Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
HUG_3/HUG597
Victor HUGO
LA LÉGENDE DES SIÈCLES
PREMIÈRE SÉRIE
1859
XIV
VINGTIÈME SIÈCLE
I
Pleine Mer
*
L'abîme ; on ne sait quoide terrible qui gronde ; 6+6 a
Le vent ; l'obscuritévaste comme le monde ; 6+6 a
Partout les flots ; partout l'œil peut s'enfoncer, 6+6 a
La rafale qu'on voitaller, venir, passer ; 6+6 a
5 L'onde, linceul ; le ciel,ouverture de tombe ; 6+6 a
Les ténèbres sans l'archeet l'eau sans la colombe, 6+6 a
Les nuages ayantl'aspect d'une forêt. 6+6 a
Un esprit qui viendraitplaner là, ne pourrait 6+6 a
Dire, entre l'eau sans fondet l'espace sans borne, 6+6 a
10 Lequel est le plus sombre,et si cette horreur morne, 6+6 a
Faite de cécité,de stupeur et de bruit, 6+6 a
Vient de l'immense merou de l'immense nuit. 6+6 a
L'œil distingue, au milieudu gouffre l'air sanglote, 6+6 a
Quelque chose d'informeet de hideux qui flotte, 6+6 a
15 Un grand cachalot mortà carcasse de fer, 6+6 a
On ne sait quel cadavreà vau-l'eau dans la mer, 6+6 a
Œuf de titan dont l'hommeaurait fait un navire. 6+6 a
Cela vogue, celanage, cela chavire ; 6+6 a
Cela fut un vaisseau ;l'écume aux blancs amas 6+6 a
20 Cache et montre à grand bruitles tronçons de sept mâts. 6+6 a
Le colosse, échouésur le ventre, fuit, plonge, 6+6 a
S'engloutit, repart,se meut comme le songe, 6+6 a
Chaos d'agrès rompus,de poutres, de haubans ; 6+6 a
Le grand mât vaincu sembleun spectre aux bras tombants. 6+6 a
25 L'onde passe à traversce débris ; l'eau s'engage 6+6 a
Et déferle en hurlantle long du bastingage, 6+6 a
Et tourmente des boutsde corde à des crampons 6+6 a
Dans le ruissellementformidable des ponts ; 6+6 a
La houle éperdumentfurieuse saccage 6+6 a
30 Aux deux flancs du vaisseaules cintres d'une cage 6+6 a
jadis une roueeffrayante a tourné. 6+6 a
Personne ; le néant,froid, muet, étonné ; 6+6 a
D'affreux canons rouilléstendant leurs cous funestes ; 6+6 a
L'entre-pont a des trous se dressent les restes 6+6 a
35 De cinq tubes pareilsà des clairons géants, 6+6 a
Pleins jadis d'une foudre,et qui, tordus, béants, 6+6 a
Ployés, éteints, n'ont plus,sur l'eau qui les balance, 6+6 a
Qu'un noir vomissementde nuit et de silence ; 6+6 a
Le flux et le reflux,comme avec un rabot, 6+6 a
40 Dénude à chaque coupl'étrave et l'étambot, 6+6 a
Et dans la lame on voitse débattre l'échine 6+6 a
D'une mystérieuseet difforme machine. 6+6 a
Cette masse sous l'eaurôde, fantôme obscur. 6+6 a
Des putréfactionsfermentent, à coup sûr, 6+6 a
45 Dans ce vaisseau perdusous les vagues sans nombre. 6+6 a
Dessus, des tourbillonsd'oiseaux de mer ; dans l'ombre, 6+6 a
Dessous, des millionsde poissons carnassiers. 6+6 a
Tout à l'entour, les flots,ces liquides aciers, 6+6 a
Mêlent leurs tournoiementsmonstrueux et livides. 6+6 a
50 Des espaces désertssous des espaces vides. 6+6 a
O triste mer ! sépulcre tout semble vivant ! 6+6 a
Ces deux athlètes faitsde furie et de vent, 6+6 a
Le tangage qui braveet le roulis qui fume, 6+6 a
Luttant sur ce radeaufunèbre dans la brume, 6+6 a
55 Sans trêve, à chaque instantarrachent quelque éclat 6+6 a
De la quille ou du pontdans leur noir pugilat. 6+6 a
Par moments, au zénithun nuage se troue, 6+6 a
Un peu de jour lugubreen tombe, et, sur la proue, 6+6 a
Une lueur, qui trembleau souffle de l'autan, 6+6 a
60 Blême, éclaire à demice mot : LÉVIATHAN. 6+6 a
Puis l'apparitionse perd dans l'eau profonde ; 6+6 a
Tout fuit.
Léviathan ;c'est là tout le vieux monde, 6+6 a
Âpre et démesurédans sa fauve laideur ; 6+6 a
Léviathan, c'est làtout le passé : grandeur, 6+6 a
Horreur.
