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e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
HUG_4/HUG777
Victor HUGO
LA LÉGENDE DES SIÈCLES
NOUVELLE SÉRIE
1877
La vision d'où est sorti ce livre
J'eus un rêve, le murdes siècles m'apparut. 6+6 a
C'était de la chair viveavec du granit brut, 6+6 a
Une immobilitéfaite d'inquiétude, 6+6 b
Un édifice ayantun bruit de multitude, 6+6 b
5 Des trous noirs étoiléspar de farouches yeux, 6+6 a
Des évolutionsde groupes monstrueux, 6+6 a
De vastes bas-reliefs,des fresques colossales ; 6+6 b
Parfois le mur s'ouvraitet laissait voir des salles, 6+6 b
Des antres siégeaientdes heureux, des puissants, 6+6 a
10 Des vainqueurs abrutisde crime, ivres d'encens, 6+6 a
Des intérieurs d'or,de jaspe et de porphyre ; 6+6 b
Et ce mur frissonnaitcomme un arbre au zéphyre ; 6+6 b
Tous les siècles, le frontceint de tours ou d'épis, 6+6 a
Étaient là, mornes sphinxsur l'énigme accroupis ; 6+6 a
15 Chaque assise avait l'airvaguement animée ; 6+6 b
Cela montait dans l'ombre ;on t dit une armée 6+6 b
Pétrifiée avecle chef qui la conduit 6+6 a
Au moment qu'elle osaitescalader la Nuit ; 6+6 a
Ce bloc flottait ainsiqu'un nuage qui roule ; 6+6 b
20 C'était une murailleet c'était une foule ; 6+6 b
Le marbre avait le sceptreet le glaive au poignet, 6+6 a
La poussière pleuraitet l'argile saignait, 6+6 a
Les pierres qui tombaientavaient la forme humaine. 6+6 b
Tout l'homme, avec le souffleinconnu qui le mène, 6+6 b
25 Ève ondoyante, Adamflottant, un et divers, 6+6 a
Palpitaient sur ce mur,et l'être, et l'univers, 6+6 a
Et le destin, fil noirque la tombe dévide. 6+6 b
Parfois l'éclair faisaitsur la paroi livide 6+6 b
Luire des millionsde faces tout à coup. 6+6 a
30 Je voyais là ce Rienque nous appelons Tout ; 6+6 a
Les rois, les dieux, la gloireet la loi, les passages 6+6 b
Des générationsà vau-l'eau dans les âges ; 6+6 b
Et devant mon regardse prolongeaient sans fin 6+6 a
Les fléaux, les douleurs,l'ignorance, la faim, 6+6 a
35 La superstition,la science, l'histoire, 6+6 b
Comme à perte de vueune façade noire. 6+6 b
Et ce mur, composéde tout ce qui croula, 6+6 a
Se dressait, escarpé,triste, informe. cela ? 6+6 a
Je ne sais. Dans un lieuquelconque des ténèbres. 6+6 b
*
40 Il n'est pas de brouillards,comme il n'est point d'algèbres, 6+6 b
Qui résistent, au fonddes nombres ou des cieux, 6+6 a
A la fixité calmeet profonde des yeux ; 6+6 a
Je regardais ce murd'abord confus et vague, 6+6 b
la forme semblaitflotter comme une vague, 6+6 b
45 tout semblait vapeur,vertige, illusion ; 6+6 a
Et, sous mon œil pensif,l'étrange vision 6+6 a
Devenait moins brumeuseet plus claire, à mesure 6+6 b
Que ma prunelle étaitmoins troublée et plus sûre. 6+6 b
*
Chaos d'êtres, montantdu gouffre au firmament 6+6 a
50 Tous les monstres, chacundans son compartiment ; 6+6 a
Le siècle ingrat, le siècleaffreux, le siècle immonde ; 6+6 b
Brume et réalité !nuée et mappemonde ! 6+6 b
Ce rêve était l'histoireouverte à deux battants ; 6+6 a
Tous les peuples ayantpour gradins tous les temps ; 6+6 a
55 Tous les temples ayanttous les songes pour marches : 6+6 b
Ici les paladinset là les patriarches ; 6+6 b
Dodone chuchotanttout bas avec Membré ; 6+6 a
