Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
HUG_24/HUG1473
Victor HUGO
TOUTE LA LYRE
1888-1893
LA CORDE D'AIRAIN
XVI
AUX HISTORIENS
Soyez juges. Soyez apôtres. Soyez prêtres. 6+6 a
Dites le vrai. Surtout n'expliquez pas les traîtres ! 6+6 a
Car l'explication finit-par ressembler 6+6 b
A l'indulgence affreuse ; et cela fait trembler. 6+6 b
5 Ne me racontez pas un opprobre notoire 6+6 a
Comme on raconterait n'importe quelle histoire. 6+6 a
Quelle est la quanti d'assassinat permis, 6+6 b
Jusqu'où peut-on s'entendre avec les ennemis, 6+6 b
Jusqu'où peut-on couper la gorge à la patrie, 6+6 a
10 L'épaule de Raguse est-elle trop flétrie, 6+6 a
Dupont mérite-t-il tout ce qui l'accabla, 6+6 b
Non, non, je ne veux point de ces recherchés-là ! 6+6 b
Je frémis, la rougeur au visage me monte. 6+6 a
Voilà tout. Je veux être un ignorant de honte. 6+6 a
15 Je veux rester stupide et furieux devant 6+6 b
Les coups du sort, les coups de mer, les coups de vent, 6+6 b
Auxquels vient s'ajouter le guet-apens d'un lâche. 6+6 a
Je prends le crime en bloc. Qui me calme, me fâche. 6+6 a
Non, l'histoire n'est point un lavage d'égout. 6+6 b
20 Historiens, ayez les traîtres en dégoût. 6+6 b
Ne rôdez point avec vos lampes dans leur cave ; 6+6 a
Ne dites pas : Pourtant ce lâche était un brave ; 6+6 a
Ne cherchez pas comment leur forfait se construit 6+6 b
Et s'éclaircit, laissez ces monstres à la nuit. 6+6 b
25 Où donc en serions-nous si l'on s'expliquait l'homme 6+6 a
Qui tel jour a livré Paris ou trahi Rome ! 6+6 a
Discuter, c'est dé l'absoudre vaguement. 6+6 b
Quoi ! vous alléguerez ceci, cela, comment 6+6 b
Il se fait qu'on devient ce misérable étrange ! 6+6 a
30 Quoi ! vous m'expliquerez le pourquoi de la fange ! 6+6 a
Vous me ferez toucher du doigt que ce soldat, 6+6 b
Ayant le fier devoir de mourir pour mandat, 6+6 b
A pu vendre le peuple et la France et l'armée, 6+6 a
Qu'il a pu devenir, souillant sa renommée, 6+6 a
35 Transfuge, sans nausée et sans rébellion, 6+6 b
Et qu'un renard était dans la peau du lion ! 6+6 b
Vous aurez pour ces faits, dont l'effroi me pénètre, 6+6 a
Des prétextes, qui sait ? et des motifs peut-être ! 6+6 a
Non ! je n'ai pas l'humeur d'écouter vos discours 6+6 b
40 Quand notre vieil honneur m'appelle à son secours, 6+6 b
Quand le malheur public sous ma fenêtre passe. 6+6 a
Quand l'abject trahisseur vient me demander grâce, 6+6 a
Je suis d'airain, je suis sourd, aveugle et muet ; 6+6 b
J'aurais horreur de moi si mon cœur remuait. 6+6 b
45 Il ne me convient pas, sachez-le, de comprendre 6+6 a
Qu'un homme, ayant l'épée en main, ait pu la rendre ; 6+6 a
Je ne veux pas savoir si ce gueux se méprit ; 6+6 b
Il ne me convient pas de mettre en mon esprit 6+6 b
L'itinéraire affreux que suit le parricide ; 6+6 a
50 Je ne veux pas qu'un grave écrivain m'élucide, 6+6 a
Avec faits à l'appui, groupés et variés, 6+6 b
Le cerveau de Clouet, le cœur de Dumouriez. 6+6 b
Ma strophe est l'euménide et je poursuis Oreste. 6+6 a
Meurtrier, c'est assez. Ce mot dit tout. Le reste 6+6 a
55 Est inutile et peut être nuisible. Il faut 6+6 b
Que Juvénal arrive et dresse l'échafaud, 6+6 b
Et qu'Eschyle, dieu noir, justicier olympique, 6+6 a
Frappe le traître avec le plat du glaive épique ! 6+6 a
Lorsqu'un fourbe exécré du peuple qu'il perdit, 6+6 b
60 Un marchand de patrie et d'honneur, un bandit, 6+6 b