*
65 Le dernier sièclea vu sur la Tamise 6+6 a
Crtre un monstre à qui l'eausans bornes fut promise, 6+6 a
Et qui longtemps, Babeldes mers, eut Londre entier 6+6 a
Levant les yeux dans l'ombreau pied de son chantier. 6+6 a
Effroyable, à sept mâtsmêlant cinq cheminées 6+6 a
70 Qui hennissaient au chocdes vagues effrénées, 6+6 a
Emportant, dans le bruitdes aquilons sifflants, 6+6 a
Dix mille hommes, fourmiséparses dans ses flancs, 6+6 a
Ce titan se rua,joyeux, dans la tempête ; 6+6 a
Du dôme de Saint-Paulson mât passait le fte ; 6+6 a
75 Le sombre esprit humain,debout sur son tillac, 6+6 a
Stupéfiait la merqui n'était plus qu'un lac ; 6+6 a
Le vieillard Océan,qu'effarouche la sonde, 6+6 a
Inquiet, à traversle verre de son onde, 6+6 a
Regardait le vaisseaude l'homme grossissant ; 6+6 a
80 Ce vaisseau fut sur l'ondeun terrible passant ; 6+6 a
Les vagues frémissaientde l'avoir sur leurs croupes ; 6+6 a
Ses sabords mugissaient ;en guise de chaloupes, 6+6 a
Deux navires pendaientà ses portemanteaux ; 6+6 a
Son armure était faiteavec tous les métaux ; 6+6 a
85 Un prodigieux câbleourlait sa grande voile ; 6+6 a
Quand il marchait, fumant,grondant, couvert de toile, 6+6 a
Il jetait un tel râleà l'air épouvanté 6+6 a
Que toute l'eau tremblait,et que l'immensité 6+6 a
Comptait parmi ses bruitsce grand frisson sonore. 6+6 a
90 La nuit, il passait rougeainsi qu'un météore ; 6+6 a
Sa voilure, l'oreilleentendait le débat 6+6 a
Des souffles, subissantce gréement comme un bât, 6+6 a
Ses hunes, ses grelins,ses palans, ses amures, 6+6 a
Étaient une prisonde vents et de murmures ; 6+6 a
95 Son ancre avait le poidsd'une tour ; ses parois 6+6 a
Voulaient les flots, trouvanttous les ports trop étroits ; 6+6 a
Son ombre humiliaitau loin toutes les proues ; 6+6 a
Un télégraphe étaitson porte-voix ; ses roues 6+6 a
Forgeaient la sombre mercomme deux grands marteaux ; 6+6 a
100 Les flots se le passaientcomme des piédestaux 6+6 a
, calme, onduleraitun triomphal colosse : 6+6 a
L'abîme s'abrégeaitsous sa lourdeur véloce ; 6+6 a
Pas de lointain paysqui pour lui ne fût près ; 6+6 a
Madère apercevaitses mâts, trois jours après 6+6 a
105 L'Hékla l'entrevoyaitdans la lueur polaire. 6+6 a
La bataille montaitsur lui dans sa colère. 6+6 a
La guerre était sacréeet sainte en ce temps-là ; 6+6 a
Rien n'égalait Nemrodsi ce n'est Attila ; 6+6 a
Et les hommes, depuisles premiers jours du monde, 6+6 a
110 Sentant peser sur euxla misère inféconde, 6+6 a
Les pestes, les fléauxlugubres et railleurs, 6+6 a
Cherchant quelque moyend'amoindrir leurs douleurs, 6+6 a
Pour établir entre euxde justes équilibres, 6+6 a
Pour être plus heureux,meilleurs, plus grands, plus libres, 6+6 a
115 Plus dignes du ciel purqui les daigne éclairer, 6+6 a
Avaient imaginéde s'entre-dévorer. 6+6 a
Ce sinistre vaisseaules aidait dans leur œuvre. 6+6 a
Lourd comme le dragon,prompt comme la couleuvre, 6+6 a
Il couvrait l'océande ses ailes de feu ; 6+6 a
120 La terre s'effrayaitquand sur l'horizon bleu 6+6 a
Rampait l'allongementhideux de sa fumée, 6+6 a
Car c'était une villeet c'était une armée ; 6+6 a
Ses pavois fourmillaientde mortiers et d'affûts, 6+6 a
Et d'un hérissementde bataillons confus ; 6+6 a
125 Ses grappins menaçaient ;et, pour les abordages, 6+6 a
On voyait sur ses pontsdes rouleaux de cordages 6+6 a
Monstrueux, qui semblaientdes boas endormis ; 6+6 a
Invincible, en ces tempsde frères ennemis, 6+6 a
Seul, de toute une flotteil affrontait l'émeute, 6+6 a
130 Ainsi qu'un éléphantau milieu d'une meute ; 6+6 a
La bordée à ses piedsfumait comme un encens, 6+6 a
Ses flancs engloutissaientles boulets impuissants, 6+6 a
Il allait broyant toutdans l'obscure mêlée, 6+6 a
Et, quand, épouvantable,il lâchait sa volée, 6+6 a
135 On voyait flamboyerson colossal beaupré, 6+6 a
Par deux mille canonsbrusquement empourpré. 6+6 a
Il méprisait l'autan,le flux, l'éclair, la brume. 6+6 a
A son avant tournait,dans un chaos d'écume, 6+6 a
Une espèce de vrilleà trouer l'infini. 6+6 a
140 Le Malström s'apaisaitsous sa quille aplani. 6+6 a
Sa vie intérieureétait un incendie, 6+6 a
Flamme au gré du piloteapaisée ou grandie ; 6+6 a
Dans l'antre d' sortaitson vaste mouvement, 6+6 a
Au fond d'une fournaiseon voyait vaguement 6+6 a
145 Des êtres ténébreuxmarcher dans des nuées 6+6 a
D'étincelles, parmiles braises remuées ; 6+6 a
Et pour âme il avaitdans sa cale un enfer. 6+6 a
Il voguait, roi du gouffre,et ses vergues de fer 6+6 a
Ressemblaient, sous le cielredoutable et sublime, 6+6 a
150 A des spectres posésen travers de l'abîme ; 6+6 a
Ainsi qu'on voit l'Etnal'on voyait le steamer ; 6+6 a
Il était la montagneerrante de la mer. 6+6 a