Et Thèbe, et Raphidim,et son rocher sacré 6+6 a
, sur les juifs luttantpour la terre promise, 6+6 b
60 Aaron et Hur levaientles deux mains de Moïse, 6+6 b
Le char de feu d'Amosparmi les ouragans ; 6+6 a
Tous ces hommes, moitiéprinces, moitié brigands, 6+6 a
Transformés par la fableavec grâce ou colère, 6+6 b
Noyés dans les rayonsdu récit populaire, 6+6 b
65 Archanges, demi-dieux,chasseurs d'hommes, héros 6+6 a
Des Eddas, des Védaset des Romanceros ; 6+6 a
Ceux dont la volontése dresse fer de lance ; 6+6 b
Ceux devant qui la terreet l'ombre font silence ; 6+6 b
Saül, David ; et Delphe,et la cave d'Endor 6+6 a
70 Dont on mouche la lampeavec des ciseaux d'or ; 6+6 a
Nemrod parmi les morts ;Booz parmi les gerbes ; 6+6 b
Des Tibères divins,constellés, grands, superbes, 6+6 b
Étalant à Caprée,au forum, dans les camps, 6+6 a
Des colliers que Tacitearrangeait en carcans, 6+6 a
75 La chne d'or du trôneaboutissant au bagne. 6+6 b
Ce vaste mur avaitdes versants de montagne. 6+6 b
O nuit ! rien ne manquaità l'apparition, 6+6 a
Tout s'y trouvait, matière,esprit, fange et rayon ; 6+6 a
Toutes les villes, Thèbe,Athènes, des étages 6+6 b
80 De Romes sur des tasde Tyrs et de Carthages ; 6+6 b
Tous les fleuves, l'Escaut,le Rhin, le Nil, l'Aar, 6+6 a
Le Rubicon disantà quiconque est césar : 6+6 a
— Si vous êtes encorcitoyens, vous ne l'êtes 6+6 b
Que jusqu'ici. — Les montsse dressaient, noirs squelettes. 6+6 b
85 Et sur ces monts erraientles nuages hideux, 6+6 a
Ces fantômes trnantla lune au milieu d'eux. 6+6 a
La muraille semblaitpar le vent remuée ; 6+6 b
C'étaient des croisementsde flamme et de nuée, 6+6 b
Des jeux mystérieuxde clartés, des renvois 6+6 a
90 D'ombre d'un siècle à l'autreet du sceptre aux pavois, 6+6 a
l'Inde finissaitpar être l'Allemagne, 6+6 b
Salomon avaitpour reflet Charlemagne ; 6+6 b
Tout le prodige humain,noir, vague, illimité ; 6+6 a
La liberté brisantl'immuabilité ; 6+6 a
95 L'Horeb aux flancs brûlés,le Pinde aux pentes vertes ; 6+6 b
Hicétas précédantNewton, les découvertes 6+6 b
Secouant leurs flambeauxjusqu'au fond de la mer, 6+6 a
Jason sur le dromon,Fulton sur le steamer ; 6+6 a
La Marseillaise, Eschyle,et l'ange après le spectre ; 6+6 b
100 Capanée est deboutsur la porte d'Électre, 6+6 b
Bonaparte est deboutsur le pont de Lodi ; 6+6 a
Christ expire non loinde Néron applaudi. 6+6 a
Voilà l'affreux chemindu trône, ce pavage 6+6 b
De meurtre, de fureur,de guerre, d'esclavage ; 6+6 b
105 L'homme-troupeau ! celahurle, cela commet 6+6 a
Des crimes sur un morneet ténébreux sommet, 6+6 a
Cela frappe, celablasphème, cela souffre. 6+6 b
Hélas ! et j'entendaissous mes pieds, dans le gouffre, 6+6 b
Sangloter la misèreaux gémissements sourds, 6+6 a
110 Sombre bouche incurableet qui se plaint toujours. 6+6 a
Et sur la visionlugubre, et sur moi-même 6+6 b
Que j'y voyais ainsiqu'au fond d'un miroir blême, 6+6 b
La vie immense ouvraitses difformes rameaux ; 6+6 a
Je contemplais les fers,les voluptés, les maux, 6+6 a
115 La mort, les avatarset les métempsycoses, 6+6 b
Et dans l'obscur taillisdes êtres et des choses 6+6 b
Je regardais rôder,noir, riant, l'œil en feu, 6+6 a
Satan, ce braconnierde la forêt de Dieu. 6+6 a
*
