Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
HUG_3/HUG574
Victor HUGO
LA LÉGENDE DES SIÈCLES
PREMIÈRE SÉRIE
1859
IV
LE CYCLE HÉROÏQUE CHRÉTIEN
Le Parricide
Un jour, Kanut, à l'heure l'assoupissement 6+6 a
Ferme partout les yeuxsous l'obscur firmament, 6+6 a
Ayant pour seul témoinla nuit, l'aveugle immense, 6+6 a
Vit son père Swéno,vieillard presque en démence, 6+6 a
5 Qui dormait, sans un gardeà ses pieds, sans un chien ; 6+6 a
Il le tua, disant :Lui-même n'en sait rien. 6+6 a
Puis il fut un grand roi.
Toujours vainqueur, sa vie 6+6 a
Par la prospéritéfidèle fut suivie ; 6+6 a
Il fut plus triomphantque la gerbe des blés ; 6+6 a
10 Quand il passait devantles vieillards assemblés, 6+6 a
Sa présence éclairaitces sévères visages ; 6+6 a
Par la chne des mœurspures et des lois sages 6+6 a
A son cher Danemarknatal il enchna 6+6 a
Vingt îles, Fionie,Arnhout, Folster, Mona ; 6+6 a
15 Il bâtit un grand trôneen pierres féodales ; 6+6 a
Il vainquit les saxons,les pictes, les vandales, 6+6 a
Le celte, et le borusse,et le slave aux abois, 6+6 a
Et les peuples hagardsqui hurlent dans les bois ; 6+6 a
Il abolit l'horreuridolâtre, et la rune, 6+6 a
20 Et le menhir féroce le soir, à la brune, 6+6 a
Le chat sauvage vientfrotter son dos hideux ; 6+6 a
Il disait en parlantdu grand César : Nous deux ; 6+6 a
Une lueur sortaitde son cimier polaire ; 6+6 a
Les monstres expiraientpartout sous sa colère ; 6+6 a
25 Il fut, pendant vingt ansqu'on l'entendit marcher, 6+6 a
Le cavalier superbeet le puissant archer ; 6+6 a
L'hydre morte, il mettaitle pied sur la portée ; 6+6 a
Sa vie, en même tempsbénie et redoutée, 6+6 a
Dans la bouche du peupleétait un fier récit ; 6+6 a
30 Rien que dans un hiver,ce chasseur détruisit 6+6 a
Trois dragons en Écosseet deux rois en Scanie ; 6+6 a
Il fut héros, il futgéant, il fut génie ; 6+6 a
Le sort de tout un mondeau sien semblait lié ; 6+6 a
Quant à son parricide,il l'avait oublié. 6+6 a
35 Il mourut. On le mitdans un cercueil de pierre, 6+6 a
Et l'évêque d'Aarhusvint dire une prière 6+6 a
Et chanter sur sa tombeun hymne, déclarant 6+6 a
Que Kanut était saint,que Kanut était grand, 6+6 a
Qu'un céleste parfumsortait de sa mémoire, 6+6 a
40 Et qu'ils le voyaient, eux,les prêtres, dans la gloire, 6+6 a
Assis comme un prophèteà la droite de Dieu. 6+6 a
Le soir vint ; l'orgue en deuilse tut dans le saint lieu ; 6+6 a
Et les prêtres, quittantla haute cathédrale, 6+6 a
Laissèrent le roi mortdans la paix sépulcrale. 6+6 a
45 Alors il se leva,rouvrit ses yeux obscurs, 6+6 a
Prit son glaive, et sortitde la tombe, les murs 6+6 a
Et les portes étantbrumes pour les fantômes ; 6+6 a
Il traversa la merqui reflète les dômes 6+6 a
Et les tours d'Altona,d'Aarhus et d'Elseneur ; 6+6 a
50 L'ombre écoutait les pasde ce sombre seigneur ; 6+6 a
Mais il marchait sans bruit,étant lui-même un songe ; 6+6 a
Il alla droit au montSavo que le temps ronge, 6+6 a
Et Kanut s'approchade ce farouche aïeul, 6+6 a
Et lui dit : — Laisse-moi,pour m'en faire un linceul, 6+6 a
55 O montagne Savoque la tourmente assiège, 6+6 a
Me couper un morceaude ton manteau de neige. — 6+6 a
Le mont le reconnutet n'osa refuser. 6+6 a
Kanut prit son épéeimpossible à briser, 6+6 a
Et sur le mont, tremblantdevant ce belluaire, 6+6 a
60 Il coupa de la neigeet s'en fit un suaire 6+6 a
Puis il cria : — Vieux mont,la mort éclaire peu ; 6+6 a
De quel côté faut-ilaller pour trouver Dieu ? — 6+6 a
Le mont au flanc difforme,aux gorges obstruées, 6+6 a
Noir, triste dans le voléternel des nuées, 6+6 a
65 Lui dit : — Je ne sais pas,spectre, je suis ici. — 6+6 a
Kanut quitta le montpar les glaces saisi ; 6+6 a
Et, le front haut, tout blancdans son linceul de neige, 6+6 a
Il entra, par delàl'Islande et la Norvège, 6+6 a
Seul, dans le grand silenceet dans la grande nuit ; 6+6 a
70 Derrière lui le mondeobscur s'évanouit ; 6+6 a
Il se trouva, lui, spectre,âme, roi sans royaume, 6+6 a
Nu, face à face avecl'immensité fantôme ; 6+6 a
Il vit l'infini, porchehorrible et reculant 6+6 a
l'éclair quand il entreexpire triste et lent, 6+6 a
