Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
HUG_3/HUG576
Victor HUGO
LA LÉGENDE DES SIÈCLES
PREMIÈRE SÉRIE
1859
IV
LE CYCLE HÉROÏQUE CHRÉTIEN
Aymerillot
Charlemagne, empereur | à la barbe fleurie, 6+6 a
Revient d'Espagne ; il a | le cœur triste, il s'écrie : 6+6 a
— Roncevaux ! Roncevaux ! | ô traître Ganelon ! 6+6 b
Car son neveu Roland | est mort dans ce vallon 6+6 b
5 Avec les douze pairs | et toute son armée. 6+6 a
Le laboureur des monts | qui vit sous la ramée 6+6 a
Est rentré chez lui, grave | et calme, avec son chien ; 6+6 b
Il a baisé sa femme | au front et dit : C'est bien. 6+6 b
Il a lavé sa trompe | et son arc aux fontaines ; 6+6 a
10 Et les os des héros | blanchissent dans les plaines. 6+6 a
Le bon roi Charle est plein | de douleur et d'ennui ; 6+6 b
Son cheval syrien | est triste comme lui. 6+6 b
Il pleure ; l'empereur | pleure de la souffrance 6+6 a
D'avoir perdu ses preux, | ses douze pairs de France, 6+6 a
15 Ses meilleurs chevaliers | qui n'étaient jamais las, 6+6 b
Et son neveu Roland, | et la bataille, hélas ! 6+6 b
Et surtout de songer, | lui, vainqueur des Espagnes, 6+6 a
Qu'on fera des chansons | dans toutes ces montagnes 6+6 a
Sur ses guerriers tombés | devant des paysans, 6+6 b
20 Et qu'on en parlera | plus de quatre cents ans ! 6+6 b
Cependant il chemine ; | au bout de trois journées 6+6 a
Il arrive au sommet | des hautes Pyrénées. 6+6 a
Là, dans l'espace immense | il regarde en rêvant ; 6+6 b
Et sur une montagne, | au loin, et bien avant 6+6 b
25 Dans les terres, il voit | une ville très forte, 6+6 a
Ceinte de murs avec | deux tours à chaque porte. 6+6 a
Elle offre à qui la voit | ainsi dans le lointain 6+6 b
Trente maîtresses tours | avec des toits d'étain, 6+6 b
Et des mâchicoulis | de forme sarrasine 6+6 a
30 Encor tout ruisselants | de poix et de résine. 6+6 a
Au centre est un donjon | si beau, qu'en vérité 6+6 b
On ne le peindrait pas | dans tout un jour d'été. 6+6 b
Ses créneaux sont scellés | de plomb, chaque embrasure 6+6 a
Cache un archer dont l'œil | toujours guette et mesure, 6+6 a
35 Ses gargouilles font peur, | à son faîte vermeil 6+6 b
Rayonne un diamant | gros comme le soleil, 6+6 b
Qu'on ne peut regarder | fixement de trois lieues. 6+6 a
Sur la gauche est la mer | aux grandes ondes bleues, 6+6 a
Qui jusqu'à cette ville | apporte ses dromons. 6+6 b
40 Charle, en voyant ces tours, | tressaille sur les monts. 6+6 b
— Mon sage conseiller, | Naymes, duc de Bavière, 6+6 a
Quelle est cette cité | près de cette rivière ? 6+6 a
Qui la tient la peut dire | unique sous les cieux. 6+6 b
Or, je suis triste, et c'est | le cas d'être joyeux. 6+6 b
45 Oui, dussé-je rester | quatorze ans dans ces plaines, 6+6 a
O gens de guerre, archers, | compagnons, capitaines, 6+6 a
Mes enfants ! mes lions ! | saint Denis m'est témoin 6+6 b
Que j'aurai cette ville | avant d'aller plus loin ! — 6+6 b
Le vieux Naymes frissonne | à ce qu'il vient d'entendre. 6+6 a
50 — Alors, achetez-la, | car nul ne peut la prendre. 6+6 a
Elle a pour se défendre, | outre ses béarnais, 6+6 b
Vingt mille turcs ayant | chacun double harnais. 6+6 b
Quant à nous, autrefois, | c'est vrai, nous triomphâmes ; 6+6 a
Mais, aujourd'hui, vos preux | ne valent pas des femmes, 6+6 a
55 Ils sont tous harassés | et du gîte envieux 6+6 b
Et je suis le moins las, | moi qui suis le plus vieux. 6+6 b
Sire, je parle franc | et je ne farde guère. 6+6 a
D'ailleurs, nous n'avons point | de machines de guerre ; 6+6 a
Les chevaux sont rendus, | les gens rassasiés ; 6+6 b
60 Je trouve qu'il est temps | que vous vous reposiez, 6+6 b
