ACTE PREMIER
LISON |
PERSONNAGES
GALLUS.
LISON.
LE BARON GUNICH.
HAROU,
paysan.
UN PAGE.
UN NÈGRE.
UN VALET.
|
Dans un bois. |
Une route sur le versant d’une colline boisée. La colline monte et occupe le fond du
théâtre. La route passe au premier plan, tourne, puis reparaît au second plan à mi-côte
parmi les arbres où elle se perd. En bas, à droite, une maisonnette couverte de chaume,
très propre et très pauvre. Un court sentier de traverse, qui n’a que quelques enjambées
sur le talus de la colline, met en communication le tronçon de route du premier plan
avec le tronçon du deuxième plan. Gros arbres çà et là autour de la maison. Devant la
maison, sous un arbre et dans un massif de roses, une source encadrée de grosses pierres
frustes. La cabane, très basse, n’a qu’un rez-de-chaussée. |
Au lever du rideau, deux voitures cheminent sur la route ; l’une , sur le tronçon supérieur,
est une charrette chargée de fumier, attelée d’un âne et menée par un paysan en blouse
juché sur le fumier ; l’autre, sur le tronçon inférieur, au premier plan, est un coche de
voyage et de gala, tout doré, blasonné d’armoiries, surmonté d’une couronne princière,
avec glaces, et intérieur de satin, traîné par quatre chevaux empanachés, harnachés de
bossages d’or, avec postillons et laquais. Dans la voiture est Gallus. On aperçoit Gunich
dans le compartiment du devant. |
La porte de la chaumière est fermée ; la fenêtre est ouverte. Une jeune fille, dans le
demi-désordre d’une toilette commencée, se peigne devant la fenêtre. C’est Lison. On voit
l’intérieur d’une chambre indigente. Beau soleil. Printemps. |
SCÈNE PREMIÈRE
LISON,
GALLUS,
PUIS HAROU.
|
GALLUS, |
se penchant à la portière du carrosse. |
|
Oh ! La charmante fille !│ |
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|
LISON, |
se penchant à la fenêtre de la chaumière. |
|
Oh ! La charmante fille ! Oh ! La belle voiture ! |
6+6 |
a |
Le carrosse passe et disparaît à droite. La charrette s’arrête. Harou en descend, son
fouet à la main. Il dégringole par le sentier qui abrège, court à la chaumière et frappe
à la porte d’un coup de sabot. Il a son fouet à la main. |
|
|
LISON, |
par la fenêtre. |
|
Il est neuf heures. Ah !│C’est vous. |
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HAROU |
|
Il est neuf heures. Ah ! C’est vous. Oui, ma future. |
6+6 |
a |
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LISON |
|
C’est bon. |
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|
Elle jette un fichu sur ses épaules nues, et elle ouvre la porte. |
Harou entre. |
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LISON |
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C’est bon. Vous n’êtes pas encor prête ? Pardi ! |
6+6 |
a |
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LISON |
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Jusqu’à l’église… Eh bien ?│ |
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LISON |
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Vite. Habillez-vous. Oui.│ |
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HAROU |
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Vite. Habillez-vous. Oui. J’aurai deux violons. |
6+6 |
a |
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LISON |
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Soit. Mamz’elle Lison… Dites Lisa. |
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HAROU |
|
Soit. Mamz’elle Lison… Dites Lisa. Lisa. |
6+6 |
a |
|
Vous êtes vertueuse,│et c’est pour ça. |
|
|
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LISON |
