Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
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F = "e" féminin
| = césure
HUG_23/HUG1049
Victor HUGO
LES QUATRE VENTS DE L'ESPRIT
1881
III
LE LIVRE LYRIQUE
— LA DESTINÉE —
XXVI
REMONTRANCES
Une nuit qu’au milieu | des bourrasques farouches, 6+6 a
Et de tous les effrois | ouvrant toutes leurs bouches, 6+6 a
Ma vitre en pleurs tremblait | au choc du vent profond, 6+6 b
Éveillé, je songeais : |
― Hélas ! Qu’est-ce que font 6+6 b
5 Toutes ces sombres eaux | qui hurlent dans l’espace ? 6+6 a
Oh ! Ce pauvre bateau | qui dans cette ombre passe ! 6+6 a
Ô mon Dieu ! Comme il lutte, | et se débat, et fuit, 6+6 b
Pris dans cette prison | d’épouvante et de bruit ! 6+6 b
Quels geôliers que les flots | quand ils tiennent les hommes ! 6+6 a
10 Pour un peu de pain noir, | ou pour de grosses sommes, 6+6 a
La barque affronte l’onde | et l’air plein de sanglots 6+6 b
Et la brume, et je plains | les pâles matelots. 6+6 b
Ô gouffre ! Apocalypse ! | Effrayante épopée ! 6+6 a
La mer a par moments | l’air de s’être échappée. 6+6 a
15 Un cri farouche sort | des vagues, ces tourments. 6+6 b
Il faudrait frissonner | devant les éléments 6+6 b
Si l’écume, l’écueil, | l’onde, l’aquilon sombre, 6+6 a
Pouvaient parfois briser | l’anneau noir qui dans l’ombre 6+6 a
Les rive à l’équité, | mystérieux pilier. 6+6 b
20 Est-ce que tout ceci | serait irrégulier ? 6+6 b
Est-ce que, par hasard, | un flot passerait l’autre ? 6+6 a
Serait-ce un insensé | que le vent qui se vautre 6+6 a
Dans la nuée, et crie | aux vagues d’accourir ? 6+6 b
Quoi ! Ce bon vieux pêcheur | part ce soir pour nourrir 6+6 b
25 Sa famille qui souffre | et dont la faim le navre, 6+6 a
Et voilà, dès qu’il est | sorti de l’humble havre, 6+6 a
Que l’orage et la nuit | le jugent sans appel ! 6+6 b
Sous ses pieds, les brisants, | invisible archipel, 6+6 b
L’accusent ; sur son front | l’ouragan le discute ; 6+6 a
30 Et ce bourreau masqué, | l’abîme, l’exécute ! 6+6 a
Tout est dit. L’eau s’enfuit. | Est-il coupable ? Non. 6+6 b
Est-ce que l’océan | dans son sourd cabanon 6+6 b
Peut saisir un pauvre homme | et l’étouffer sous l’onde, 6+6 a
Seigneur, sans déranger | l’équilibre du monde ? 6+6 a
35 Est-ce qu’il serait vrai | que la nature osât 6+6 b
Frapper sur l’homme, ainsi | qu’on bâtonne un forçat ? 6+6 b
L’eau cache-t-elle un piège | en sa vague lyrique ? 6+6 a
Et que deviendrons-nous | si la mer prévarique ? 6+6 a
Dieu la laisserait-il | libre et folle en effet ? 6+6 b
40 Est-ce que l’ouragan | ne sait pas ce qu’il fait ? 6+6 b
Ah ! Si la goutte d’eau | noie à tort un atome, 6+6 a
Est-ce qu’on ne va pas, | au fond du divin dôme, 6+6 a
Voir trembler l’astre, et voir, | dans la mer des rayons, 6+6 b
Pêle-mêle, sombrer | les constellations ? 6+6 b
45 Quoi ! Puni sans mal faire ! | Est-ce que c’est possible ? 6+6 a
Quoi ! D’un carquois sans yeux | l’homme serait la cible ? 6+6 a
Est-ce qu’il se pourrait | que le naufrage, ô Dieu, 6+6 b
La rafale, l’esquif | coupé par le milieu, 6+6 b
Le cadavre roulé | sous les houles funèbres, 6+6 a
50 Fût un tâtonnement | sinistre des ténèbres, 6+6 a
Ces aveugles d’en haut | qui frappent à côté ? 6+6 b
Est-ce qu’il se pourrait | que cette obscurité 6+6 b
Fît devant l’infini | des actions infâmes ? 6+6 a
Dieu, ces gens ont des fils, | des mères et des femmes ; 6+6 a
55 Ce matin, ces pêcheurs, | dans l’île où nous tremblons, 6+6 b
Faisaient sur leurs genoux | sauter des enfants blonds ; 6+6 b
Pourquoi permettre aux eaux, | à l’air, aux rocs, aux lames, 6+6 a
De prendre en leurs poings noirs | toutes ces pauvres âmes ? 6+6 a
Pourquoi tiens-tu captifs, | seigneur, tous ces vivants 6+6 b
60 Dans l’orageux réseau | des vagues et des vents ? 6+6 b
Pourquoi ces flots suspects | font-ils ce bruit de chaînes ? 6+6 a
Pourquoi tous ces marins, | bons cœurs, sans fiel, sans haines, 6+6 a
Emportés par la mort, | pris par l’abîme amer, 6+6 b
Liés dans l’ombre au fond | des cachots de la mer ? 6+6 b
65 Qu’ont-ils fait ? Et pourquoi | les frapper sans relâche ? 6+6 a
Pourquoi tous ces éclairs | que sur eux ta main lâche ? 6+6 a
Je ne m’explique pas | ces souffles rugissants, 6+6 b
Rués sur des plaintifs | et sur des innocents. 6+6 b
Père, il ne se peut pas | que ton gouffre se trompe, 6+6 a
70 Que ta sagesse ait tort, | bégaie ou s’interrompe, 6+6 a
Cela ne se peut pas ; | cela ferait douter. 6+6 b
L’océan ne doit rien | avoir à rétracter ; 6+6 b
Car l’ouragan est juste | et la foudre est intègre. ― 6+6 a
Et la bise de mer, | bourrue, irritée, aigre, 6+6 a
75 Couvrant d’obscurs brouillards | les astres que conduit 6+6 b
La navigation | immense de la nuit, 6+6 b
M’apparut, face pâle, | à travers ma fenêtre, 6+6 a
Et me dit : ― Que sais-tu ? | Nous délivrons peut-être. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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