Mais les heures, les jours,les mois, les ans, ces ondes, 6+6 a
Ont passé ; l'océan,vaste entre les deux mondes, 6+6 a
155 A rugi, de brouillardet d'orage obscurci ; 6+6 a
La mer a ses écueilscachés, le temps aussi ; 6+6 a
Et maintenant, parmiles profondeurs farouches, 6+6 a
Sous les vautours, qui sontde l'abîme les mouches, 6+6 a
Sous le nuage, au grédes souffles, dans l'oubli 6+6 a
160 De l'infini, dont l'ombreaffreuse est le repli, 6+6 a
Sans que jamais le ventautour d'elle s'endorme, 6+6 a
Au milieu des flots noirsroule l'épave énorme ! 6+6 a
*
L'ancien monde, l'ensembleétrange et surprenant 6+6 a
De faits sociaux, mortset pourris maintenant, 6+6 a
165 D' sortit ce navireaujourd'hui sous l'écume, 6+6 a
L'ancien monde aussi, lui,plongé dans l'amertume, 6+6 a
Avait tous les fléauxpour vents et pour typhons. 6+6 a
Construction d'airainaux étages profonds, 6+6 a
Sur qui le mal, flot vil,crachait sa bave infâme, 6+6 a
170 Plein de fumée, et mûpar une hydre de flamme, 6+6 a
La Haine, il ressemblaità ce sombre vaisseau. 6+6 a
Le mal l'avait marquéde son funèbre sceau. 6+6 a
Ce monde, enveloppéd'une brume éternelle, 6+6 a
Était fatal : l'Espoiravait plié son aile ; 6+6 a
175 Pas d'unité, divorceet joug ; diversité 6+6 a
De langue, de raison,de code, de cité ; 6+6 a
Nul lien ; nul faisceau ;le progrès solitaire, 6+6 a
Comme un serpent coupé,se tordait sur la terre, 6+6 a
Sans pouvoir réunirles tronçons de l'effort ; 6+6 a
180 L'esclavage, parquantles peuples pour la mort, 6+6 a
Les enfermait au fondd'un cirque de frontières 6+6 a
les gardaient la Guerreet la Nuit, bestiaires ; 6+6 a
L'Adam slave luttaitcontre l'Adam germain ; 6+6 a
Un genre humain en France ;un autre genre humain 6+6 a
185 En Amérique, un autreà Londre, un autre à Rome ; 6+6 a
L'homme au delà d'un pontne connaissait plus l'homme ; 6+6 a
Les vivants, d'ignoranceet de vices chargés, 6+6 a
Se trnaient ; en traversde tout, les préjugés, 6+6 a
Les superstitionsétaient d'âpres enceintes 6+6 a
190 Terribles d'autant plusqu'elles étaient plus saintes ; 6+6 a
Quel créneau souonneuxet noir qu'un alcoran ! 6+6 a
Un texte avait le glaiveau poing comme un tyran ; 6+6 a
La loi d'un peuple étaitchez l'autre peuple un crime ; 6+6 a
Lire était un fossé,croire était un abîme ; 6+6 a
195 Les rois étaient des tours ;les dieux étaient des murs ; 6+6 a
Nul moyen de franchirtant d'obstacles obscurs ; 6+6 a
Sitôt qu'on voulait crtre,on rencontrait la barre 6+6 a
D'une mode sauvageou d'un dogme barbare ; 6+6 a
Et, quant à l'avenir,défense d'aller là. 6+6 a
*
200 Le vent de l'infinisur ce monde souffla. 6+6 a
Il a sombré. Du fonddes cieux inaccessibles, 6+6 a
Les vivants de l'éther,les êtres invisibles 6+6 a
Confusément éparssous l'obscur firmament 6+6 a
A cette heure, pensifs,regardent fixement 6+6 a
205 Sa disparitiondans la nuit redoutable. 6+6 a
Qu'est-ce que le simouna fait du grain de sable ? 6+6 a
Cela fut. C'est passé.Cela n'est plus ici. 6+6 a
*
Ce monde est mort. Mais quoi !l'homme est-il mort aussi ? 6+6 a
Cette forme de luidisparaissant, l'a-t-elle 6+6 a
210 Lui-même remportédans l'énigme éternelle ? 6+6 a
L'océan est désert.Pas une voile au loin. 6+6 a
Ce n'est plus que du flotque le flot est témoin. 6+6 a
Pas un esquif vivantsur l'onde la mouette 6+6 a
Voit du Léviathanrôder la silhouette. 6+6 a
215 Est-ce que l'homme, ainsiqu'un feuillage jauni, 6+6 a
S'en est allé dans l'ombre ?Est-ce que c'est fini ? 6+6 a
Seul, le flux et refluxva, vient, passe et repasse. 6+6 a
Et l'œil, pour retrouverl'homme absent de l'espace 6+6 a
Regarde en vain là-bas.Rien.
Regardez là-haut. 6+6 a
II
Plein Ciel
220 Loin dans les profondeurs,hors des nuits, hors du flot, 6+6 a
Dans un écartementde nuages, qui laisse 6+6 a
Voir au-dessus des mersla céleste allégresse, 6+6 a
Un point vague et confusappart ; dans le vent, 6+6 a
Dans l'espace, ce pointse meut ; il est vivant ; 6+6 a
225 Il va, descend, remonte ;il fait ce qu'il veut faire ; 6+6 a
Il approche, il prend forme,il vient ; c'est une sphère, 6+6 a
C'est un inexprimableet surprenant vaisseau, 6+6 a
Globe comme le monde,et comme l'aigle oiseau ; 6+6 a
C'est un navire en marche. ? Dans l'éther sublime ! 6+6 a
230 Rêve ! on croit voir planerun morceau d'une cime ; 6+6 a
Le haut d'une montagnea, sous l'orbe étoilé, 6+6 a
Pris des ailes et s'esttout à coup envolé ? 6+6 a
Quelque heure immense étantdans les destins sonnée, 6+6 a
La nuit errante s'esten vaisseau façonnée ? 6+6 a
235 La Fable appart-elleà nos yeux décevants ? 6+6 a
L'antique Éole a-t-iljeté son outre aux vents ; 6+6 a
De sorte qu'en ce gouffre les orages naissent 6+6 a
Les vents, subitementdomptés, la reconnaissent ? 6+6 a
Est-ce l'aimant qui s'estfait aider par l'éclair 6+6 a
