Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
HUG_23/HUG998
Victor HUGO
LES QUATRE VENTS DE L'ESPRIT
1881
I
LE LIVRE SATIRIQUE
— LE SIÈCLE —
XXV
Le spectre que parfoisje rencontre riait. 6+6 a
— Pourquoi ris-tu ? Lui dis-je.Il dit : ― Homme inquiet, 6+6 a
Regarde.
Il me montraitdans l’ombre un cimetière. 6+6 b
J’y vis une humble croixprès d’une croix altière ; 6+6 b
5 L’une en bois, l’autre en marbre ;et le spectre reprit, 6+6 a
Tandis qu’au loin le ventpassait comme un esprit 6+6 a
Et des arbres profondscourbait les sombres têtes : 6+6 b
— Jusque dans le cercueilvous êtes vains et bêtes. 6+6 b
Oui, gisants, vous laissezdebout la vanité. 6+6 a
10 Vous la sculptez au seuildu tombeau redouté, 6+6 a
Et vous lui bâtissezdes tours et des coupoles. 6+6 b
Et, morts, vous êtes fiers.
Oui, dans vos nécropoles, 6+6 b
Dans ces villes du deuilque vos brumeux Paris 6+6 a
Construisent à côtédu tumulte et des cris, 6+6 a
15 On trouve tout, des bois jasent les fauvettes, 6+6 b
Des jets d’eau jaillissantdu jaspe des cuvettes, 6+6 b
Un paysage vert,voluptueux, profond, 6+6 a
le nuage avecla plaine se confond, 6+6 a
La calèche souventl’œil cherche la civière, 6+6 b
20 Des prêtres sous le fraislisant leur bréviaire, 6+6 b
Du soleil en hiver,de l’ombrage en été, 6+6 a
Des roses, des chansons,tout, hors l’égalité. 6+6 a
Vous avez des charnierset des Pères-Lachaises 6+6 b
Samuel Bernardseul peut prendre ses aises, 6+6 b
25 Dormir en paix, jouird’un caveau bien muré, 6+6 a
Et se donner les airsd’être à jamais pleuré, 6+6 a
Et s’adjuger, derrièreune grille solide, 6+6 b
Des fleurs que le Temps gardeen habit d’invalide. 6+6 b
Quant aux morts indigents,on leur donne congé ; 6+6 a
30 On chasse d’auprès d’euxle sanglot prolongé ; 6+6 a
Et le pauvre n’a pasle droit de pourriture. 6+6 b
Un jour, on le déblaie.On prend sa sépulture 6+6 b
Pour grandir d’une toiseun monument pompeux. 6+6 a
— Misérable, va-t’en.Deviens ce que tu peux. 6+6 a
35 Quoi ! Tu prétends moisirici parmi ces marbres, 6+6 b
Faire boucher le nezaux passants sous ces arbres, 6+6 b
Te carrer sous cette herbe,être au fond de ton trou 6+6 a
Charogne comme un autre,et tu n’as pas le sou ! 6+6 a
Qu’est-ce que ce mort-làqui n’a rien dans sa poche ! 6+6 b
40 Décampe. — Et la brouetteet la pelle et la pioche 6+6 b
Arrachent le dormeurà son dur traversin. 6+6 a
Sus ! Place à monseigneurle sépulcre voisin ! 6+6 a
Ce n’est rien d’être mort,il faut avoir des rentes. 6+6 b
Les carcasses des gueuxsont fort mal odorantes ; 6+6 b
45 Les morts bien nés font bandeà part dans le trépas ; 6+6 a
Le sépulcre titréne fraternise pas 6+6 a
Avec la populaceanonyme des bières ; 6+6 b
La cendre tient son rangvis-à-vis des poussières ; 6+6 b
Et tel mort dit : pouah !Devant tel autre mort. 6+6 a
50 Le gentleman, à l’heure l’acarus le mord, 6+6 a
Se maintient délicatet dégté. C’est triste. 6+6 b
Et j’en ris. Le linceulpeut être de batiste ! 6+6 b
Chez vous, oui, sous la croixde l’humble Dieu Jésus, 6+6 a
Les trépassés à courtd’argent sont mal reçus ; 6+6 a
55 L’abîme a son dépôtde mendicité ; l’ombre 6+6 b
Met d’un côté l’éliteet de l’autre le nombre ; 6+6 b
On n’est jamais moins prèsqu’alors qu’on se rejoint ; 6+6 a
Dans la mort vague et blêmeon ne se mêle point ; 6+6 a
On reste différentmême à ce clair de lune ; 6+6 b
60 Le peuple dans la tombea nom fosse commune. 6+6 b
La tombe impartiale !Allons donc ! Le ci-gît 6+6 a
Tantôt se rétrécitet tantôt s’élargit ; 6+6 a
Le péage, réglépar arrêté du maire, 6+6 b
Fait Beaujon immortelet Chodruc éphémère. 6+6 b
65 Pourrir gratis ! Jamais !Le terrain est trop cher. 6+6 a