Vous prend pour avocats, ô penseurs, lorsqu'il ose 6+6 a
Vous porter son dossier, vous charger de sa cause, 6+6 a
Je suis content de vous si votre plaidoyer, 6+6 b
Justes historiens, consiste à foudroyer. 6+6 b
65 Toute explication d'un monstre l'atténue ; 6+6 a
Je veux la perfidie immonde toute nue. 6+6 a
Le scélérat montré sans voile à tous les, yeux. 6+6 b
Donne un frisson meilleur et m'épouvante mieux. 6+6 b
Pour de certains forfaits clémence est connivence. 6+6 a
70 Quand dans l'intérieur d'un grand crime j'avance, 6+6 a
Quand dans l'ombre un cadavre auguste est découvert, 6+6 b
Quand il s'agit du flanc de ma mère entr'ouvert, 6+6 b
Quand l'impur ouvrier d'une exécrable trame, 6+6 a
Monk livrant un pays, Deutz livrant une femme, 6+6 a
75 Coriolan, Leclerc, Pichegru, m'apparaît, 6+6 b
Quand j'entre dans cette âme et dans cette forêt, 6+6 b
Je tremble, et je veux être, à cette approche noire, 6+6 a
Averti, par le cri terrible de l'histoire. 6+6 a
Devant l'affront, devant le traître à son pays, 6+6 b
80 O deuil ! devant les champs paternels envahis, 6+6 b
Devant le râle affreux des cités violées, 6+6 a
Devant le sang versé pour rien dans les mêlées, 6+6 a
Si facile qu'on soit au pardon, non ! jamais ! 6+6 b
Il faut punir ! Devant Baylen, devant Metz, 6+6 b
85 C'est pour la France en pleurs que notre cœur se serre, 6+6 a
La, lapidation publique est nécessaire ; 6+6 a
Aux pavés, tous ! frappons ! et que l'écrasement 6+6 b
Du bandit soit sous l'ombre et les pierres fumant ! 6+6 b
Pas de grâce ! il faut être ou vengeur ou complice ; 6+6 a
90 Et quiconque n'est pas du crime est du supplice. 6+6 a
Hélas !
Ce que je veux tuer, ce n'est pas lui, 6+6 b
C'est son crime. Cet homme a failli, s'est enfui, 6+6 b
A tout perdu !
Pour l'âme épouvantable et vile, 6+6 a
Pour celui qui livra la porte de la ville, 6+6 a
95 Qui donna ses soldats, comme on donne un troupeau, 6+6 b
Qui poignarda la gloire et vendit le drapeau, 6+6 b
Pour cet homme de deuil, de mensonge et de ruse, 6+6 a
Les sombres firmaments n'admettent pas d'excuse. 6+6 a
Après que dans un siècle, où tout semble effacé, 6+6 b
100 Un si lâche assassin de l'honneur a passé, 6+6 b
On ne tient plus à vivre, on ne sait plus que croire ; 6+6 a
Et la vertu, la foi, la probité, l'histoire, 6+6 a
Sont comme des rayons dans la mer engloutis. 6+6 b
Si l'on voulait mêler cet homme à ses petits, 6+6 b
105 La tigresse serait indignée et confuse ; 6+6 a
La fauve honnête des-antres le refuse 6+6 a
Et ne lui donne point dans les bois frémissants 6+6 b
Place parmi les loups hideux, mais innocents ; 6+6 b
Et toute la nature, étant une patrie, 6+6 a
110 Abhorre, en sa sauvage et fière rêverie, 6+6 a
Le fourbe autour duquel Satan vient chuchoter 6+6 b
L'astre des cieux n'est pas d'avis qu'on puisse ôter 6+6 b
Sa honte à ce damné dont Caïn est l'ancêtre, 6+6 a
Et veut lé voir infâme après l'avoir vu traître. 6+6 a
115 Ne faisons point douter les hommes ; laissons-leur 6+6 b
L'horreur du meurtrier, du menteur, du voleur, 6+6 b
Ne troublons pas en eux la notion du juste ; 6+6 a
Faisons luire à leurs yeux la certitude auguste, 6+6 a
L'héroïsme est un ciel, l'honneur est un azur ; 6+6 b
120 Si vous livrez le peuple au scepticisme obscur, 6+6 b
Il ne sait plus quelle est la lueur qui le mène ; 6+6 a
Alors tout flotte ; alors la conscience humaine 6+6 a