Et je dis qu'il faut être | aussi fou que vous l'êtes 6+6 a
Pour attaquer ces tours | avec des arbalètes. 6+6 a
L'empereur répondit | au duc avec bonté : 6+6 b
— Duc, tu ne m'as pas dit | le nom de la cité ? 6+6 b
65 On peut bien oublier | quelque chose à mon âge. 6+6 a
Mais, sire, ayez pitié | de votre baronnage ; 6+6 a
Nous voulons nos foyers, | nos logis, nos amours. 6+6 b
C'est ne jouir jamais | que conquérir toujours. 6+6 b
Nous venons d'attaquer | bien des provinces, sire, 6+6 a
70 Et nous en avons pris | de quoi doubler l'empire. 6+6 a
Ces assiégés riraient | de vous du haut des tours. 6+6 b
Ils ont, pour recevoir | sûrement des secours, 6+6 b
Si quelque insensé vient | heurter leurs citadelles, 6+6 a
Trois souterrains creusés | par les turcs infidèles, 6+6 a
75 Et qui vont, le premier, | dans le val de Bastan, 6+6 b
Le second, à Bordeaux, | le dernier, chez Satan. 6+6 b
L'empereur, souriant, | reprit d'un air tranquille : 6+6 a
— Duc, tu ne m'as pas dit | le nom de cette ville ? 6+6 a
— C'est Narbonne.
— Narbonne | est belle, dit le roi, 6+6 b
80 Et je l'aurai ; je n'ai | jamais vu, sur ma foi, 6+6 b
Ces belles filles-là | sans leur rire au passage, 6+6 a
Et me piquer un peu | les doigts à leur corsage. — 6+6 a
Alors, voyant passer | un comte de haut lieu, 6+6 b
Et qu'on appelait Dreus | de Montdidier. — Pardieu ! 6+6 b
85 Comte, ce bon duc Nayme | expire de vieillesse ! 6+6 a
Mais vous, ami, prenez | Narbonne, et je vous laisse 6+6 a
Tout le pays d'ici | jusques à Montpellier ; 6+6 b
Car vous êtes le fils | d'un gentil chevalier ; 6+6 b
Votre oncle, que j'estime, | était abbé de Chelles ; 6+6 a
90 Vous-même êtes vaillant ; | donc, beau sire, aux échelles ! 6+6 a
L'assaut !
— Sire empereur, | répondit Montdidier, 6+6 b
Je ne suis désormais | bon qu'à congédier ; 6+6 b
J'ai trop porté haubert, | maillot, casque et salade ; 6+6 a
J'ai besoin de mon lit, | car je suis fort malade ; 6+6 a
95 J'ai la fièvre ; un ulcère | aux jambes m'est venu ; 6+6 b
Et voilà plus d'un an | que je n'ai couché nu. 6+6 b
Gardez tout ce pays, | car je n'en ai que faire. 6+6 a
L'empereur ne montra | ni trouble ni colère. 6+6 a
Il chercha du regard | Hugo de Cotentin 6+6 b
100 Ce seigneur était brave | et comte palatin. 6+6 b
— Hugues, dit-il, je suis | aise de vous apprendre 6+6 a
Que Narbonne est à vous ; | vous n'avez qu'à la prendre. 6+6 a
Hugo de Cotentin | salua l'empereur. 6+6 b
— Sire c'est un manant | heureux qu'un laboureur ! 6+6 b
105 Le drôle gratte un peu | la terre brune ou rouge, 6+6 a
Et, quand sa tâche est faite, | il rentre dans son bouge. 6+6 a
Moi, j'ai vaincu Tryphon, | Thessalus, Gaïffer ; 6+6 b
Par le chaud, par le froid, | je suis vêtu de fer ; 6+6 b
Au point du jour, j'entends | le clairon pour antienne ; 6+6 a
110 Je n'ai plus à ma selle | une boucle qui tienne ; 6+6 a
Voilà longtemps que j'ai | pour unique destin 6+6 b
De m'endormir fort tard | pour m'éveiller matin, 6+6 b
De recevoir des coups | pour vous et pour les vôtres. 6+6 a
Je suis très fatigué. | Donnez Narbonne à d'autres. 6+6 a
115 Le roi laissa tomber | sa tête sur son sein. 6+6 b
Chacun songeait, poussant | du coude son voisin. 6+6 b
Pourtant Charle, appelant | Richer de Normandie : 6+6 a
— Vous êtes grand seigneur | et de race hardie, 6+6 a
Duc ; ne voudrez-vous pas | prendre Narbonne un peu ? 6+6 b
120 — Empereur, je suis duc | par la grâce de Dieu. 6+6 b
Ces aventures-là | vont aux gens de fortune. 6+6 a
Quand on a ma duché, | roi Charle, on n'en veut qu'une. 6+6 a