Tandis que, tripotantce qui fut de la chair, 6+6 a
La chimie, en son antre vole la phalène, 6+6 b
Fait de l’adipocireet du blanc de baleine 6+6 b
Avec le résidudes pâles meurt-de-faim, 6+6 a
70 Tel cadavre, vêtud’un suaire en drap fin, 6+6 a
Regarde en souriantla mort aux yeux de tigre, 6+6 b
Jette au spectre sa bourse,et dit : Marquis d’Aligre. 6+6 b
Vos catacombes ontdes perpétuités 6+6 a
Pour ceux-ci pour ceux-làdes répits limités. 6+6 a
75 Votre tombe est un gouffre le riche surnage. 6+6 b
Ce mort n’a pas payéson terme ; il déménage. 6+6 b
Le fantôme, branlantsur ses blancs tibias, 6+6 a
Portant tout avec lui,s’en va, comme Bias ; 6+6 a
Vivant, il fut sans pain,et, mort, il est sans terre. 6+6 b
80 L’ossuaire répugneaux os du prolétaire. 6+6 b
Seul Rothschild, dans l’oublidu caveau sans échos, 6+6 a
Est mangé par des ratset par des asticots 6+6 a
Qu’il paye et dont il estmtre et propriétaire. 6+6 b
Oui, c’est l’étonnementde la pariétaire, 6+6 b
85 Du brin d’herbe, de l’ifaussi noir que le jais, 6+6 a
Du froid cyprès, du sauleen pleurs, de voir sujets 6+6 a
À des expulsionssommaires et subites 6+6 b
Des crânes qui n’ont plusleurs yeux dans leurs orbites. 6+6 b
Vos cimetières sontdes lieux changeants, flottants, 6+6 a
90 Précaires, les mortsvont passer quelque temps, 6+6 a
À peine admis au seuildes ténébreux mystères, 6+6 b
Et l’éternité sombrey prend des locataires. 6+6 b
Quoi ! C’est là votre mort !C’est avec de l’orgueil 6+6 a
Que vous doublez le boislugubre du cercueil ! 6+6 a
95 Vous gardez préséance,honneurs, grade, avantages ! 6+6 b
Vous conservez au fonddu néant des étages ! 6+6 b
La chimère est bouffonne.Ah ! La prétention 6+6 a
Est rare, dans le lieude disparition ! 6+6 a
Quoi ! Privilégierce qui n’est plus ! Quoi ! Faire 6+6 b
100 Des grands et des petitsdans l’insondable sphère ! 6+6 b
Traiter Jean comme pesteet Paul comme parfum ! 6+6 a
Être mort, et vouloirencore être quelqu’un ! 6+6 a
Quoi ! Dans le pourrissoiremporter l’opulence ! 6+6 b
Faire sonner son ordans l’éternel silence ! 6+6 b
105 Avoir, de par cet ordont sur terre on brilla, 6+6 a
Droit de tomber en poudreici plutôt que là ! 6+6 a
Arriver dans la nuitainsi que des lumières ! 6+6 b
Prendre dans le tombeaudes places de premières ! 6+6 b
Ne pas entendre Dieuqui dit au riche : assez ! 6+6 a
110 Je cesserai d’en rire,ô vivants insensés, 6+6 a
Le jour j’apprendraique c’est vrai, que, dans l’ombre 6+6 b
De l’incommensurableet ténébreux décombre, 6+6 b
L’archange à l’aile noire,assis à son bureau, 6+6 a
Toise les morts, leur donneà tous un numéro, 6+6 a
115 Discute leur obole,or ou plomb, vraie ou fausse, 6+6 b
Et la pèse, et marchandeau squelette sa fosse ! 6+6 b
Le jour j’apprendraique la chose est ainsi, 6+6 a
Que Lucullus sous terreest du fumier choisi, 6+6 a
Que le bouton d’or perdou double sa richesse 6+6 b
120 S’il sort d’une grisetteou bien d’une duchesse, 6+6 b
Qu’un lys qui nt d’un pauvreest noir comme charbon, 6+6 a
Que, mort, Lazare infecteet qu’Aguado sent bon ! 6+6 a
Le jour j’apprendraique dans l’azur terrible 6+6 b
L’éternel a des trousinégaux à son crible ; 6+6 b
125 Et que, dans le ciel sombreeffroi de vos remords, 6+6 a
S’il voit passer, portépar quatre croque-morts, 6+6 a
Un cadavre fétideet hideux, le tonnerre 6+6 b
Demande à l’ouragan :est-ce un millionnaire ? 6+6 b
Le jour j’apprendraique la tombe, en effet, 6+6 a
130 Que l’abîme, selonle tarif du préfet, 6+6 a
Trafique de sa nuitet de son épouvante, 6+6 b
Et que la mort a misles vers de terre en vente ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
logo du CRISCO logo de l'université