240 Pour bâtir un esquifcéleste avec de l'air ? 6+6 a
Du haut des clairs azursvient-il une visite ? 6+6 a
Est-ce un transfiguréqui part et ressuscite, 6+6 a
Qui monte, délivréde la terre, emporté 6+6 a
Sur un char volant faitd'extase et de clarté, 6+6 a
245 Et se rapproche un peupar instants pour qu'on voie, 6+6 a
Du fond du monde noir,la fuite de sa joie ? 6+6 a
Ce n'est pas un morceaud'une cime ; ce n'est 6+6 a
Ni l'outre tout le ventde la Fable tenait, 6+6 a
Ni le jeu de l'éclair ;ce n'est pas un fantôme 6+6 a
250 Venu des profondeursaurorales du dôme ; 6+6 a
Ni le rayonnementd'un ange qui s'en va, 6+6 a
Hors de quelque tombeaubéant, vers Jéhovah ; 6+6 a
Ni rien de ce qu'en sonou dans la fièvre on nomme. 6+6 a
Qu'est-ce que ce navireimpossible ? C'est l'homme. 6+6 a
255 C'est la grande révolteobéissante à Dieu ! 6+6 a
La sainte fausse clefdu fatal gouffre bleu ! 6+6 a
C'est Isis qui déchireéperdument son voile ! 6+6 a
C'est du métal, du bois,du chanvre et de la toile 6+6 a
C'est de la pesanteurdélivrée, et volant ; 6+6 a
260 C'est la force alliéeà l'homme étincelant, 6+6 a
Fière, arrachant l'argileà sa chne éternelle ; 6+6 a
C'est la matière, heureuse,altière, ayant en elle 6+6 a
De l'ouragan humain,et planant à travers 6+6 a
L'immense étonnementdes cieux enfin ouverts ! 6+6 a
265 Audace humaine ! effortdu captif ! sainte rage ! 6+6 a
Effraction enfinplus forte que la cage ! 6+6 a
Que faut-il à cet être,atome au large front, 6+6 a
Pour vaincre ce qui n'ani fin, ni bord, ni fond, 6+6 a
Pour dompter le vent, trombe,et l'écume, avalanche ? 6+6 a
270 Dans le ciel une toileet sur mer une planche. 6+6 a
*
Jadis des quatre ventsla fureur triomphait ; 6+6 a
De ces quatre chevauxéchappés l'homme a fait 6+6 a
 L'attelage de son quadrige ; 8 a
Génie, il les tient tousdans sa main, fier cocher 6+6 b
275 Du char aérienque l'éther voit marcher ; 6+6 b
 Miracle, il gouverne un prodige. 8 a
Char merveilleux ! son nomest Délivrance. Il court. 6+6 a
Près de lui le ramierest lent, le flocon lourd ; 6+6 a
 Le daim, l'épervier, la panthère 8 a
280 Sont encor là, qu'au loinson ombre a déjà fui ; 6+6 b
Et la locomotiveest reptile, et, sous lui, 6+6 b
 L'hydre de flamme est ver de terre. 8 a
Une musique, un chant,sort de son tourbillon. 6+6 a
Ses cordages vibrantset remplis d'aquilon 6+6 a
285  Semblent, dans le vide tout sombre, 8 a
Une lyre à traverslaquelle par moment 6+6 b
Passe quelque âme en fuiteau fond du firmament 6+6 b
 Et mêlée aux souffles de l'ombre. 8 a
Car l'air, c'est l'hymne épars ;l'air, parmi les récifs 6+6 a
290 Des nuages roulanten groupes convulsifs, 6+6 a
 Jette mille voix étouffées ; 8 a
Les fluides, l'azur,l'effluve, l'élément, 6+6 b
Sont toute une harmonie flottent vaguement 6+6 b
 On ne sait quels sombres Orphées. 8 a
295 Superbe, il plane avecun hymne en ses agrès ; 6+6 a
Et l'on croit voir passerla strophe du progrès. 6+6 a
 Il est la nef, il est le phare ! 8 a
L'homme enfin prend son sceptreet jette son bâton. 6+6 b
Et l'on voit s'envolerle calcul de Newton 6+6 b
300  Monté sur l'ode de Pindare. 8 a
Le char haletant plongeet s'enfonce dans l'air, 6+6 a
Dans l'éblouissementimpénétrable et clair, 6+6 a
 Dans l'éther sans tache et sans ride ; 8 a
Il se perd sous le bleudes cieux démesurés ; 6+6 b
305 Les esprits de l'azurcontemplent effarés 6+6 b
 Cet engloutissement splendide. 8 a
Il passe, il n'est plus là ;qu'est-il dont devenu ? 6+6 a
Il est dans l'invisible,il est dans l'inconnu ; 6+6 a
 Il baigne l'homme dans le songe, 8 a
310 Dans le fait, dans le vraiprofond, dans la clarté, 6+6 b
Dans l'océan d'en hautplein d'une vérité 6+6 b
 Dont le prêtre a fait un mensonge. 8 a
Le jour se lève, il va ;le jour s'évanouit, 6+6 a
Il va ; fait pour le jour,il accepte la nuit. 6+6 a
315  Voici l'heure des feux sans nombre ; 8 a
L'heure , vu du nadir,ce globe semble, ayant 6+6 b
Son large cône obscursous lui se déployant, 6+6 b
 Une énorme comète d'ombre. 8 a
La brume redoutableemplit au loin les airs. 6+6 a
320 Ainsi qu'au crépusculeon voit, le long des mers, 6+6 a
 Le pêcheur, vague comme un rêve, 8 a
Trnant, dernier effortd'un long jour de sueurs, 6+6 b
Sa nasse les poissonsfont de pâles lueurs, 6+6 b
 Aller et venir sur la grève, 8 a
325 La Nuit tire du fonddes gouffres inconnus 6+6 a
Son filet luit Mars, rayonne Vénus, 6+6 a
 Et, pendant que les heures sonnent, 8 a
Ce filet grandit, monte,emplit le ciel des soirs, 6+6 b
Et dans ses mailles d'ombreet dans ses réseaux noirs 6+6 b
330  Les constellations frissonnent. 8 a
L'aéroscaphe suitson chemin ; il n'a peur 6+6 a
Ni des pièges du soir,ni de l'âcre vapeur, 6+6 a
 Ni du ciel morne rien ne bouge, 8 a
