Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
HUG_24/HUG1468
Victor HUGO
TOUTE LA LYRE
1888-1893
LA CORDE D'AIRAIN
XI
LA LIBÉRATION DU TERRITOIRE
Je ne me trouve pasdélivré. Non, j'ai-beau 6+6 a
Me dresser, je me heurteau plafond du, tombeau, 6+6 a
J'étouffe, j'ai sur moil'énormité terrible. 6+6 b
Si quelque soupirailblanchit la nuit visible, 6+6 b
5 J'apeois là-bas Metz,là-bas Strasbourg, là-bas 6+6 a
Notre honneur ; et l'approcheobscure des combats, 6+6 a
Et les beaux enfants blonds,bercés dans les chimères, 6+6 b
Souriants, et je songeà vous, ô pauvres mères. 6+6 b
Je consens, si l'on veut,à regarder, je vois 6+6 a
10 Ceux-ci rire, ceux-làchanter à pleine voix, 6+6 a
La moisson d'or, l'été,les fleurs, et la Patrie 6+6 b
Sinistre, une batailleétant sa rêverie. 6+6 b
Avant peu l'Archer noirembouchera le cor ; 6+6 a
Je calcule combienil faut de temps encor ; 6+6 a
15 Je pense à la mêléeaffreuse des épées. 6+6 b
Quand des frontières sontpar la force usurpées, 6+6 b
Quand un peuple gisantse voit le flanc ouvert, 6+6 a
Avril peut rayonner,le bois peut être vert, 6+6 a
L'arbre peut être pleinde nids et de bruits d'ailes ; 6+6 b
20 Mais les tas de boulets,noirs dans les citadelles, 6+6 b
Ont l'air de faire un songeet de frémir parfois, 6+6 a
Mais les canons muetsécoutent une voix 6+6 a
Leur parler bas dans l'ombre,et l'avenir tragique 6+6 b
Souffle à tout cet airainfarouche sa logique. 6+6 b
25 Quoi ! vous n'entendez pas,tandis que vous chantez, 6+6 a
Mes frères, le sanglotprofond des deux cités ! 6+6 a
Quoi ! vous ne voyez pas,foule aisément sereine, 6+6 b
L'Alsace en frissonnantregarder la Lorraine ! 6+6 b
O sœur, on nous oublie !on est content sans nous ! — 6+6 a
30 Non ! nous n'oublions pas !nous sommes à genoux 6+6 a
Devant votre supplice,ô villes ! Quoi ! nous croire 6+6 b
Affranchis, lorsqu'on metau bagne notre gloire, 6+6 b
Quand on coupe à la Franceun pan de son manteau, 6+6 a
Quand l'Alsace au carcan,la Lorraine au poteau, 6+6 a
35 Pleurent, tordent leurs brassacrés, et nous appellent, 6+6 b
Quand nos frais écoliers,ivres de rage, épellent 6+6 b
Quatrevingt-douze, afind'apprendre quel éclair 6+6 a
Jaillit du cœur de Hocheet du front de Kléber, 6+6 a
Et de quelle façon,dans ce siècle nous sommes, 6+6 b
40 On fait la guerre aux roisd' sort la paix des hommes ! 6+6 b
Non, remparts, non, clocherssuperbes, non jamais 6+6 a
Je n'oublierai Strasbourget je n'oublierai Metz. 6+6 a
L'horrible aigle des nuitsnous étreint dans ses serres, 6+6 b
Villes ! nous ne pouvons,nous français, nous vos frères, 6+6 b
45 Nous qui vivons par vous,nous par qui vous vivez, 6+6 a
Être que par Strasbourget par Metz délivrés ! 6+6 a
Toute autre délivranceest un leurre ; et la honte, 6+6 b
Tache qui crt sans cesse,ombre qui toujours monte, 6+6 b
Reste au front rougissantde notre histoire en deuil, 6+6 a
50 Peuple, et nous avons tousun pied dans le cercueil, 6+6 a
Et pas une citén'est entière, et j'estime 6+6 b
Que Verdun est aux fers,que Belfort est victime, 6+6 b
Et que Paris se trne,humble, amoindri, plaintif, 6+6 a
Tant que Strasbourg est priset que Metz est captif. 6+6 a
55 Rien ne nous fait le cœurplus rude et plus sauvage 6+6 b
Que de voir cette vteinfâme, l'esclavage, 6+6 b
S'étendre et remplacerau-dessus de nos yeux 6+6 a
Le soleil, les oiseauxchantants, les vastes cieux ! 6+6 a
