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La foule était tragique│ et terrible ; on criait : |
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a |
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A mort ! Autour d'un homme│ altier, point inquiet, |
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a |
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Grave ! et qui paraissait│ lui-même inexorable, |
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b |
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Le peuple se pressait :│ A mort le misérable ! |
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b |
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Et lui, semblait trouver│ toute simple la mort. |
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a |
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La partie est perdue,│ on n'est pas le plus fort, |
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a |
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On meurt, soit. Au milieu│ de la foule accourue, |
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b |
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Les vainqueurs le traînaient│ de chez lui dans la rue. |
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b |
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— A mort l'homme ! — On l'avait│ saisi dans son logis ; |
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a |
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Ses vêtements étaient│ de carnage rougis ; |
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a |
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Cet homme était de ceux│ qui font l'aveugle guerre |
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b |
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Des rois contre le peuple,│ et ne distinguent guère |
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b |
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Scévola de Brutus,│ ni Barbès de Blanqui ; |
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a |
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Il avait tout le jour│ tué n'importe qui ; |
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a |
15 |
Incapable de craindre,│ incapable d'absoudre, |
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b |
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Il marchait, laissant voir│ ses mains noires de poudre. |
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b |
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Une femme le prit│ au collet : — A genoux ! |
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a |
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C'est un sergent de ville.│ Il a tiré sur nous ! |
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a |
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— C'est vrai, dit l'homme. — A bas !│ à mort ! qu'on le fusille ! |
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b |
20 |
Dit le peuple. — Ici ! Non !│ Plus loin ! A la Bastille ! |
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b |
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A l'arsenal ! Allons !│ Viens ! Marche ! — Où vous voudrez, |
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a |
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Dit le prisonnier. — Tous,│ hagards, les rangs serrés, |
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a |
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Chargèrent leurs fusils.│ — Mort au sergent de ville ! |
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b |
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Tuons-le comme un loup !│ — Et l'homme dit, tranquille : |
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b |
25 |
— C'est bien, je suis le loup,│ mais vous êtes les chiens. |
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a |
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— Il nous insulte ! A mort !│ — Les pâles citoyens |
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a |
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Croisaient leurs poings crispés│ sur le captif farouche ; |
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b |
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L'ombre était sur son front│ et le fiel dans sa bouche ; |
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b |
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Cent voix criaient : — A mort !│ A bas ! Plus d'empereur ! — |
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a |
30 |
On voyait dans ses yeux│ un reste de fureur |
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a |
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Remuer vaguement│ comme une hydre échouée ; |
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b |
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Il marchait poursuivi│ par l'énorme huée, |
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b |
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Et, calme, il enjambait,│ plein d'un superbe ennui, |
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a |
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Des cadavres gisants,│ peut-être faits par lui. |
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a |
35 |
Le peuple est effrayant│ lorsqu'il devient tempête ; |
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b |
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L'homme sous plus d'affronts│ levait plus haut la tête ; |
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b |
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Il était plus que pris,│ il était envahi. |
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a |
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Dieu ! comme il haïssait !│ comme il était haï ! |
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a |
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Comme il les eût, vainqueur,│ fusillés tous ! — Qu'il meure ! |
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b |
40 |
Il nous criblait encor│ de balles tout à l'heure ! |
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b |
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A bas cet espion,│ ce traître, ce maudit ! |
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a |
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A mort ! c'est un brigand !│ — Soudain on entendit |
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a |
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Une petite voix│ qui disait : — C'est mon père ! |
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b |
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Et quelque chose fit│ l'effet d'une lumière. |
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b |
45 |
Un enfant apparut.│ Un enfant de six ans. |
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a |
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Ses deux bras se dressaient│ suppliants, menaçants. |
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a |
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Tous criaient : — Fusillez│ le mouchard ! Qu'on l'assomme ! |
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b |
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Et l'enfant se jeta│ dans les jambes de l'homme, |
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b |
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Et dit, ayant au front│ le rayon baptismal : |
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a |
50 |
— Père, je ne veux pas│ qu'on te fasse de mal ! |
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a |
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Et cet enfant sortait│ de la même demeure. |
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b |
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Les clameurs grossissaient :│ — A bas l'homme ! Qu'il meure ! |
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b |
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A-bas, finissons-en│ avec cet assassin ! |
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a |
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Mort ! — Au loin le canon│ répondait au tocsin. |
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a |
55 |
Toute la rue était│ pleine d'hommes sinistres. |
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b |
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— A bas les rois ! A bas│ les prêtres, les ministres, |
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b |
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Les mouchards ! Tuons tout !│ c'est un tas de bandits ! |
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a |
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Et l'enfant leur cria :│ — Mais puisque je vous dis |
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a |
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Que c'est mon père ! — Il est│ joli, dit une femme, |
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b |
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Bel enfant ! — On voyait│ dans ses yeux bleus une âme ; |
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b |
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Il était tout en pleurs,│ pâle, point mal vêtu. |
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a |
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Une autre femme dit —│ Petit, quel âge as-tu ? |
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a |
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Et l'enfant répondit :│ Ne tuez pas mon père ! |
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b |
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Quelques regards pensifs│ étaient fixés à terre, |
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b |
65 |
Les poings ne tenaient plus│ l'homme si durement. |
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a |
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Un des plus furieux,│ entre tous inclément, |
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a |
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Dit à l'enfant : — Va-t'en !│ — Où ? — Chez toi. — Pourquoi faire ? |
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b |
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— Chez ta mère. — Sa mère│ est morte, dit le père. |
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b |
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— Il n'a donc plus que vous ?│ — Qu'est-ce que cela fait ? |
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a |
70 |
Dit le vaincu. Stoïque│ et calme, il réchauffait |
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a |
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Les deux petites mains│ dans sa rude poitrine, |
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b |
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Et disait à l'enfant :│ — Tu sais bien, Catherine ? |
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b |
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— Notre voisine ? — Oui.│ — Va chez elle. — Avec toi ? |
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a |
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— J'irai plus tard. — Sans toi│ je ne veux pas. — Pourquoi ? |
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a |
75 |
— Parce qu'on te ferait│ du mal. — Alors le père |
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b |
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Parla tout bas au chef│ de cette sombre guerre : |
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b |
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— Lâchez-moi le collet.│ Prenez-moi par la main, |
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a |
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Doucement. Je vais dire│ à l'enfant : A demain ! |
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a |
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Vous me fusillerez│ au détour de la rue, |
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b |
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Ailleurs, où vous voudrez.│ — Et, d'une voix bourrue : |
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b |
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— Soit, dit le chef, lâchant│ le captif à moitié. |
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a |
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Le père dit : — Tu vois.│ C'est de bonne amitié. |
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a |
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Je me promène avec│ ces messieurs. Sois bien sage, |
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b |
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Rentre. — Et l'enfant tendit│ au père son visage, |
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b |
85 |
Et s'en alla, content,│ rassuré, sans effroi. |
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a |
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— Nous sommes à notre aise│ à présent, tuez-moi, |
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a |
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Dit le père aux vainqueurs ;│ où voulez-vous que j'aille ? — |
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b |
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Alors, dans cette foule│ où grondait la bataille, |
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b |
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On entendit passer│ un immense frisson, |
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a |
90 |
Et le peuple cria :│ Rentre dans ta maison ! |
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a |