L'empereur se tourna | vers le comte de Gand. 6+6 b
— Tu mis jadis à bas | Maugiron le brigand. 6+6 b
125 Le jour où tu naquis | sur la plage marine, 6+6 a
L'audace avec le souffle | entra dans ta poitrine ; 6+6 a
Bavon, ta mère était | de fort bonne maison ; 6+6 b
Jamais on ne t'a fait | choir que par trahison ; 6+6 b
Ton âme après la chute | était encor meilleure. 6+6 a
130 Je me rappellerai | jusqu'à ma dernière heure 6+6 a
L'air joyeux qui parut | dans ton œil hasardeux, 6+6 b
Un jour que nous étions | en marche seuls tous deux, 6+6 b
Et que nous entendions | dans les plaines voisines 6+6 a
Le cliquetis confus | des lances sarrasines. 6+6 a
135 Le péril fut toujours | de toi bien accueilli, 6+6 b
Comte ; eh bien ! prends Narbonne | et je t'en fais bailli. 6+6 b
— Sire, dit le gantois, | je voudrais être en Flandre. 6+6 a
J'ai faim, mes gens ont faim ; | nous venons d'entreprendre 6+6 a
Une guerre à travers | un pays endiablé ; 6+6 b
140 Nous y mangions, au lieu | de farine de blé, 6+6 b
Des rats et des souris, | et, pour toutes ribotes, 6+6 a
Nous avons dévoré | beaucoup de vieilles bottes. 6+6 a
Et puis votre soleil | d'Espagne m'a hâlé 6+6 b
Tellement, que je suis | tout noir et tout brûlé ; 6+6 b
145 Et, quand je reviendrai | de ce ciel insalubre 6+6 a
Dans ma ville de Gand | avec ce front lugubre, 6+6 a
Ma femme, qui déjà | peut-être a quelque amant, 6+6 b
Me prendra pour un maure | et non pour un flamand ! 6+6 b
J'ai hâte d'aller voir | là-bas ce qui se passe. 6+6 a
150 Quand vous me donneriez, | pour prendre cette place, 6+6 a
Tout l'or de Salomon | et tout l'or de Pépin, 6+6 b
Non ! je m'en vais en Flandre, | où l'on mange du pain. 6+6 b
— Ces bons flamands, dit Charle, | il faut que cela mange. 6+6 a
Il reprit :
— Çà, je suis | stupide. Il est étrange 6+6 a
155 Que je cherche un preneur | de ville, ayant ici 6+6 b
Mon vieil oiseau de proie, | Eustache de Nancy. 6+6 b
Eustache, à moi ! Tu vois, | cette Narbonne est rude ; 6+6 a
Elle a trente châteaux, | trois fossés, et l'air prude ; 6+6 a
A chaque porte un camp, | et, pardieu ! j'oubliais, 6+6 b
160 Là-bas, six grosses tours | en pierre de liais. 6+6 b
Ces douves-là nous font | parfois si triste mine 6+6 a
Qu'il faut recommencer | à l'heure où l'on termine, 6+6 a
Et que, la ville prise, | on échoue au donjon. 6+6 b
Mais qu'importe ! es-tu pas | le grand aigle ?
Un pigeon, 6+6 b
165 Un moineau, dit Eustache, | un pinson dans la haie ! 6+6 a
Roi, je me sauve au nid. | Mes gens veulent leur paie ; 6+6 a
Or, je n'ai pas le sou ; | sur ce, pas un garçon 6+6 b
Qui me fasse crédit | d'un coup d'estramaçon ; 6+6 b
Leurs yeux me donneront | à peine une étincelle 6+6 a
170 Par sequin qu'ils verront | sortir de l'escarcelle. 6+6 a
Tas de gueux ! Quant à moi, | je suis très ennuyé ; 6+6 b
Mon vieux poing tout sanglant | n'est jamais essuyé ; 6+6 b
Je suis moulu. Car, sire, | on s'échine à la guerre ; 6+6 a
On arrive à haïr | ce qu'on aimait naguère, 6+6 a
175 Le danger qu'on voyait | tout rose, on le voit noir ; 6+6 b
On s'use, on se disloque, | on finit par avoir 6+6 b
La goutte aux reins, l'entorse | aux pieds, aux mains l'ampoule, 6+6 a
Si bien, qu'étant parti | vautour, on revient poule. 6+6 a
Je désire un bonnet | de nuit. Foin du cimier ! 6+6 b
180 J'ai tant de gloire, ô roi, | que j'aspire au fumier. 6+6 b
Le bon cheval du roi | frappait du pied la terre 6+6 a
Comme s'il comprenait ; | sur le mont solitaire 6+6 a
Les nuages passaient. | Gérard de Roussillon 6+6 b
Était à quelques pas | avec son bataillon ; 6+6 b
Charlemagne en riant | vint à lui.
