Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
HUG_26/HUG1520
Victor HUGO
LES ANNÉES FUNESTES
1898
XXV
UN PRÉSIDENT
Est-ce ma faute à moi | s'il s'appelle Brunet ? 6+6 a
Brunet jadis était | un pître. Il rayonnait 6+6 a
Au-dessus des humains | à force de bêtise. 6+6 b
Il broutait des couplets | comme un bouc le,cytise. 6+6 b
5 Son camarade était | Janot aux bas chinés 6+6 a
Lorgnant un papillon | qui tremblait sur son nez. 6+6 a
Ce Brunet-là charmait | les foules inquiètes 6+6 b
Rien qu'en laissant tomber | une pile d'assiettes ; 6+6 b
Son rire absurde était | un baume à tous les maux ; 6+6 a
10 Il avait de gros yeux | et disait de gros mots. 6+6 a
Peut-être était-ce un homme. | Il avait— la bassesse 6+6 b
Pour triomphe, et l'affront | d'être content sans cesse. 6+6 b
Il fascinait la ville, | enchantait les faubourgs, 6+6 a
Frappait sur les lazzi | comme sur des tambours, 6+6 a
15 Et se jetait parmi | les rires tête-bêche. 6+6 b
Un éblouissement | sortait de ce bobèche. 6+6 b
C'était, sous les clartés | du manteau d'arlequin, 6+6 a
Le spectre de la joie | en culotte nankin. 6+6 a
Il était le bouffon | du peuple ; il était l'hôte 6+6 b
20 De Tabarin, Molière | étant l'hôte de Plaute ; 6+6 b
Son souffle, son accent, | son geste, était guetté 6+6 a
Dans la foule, si triste | au fond, par la gaîté ; 6+6 a
Il avait ce grand don, | cher aux grecs du Pœcile. 6+6 b
L'épanouissement | profond de l'imbécile. 6+6 b
25 Et quand on le voyait | pensif, vide et béant, 6+6 a
On croyait voir zéro | ricaner du néant. 6+6 a
C'était l'innocent fourbe | et le niais cupide. 6+6 b
Son ahurissement | faisait Paris stupide. 6+6 b
Ce clown fut sans égal. | Ce Brunet gambadait, 6+6 a
30 Coiffé de la splendide | oreille du baudet, 6+6 a
Roulait éperdument | ses prunelles éparses, 6+6 b
Cassait des pots, chipait | des sous, faisait des farces, 6+6 b
Était grotesque, était | inepte, était cocu, 6+6 a
Chantait, et recevait | des coups de pied au cul. 6+6 a
35 Maintenant il attend | les soufflets de l'histoire. 6+6 b
Son tréteau paraît noble | auprès de son prétoire. 6+6 b
Le Brunet d'à-présent | est un juge. Il est noir. 6+6 a
Est-ce le même ? Oui. Non. | Pourquoi pas ? On peut voir 6+6 a
Des faits plus surprenants | que ces métamorphoses ; 6+6 b
40 Pasquin et Partarrieu | prennent les mêmes poses ; 6+6 b
Parfois dans Rhadamante | on sent un galopin ; 6+6 a
Est-ce que Mascarille | est fort loin de Dupin ? 6+6 a
Pourquoi voudriez-vous | que je m'émerveillasse 6+6 b
Qu'on soit Jeffrye après | avoir été Paillasse ? 6+6 b
45 Quoi qu'il en soit, fût-il | le même, un peu moisi, 6+6 a
Ce Brunet, certe est bien | l'homme de ce temps-ci 6+6 a
Où, juge, on vend le code | et, prêtre, le ciboire. 6+6 b
Thémis rend un arrêt | et demande un pourboire. 6+6 b
Éaque est domestique | et Minos est agent. 6+6 a
50 Qu'est ceci ? La justice. | Avez-vous de l'argent ? 6+6 a
C'est à vendre. Et ceci ? | C'est notre conscience. 6+6 b
Payez-nous-la. C'est tant. | — O juges, patience ! 6+6 b
La Justice viendra. | Jugez en attendant. — 6+6 a
Donc Brunet de farceur | est passé président. 6+6 a
55 Ce comique est tragique. | Il décrète, il condamne. 6+6 b
Il règne. Il a toujours | le même bonnet d'âne. 6+6 b
Mais ce bonnet rapporte | énormément. Faut-il 6+6 a
Punir ? il est auguste. | Absoudre ? il est subtil. 6+6 a
Que veut— César ? Brunet | obéit. Le salaire 6+6 b
60 Auquel un juge a droit, | puisqu'il juge pour plaire, 6+6 b
Est son but. C'est pourquoi | vous irez en prison. 6+6 a
Tel est Brunet. La loi | vous prend par trahison. 6+6 a
Cujas est sbire au fond | et juge à la surface. 6+6 b
Ne faut-il pas qu'enfin | la police se fasse ? 6+6 b
65 On est Brunet. On rend | des sentences : ad hoc. 6+6 a
Jadis cétait Jocrisse. | A présent c'est Vidocq. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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