les éclairs, luttantau fond de l'ombre entre eux, 6+6 b
335 Ouvrent subitementdans le nuage affreux 6+6 b
 Des cavernes de cuivre rouge. 8 a
Il invente une routeobscure dans les nuits ; 6+6 a
Le silence hideuxde ces lieux inouïs 6+6 a
 N'arrête point ce globe en marche ; 8 a
340 Il passe, portant l'hommeet l'univers en lui ; 6+6 b
Paix ! gloire ! et, comme l'eaujadis, l'air aujourd'hui 6+6 b
 Au-dessus de ses flots voit l'arche. 8 a
Le saint navire courtpar le vent emporté 6+6 a
Avec la certitudeet la rapidité 6+6 a
345  Du javelot cherchant la cible ; 8 a
Rien n'en tombe, et pourtantil chemine en semant ; 6+6 b
Sa rondeur, qu'on distingueen haut confusément, 6+6 b
 Semble un ventre d'oiseau terrible. 8 a
Il vogue ; les brouillardssous lui flottent dissous ; 6+6 a
350 Ses pilotes penchésregardent, au-dessous 6+6 a
 Des nuages l'ancre trne, 8 a
Si, dans l'ombre, la terreavec l'air se confond, 6+6 b
Le sommet du mont Blancou quelque autre bas-fond 6+6 b
 Ne vient pas heurter sa carène. 8 a
*
355 La vie est sur le pontdu navire éclatant 6+6 a
Le rayon l'envoya,la lumière l'attend. 6+6 a
 L'homme y fourmille, l'hommeinvincible y flamboie ; 6+6 a
Point d'armes ; un fier bruitde puissance et de joie ; 6+6 a
Le cri vertigineuxde l'exploration ! 6+6 a
360 Il court, ombre, clarté,chimère, vision ! 6+6 a
 Regardez-le pendantqu'il passe, il va si vite ! 6+6 a
Comme autour d'un soleilun système gravite, 6+6 a
Une sphère de cuivreénorme fait marcher 6+6 a
Quatre globes pendun immense plancher ; 6+6 a
365 Elle respire et fuitdans les vents qui la bercent ; 6+6 a
Un large et blanc hunierhorizontal, que percent 6+6 a
Des trappes, se fermant,s'ouvrant au gré du frein, 6+6 a
Fait un grand diaphragmeà ce poumon d'airain ; 6+6 a
Il s'impose à la nueainsi qu'à l'onde un liège ; 6+6 a
370 La toile d'araignéehumaine, un vaste piège 6+6 a
De cordes et de nœuds,un enchevêtrement 6+6 a
De soupapes que meutun câble court l'aimant, 6+6 a
Une embûche de treuils,de cabestans, de moufles, 6+6 a
Prend au passage et faittravailler tous les souffles ; 6+6 a
375 L'esquif plane, encombréd'hommes et de ballots, 6+6 a
Parmi les arcs-en-ciel,les azurs, les halos, 6+6 a
Et sa course, écheveauqui sans fin se dévide, 6+6 a
A pour point d'appui l'airet pour moteur le vide ; 6+6 a
Sous le plancher s'étageun chaos régulier 6+6 a
380 De ponts flottants que lieun tremblant escalier ; 6+6 a
Ce navire est un Louvreerrant avec son faste ; 6+6 a
Un fil le porte ; il fuit,léger, fier, et si vaste, 6+6 a
Si colossal, au ventdu grand abîme clair, 6+6 a
Que le Léviathan,rampant dans l'âpre mer, 6+6 a
385 A l'air de sa chaloupeaux ténèbres tombée, 6+6 a
Et semble, sous le vold'un aigle, un scarabée 6+6 a
Se tordant dans le flotqui l'emporte, tandis 6+6 a
Que l'immense oiseau planeau fond d'un paradis. 6+6 a
Si l'on pouvait rouvrirles yeux que le ver ronge, 6+6 a
390 Oh ! ce vaisseau, construitpar le chiffre et le songe, 6+6 a
Éblouirait Shakspeareet ravirait Euler ! 6+6 a
Il voyage, Délosgigantesque de l'air, 6+6 a
Et rien ne le repousseet rien ne le refuse ; 6+6 a
Et l'on entend parlersa grande voix confuse. 6+6 a
395 Par moments la tempêteaccourt, le ciel pâlit, 6+6 a
L'autan, bouleversantles flots de l'air, emplit 6+6 a
L'espace d'une écumeaffreuse de nuages ; 6+6 a
Mais qu'importe à l'esquifde la mer sans rivages ? 6+6 a
Seulement, sur son aileil se dresse en marchant ; 6+6 a
400 Il devient formidableà l'abîme méchant, 6+6 a
Et dompte en frémissantla trombe qui se creuse. 6+6 a
On le dirait conduitdans l'horreur ténébreuse 6+6 a
Par l'âme des Leibniz,des Fultons, des Képlers ; 6+6 a
Et l'on croit voir, parmile chaos plein d'éclairs, 6+6 a
405 De détonations,d'ombre et de jets de soufre, 6+6 a
Le sombre emportementd'un monde dans un gouffre. 6+6 a
*
Qu'importe le moment ?qu'importe la saison ? 6+6 a
La brume peut cacherdans le blême horizon 6+6 a
 Les Saturnes et les Mercures ; 8 a
410 La bise, conduisantla pluie aux crins épars, 6+6 b
Dans les nuages lourdsgrondant de toutes parts 6+6 b
 Peut tordre des hydres obscures ; 8 a
Qu'importe ? il va. Tout souffleest bon ; simoun, mistral ! 6+6 a
La terre a disparudans le puits sidéral, 6+6 a
415  Il entre au mystère nocturne, 8 a
Au-dessus de la grêleet de l'ouragan fou, 6+6 b
Laissant le globe en basdans l'ombre, on ne sait , 6+6 b
 Sous le renversement de l'urne. 8 a
Intrépide, il bonditsur les ondes du vent ; 6+6 a
420 Il se rue, aile ouverteet la proue en avant, 6+6 a
 Il monte, il monte, il monte encore, 8 a
Au-delà de la zone tout s'évanouit, 6+6 b
Comme s'il s'en allaitdans la profonde nuit 6+6 b
 A la poursuite de l'aurore ! 8 a
425 Calme, il monte jamaisnuage n'est monté ; 6+6 a