Non, je ne suis pas libre.O tremblements de terre ! 6+6 b
60 J'entrevois sur ma têteun nuage, un cratère, 6+6 b
Et l'âpre éruptiondes peuples, fleuve ardent ; 6+6 a
Je râle sous le poidsde l'avenir grondant, 6+6 a
J'écoute bouillonnerla lave sous-marine, 6+6 b
Et je me sens toujoursl'Etna sur la poitrine ! 6+6 b
65 Et puisque vous voulezque je vous dise tout, 6+6 a
Je dis qu'on n'est point grandtant qu'on n'est pas debout, 6+6 a
Et qu'on n'est pas debouttant qu'on trne une chne ; 6+6 b
J'envie aux vieux romainsleurs couronnes de chêne ; 6+6 b
Je veux qu'on soit modesteet hautain ; quant à moi, 6+6 a
70 Je déclare qu'aprèstant d'opprobre et d'effroi, 6+6 a
Lorsqu'à peine nos murschancelants se soutiennent, 6+6 b
Sans me préoccupersi des rois vont et viennent, 6+6 b
S'ils arrivent du Caireou bien de Téhéran, 6+6 a
Si l'un est un bourreau,si l'autre est un tyran, 6+6 a
75 Si ces curieux sontdes monstres, s'ils demeurent 6+6 b
Dans une ombre hideuse des nations meurent, 6+6 b
Si c'est au diable ou bienà Dieu qu'ils sont dévots, 6+6 a
S'ils ont des diamantsaux crins de leurs chevaux, 6+6 a
Je dis que, les laissantse corrompre ou s'instruire, 6+6 b
80 Tant que je ne pourraisfaire au soleil reluire 6+6 b
Que des guidons qu'agiteun lugubre frisson, 6+6 a
Et des clairons sortisà peine de prison, 6+6 a
Tant que je n'aurais pas,rugissant de colère, 6+6 b
Lavé dans un immenseAusterlitz populaire 6+6 b
85 Sedan, Forbach, nos deuils,nos drapeaux frémissants, 6+6 a
Je ne montrerais pointnotre armée aux passants ! 6+6 a
Ô peuple, toi qui fussi beau, toi qui naguère 6+6 b
Ouvrais si largementtes ailes dans la guerre, 6+6 b
Toi de qui l'envergureeffrayante couvrit 6+6 a
90 Berlin, Rome, Memphis,Vienne, Moscou, Madrid, 6+6 a
Toi qui soufflas le ventdes tempêtes sur l'onde 6+6 b
Et qui fis du chaosntre l'aurore blonde, 6+6 b
Toi qui seul eus l'honneurde tenir dans ta main 6+6 a
Et de pouvoir lâcherce grand oiseau, Demain, 6+6 a
95 Toi qui balayas tout,l'azur, les étendues, 6+6 b
Les espaces, chasseurdes fuites éperdues, 6+6 b
Toi qui fus le meilleur,toi qui fus le premier, 6+6 a
O peuple, maintenant,assis sur ton fumier, 6+6 a
Racle avec un tessonle pus de tes ulcères, 6+6 b
Et songe.
100 La défaitea des conseils sincères ; 6+6 b
La beauté du malheurfarouche, c'est d'avoir 6+6 a
Une fraternitésombre avec le devoir ; 6+6 a
Le devoir aujourd'hui,c'est de se laisser crtre, 6+6 b
Sans bruit, et d'enfermer,comme une vierge au cltre, 6+6 b
105 Sa haine, et de nourrirles noirs ressentiments. 6+6 a
A quoi bon étalerdéjà nos régiments ? 6+6 a
A quoi bon galoperdevant l'Europe hostile ? 6+6 b
Ne point faire envolerde poussière inutile 6+6 b
Est sage ; un jour viendrad'éclore et d'éclater ; 6+6 a
110 Et je crois qu'il vaut mieuxne pas tant se hâter. 6+6 a
Car il faut, lorsqu'on voitles soldats de la France, 6+6 b
Qu'on dise : — C'est la gloireet c'est la délivrance ! 6+6 b
C'est Jemmapes, l'Argonne,Ulm, Iéna, Fleurus ! 6+6 a
C'est un tas de lauriers,au soleil apparus ! 6+6 a
115 Regardez. Ils ont faitles choses impossibles. 6+6 b
Ce sont les bienfaisants,ce sont les invincibles. 6+6 b
Ils ont pour murs les montset le Rhin pour fossé. — 6+6 a
En les voyant, il fautqu'on dise : — Ils ont chassé 6+6 a
Les rois du nord, les roisdu sud, les rois de l'ombre ; 6+6 b