75 L'ombre, hydre dont les nuitssont les pâles vertèbres, 6+6 a
L'informe se mouvantdans le noir, les Ténèbres ; 6+6 a
Là, pas d'astre ; et pourtanton ne sait quel regard 6+6 a
Tombe de ce chaosimmobile et hagard ; 6+6 a
Pour tout bruit, le frissonlugubre que fait l'onde 6+6 a
80 De l'obscurité, sourde,effarée et profonde, 6+6 a
Il avança disant :— C'est la tombe ; au-delà 6+6 a
C'est Dieu. — Quand il eut faittrois pas, il appela ; 6+6 a
Mais la nuit est muetteainsi que l'ossuaire, 6+6 a
Et rien ne répondit ;pas un pli du suaire 6+6 a
85 Ne s'émut, et Kanutavança ; la blancheur 6+6 a
Du linceul rassuraitle sépulcral marcheur ; 6+6 a
Il allait. Tout à coup,sur son livide voile 6+6 a
Il vit poindre et grandircomme une noire étoile ; 6+6 a
L'étoile s'élargitlentement, et Kanut, 6+6 a
90 La tâtant de sa mainde spectre, reconnut 6+6 a
Qu'une goutte de sangétait sur lui tombée. 6+6 a
Sa tête, que la peurn'avait jamais courbée, 6+6 a
Se redressa, terrible,il regarda la nuit, 6+6 a
Et ne vit rien, l'espaceétait noir, pas un bruit. 6+6 a
95 En avant ! dit Kanut,levant sa tête fière. 6+6 a
Une seconde tacheauprès de la première 6+6 a
Tomba, puis s'élargit ;et le chef cimbrien 6+6 a
Regarda l'ombre épaisseet vague, et ne vit rien. 6+6 a
Comme un limier à suivreune piste s'attache, 6+6 a
100 Morne, il reprit sa routeune troisième tache 6+6 a
Tomba sur le linceul.Il n'avait jamais fui ; 6+6 a
Kanut pourtant cessade marcher devant lui, 6+6 a
Et tourna du côtédu bras qui tient le glaive ; 6+6 a
Une goutte de sang,comme à travers un rêve, 6+6 a
105 Tomba sur le suaireet lui rougit la main, 6+6 a
Pour la seconde foisil changea de chemin, 6+6 a
Comme en lisant on tourneun feuillet d'un registre, 6+6 a
Et se mit a marchervers la gauche sinistre ; 6+6 a
Une goutte de sangtomba sur le linceul ; 6+6 a
110 Et Kanut recula,frémissant d'être seul, 6+6 a
Et voulut regagnersa couche mortuaire ; 6+6 a
Une goutte de sangtomba sur le suaire. 6+6 a
Alors il s'arrêtalivide, et ce guerrier, 6+6 a
Blême, baissa la têteet tâcha de prier ; 6+6 a
115 Une goutte de sangtomba sur lui. Farouche, 6+6 a
La prière effrayéeexpirant dans sa bouche, 6+6 a
Il se remit en marche ;et, lugubre, hésitant, 6+6 a
Hideux, ce spectre blancpassait ; et, par instant, 6+6 a
Une goutte de sangse détachait de l'ombre, 6+6 a
120 Implacable, et tombaitsur cette blancheur sombre. 6+6 a
Il voyait, plus tremblantqu'au vent le peuplier, 6+6 a
Ces taches s'élargiret se multiplier ; 6+6 a
Une autre, une autre, une autre,une autre, ô cieux funèbres ! 6+6 a
Leur passage rayaitvaguement les ténèbres ; 6+6 a
125 Ces gouttes, dans les plisdu linceul, finissant 6+6 a
Par se mêler, faisaientdes nuages de sang ; 6+6 a
Il marchait, il marchait ;de l'insondable vte 6+6 a
Toujours, sans fin, sans bruit,et comme s'il tombait 6+6 b
Le sang continuaità pleuvoir goutte à goutte, 6+6 a
130 De ces pieds noirs qu'on voitla nuit pendre au gibet. 6+6 b
Hélas ! qui donc pleuraitces larmes formidables ? 6+6 a
L'infini. Vers les cieux,pour le juste abordables, 6+6 a
Dans l'océan de nuitsans flux et sans reflux, 6+6 a
Kanut s'avançait, pâleet ne regardant plus. 6+6 a
135 Enfin, marchant toujourscomme en une fumée, 6+6 a
Il arriva devantune porte fermée 6+6 a
Sous laquelle passaitun jour mystérieux ; 6+6 a
Alors sur son linceulil abaissa les yeux ; 6+6 a
C'était l'endroit sacré,c'était l'endroit terrible ; 6+6 a
140 On ne sait quel rayonde Dieu semble visible ; 6+6 a
De derrière la porteon entend l'hosanna : 6+6 a
Le linceul était rougeet Kanut frissonna. 6+6 a
Et c'est pourquoi Kanut,fuyant devant l'aurore 6+6 a
Et reculant, n'a pasosé partre encore 6+6 a
145 Devant le juge au frontduquel le soleil luit ; 6+6 a
C'est pourquoi ce roi sombreest resté dans la nuit, 6+6 a
Et, sans pouvoir rentrerdans sa blancheur première, 6+6 a
Sentant, à chaque pasqu'il fait vers la lumière, 6+6 a
Une goutte de sangsur sa tête pleuvoir, 6+6 a
150 Rôde éternellementsous l'énorme ciel noir. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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