185 — Vaillant homme, 6+6 a
Vous êtes dur et fort | comme un romain de Rome ; 6+6 a
Vous empoignez le pieu | sans regarder aux clous ; 6+6 b
Gentilhomme de bien, | cette ville est à vous ! — 6+6 b
Gérard de Roussillon | regarda d'un air sombre 6+6 a
190 Son vieux gilet de fer | rouillé, le petit nombre 6+6 a
De ses soldats marchant | tristement devant eux, 6+6 b
Sa bannière trouée | et son cheval boiteux. 6+6 b
— Tu rêves, dit le roi, | comme un clerc en Sorbonne. 6+6 a
Faut-il donc tant songer | pour accepter Narbonne ? 6+6 a
195 — Roi, dit Gérard, merci, | j'ai des terres ailleurs. — 6+6 b
Voilà comme parlaient | tous ces fiers batailleurs 6+6 b
Pendant que les torrents | mugissaient sous les chênes. 6+6 a
L'empereur fit le tour | de tous ses capitaines ; 6+6 a
Il appela les plus | hardis, les plus fougueux, 6+6 b
200 Eudes, roi de Bourgogne, | Albert de Périgueux, 6+6 b
Samo, que la légende | aujourd'hui divinise, 6+6 a
Garin, qui, se trouvant | un beau jour à Venise, 6+6 a
Emporta sur son dos | le lion de Saint-Marc, 6+6 b
Ernaut de Bauléande, | Ogier de Danemark, 6+6 b
205 Roger, enfin, grande âme | au péril toujours prête. 6+6 a
Ils refusèrent tous. |
Alors, levant la tête, 6+6 a
Se dressant tout debout | sur ses grands étriers, 6+6 b
Tirant sa large épée | aux éclairs meurtriers, 6+6 b
Avec un âpre accent | plein de sourdes huées, 6+6 a
210 Pâle, effrayant, pareil | à l'aigle des nuées, 6+6 a
Terrassant du regard | son camp épouvanté, 6+6 b
L'invincible empereur | s'écria : — Lâcheté ! 6+6 b
O comtes palatins | tombés dans ces vallées, 6+6 a
O géants qu'on voyait | debout dans les mêlées, 6+6 a
215 Devant qui Satan même | aurait crié merci, 6+6 b
Olivier et Roland, | que n'êtes-vous ici ! 6+6 b
Si vous étiez vivants, | vous prendriez Narbonne, 6+6 a
Paladins ! vous, du moins, | votre épée était bonne, 6+6 a
Votre cœur était haut, | vous ne marchandiez pas ! 6+6 b
220 Vous alliez en avant | sans compter tous vos pas ! 6+6 b
O compagnons couchés | dans la tombe profonde, 6+6 a
Si vous étiez vivants, | nous prendrions le monde ! 6+6 a
Grand Dieu ! que voulez-vous | que je fasse à présent ? 6+6 b
Mes yeux cherchent en vain | un brave au cœur puissant 6+6 b
225 Et vont, tout effrayés | de nos immenses tâches, 6+6 a
De ceux-là qui sont morts | à ceux-ci qui sont lâches ! 6+6 a
Je ne sais point comment | on porte des affronts ! 6+6 b
Je les jette à mes pieds, | je n'en veux pas ! Barons, 6+6 b
Vous qui m'avez suivi | jusqu'à cette montagne, 6+6 a
230 Normands, lorrains, marquis | des marches d'Allemagne, 6+6 a
Poitevins, bourguignons, | gens du pays Pisan, 6+6 b
Bretons, picards, flamands, | français, allez-vous-en ! 6+6 b
Guerriers, allez-vous-en | d'auprès de ma personne, 6+6 a
Des camps où l'on entend | mon noir clairon qui sonne ; 6+6 a
235 Rentrez dans vos logis, | allez-vous-en chez vous, 6+6 b
Allez-vous-en d'ici, | car je vous chasse tous ! 6+6 b
Je ne veux plus de vous ! | Retournez chez vos femmes ! 6+6 a
Allez vivre cachés, | prudents, contents, infâmes ! 6+6 a
C'est ainsi qu'on arrive | à l'âge d'un aïeul. 6+6 b
240 Pour moi, j'assiégerai | Narbonne à moi tout seul. 6+6 b