Quel titan avait peintcette chose inouïe ? 6+6 b
120 Sur la paroi sans fondde l'ombre épanouie 6+6 b
Qui donc avait sculptéce rêve j'étouffais ? 6+6 a
Quel bras avait construitavec tous les forfaits, 6+6 a
Tous les deuils, tous les pleurs,toutes les épouvantes, 6+6 b
Ce vaste enchnementde ténèbres vivantes ? 6+6 b
125 Ce rêve, et j'en tremblais,c'était une action 6+6 a
Ténébreuse entre l'hommeet la création ; 6+6 a
Des clameurs jaillissaientde dessous les pilastres ; 6+6 b
Des bras sortant du murmontraient le poing aux astres ; 6+6 b
La chair était Gomorrheet l'âme était Sion 6+6 a
130 Songe énorme ! c'étaitla confrontation 6+6 a
De ce que nous étionsavec ce que nous sommes ; 6+6 b
Les bêtes s'y mêlaient,de droit divin, aux hommes, 6+6 b
Comme dans un enferou dans un paradis ; 6+6 a
Les crimes y rampaient,de leur ombre grandis ; 6+6 a
135 Et même les laideursn'étaient pas malséantes 6+6 b
A la tragique horreurde ces fresques géantes. 6+6 b
Et je revoyais làle vieux temps oublié. 6+6 a
Je le sondais. Le malau bien était lié 6+6 a
Ainsi que la vertèbreest jointe à la vertèbre. 6+6 b
140 Cette muraille, blocd'obscurité funèbre, 6+6 b
Montait dans l'infinivers un brumeux matin. 6+6 a
Blanchissant par degréssur l'horizon lointain, 6+6 a
Cette vision sombre,abrégé noir du monde, 6+6 b
Allait s'évanouirdans une aube profonde, 6+6 b
145 Et, commencée en nuit,finissait en lueur. 6+6 a
Le jour triste y semblaitune pâle sueur ; 6+6 a
Et cette silhouetteinforme était voilée 6+6 b
D'un vague tournoiementde fumée étoilée. 6+6 b
*
Tandis que je songeais,l'œil fixé sur ce mur 6+6 a
150 Semé d'âmes, couvertd'un mouvement obscur 6+6 a
Et des gestes hagardsd'un peuple de fantômes, 6+6 b
Une rumeur se fitsous les ténébreux dômes, 6+6 b
J'entendis deux fracasprofonds, venant du ciel 6+6 a
En sens contraire au fonddu silence éternel ; 6+6 a
155 Le firmament que nulne peut ouvrir ni clore 6+6 b
Eut l'air de s'écarter.
*
Du côté de l'aurore, 6+6 b
L'esprit de l'Orestie,avec un fauve bruit, 6+6 a
Passait en même temps,du côté de la nuit, 6+6 a
Noir génie effaréfuyant dans une éclipse, 6+6 b
160 Formidable, venaitl'immense Apocalypse ; 6+6 b
Et leur double tonnerreà travers la vapeur, 6+6 a
A ma droite, à ma gauche,approchait, et j'eus peur 6+6 a
Comme si j'étais prisentre deux chars de l'ombre. 6+6 b
Ils passèrent. Ce futun ébranlement sombre. 6+6 b
165 Et le premier espritcria : Fatalité ! 6+6 a
Le second cria : Dieu !L'obscure éternité 6+6 a
Répéta ces deux crisdans ses échos funèbres. 6+6 b
Ce passage effrayantremua les ténèbres ; 6+6 b
Au bruit qu'ils firent, toutchancela ; la paroi 6+6 a
170 Pleine d'ombres frémit ;tout s'y mêla ; le roi 6+6 a
Mit la main à son casqueet l'idole à sa mitre ; 6+6 b
Toute la visiontrembla comme une vitre, 6+6 b
Et se rompit, tombantdans la nuit en morceaux ; 6+6 a
Et quand les deux esprits,comme deux grands oiseaux, 6+6 a
175 Eurent fui, dans la brumeétrange de l'idée, 6+6 b
La pâle visionreparut lézardée, 6+6 b
Comme un temple en ruineaux gigantesques fûts, 6+6 a
Laissant voir de l'abîmeentre ses pans confus. 6+6 a
*
Lorsque je la revis,après que les deux anges 6+6 b
180 L'eurent brisée au chocde leurs ailes étranges, 6+6 b