Il plane à la hauteurde la sérénité, 6+6 a
 Devant la vision des sphères ; 8 a
Elles sont là, faisantle mystère éclatant, 6+6 b
Chacune feu d'un gouffre,et toutes constatant 6+6 b
430  Les énigmes par les lumières. 8 a
Andromède étincelle,Orion resplendit ; 6+6 a
L'essaim prodigieuxdes Pléiades grandit ; 6+6 a
 Sirius ouvre son cratère ; 8 a
Arcturus, oiseau d'or,scintille dans son nid ; 6+6 b
435 Le Scorpion hideuxfait cabrer au zénith 6+6 b
 Le poitrail bleu du Sagittaire. 8 a
L'aéroscaphe voit,comme en face de lui, 6+6 a
Là-haut, Aldebaranpar Céphée ébloui, 6+6 a
 Persée, escarboucle des cimes, 8 a
440 Le chariot polaireaux flamboyants essieux, 6+6 b
Et, plus loin, la lueurlactée, ô sombres cieux, 6+6 b
 La fourmilière des abîmes ! 8 a
Vers l'apparitionterrible des soleils, 6+6 a
Il monte ; dans l'horreurdes espaces vermeils, 6+6 a
445  Il s'oriente, ouvrant ses voiles ; 8 a
On croirait, dans l'éther de loin on entend, 6+6 b
Que ce vaisseau puissantet superbe, en chantant, 6+6 b
 Part pour une de ces étoiles ; 8 a
Tant cette nef, rompanttous les terrestres nœuds, 6+6 a
450 Volante, et franchissantle ciel vertigineux, 6+6 a
 Rêve des blêmes Zoroastres, 8 a
Comme effrénée au souffleinsensé de la nuit, 6+6 b
Se jette, plonge, enfonceet tombe et roule et fuit 6+6 b
 Dans le précipice des astres ! 8 a
*
455 donc s'arrêteral'homme séditieux ? 6+6 a
L'espace voit, d'un œilpar moment soucieux, 6+6 a
L'empreinte du talonde l'homme dans les nues ; 6+6 a
Il tient l'extrémitédes choses inconnues ; 6+6 a
Il épouse l'abîmeà son argile uni ; 6+6 a
460 Le voilà maintenantmarcheur de l'infini. 6+6 a
s'arrêtera-t-il,le puissant réfractaire ? 6+6 a
Jusqu'à quelle distanceira-t-il de la terre ? 6+6 a
Jusqu'à quelle distanceira-t-il du destin ? 6+6 a
L'âpre Fatalitése perd dans le lointain ; 6+6 a
465 Toute l'antique histoireaffreuse et déformée 6+6 a
Sur l'horizon nouveaufuit comme une fumée. 6+6 a
Les temps sont venus. L'hommea pris possession 6+6 a
De l'air, comme du flotla grèbe et l'alcyon. 6+6 a
Devant nos rêves fiers,devant nos utopies 6+6 a
470 Ayant des yeux croyantset des ailes impies, 6+6 a
Devant tous nos effortspensifs et haletants, 6+6 a
L'obscurité sans fondfermait ses deux battants ; 6+6 a
Le vrai champ enfin s'offreaux puissantes algèbres ; 6+6 a
L'homme vainqueur, tirantle verrou des ténèbres, 6+6 a
475 Dédaigne l'océan,le vieil infini mort. 6+6 a
La porte noire cèdeet s'entre-bâille. Il sort ! 6+6 a
O profondeurs ! faut-ilencor l'appeler l'homme ? 6+6 a
L'homme est d'abord montésur la bête de somme ; 6+6 a
Puis sur le chariotque portent des essieux ; 6+6 a
480 Puis sur la frêle barqueau mât ambitieux ; 6+6 a
Puis quand il a falluvaincre l'écueil, la lame, 6+6 a
L'onde et l'ouragan, l'hommeest monté sur la flamme ; 6+6 a
A présent l'immortelaspire à l'éternel ; 6+6 a
Il montait sur la mer,il monte sur le ciel. 6+6 a
485 L'homme force le sphinxà lui tenir la lampe. 6+6 a
Jeune, il jette le sacdu vieil Adam qui rampe, 6+6 a
Et part, et risque aux cieux,qu'éclaire son flambeau, 6+6 a
Un pas semblable à ceuxqu'on fait dans le tombeau ; 6+6 a
Et peut-être voiciqu'enfin la traversée 6+6 a
490 Effrayante, d'un astreà l'autre, est commencée ! 6+6 a
*
Stupeur ! se pourrait-ilque l'homme s'élançât ? 6+6 a
O nuit ! se pourrait-ilque l'homme, ancien foat, 6+6 a
 Que l'esprit humain, vieux reptile, 8 a
Devînt ange, et, brisantle carcan qui le mord, 6+6 b
495 Fût soudain de plain-piedavec les cieux ? La mort 6+6 b
 Va donc devenir inutile ! 8 a
Oh ! franchir l'éther ! songeépouvantable et beau ! 6+6 a
Doubler le promontoireénorme du tombeau ! 6+6 a
 Qui sait ? — toute aile est magnanime, 8 a
500 L'homme est ailé, — peut-être,ô merveilleux retour 6+6 b
Un Christophe Colombde l'ombre, quelque jour, 6+6 b
 Un Gama du cap de l'abîme, 8 a
Un Jason de l'azur,depuis longtemps parti, 6+6 a
De la terre oublié,par le ciel englouti, 6+6 a
505  Tout à coup sur l'humaine rive 8 a
Repartra, montésur cet alérion, 6+6 b
Et, montrant Sirius,Allioth, Orion, 6+6 b
 Tout pâle, dira : J'en arrive ! 8 a
Ciel ! ainsi, comme on voitaux vtes des celliers 6+6 a
510 Les noirceurs qu'en rôdanttracent les chandeliers, 6+6 a
 On pourrait, sous les bleus pilastres, 8 a
Deviner qu'un enfantde la terre a passé, 6+6 b
A ce que le flambeaude l'homme aurait laissé 6+6 b
 De fumée au plafond des astres ! 8 a
*
515 Pas si loin ! pas si haut !redescendons. Restons 6+6 a
L'homme, restons Adam ;mais non l'homme à tâtons, 6+6 a
Mais non l'Adam tombé !Tout autre rêve altère 6+6 a
L'espèce d'idéalqui convient à la terre. 6+6 a
Contentons-nous du mot :meilleur ! écrit partout. 6+6 a
Oui, l'aube s'est levée.