|
Vous êtes vertueuse, et c’est pour ça. Pour ça, |
6+6 |
a |
|
Que quoi ? |
|
|
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HAROU |
|
Que quoi ? Que je vous aime│et que je vous épouse. |
6+6 |
a |
|
Vous avez du bonheur,│hein ? Plus d’une est jalouse. |
6+6 |
a |
15 |
Vous sentez bien que moi│qui suis un gros fermier, |
6+6 |
a |
|
Ayant acquêts et baux│francs de droit coutumier, |
6+6 |
a |
|
C’est à qui m’aura. Vous,│vous êtes sans famille. |
6+6 |
a |
|
Être madame Harou,│quel sort pour une fille ! |
6+6 |
a |
|
Avoir six cents arpents│de blé, trois cents de foin ! |
6+6 |
a |
20 |
Et dire, en regardant│tout le pays très loin : |
6+6 |
a |
|
C’est à moi ! Voyez-vous,│vous êtes orpheline, |
6+6 |
a |
|
Pas un brin d’herbe n’est│à vous sur la colline, |
6+6 |
a |
|
Et vous êtes sans dot│comme la fleur des champs. |
6+6 |
a |
|
Cela n’amuse pas│les gens qui sont méchants |
6+6 |
a |
25 |
De voir que je vous prends│pour femme. ça les fâche. |
6+6 |
a |
|
Vous n’étiez qu’une pauvre│ouvrière à la tâche, |
6+6 |
a |
|
Seule, et dont les parents│sont morts sur des grabats, |
6+6 |
a |
|
Gagnant six sous par jour│à ravauder des bas. |
6+6 |
a |
|
Vous allez devenir│bourgeoise, et cette chambre |
6+6 |
a |
30 |
Où vous gelez, pas vrai,│dès le mois de novembre, |
6+6 |
a |
|
Vous l’allez changer contre│un bon logis, ma foi, |
6−6 |
a |
|
Où vous serez chez vous│bien qu’en étant chez moi, |
6+6 |
a |
|
Et d’où vous pourrez voir│la mare avec les vignes, |
6+6 |
a |
|
Et des canards si gros│qu’on les prend pour des cygnes ! |
6+6 |
a |
35 |
Ah ! Les commères font│du train ! Moi, bon luron, |
6+6 |
a |
|
Tout ce tas d’oiseaux noirs│qui bat de l’aileron, |
6+6 |
a |
|
Parce qu’elles voudraient│être ce que vous êtes, |
6+6 |
a |
|
Me fait rire. Piaillez,│mesdames les chouettes ! |
6+6 |
a |
|
Quand demain, bras dessus│dessous, nous passerons, |
6+6 |
a |
40 |
Cela fera sortir│du trou leurs gros yeux ronds. |
6+6 |
a |
|
Ça sera farce. Et vous,│vous prendrez un air crâne, |
6+6 |
a |
|
Vous direz : ma maison,│mon champ, mon pré, mon âne. |
6+6 |
a |
|
Et puis du cidre ! Et puis│du pain, plein le buffet ! |
6+6 |
a |
|
Moi, j’ai de l’amitié│pour vous. C’est ce qui fait |
6+6 |
a |
45 |
Que j’épouse. Sur vous,│du reste, rien à dire. |
6+6 |
a |
|
Vous n’avez qu’un défaut,│c’est que vous savez lire. |
6+6 |
a |
|
Moi pas. Ah ! Par exemple,│il faudra travailler. |
6+6 |
a |
|
Étant maîtresse, on est│servante. S’éveiller |
6+6 |
a |
|
Au chant du coq, couper│le seigle ou la fougère, |
6+6 |
a |
50 |
Être bonne faucheuse│et bonne ménagère, |
6+6 |
a |
|
Manier gentiment│la fourche à tour de bras, |
6+6 |
a |
|
Laver les murs, laver│les lits, laver les draps, |
6+6 |
a |
|
Donner à boire aux gars│ayant au dos leurs pioches, |
6+6 |
a |
|
Blanchir l’âtre, écumer│le pot, moucher les mioches, |
6+6 |
a |
55 |
Porter, si le chemin│est long et raboteux, |
6+6 |
a |
|
Ses souliers à la main,│les pieds s’usant moins qu’eux, |
6+6 |
a |
|
Et vivre ainsi pieds nus│et riche, heureuse en somme |
6+6 |
a |
|
D’être une brave femme│et d’avoir un brave homme. |
6+6 |
a |
|
Nos bans sont publiés.│Je vous ai fait cadeau |
6+6 |
a |
60 |
D’un parapluie, afin│que, s’il tombe trop d’eau, |
6+6 |
a |
|
On ne s’en serve point,│parce qu’il est en soie. |
6+6 |
a |
|
Et nous nous marions│tantôt. Vive la joie ! |
6+6 |
a |
|
Donc, mamz’elle, à midi,│l’église. À minuit… |
|
|
Il fait claquer ses doigts. |
|
Donc, mamz’elle, à midi, l’église. À minuit… Bien ! |
6+6 |
a |
|
Vous êtes un peu maigre.│Ah ! Cela ne fait rien. |
6+6 |
a |