Ce n'était plus ce murprodigieux, complet, 6+6 a
le destin avecl'infini s'accouplait, 6+6 a
tous les temps groupésse rattachaient au nôtre, 6+6 b
les siècles pouvaients'interroger l'un l'autre 6+6 b
185 Sans que pas un fît fauteet manquât à l'appel ; 6+6 a
Au lieu d'un continent,c'était un archipel ; 6+6 a
Au lieu d'un univers,c'était un cimetière ; 6+6 b
Par places se dressaitquelque lugubre pierre, 6+6 b
Quelque pilier debout,ne soutenant plus rien ; 6+6 a
190 Tous les siècles tronquésgisaient ; plus de lien, 6+6 a
Chaque époque pendaitdémantelée ; aucune 6+6 b
N'était sans déchirureet n'était sans lacune ; 6+6 b
Et partout croupissaientsur le passé détruit 6+6 a
Des stagnations d'ombreet des flaques de nuit. 6+6 a
195 Ce n'était plus, parmiles brouillards l'œil plonge, 6+6 b
Que le débris difformeet chancelant d'un songe, 6+6 b
Ayant le vague aspectd'un pont intermittent 6+6 a
Qui tombe arche par archeet que le gouffre attend, 6+6 a
Et de toute une flotteen détresse qui sombre 6+6 b
200 Ressemblant à la phraseinterrompue et sombre, 6+6 b
Que l'ouragan, ce bègueerrant sur les sommets, 6+6 a
Recommence toujourssans l'achever jamais. 6+6 a
Seulement l'avenircontinuait d'éclore 6+6 b
Sur ces vestiges noirsqu'un pâle orient dore, 6+6 b
205 Et se levait avecun air d'astre, au milieu 6+6 a
D'un nuage , sans voirde foudre, on sentait Dieu. 6+6 a
De l'empreinte profondeet grave qu'a laissée 6+6 b
Ce chaos de la vieà ma sombre pensée, 6+6 b
De cette visiondu mouvant genre humain, 6+6 a
210 Ce livre, près d'hieron entrevoit demain, 6+6 a
Est sorti, reflétantde poème en poème 6+6 b
Toute cette clartévertigineuse et blême ; 6+6 b
Pendant que mon cerveaudouloureux le couvait, 6+6 a
La légende est parfoisvenue à mon chevet, 6+6 a
215 Mystérieuse sœurde l'histoire sinistre ; 6+6 b
Et toutes deux ont misleur doigt sur ce registre. 6+6 b
Et qu'est-ce maintenantque ce livre, traduit 6+6 a
Du passé, du tombeau,du gouffre et de la nuit ? 6+6 a
C'est la traditiontombée à la secousse 6+6 b
220 Des révolutionsque Dieu déchne et pousse ; 6+6 b
Ce qui demeure aprèsque la terre a tremblé ; 6+6 a
Décembre l'avenir,vague aurore, est mêlé ; 6+6 a
C'est la constructiondes hommes, la masure 6+6 b
Des siècles, qu'emplit l'ombreet que l'idée azure, 6+6 b
225 L'affreux charnier-palaisen ruine, habité 6+6 a
Par la mort et bâtipar la fatalité, 6+6 a
se posent pourtantparfois, quand elles l'osent, 6+6 b
De la façon dont l'aileet le rayon se posent, 6+6 b
La liberté, lumière,et l'espérance, oiseau ; 6+6 a
230 C'est l'incommensurableet tragique monceau 6+6 a
glissent, dans la brèchehorrible, les vipères 6+6 b
Et les dragons, avantde rentrer aux repaires, 6+6 b
Et la nuée avantde remonter au ciel ; 6+6 a
Ce livre, c'est le resteeffrayant de Babel ; 6+6 a
235 C'est la lugubre Tourdes Choses, l'édifice 6+6 b
Du bien, du mal, des pleurs,du deuil, du sacrifice, 6+6 b
Fier jadis, dominantles lointains horizons, 6+6 a
Aujourd'hui n'ayant plusque de hideux tronçons, 6+6 a
Épars, couchés, perdusdans l'obscure vallée ; 6+6 b
240 C'est l'épopée humaine,âpre, immense, — écroulée. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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