520 Oh ! ce fut tout à coup 6+6 a
Comme une éruptionde folie et de joie, 6+6 a
Quand, après six mille ansdans la fatale voie, 6+6 a
Défaite brusquementpar l'invisible main, 6+6 a
La pesanteur, liéeau pied du genre humain, 6+6 a
525 Se brisa ; cette chneétait toutes les chnes ! 6+6 a
Tout s'envola dans l'homme,et les fureurs, les haines, 6+6 a
Les chimères, la forceévanouie enfin 6+6 a
L'ignorance et l'erreur,la misère et la faim, 6+6 a
Le droit divin des rois,les faux dieux juifs ou guèbres, 6+6 a
530 Le mensonge, le dol,les brumes, les ténèbres, 6+6 a
Tombèrent dans la poudreavec l'antique sort, 6+6 a
Comme le vêtementdu bagne dont on sort. 6+6 a
Et c'est ainsi que l'èreannoncée est venue, 6+6 a
Cette ère qu'à traversles temps, épaisse nue, 6+6 a
535 Thalès apercevaitau loin devant ses yeux ; 6+6 a
Et Platon, lorsque, ému,des sphères dans les cieux 6+6 a
Il écoutait les chantset contemplait les danses. 6+6 a
Les êtres inconnuset bons, les providences 6+6 a
Présentes dans l'azur l'œil ne les voit pas, 6+6 a
540 Les anges qui de l'hommeobservent tous les pas, 6+6 a
Leur tâche sainte étantde diriger lés âmes 6+6 a
Et d'attiser, avectoutes les belles flammes, 6+6 a
La conscience au fonddes cerveaux ténébreux, 6+6 a
Ces amis des vivants,toujours penchés sur eux, 6+6 a
545 Ont cessé de frémiret d'être, en la tourmente 6+6 a
Et dans les sombres nuits,la voix qui se lamente. 6+6 a
Voici qu'on voit bleuirl'idéale Sion. 6+6 a
Ils n'ont plus l'œil fixésur l'apparition 6+6 a
Du vainqueur, du soldat,du fauve chasseur d'hommes. 6+6 a
550 Les vagues flamboiementsépars sur les Sodomes, 6+6 a
Précurseurs du grand feudévorant, les lueurs 6+6 a
Que jette le sourciltragique des tueurs, 6+6 a
Les guerres, s'arrachantavec leur griffe immonde 6+6 a
Les frontières, haillondifforme du vieux monde, 6+6 a
555 Les battements de cœurdes mères aux abois, 6+6 a
L'embuscade ou le volguettant au fond des bois, 6+6 a
Le cri de la chouetteet de la sentinelle, 6+6 a
Les fléaux, ne sont plusleur alarme éternelle. 6+6 a
Le deuil n'est plus mêlédans tout ce qu'on entend ; 6+6 a
560 Leur oreille n'est plustendue à chaque instant 6+6 a
Vers le gémissementindigné de la tombe ; 6+6 a
La moisson rit aux champs râlait l'hécatombe ; 6+6 a
L'azur ne les voit pluspleurer les nouveau-nés, 6+6 a
Dans tous les innocentspressentir des damnés, 6+6 a
565 Et la pitié n'est plusleur unique attitude ; 6+6 a
Ils ne regardent plusla morne servitude 6+6 a
Tresser sa maille obscureà l'osier des berceaux. 6+6 a
L'homme aux fers, pénétrédu frisson des roseaux, 6+6 a
Est remplacé par l'hommeattendri, fort et calme ; 6+6 a
570 La fonction du sceptreest faite par la palme ; 6+6 a
Voici qu'enfin, ô gloire !exaucés dans leur vœu, 6+6 a
Ces êtres, dieux pour nous,créatures pour Dieu, 6+6 a
Sont heureux, l'homme est bon,et sont fiers, l'homme est juste. 6+6 a
Les esprits purs, essaimde l'empyrée auguste, 6+6 a
575 Devant ce globe obscurqui devient lumineux, 6+6 a
Ne sentent plus saignerl'amour qu'ils ont en eux ; 6+6 a
Une clarté partdans leur beau regard sombre ; 6+6 a
Et l'archange commenceà sourire dans l'ombre. 6+6 a
*
va-t-il, ce navire ?Il va, de jour vêtu, 6+6 a
580 A l'avenir divinet pur, à la vertu, 6+6 a
 A la science qu'on voit luire, 8 a
A la mort des fléaux,à l'oubli généreux, 6+6 b
A l'abondance, au calme,au rire, à l'homme heureux ; 6+6 b
 Il va, ce glorieux navire, 8 a
585 Au droit, à la raison,à la fraternité, 6+6 a
A la religieuseet sainte vérité 6+6 a
 Sans impostures et sans voiles, 8 a
A l'amour, sur les cœursserrant son doux lien, 6+6 b
Au juste, au grand, au bon,au beau… — Vous voyez bien 6+6 b
590  Qu'en effet, il monte aux étoiles ! 8 a
Il porte l'homme à l'homme,et l'esprit à l'esprit. 6+6 a
Il civilise, ô gloire !Il ruine, il flétrit 6+6 a
 Tout l'affreux passé qui s'effare ; 8 a
Il abolit la loide fer, la loi de sang, 6+6 b
595 Les glaives, les carcans,l'esclavage, en passant 6+6 b
 Dans les cieux comme une fanfare. 8 a
Il ramène au vrai ceuxque le faux repoussa ; 6+6 a
Il fait briller la foidans l'œil de Spinosa 6+6 a
 Et l'espoir sur le front de Hobbe ; 8 a
600 Il plane, rassurant,réchauffant, épanchant 6+6 b
Sur ce qui fut lugubreet ce qui fut méchant 6+6 b
 Toute la clémence de l'aube. 8 a
Les vieux champs de batailleétaient là dans la nuit ; 6+6 a
Il passe, et maintenantvoilà le jour qui luit 6+6 a
605  Sur ces grands charniers de l'histoire 8 a
les siècles, penchantleur œil triste et profond, 6+6 b
Venaient regarder l'ombreeffroyable que font 6+6 b
 Les deux ailes de la victoire. 8 a
Derrière lui, Césarredevient homme ; Éden 6+6 a
610 S'élargit sur l'Érèbe,épanoui soudain ; 6+6 a
 Les ronces de lys sont couvertes ; 8 a
Tout revient, tout rent ;ce que la mort courbait 6+6 b
Refleurit dans la vie,et le bois du gibet 6+6 b
 Jette, effrayé, des branches vertes. 8 a
615 Le nuage, l'auroreaux candides frcheurs, 6+6 a
L'aile de la colombe,et toutes les blancheurs, 6+6 a
 Composent là-haut sa magie ; 8 a
