Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
HUG_24/HUG1186
Victor HUGO
TOUTE LA LYRE
1888-1893
III
III
LA FEMME
Je l'ai dit quelque part, | les penseurs d'autrefois, 6+6 a
Épiant l'inconnu | dans ses plus noires lois, 6+6 a
Ont tous étudié | la formation d'Ève. 6+6 b
L'un en fit son problème | et l'autre en fit son rêve. 6+6 b
5 L'horreur sacrée étant | dans tout, se pourrait-il 6+6 a
Que la femme, cet être | obscur, puissant, subtil, 6+6 a
Fût double, et, tout ensemble | ignorée et charnelle, 6+6 b
Fît hors d'elle l'aurore, | ayant la nuit en elle ? 6+6 b
Le hibou serait-il | caché dans l'alcyon ? 6+6 a
10 Qui dira le secret | de la création ? 6+6 a
Les germes, les aimants, | les instincts, les effluves ! 6+6 b
Qui peut connaître à fond | toutes ces sombres cuves ? 6+6 b
Est-ce que le Vésuve | et l'Etna, les reflux 6+6 a
Des forces s'épuisant | en efforts superflus, 6+6 a
15 Le vaste tremblement | des feuilles remuées, 6+6 b
Les ouragans, les fleurs, | les torrents, les nuées, 6+6 b
Ne peuvent pas finir | par faire une vapeur. 6+6 a
Qui se condense en femme | et dont le sage a peur ? 6+6 a
Tout fait Tout, et le même | insondable cratère 6+6 b
20 Crée à Thulé la lave | et la rose à Cythère. 6+6 b
Rien ne sort des volcans | qui n'entre dans lès cœurs. 6+6 a
Les oiseaux dans les bois | ont des rires moqueurs 6+6 a
Et tristes, au-dessus | de l'amoureux crédule. 6+6 b
N'est-ce pas le serpent | qui vaguement ondule 6+6 b
25 Dans la souple beauté | des vierges aux seins nus ? 6+6 a
Les grands sages étaient | d'immenses ingénus ; 6+6 a
Ils ne connaissaient pas | la forme de ce globe, 6+6 b
Mais, pâles, ils sentaient | traîner sur eux la robe 6+6 b
De la sombre passante, | Isis au voile noir ; 6+6 a
30 Tout devient le soupçon | quand Rien est le savoir ; 6+6 a
Pour Lucrèce, le dieu, | pour Job, le kéroubime 6+6 b
Mentaient ; on soupçonnait | de trahison l'abîme ; 6+6 b
On croyait le chaos | capable d'engendrer 6+6 a
La femme, pour nous plaire | et pour nous enivrer, 6+6 a
35 Et pour faire monter | jusqu'à nous sa fumée ; 6+6 b
La Sicile, la Grèce | étrange, l'Idumée, 6+6 b
L'Iran, l'Égypte et l'Inde, | étaient des lieux profonds ; 6+6 a
Qui sait ce que les vents, | les brumes, les typhons 6+6 a
Peuvent apporter d'ombre | à l'âme féminine ? 6+6 b
40 Les tragiques forêts | de la chaîne Apennine, 6+6 b
La farouche fontaine | épandue à longs flots 6+6 a
Sous l'Olympe, à travers | les pins et les bouleaux, 6+6 a
L'antre de Béotie | où dans l'ombre diffuse 6+6 b
On sent on ne sait quoi | qui s'offre et se refuse, 6+6 b
45 Chypre et tous ses parfums, | Delphe et tous ses rayons, 6+6 a
Lé lys que nous cueillons, | l'azur que nous voyons, 6+6 a
Tout cela, c'est auguste, | et c'est peut-être infâme. 6+6 b
Tout, à leurs yeux, était | sphinx, et quand une femme 6+6 b
Venait vers eux, parlant | avec sa douce voix, 6+6 a
50 Qui sait ? peut-être Hermès | et Dédale, les bois, 6+6 a
Les nuages, les eaux, | l'effrayante Cybèle, 6+6 b
Toute l'énigme était | mêlée à cette belle. 6+6 b
L'univers aboutit | à ce monstre charmant. 6+6 a
La ménade est déjà | presque un commencement 6+6 a
55 De la femme-chimère, | et d'antiques annales 6+6 b
Disent qu'avril était | le temps des bacchanales, 6+6 b
Et que la liberté | de ces fêtes s'accrut 6+6 a