A des blêmissements pires que la noirceur. 6+6 b
L'esquif dans l'eau diffuse a son avertisseur, 6+6 b
125 La boussole ; il navigue et les hommes ont l'âme. 6+6 a
Laissez-leur ce conseil, laissez-leur cette flamme ; 6+6 a
La droiture est leur pôle et le devoir leur nord ; 6+6 b
La flotte en pleine mer et le peuple en plein sort, 6+6 b
La vie étant brumeuse et l'ombre étant profonde, 6+6 a
130 Ont besoin, dans la vaste obscurité de l'onde, 6+6 a
L'une de voir l'étoile et l'autre de voir Dieu. 6+6 b
Dieu, c'est la véri rayonnant au milieu 6+6 b
Des ténèbres, du doute et de l'idolâtrie ; 6+6 a
Et, quand les ennemis sont là, c'est la patrie. 6+6 a
135 Pour qui vend son pays, ciel noir, pas de pitié ! 6+6 b
Ah ! ne partageons point le crime par moitié 6+6 b
Entre le hasard louche et l'homme misérable. 6+6 a
Pas de grâce. Imitons l'abîme vénérable 6+6 a
Qui ne se laisse pas détourner de son but ; 6+6 b
140 Tout forfait doit payer au châtiment tribut ; 6+6 b
La justice est la foi de fer que rien ne touche ; 6+6 a
La peine a pour épée une flamme farouche ; 6+6 a
Le glaive de cet ange horrible est sans fourreau. 6+6 b
Pas plus que le hibou ne devient passereau, 6+6 b
145 Pas plus que le corbeau ne se change en colombe, 6+6 a
Un perfide ne peut être un juste ; et la tombe 6+6 a
Pose et ferme à jamais son couvercle sur lui. 6+6 b
Les peuples, dont l'honneur est le seul point d'appui, 6+6 b
Veulent que le destin sur ce monstre exemplaire 6+6 a
150 Jette une catastrophe égale à leur colère ; 6+6 a
Il convient que Judas ait Judas pour bourreau ; 6+6 b
J'approuve le boulet qui terrassa Moreau 6+6 b
Et qui fut ce jour-là ressemblant au tonnerre. 6+6 a
Tout cet inattendu formidable où l'on erre, 6+6 a
155 Qu'on nomme histoire, où l'ombre a le ciel pour reflet, 6+6 b
C'est l'océan, tremblant, terrible, et, bien qu'il ait 6+6 b
De vagues mouvements de berceau, c'est le gouffre. 6+6 a
L'homme en ces profondeurs travaille, cherche, souffre, 6+6 a
Et l'espérance vole en avant, doux oiseau : 6+6 b
160 O pilote démon qui trahit le vaisseau ! 6+6 b
Malheur au matelot monstrueux qui se traîne 6+6 a
Et fait avec sa vrille un trou dans la carène 6+6 a
Quand le navire lutte en proie aux aquilons ! 6+6 b
Historien, soyez implacable aux félons. 6+6 b
165 Je me sens inclément quand la patrie expire 6+6 a
Je ne hais point la mort, trouvant la honte, pire 6+6 a
Je ne suis pas sévère et terrible à demi 6+6 b
Lorsqu'il s'agit de mettre en fuite l'ennemi ; 6+6 b
J'exige la fureur, l'effort, la réussite ! 6+6 a
170 Vous tenez le stylet tragique de Tacite. 6+6 a
Eh bien soyez farouche et dur. Il me déplaît 6+6 b
Que le narrateur fasse un détail trop complet 6+6 b
De la difficulté de combattre, et calcule, 6+6 a
Complaisamment, le lieu, l'heure, le crépuscule, 6+6 a
175 La distance, le temps de marcher au canon, 6+6 b
Si les soldats étaient bien disposés ou non, 6+6 b
S'il n'était point venu d'ordre contradictoire ; 6+6 a
Je n'aime pas entendre ainsi parler l'histoire. 6+6 a
Et ce tas d'arguments, de motifs, de raisons, 6+6 b
180 C'est l'encouragement sinistre aux trahisons. 6+6 b
La plaidoirie est sombre et l'excuse est malsaine. 6+6 a
Ah ! vous semez Grouchy ! vous récoltez Bazaine. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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