ! 6+6
je passe. Frissonnez !Chacun de vous, ô mondes, 6+6
O soleils ! n'est pour moiqu'un grain de sénevé ! 6+6
SEPTENTRION
Un bras mystérieuxme tient toujours levé ; 6+6
125 Je suis le chandelierà sept branches du pôle. 6+6
Comme des fantassinsle glaive sur l'épaule, 6+6
Mes feux veillent au borddu vide tout finit ; 6+6
Les univers semésdu nadir au zénith, 6+6
Sous tous les équateurset sous tous les tropiques, 6+6
130 Disent entre eux : — On voitla pointe de leurs piques ; 6+6
Ce sont les noirs gardiensdu pôle monstrueux. — 6+6
L'éther ténébreux, pleinde globes tortueux, 6+6
Ne sait pas qui je suis,et dans la nuit vermeille 6+6
Il me guette, pendantque moi, clarté, je veille. 6+6
135 Il me voit m'avancer,moi l'immense éclaireur, 6+6
Se dresse, et, frémissant,écoute avec horreur 6+6
S'il n'entend pas marchermes chevaux invisibles. 6+6
Il me jette des nomssauvages et terribles, 6+6
Et voit en moi la bêteerrante dans les cieux. 6+6
140 Or nous sommes le nord,les lumières, les yeux, 6+6
Sept yeux vivants, ayantdes soleils pour prunelles, 6+6
Les éternels flambeauxdes ombres éternelles. 6+6
Je suis Septentrionqui sur vous appart. 6+6
Sirius avec tousses globes ne serait 6+6
145 Pas même une étincelleen ma moindre fournaise. 6+6
Entre deux de mes feuxcent mondes sont à l'aise. 6+6
J'habite sur la nuitles radieux sommets. 6+6
Les comètes de braiseelles-mêmes jamais 6+6
N'oseraient effleurerdes flammes de leurs queues 6+6
150 Le chariot roulantdans les profondeurs bleues. 6+6
Cet astre qui parlaitje ne l'apeois pas. 6+6
Les étoiles des cieuxvont et viennent là-bas, 6+6
Trnant leurs sphères d'oret leurs lunes fidèles, 6+6
Et, si je me mettaisen marche au milieu d'elles 6+6
155 Dans les champs de l'étherà ma splendeur soumis, 6+6
Ma roue écraseraittous ces soleils fourmis ! 6+6
LE ZODIAQUE
Qu'est-ce donc que ta roueà côté de la mienne ? 6+6
De quelque point du cielque ta lumière vienne, 6+6
Elle se heurte à moiqui suis le cabestan 6+6
160 De l'abîme, et qui disaux soleils : Toi, va-t'en ! 6+6
Toi, reviens. C'est ton tour.Toi, sors. Je te renvoie ! 6+6
Car je n'existe passeulement pour qu'on voie 6+6
A jamais, dans l'azurfarouche et flamboyant, 6+6
Le Taureau, le Bélier,et le Lion fuyant 6+6
165 Devant ce monstrueuxchasseur, le Sagittaire, 6+6
Je plonge un seau profonddans le puits du mystère, 6+6
Et je suis le rouageénorme d' descend 6+6
L'ordre invisible au fonddu gouffre éblouissant. 6+6
Ciel sacré, si des yeuxpouvaient avoir entrée 6+6
170 Dans ton prodige, et dansl'horreur démesurée, 6−6
Peut-être, en l'engrenage je suis, verrait-on, 6+6
Comme l'Ixion noird'un divin Phlégéthon, 6+6
Quelque effrayant damné,quelque immense âme en peine, 6+6
Recommençant sans cesseune ascension vaine, 6+6
175 Et pour l'astre qui vientquittant l'astre qui fuit, 6+6
Monter les échelonssinistres de la nuit ! 6+6
LA VOIE LACTÉE
Millions, millions,et millions d'étoiles ! 6+6
Je suis, dans l'ombre affreuseet sous les sacrés voiles, 6+6
La splendide forêtdes constellations. 6+6
180 C'est moi qui suis l'amasdes yeux et des rayons, 6+6
L'épaisseur inouïeet morne des lumières. 6+6
Encor tout débordantdes effluves premières, 6+6
Mon éclatant abîmeest votre source à tous. 6+6
O les astres d'en bas,je suis si loin de vous 6+6
185 Que mon vaste archipelde splendeurs immobiles, 6+6
Que mon tas de soleilsn'est, pour vos yeux débiles, 6+6
Au fond du ciel, désertlugubre meurt le bruit, 6+6
Qu'un peu de cendre rougeéparse dans la nuit ! 6+6
Mais, ô globes rampantset lourds, quelle épouvante 6+6
190 Pour qui pénétreraitdans ma lueur vivante, 6+6
Pour qui verrait de prèsmon nuage vermeil ! 6+6
Chaque point est un astreet chaque astre un soleil. 6+6
Autant d'astres, autantd'immensités étranges, 6+6
Diverses, s'approchantdes démons ou des anges, 6+6
195 Dont les planètes fontautant de nations ; 6+6
Un groupe d'univers,en proie aux passions, 6+6
Tourne autour de chacunde mes soleils de flammes ; 6+6
Dans chaque humanitésont des cœurs et des âmes, 6+6
Miroirs profonds ouvertsà l'œil universel, 6+6
200 Dans chaque cœur l'amour,dans chaque âme le ciel ! 6+6
Tout cela nt, meurt, croit,décrt, se multiplie. 6+6
La lumière en regorgeet l'ombre en est remplie. 6+6
Dans le gouffre sous moi,de mon aube éblouis 6+6
Globes, grains de lumièreau loin épanouis, 6+6
205 Toi, zodiaque, vous,comètes éperdues, 6+6
Tremblants, vous traversezles blêmes étendues, 6+6
Et vos bruits sont pareilsà de vagues clairons, 6+6
Et j'ai plus de soleilsque vous de moucherons. 6+6
Mon immensité vit,radieuse et féconde. 6+6
210 J'ignore par momentssi le reste du monde, 6+6
Errant dans quelque coindu morne firmament, 6+6
Ne s'évanouit pasdans mon rayonnement. 6+6
LES NÉBULEUSES
A qui parles-tu donc,flocon lointain qui passes ? 6+6
A peine entendons-nousta voix dans les espaces. 6+6
215 Nous ne te distinguonsque comme un nimbe obscur 6+6
Au coin le plus perdudu plus nocturne azur. 6+6
Laisse-nous luire en paix,nous, blancheurs des ténèbres, 6+6
Mondes spectres éclosdans les chaos funèbres, 6+6
N'ayant ni pôle australni pôle boréal ; 6+6
220 Nous, les réalitésvivant dans l'idéal, 6+6
Les univers, d' sortl'immense essaim des rêves, 6+6
Dispersés dans l'éther,cet océan sans grèves 6+6
Dont le flot à son bordn'est jamais revenu ; 6+6
Nous les créations,îles de l'inconnu ! 6+6
L'INFINI
225 L'être multiple vitdans mon unité sombre. 6+6
DIEU
Je n'aurais qu'à souffler,et tout serait de l'ombre. 6+6
mètre profil métrique : 6−6
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