120 Cette armée est le rocvainqueur des flots sans nombre, 6+6 b
Et leur nom resplenditdu zénith au nadir ! — 6+6 a
Il faut que les tyranstremblent, loin d'applaudir. 6+6 a
Il faut qu'on dise : — Ils sontles amis vénérables 6+6 b
Des pauvres, des damnés,des serfs, des misérables, 6+6 b
125 Les grands spoliateursdes trônes, arrachant 6+6 a
Sceptre, glaive et puissanceà quiconque est méchant ; 6+6 a
Ils sont les bienvenuspartout quelqu'un souffre. 6+6 b
Ils ont l'aile de flammehabituée au gouffre. 6+6 b
Ils sont l'essaim d'éclairsqui traverse la nuit. 6+6 a
130 Ils vont, même quand c'estla mort qui les conduit. 6+6 a
Ils sont beaux, souriants,joyeux, pleins de lumière ; 6+6 b
Athène en serait folleet Sparte en serait fière. — 6+6 b
Il faut qu'on dise : — Ils sontd'accord avec les cieux ! 6+6 a
Et que l'homme, adorantleur pas audacieux, 6+6 a
135 Croie entendre, au-dessusde ces légionnaires 6+6 b
Qui roulent leurs canons,Dieu rouler ses tonnerres ! 6+6 b
C'est pourquoi j'attendrai.
Qu'attends-tu ? Je réponds : 6+6 a
J'attends l'aube, j'attendsque tous disent : — Frappons ! 6+6 a
Levons-nous ! et donnonsà Sedan pour réplique 6+6 b
140 L'Europe en liberté !— J'attends la république, 6+6 b
J'attends l'emportementde tout le genre humain ! 6+6 a
Tant qu'à ce siècle augusteon barre le chemin, 6+6 a
Tant que la Prusse tientprisonnière la France, 6+6 b
Penser est un affront,vivre est une souffrance, 6+6 b
145 Je sens, comme Isaïeinsurgé pour Sion, 6+6 a
Gronder le profond versde l'indignation, 6+6 a
Et la colère en moin'est pas plus épuisable 6+6 b
Que le flot dans la merimmense, et que le sable 6+6 b
Dans l'orageux désertremué par les vents. 6+6 a
150 Ce que j'attends ? J'attendsque les os soient vivants ! 6+6 a
Je suis spectre, et je rêve,et la cendre me couvre, 6+6 b
Et j'écoute ; et j'attendsque le sépulcre's'ouvre. 6+6 b
J'attends que dans les cœursil s'élève des voix, 6+6 a
Que sous les conquérantss'écroulent les pavois, 6+6 a
155 Et qu'à l'extrémitédu malheur, du désastre, 6+6 b
De l'ombre et de la honte,on voie un lever d'astre ! 6+6 b
Jusqu'à cet instant-là,gardons superbement, 6+6 a
Ô peuple, la fureurde notre abaissement, — 6+6 a
Et que tout l'alimenteet que tout l'exaspère. 6+6 b
160 Étant petit, j'ai vuquelqu'un de grand, mon père. 6+6 b
Je m'en souviens ; c'étaitun soldat, rien de plus ; 6+6 a
Mais il avait mêléson âme aux fiers reflux, 6+6 a
Aux revanches, aux crisde guerre, aux nobles fêtes, 6+6 b
Et l'éclair de son sabreétait dans nos tempêtes. 6+6 b
165 Oh ! je ne-vous veux pasdissimuler l'ennui, 6+6 a
À vous, fameux hier,d'être obscurs aujourd'hui, 6+6 a
O nos soldats, lutteursinfortunés, phalange 6+6 b
Qu'illumina jadisla gloire sans mélange, 6+6 b
L'étranger à cette heure,hélas ! héros trahis, 6+6 a
170 Marche-sur votre histoireet sur votre pays ; 6+6 a
Oui, vous avez laisséces rtres aux mains viles 6+6 b
Voler nos champs, volernos murs, voler nos villes, 6+6 b
Et compléter leur gloireavec nos sacs d'écus ; 6+6 a
Oui, vous fûtes captifs,oui, vous êtes vaincus ; 6+6 a
175 Vous êtes dans le puitsdes chutes insondables ; 6+6 b
Mais c'est votre destind'en sortir formidables, 6+6 b
Mais vous vous dresserez,mais vous vous lèverez, 6+6 a
Mais vous serez ainsique la faulx dans les prés ; 6+6 a
L'hercule celte en vous,la hache sur l'épaule, 6+6 b
180 Revivra, vous rendrezsa frontière à la Gaule, 6+6 b