65 |
En mangeant du gigot,│de la soupe bien chaude, |
6+6 |
a |
|
Du lard, avec le temps│vous deviendrez rougeaude. |
6+6 |
a |
|
La viande, voyez-vous,│c’est ça qui fait la chair. |
6+6 |
a |
|
Vous étiez mal nourrie.│Au fait, tout est si cher ! |
6+6 |
a |
|
Le moyen qu’une fille,│en mangeant peu, soit belle ! |
6+6 |
a |
70 |
Sans chardon, l’âne geint.│Sans pré, le mouton bêle. |
6+6 |
a |
|
Nous serons très heureux.│Moi, j’aurai soin des bœufs, |
6+6 |
a |
|
Vous des cochons. Des fois,│l’étable, c’est bourbeux, |
6+6 |
a |
|
Dame, on pataugera│dans la paille mouillée. |
6+6 |
a |
|
Bah ! |
|
|
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|
HAROU |
|
Ce n’est pas ça. Je veux│vous donner douze, oui, douze ! |
6+6 |
a |
|
Chemises en bon fil,│ |
|
|
Montrant sa manche. |
|
Chemises en bon fil, Pareilles à ma blouse. |
6+6 |
a |
|
|
HAROU |
|
En toile à torchon ! Moi…│ |
|
|
Gallus et Gunich, enveloppés de manteaux, passent au fond du théâtre et s’arrêtent
derrière les arbres, en observation. |
|
LISON, |
regardant Harou et reculant. |
|
En toile à torchon ! Moi… Quelle odeur ! |
|
|
|
HAROU |
|
En toile à torchon ! Moi… Quelle odeur ! Moi, fermier, |
6+6 |
a |
|
Je… |
|
|
|
|
|
|
HAROU, |
riant plus fort. |
90 |
Ah ! Pardon. Vous avez des mains ! De bonnes pattes, |
6+6 |
a |
|
Hein ? |
|
|
Il rit et étale ses mains. |
|
Hein ? Ça travaille. |
|
|
Il les retourne toutes hâlées des deux côtés. |
|
Hein ? Ça travaille. C’est│de la bonne noirceur. |
6+6 |
a |
Lison se remet à se peigner. |
|
|
HAROU |
|
Pour m’habiller le jour de ma noce ! L’usage |
6+6 |
a |
|
Est qu’une du pays│lace votre corsage. |
6+6 |
a |
|
|
|
|
|
|
|
LISON |
110 |
Hein, mam’zelle Lison ? Dites mademoiselle |
6+6 |
a |
|
Lisa. |
|
|
À part. |
|
Lisa. Grossier pain bis,│va ! |
|
|
|
HAROU |
|
Lisa. Grossier pain bis, va ! Convenablement, |
6+6 |
a |
|
Je suis moins que mari,│mais je suis plus qu’amant. |
6+6 |
a |
|
Un baiser. |
|
|
Il s’approche. Elle le repousse vivement. |
|
LISON |
|
Un baiser. Jamais ! |
|
|
|
HAROU, |
éclatant de rire. |
|
Un baiser. Jamais ! Oh !│Jamais ! |
|
|
Il regarde à une grosse montre d’argent qu’il a sous sa blouse. |
|
Un baiser. Jamais ! Oh ! Jamais ! Çà, je babille. |
6+6 |
a |
|
Il faut vous habiller.│Il faut que je m’habille. |
6+6 |
a |
|
LISON, |
le regardant de côté. |
115 |
Je crois que pour cravate│il a sa corde à puits. |
6+6 |
a |
|
HAROU |
|
Faire un brin de toilette│est nécessaire, et puis, |
6+6 |
a |
|
Vous, pendant ce temps-là,│ma-de-moi-selle-Lise, |
6+6 |
a |
Avec un clin d’œil. |
|
— Est-ce ça ? — Parez-vous.│Puis, en route, à l’église, |
6+6 |
a |
|
Gens de la noce ! — et puis,│ce soir, |
|
|
Avec un geste galant qui l’effarouche. |
|
Gens de la noce ! — et puis, ce soir, Plus de fichu ! |
6+6 |
a |
Il fait claquer son fouet. Il escalade le sentier, rejoint la route d’en haut, remonte
dans la charrette et s’assoit sur le fumier. Il crie. |
120 |
Je vais venir vous prendre│en ma voiture. — Hu ! |
6+6 |
a |
|
LISON, |
seule. |
Elle ôte son fichu, et n’a plus que sa chemise et un jupon. Elle divise et natte ses
cheveux. |
|
C’est là le malaisé.│Je suis une rêveuse. |
6+6 |
a |
Elle ouvre un tiroir de commode. |
|
Habillons-nous. |
|
|
Elle prend dans la commode quelques hardes, et s’arrête. |
|
Habillons-nous. Ma tête│est obscure, et se creuse. |
6+6 |
a |
|
Dire que je n’ai pas│encor pris mon parti ! |
6+6 |
a |
Elle tire de la commode une coiffure de mariée en fleurs d’oranger. |
|
Souvent d’un oui, d’un non,│on s’est bien repenti. |
6+6 |
a |
|
Dans une heure il sera│trop tard. |
