Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
HUG_24/HUG1122
Victor HUGO
TOUTE LA LYRE
1888-1893
I
XXVIII
TALAVEYRA
RÉCIT DE MON PÈRE
C'est à Talaveyra | de la Reine, en Espagne. 6+6 a
Les anglais, contre qui | nous étions en campagne, 6+6 a
Tenaient, en s'appuyant | sur un vieux château-fort, 6+6 b
Le coteau du midi, | nous le coteau du nord. 6+6 b
5 Deux versants ; un ravin | entre les deux armées. 6+6 a
On se battait depuis | le matin ; les fumées 6+6 a
Monstrueuses que fait | un combat furieux 6+6 b
Salissaient le soleil, | terrible au fond des cieux ; 6+6 b
Et lui, l'astre éternel | d'où sort l'aube éphémère, 6+6 a
10 Vieux, et jeune toujours | comme le vieil Homère, 6+6 a
Lui, ce même soleil | qu'Achille vit jadis, 6+6 b
Se vengeait sur nous tous | combattants, assourdis 6+6 b
Par le vaste fracas | des canons en démence, 6+6 a
Il versait les flots noirs | de sa lumière immense, 6+6 a
15 Il nous aveuglait ; sombre, | il jetait au milieu 6+6 b
Des tonnerres humains | le grand rayon de Dieu. 6+6 b
Il brillait, il régnait ; | il nous brûlait, sinistre. 6+6 a
Le roi don Charles quatre | et Godoÿ, son ministre, 6+6 a
Nous avaient mis l'armée | anglaise sur les bras, 6+6 b
20 Mais les anglais, qui sont | peu faits pour les sierras, 6+6 b
Avaient chaud comme nous. | La journée était dure. 6+6 a
Pas un brin d'herbe ; au fond | du ravin la verdure 6+6 a
De quelques pins d'Alep, | espèce de rideau 6+6 b
Laissant voir sous son antre | un maigre filet d'eau. 6+6 b
25 De même que les cils | séparent deux paupières, 6+6 a
Ces arbres couvrant l'eau | qui courait dans les pierres 6+6 a
Séparaient les deux plans | inclinés du vallon. 6+6 b
Or, comme le semeur | attaque l'aquilon, 6+6 b
Nous nous heurtions, français | contre anglais. Les mitrailles 6+6 a
30 Pleuvaient, et l'on voyait | des crânes, des entrailles, 6+6 a
Des ventres entr'ouverts | ainsi qu'un fruit vermeil, 6+6 b
Et, sur l'immense mort | sanglante, le soleil. 6+6 b
Le sabre, le canon, | l'espingole ; la pique, 6+6 a
C'est tout simple, on s'y fait ; | mais avoir le tropique 6+6 a
35 Sur sa tête, c'est trop. | Nous avions soif. Le fer 6+6 b
Et le plomb, c'est la mort ; | mais la soif, c'est l'enfer. 6+6 b
Le soleil, la sueur, | la soif, oh ! quelle rage ! 6+6 a
Nous n'en faisions pas moins | notre implacable ouvrage, 6+6 a
Et l'on se massacrait | éperdûment. Partout 6+6 b
40 Des cadavres, mêlés | aux combattants debout, 6+6 b
Gisaient, indifférents | déjà comme des marbres. 6+6 a
Tout à coup j'aperçus | le ruisseau sous les arbres. 6+6 a
Un espagnol le vit | et cria : caramba ! 6+6 b
Je descendis vers l'eau, | qu'un anglais enjamba ; 6+6 b
45 Un français accourut, | puis deux, puis trois, puis quatre ; 6+6 a
On se mit à genoux, | on cessa de se battre, 6+6 a
Quitte à recommencer ; | les blessés, à pas lents, 6+6 b
Se traînaient ; on trinqua | dans les casques sanglants. 6+6 b
— À votre santé ! dis-je. | Ils dirent : À la vôtre ! — 6+6 a
50 Et c'est ainsi qu'on vint | boire un peu l'un chez l'autre. 6+6 a
La bataille reprit, | sans trêve cette fois, 6+6 b
Affreuse ; et nous songions, | nous, en pensant aux rois, 6+6 b
Aux empereurs, à tous | ces sombres téméraires, 6+6 a
Qu'ils font des ennemis, | mais que Dieu fait des frères. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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