Vous foulerez aux piedsFritz, Guillaume, Attila, 6+6 a
Schinderhanne et Bismarck,et j'attends ce jour-là ! 6+6 a
Oui, les hommes d'Eylauvous diront : Camarades ! 6+6 b
Et jusque-là, soyezpensifs loin des parades, 6+6 b
185 Loin des vaines rumeurs,loin des faux cliquetis, 6+6 a
Et regardez grandirnos fils encor petits. 6+6 a
Je vis désormais, l'œilfixé sur nos deux villes. 6+6 b
Non, je ne pense pasque les rois soient tranquilles ; 6+6 b
Je n'ai plus qu'une joieau monde, leur souci. 6+6 a
190 Rois, vous avez vaincu,vous avez réussi, 6+6 a
Vous bâtissez, avectoutes sortes de crimes, 6+6 b
Un édifice infâmeau haut des monts sublimes. 6+6 b
Vous avez entre l'hommeet vous construit un mur, 6+6 a
Soit. Un palais énorme,éblouissant, obscur, 6+6 a
195 D' sort l'éclair, pasune lumière n'entre, 6+6 b
Et c'est un temple, à moinsque ce ne soit un antre. 6+6 b
Pourtant, t-on pour soil'armée et le sénat, 6+6 a
Ne point laisser de traceaprès l'assassinat, 6+6 a
Rajuster son exploit,bien laver la victoire, 6+6 b
200 Nettoyer le côtémalpropre de la gloire, 6+6 b
Est prudent. Le sort ades retours tortueux, 6+6 a
Songez-y. J'en conviens,vous êtes monstrueux ; 6+6 a
Vous et vos chanceliers,vous et vos connétables, 6+6 b
Vous êtes satisfaits,vous êtes redoutables ; 6+6 b
205 Vous-avez, joyeux, forts,servis par ce qui nuit, 6+6 a
Entrepris le reculdu monde vers la nuit ; 6+6 a
Vous faites chaque jourfaire un progrès à l'ombre ; 6+6 b
Vous avez, sous le cield'heure en heure plus sombre, 6+6 b
Princes, de tels succèsà nous faire envier 6+6 a
210 Que vous pouvez raillerle vingt-et-un janvier, 6+6 a
Le quatorze juillet,le dix août, ces journées 6+6 b
Tragiques, d' sortaientles grandes destinées, 6+6 b
Que vous pouvez penserque le Rhin, ce ruisseau, 6+6 a
Suffit pour arrêterJourdan, Brune et Marceau, 6+6 a
215 Et que vous pouvez rireen vos banquets sonores 6+6 b
De tous nos ouragans,de toutes nos aurores, 6+6 b
Et des vastes effortsdes titans endormis. 6+6 a
Tout est bien ; vous vivez,vous êtes bons amis, 6+6 a
Rois, et vous n'êtes pointde notre or économes ; 6+6 b
220 Vous en êtes venusà vous donner les hommes 6+6 b
Vous vous faites cadeaud'un peuple, après souper ; 6+6 a
L'aigle est fait pour planeret l'homme pour ramper ; 6+6 a
L'Europe est le reptileet vous êtes les aigles ; 6+6 b
Vos caprices, voilànos lois, nos droits, nos règles ; 6+6 b
225 La terre encor n'a vusous le bleu firmament 6+6 a
Rien qui puisse égalervotre assouvissement ; 6+6 a
Et le Destin pour vouss'épuise en politesses ; 6+6 b
Devant vos majestéset devant vos altesses, 6+6 b
Les prêtres mettent Dieustupéfait à genoux ; 6+6 a
230 Jamais rien n'a sembléplus éternel que vous ; 6+6 a
Votre toute-puissanceaujourd'hui seule existe ; 6+6 b
Mais, rois, tout cela tremble,et votre gloire triste 6+6 b
Devine le refusprofond de l'avenir ; 6+6 a
Car sur tous les bonheursque vous croyez tenir, 6+6 a
235 Sur vos arcs triomphaux,sur vos splendeurs hautaines, 6+6 b
Sur tout ce qui compose,ô rois, ô capitaines, 6+6 b
L'amas prodigieuxde vos prospérités, 6+6 a
Sur ce que vous rêvez,sur ce que vous tentez, 6+6 a
Sur votre ambitionet sur votre espérance, 6+6 b
240 On voit la grande mainsanglante de la France. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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