Des fauves impudeurs | de la nature en rut ; 6+6 a
La nature partout | donne l'exemple énorme 6+6 b
60 De l'accouplement sombre | où l'âme étreint la forme ; 6+6 b
La rose est une fille ; | et ce qu'un papillon 6+6 a
Fait à la plante, est fait | au grain par le sillon. 6+6 a
La végétation | terrible est ignorée. 6+6 b
L'horreur des bois unit | Flore avec Briarée, 6+6 b
65 Et marie une fleur | avec l'arbre aux cent bras. 6+6 a
Toi qui sous le talon | d'Apollon te cabras, 6+6 a
O cheval orageux | du Pinde, tes narines 6+6 b
Frémissaient quand passaient | les nymphes vipérines, 6+6 b
Et, sentant là de l'ombre | hostile à ta clarté, 6+6 a
70 Tu t'enfuyais devant | la sinistre Astarté. 6+6 a
Et Terpandre le vit, | et Platon le raconte. 6+6 b
La femme est une gloire | et peut être une honte 6+6 b
Pour l'ouvrier divin | et suspect qui la fit. 6+6 a
À tout le bien, à tout | le mal, elle suffit. 6+6 a
75 Haine, amour, fange, esprit, | fièvre, élIe participe 6+6 b
Du gouffre, et la matière | aveugle est son principe. 6+6 b
Elle est le mois de mai | fait chair, vivant, chantant. 6+6 a
Qu'est-ce que le printemps ? | une orgie. À l'instant, 6+6 a
Où la femme naquit, | est morte l'innocence. 6+6 b
80 Les vieux songeurs ont vu | la fleur qui nous encense 6+6 b
Devenir femme à l'heure | où l'astre éclôt au ciel, 6+6 a
Et, pour Orphée ainsi | que pour Ézéchiel, 6+6 a
La nature n'étant | qu'un vaste hymen, l'ébauche 6+6 b
D'un être tentateur | rit dans cette débauche ; 6+6 b
85 C'est la femme. Elle est spectre | et masque, et notre sort 6+6 a
Est traversé par elle ; | elle entre, flotte et sort. 6+6 a
Que nous veut-elle ? A-t-elle | un but ? Par quelle issue 6+6 b
Cette apparition | vaguement aperçue 6+6 b
S'est-elle dérobée ? | Est-ce un souffle de nuit 6+6 a
90 Qui semble une âme errante | et qui s'évanouit ? 6+6 a
Les sombres hommes sont | une forêt, et l'ombre 6+6 b
Couvre leurs pas, leurs voix, | leurs yeux, leur bruit, leur nombre ; 6+6 b
Le genre humain, mêlé | sous les hauts firmaments, 6+6 a
Est plein de carrefours | et d'entre-croisements, 6+6 a
95 Et la femme est assez | blanche pour qu'on la voie 6+6 b
À travers cette morne | et blême claire-voie. 6+6 b
Cette vision passe ; | et l'on reste effaré. 6+6 a
Aux chênes de Dodone, | aux cèdres de Membré, 6+6 a
L'hiérophante ému | comme le patriarche 6+6 b
100 Regarde ce fantôme | inquiétant qui marche. 6+6 b
Non, rien ne nous dira | ce que peut être au fond 6+6 a
Cet être en qui Satan | avec Dieu se confond : 6+6 a
Elle résume l'ombre | énorme en son essence. 6+6 b
Les vieux payens croyaient | à la toute-puissance 6+6 b
105 De l'abîme, du lit | sans fond, de l'élément ; 6+6 a
Ils épiaient la mer | dans son enfantement ; 6+6 a
Pour eux, ce qui sortait | de la tempête immense, 6+6 b
De toute l'onde en proie | aux souffles en démence 6+6 b
Et du vaste flot vert | à jamais tourmenté, 6+6 a
110 C'était le divin sphinx | féminin, la Beauté, 6+6 a
Toute nue, infernale | et céleste, insondable, — 6+6 b
Ô gouffre ! et que peut-on | voir de plus formidable, 6+6 b
Sous les cieux les plus noirs | et les plus inconnus, 6+6 a
Que l'océan ayant | pour écume Vénus ! 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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