Je reste ici rempli | de joie et d'espérance ! 6+6 a
Et, quand vous serez tous | dans notre douce France, 6+6 a
O vainqueurs des saxons | et des aragonais ! 6+6 b
Quand vous vous chaufferez | les pieds à vos chenets, 6+6 b
245 Tournant le dos aux jours | de guerres et d'alarmes, 6+6 a
Si l'on vous dit, songeant | à tous vos grands faits d'armes 6+6 a
Qui remplirent longtemps | la terre de terreur : 6+6 b
— Mais où donc avez-vous | quitté votre empereur ? 6+6 b
Vous répondrez, baissant | les yeux vers la muraille : 6+6 a
250 — Nous nous sommes enfuis | le jour d'une bataille, 6+6 a
Si vite et si tremblants | et d'un pas si pressé 6+6 b
Que nous ne savons plus | où nous l'avons laissé ! — 6+6 b
Ainsi Charles de France | appelé Charlemagne, 6+6 a
Exarque de Ravenne, | empereur d'Allemagne, 6+6 a
255 Parlait dans la montagne | avec sa grande voix ; 6+6 b
Et les pâtres lointains, | épars au fond des bois, 6+6 b
Croyaient en l'entendant | que c'était le tonnerre. 6+6 a
Les barons consternés | fixaient leurs yeux à terre. 6+6 a
Soudain, comme chacun | demeurait interdit, 6+6 b
260 Un jeune homme bien fait | sortit des rangs et dit : 6+6 b
— Que monsieur saint Denis | garde le roi de France ! 6+6 a
L'empereur fut surpris | de ce ton d'assurance. 6+6 a
Il regarda celui | qui s'avançait, et vit, 6+6 b
Comme le roi Saül | lorsque apparut David, 6+6 b
265 Une espèce d'enfant | au teint rose, aux mains blanches, 6+6 a
Que d'abord les soudards | dont l'estoc bat les hanches 6+6 a
Prirent pour une fille | habillée en garçon, 6+6 b
Doux, frêle, confiant, | serein, sans écusson 6+6 b
Et sans panache, ayant, | sous ses habits de serge, 6+6 a
270 L'air grave d'un gendarme | et l'air froid d'une vierge. 6+6 a
— Toi, que veux-tu, dit Charle, | et qu'est-ce qui t'émeut ? 6+6 b
— Je viens vous demander | ce dont pas un ne veut, 6+6 b
L'honneur d'être, ô mon roi, | si Dieu ne m'abandonne, 6+6 a
L'homme dont on dira : | C'est lui qui prit Narbonne. 6+6 a
275 L'enfant parlait ainsi | d'un air de loyauté, 6+6 b
Regardant tout le monde | avec simplicité. 6+6 b
Le gantois, dont le front | se relevait très vite, 6+6 a
Se mit à rire, et dit | aux reîtres de sa suite : 6+6 a
— Hé ! c'est Aymerillot, | le petit compagnon. 6+6 b
280 — Aymerillot, reprit | le roi, dis-nous ton nom. 6+6 b
— Aymery. Je suis pauvre | autant qu'un pauvre moine. 6+6 a
J'ai vingt ans, je n'ai point | de paille et point d'avoine, 6+6 a
Je sais lire en latin, | et je suis bachelier. 6+6 b
Voilà tout, sire. Il plut | au sort de m'oublier 6+6 b
285 Lorsqu'il distribua | les fiefs héréditaires. 6+6 a
Deux liards couvriraient | fort bien toutes mes terres, 6+6 a
Mais tout le grand ciel bleu | n'emplirait pas mon cœur. 6+6 b
J'entrerai dans Narbonne | et je serai vainqueur. 6+6 b
Après, je châtierai | les railleurs, s'il en reste. 6+6 a
290 Charles, plus rayonnant | que l'archange céleste, 6+6 a
S'écria :
— Tu seras, | pour ce propos hautain, 6+6 b
Aymery de Narbonne | et comte palatin, 6+6 b
Et l'on te parlera | d'une façon civile, 6+6 a
Va, fils !
Le lendemain | Aymery prit la ville. 6+6 a
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