Derrière lui, pendantqu'il fuit vers la clarté, 6+6 b
Dans l'antique noirceurde la fatalité 6+6 b
620  Des lueurs de l'enfer rougie, 8 a
Dans ce brumeux chaosqui fut le monde ancien, 6+6 a
l'allah turc s'accoudeau sphinx égyptien, 6+6 a
 Dans la séculaire géhenne, 8 a
Dans la Gomorrhe infâme flambe un lac fumant, 6+6 b
625 Dans la forêt du malqu'éclairent vaguement 6+6 b
 Les deux yeux fixes de la Haine, 8 a
Tombent, sèchent, ainsique des feuillages morts, 6+6 a
Et s'en vont la douleur,le péché, le remords, 6+6 a
 La perversité lamentable, 8 a
630 Tout l'ancien joug, de rêveet de crime forgé, 6+6 b
Nemrod, Aron, la guerreavec le préjugé, 6+6 b
 La boucherie avec l'étable ! 8 a
Tous les spoliateurset tous les corrupteurs 6+6 a
S'en vont ; et les faux ourssur les fausses hauteurs ; 6+6 a
635  Et le taureau d'airain qui beugle, 8 a
La hache, le billot,le bûcher dévorant, 6+6 b
Et le docteur versantl'erreur à l'ignorant, 6+6 b
 Vil bâton qui trompait l'aveugle ! 8 a
Et tous ceux qui faisaient,au lieu de repentirs, 6+6 a
640 Un rire au prince avecles larmes des martyrs, 6+6 a
 Et tous ces flatteurs des épées 8 a
Qui louaient le sultan,le mtre universel, 6+6 b
Et, pour assaisonnerl'hymne, prenaient du sel 6+6 b
 Dans le sac aux têtes coupées ! 8 a
645 Les pestes, les forfaits,les ciers fulgurants, 6+6 a
S'effacent, et la route marchaient les tyrans, 6+6 a
 Bélial roi, Dagon ministre, 8 a
Et l'épine, et la haiehorrible du chemin 6+6 b
l'homme du vieux mondeet du vieux vice humain 6+6 b
650  Entend bêler le bouc sinistre. 8 a
On voit luire partoutles esprits sidéraux ; 6+6 a
On voit la fin du monstreet la fin du héros, 6+6 a
 Et de l'athée et de l'augure, 8 a
La fin du conquérant,la fin du paria ; 6+6 b
655 Et l'on voit lentementsortir Beccaria. 6+6 b
 De Dracon qui se transfigure. 8 a
On voit l'agneau sortirdu dragon fabuleux, 6+6 a
La vierge de l'opprobre,et Marie aux yeux bleus 6+6 a
 De la Vénus prostituée ; 8 a
660 Le blasphème devientle psaume ardent et pur, 6+6 b
L'hymne prend, pour s'en faireautant d'ailes d'azur, 6+6 b
 Tous les haillons de la huée. 8 a
Tout est sauvé ! La fleur,le printemps aromal, 6+6 a
L'éclosion du bien,l'écroulement du mal, 6+6 a
665  Fêtent dans sa course enchantée 8 a
Ce beau globe éclaireur,ce grand char curieux, 6+6 b
Qu'Empédocle, du fonddes gouffres, suit des yeux, 6+6 b
 Et, du haut des monts, Prométhée ! 8 a
Le jour s'est fait dans l'antre l'horreur s'accroupit. 6+6 a
670 En expirant, l'antiqueunivers décrépit, 6+6 a
 Larve à la prunelle ternie, 8 a
Gisant, et regardantle ciel noir s'étoiler, 6+6 b
A laissé cette sphèreheureuse s'envoler 6+6 b
 Des lèvres de son agonie. 8 a
*
675 Oh ! ce navire faitle voyage sacré ! 6+6 a
C'est l'ascension bleueà son premier degré, 6+6 a
 Hors de l'antique et vil décombre, 8 a
Hors de la pesanteur,c'est l'avenir fondé ; 6+6 b
C'est le destin de l'hommeà la fin évadé, 6+6 b
680  Qui lève l'ancre et sort de l'ombre ! 8 a
Ce navire là-hautconclut le grand hymen, 6+6 a
Il mêle presque à Dieul'âme du genre humain. 6+6 a
 Il voit l'insondable, il y touche ; 8 a
Il est le vaste élandu progrès vers le ciel ; 6+6 b
685 Il est l'entrée altièreet sainte du réel 6+6 b
 Dans l'antique idéal farouche. 8 a
Oh ! chacun de ses pasconquiert l'illimité ! 6+6 a
Il est la joie ; il estla paix ; l'humanité 6+6 a
 A trouvé son organe immense ; 8 a
690 Il vogue, usurpateursacré, vainqueur béni, 6+6 b
Reculant chaque jourplus loin dans l'infini 6+6 b
 Le point sombre l'homme commence. 8 a
Il laboure l'abîme ;il ouvre ces sillons 6+6 a
croissaient l'ouragan,l'hiver, les tourbillons, 6+6 a
695  Les sifflements et les huées ; 8 a
Grâce à lui, la concordeest la gerbe des cieux ; 6+6 b
Il va, fécondateurdu ciel mystérieux, 6+6 b
 Charrue auguste des nuées. 8 a
Il fait germer la viehumaine dans ces champs 6+6 a
700 Dieu n'avait encorsemé que des couchants 6+6 a
 Et moissonné que des aurores ; 8 a
Il entend, sous son volqui fend les airs sereins, 6+6 b
Crtre et frémir partoutles peuples souverains, 6+6 b
 Ces immenses épis sonores ! 8 a
705 Nef magique et suprême !elle a, rien qu'en marchant, 6+6 a
Changé le cri terrestreen pur et joyeux chant, 6+6 a
 Rajeuni les races flétries, 8 a
Établi l'ordre vrai,montré le chemin sûr, 6+6 b
Dieu juste ! et fait entrerdans l'homme tant d'azur 6+6 b
710  Qu'elle a supprimé les patries ! 8 a
Faisant à l'homme avecle ciel une cité, 6+6 a
Une pensée avectoute l'immensité, 6+6 a
 Elle abolit les vieilles règles ; 8 a
Elle abaisse les monts,elle annule les tours ; 6+6 b
715 Splendide, elle introduitles peuples, marcheurs lourds, 6+6 b
 Dans la communion des aigles. 8 a
Elle a cette divineet chaste fonction 6+6 a
De composer là-hautl'unique nation, 6+6 a
 A la fois dernière et première, 8 a
720 De promener l'essordans le rayonnement, 6+6 b
Et de faire planer,ivre de firmament, 6+6 b
 La liberté dans la lumière. 8 a
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