|
|
Elle déplie une robe de grosse laine neuve, propre et laide. |
125 |
Dans une heure il sera trop tard. L’ennui me ronge ! |
6+6 |
a |
Elle met sur un escabeau une paire de gros souliers de femme, neufs. |
|
Pas de destin auquel│on ne préfère un songe ! |
6+6 |
a |
Elle regarde la robe, les souliers et les fleurs d’oranger. |
|
Que faire ? |
|
|
Elle se remet à natter ses cheveux. |
|
Que faire ? Ce bouvier│est honnête. — Et hideux. |
6+6 |
a |
Elle les roule en tresse. |
|
Lui, soit. |
|
|
Elle les rattache en couronne sur sa tête. |
|
Lui, soit. J’avais pourtant│rêvé le ciel à deux ! |
6+6 |
a |
Elle interrompt sa toilette et médite. |
|
Aimer, comme c’est bon !│S’idôlâtrer sans cesse ! |
6+6 |
a |
130 |
Et n’être pas trop pauvre !│Ah ! C’est beau, la richesse ! |
6+6 |
a |
|
La vraie ! En plein. Oui, tout !│Pas l’épaisse façon |
6+6 |
a |
|
D’être riche à peu près│qu’a ce pauvre garçon. |
6+6 |
a |
|
Sa femme ira pieds nus.│Les souliers s’usent, dame ! |
6+6 |
a |
|
Moi, je consens très bien│aux pieds nus de la femme, |
6+6 |
a |
135 |
À la condition│du tapis de velours. |
6+6 |
a |
|
Et ces poignets ! Ces gens│de campagne sont lourds ! |
6+6 |
a |
|
Il faut, pour cet hymen│de l’âme avec l’étoile |
6+6 |
a |
|
Qu’on nomme Amour, un lit,│pas en trop grosse toile, |
6+6 |
a |
|
Un nuage où l’on flotte,│on ne sait quel vivant |
6+6 |
a |
140 |
Char d’aurore emporté│par le rêve et le vent, |
6+6 |
a |
|
Et pas plus de travail│que l’oiseau sur la branche ! |
6+6 |
a |
Pensive. |
|
L’œil est d’autant plus doux│que la main est plus blanche. |
6+6 |
a |
|
L’amour, dit l’Amadis│de monsieur de Tressan, |
6+6 |
a |
|
C’est la vie. Et je hais│le parler paysan. |
6+6 |
a |
145 |
Ouvrière. Orpheline.│Oh ! Je songe, et Dieu laisse |
6+6 |
a |
|
Entrer dans mon œil trouble│un regard de duchesse, |
6+6 |
a |
|
Et j’ai des visions│folles, plaire, charmer, |
6+6 |
a |
|
Être libre, être belle,│être adorée ! Aimer ! |
6+6 |
a |
Elle se remet à sa toilette. |
Elle prend la coiffure de mariée et regarde les quatre murs de sa chambre. |
|
Je n’ai pas de miroir,│tant je suis misérable ! |
6+6 |
a |
Elle sort de la chaumière, et va au puits de la source. |
150 |
Si Dieu n’avait pas mis│cette eau sous cet érable, |
6+6 |
a |
|
Je n’aurais pas moyen│de me coiffer, vraiment. |
6+6 |
a |
Elle se mire dans l’eau, tout en ajustant sa coiffure. |
|
La fleur d’oranger. — Peuh !│la rose, c’est charmant. |
6+6 |
a |
Elle ôte le bouquet d’oranger, cueille une rose dans le rosier, et la met
dans ses cheveux. Elle se mire. |
|
Pauvre, ou ce mariage.│Ah ! La ressource est dure. |
6+6 |
a |
Elle ôte la rose et la regarde pensive. |
|
Une fleur, ça se fane.│ |
|
|
Gallus, derrière elle et sans qu’elle le voie, sort à moitié du massif qui entoure
la source, avance le bras, et lui pose un épi de diamants dans les cheveux. |
|
GALLUS, |
à demi-voix. |
|
Une fleur, ça se fane. Un diamant, ça dure ! |
6+6 |
a |
Il rentre vivement dans le massif. |
|
LISON, |
se retournant. |
|
Hein ? On a parlé. |
|
|
Elle regarde. |
|
Hein ? On a parlé. Non.│Personne. |
|
|
Elle se mire dans la source. |
155 |
Hein ? On a parlé. Non. Personne. Ah ! Dieu, mon Dieu ! |
6+6 |
a |
|
Qu’ai-je au front ? |
|
|
Elle se redresse effarée. |
|
Qu’ai-je au front ? Qui m’a mis│cela ? |
|
|
Elle se mire de nouveau. |
|
Qu’ai-je au front ? Qui m’a mis cela ? Qu’est-ce ? Du feu ? |
6+6 |
a |
|
Ça doit brûler ! — je n’ose│y toucher. |
|
|
Relevant la tête. |
|
Ça doit brûler ! — je n’ose y toucher. Je suis bête. |
6+6 |
a |
|
C’est cette eau qui me trompe│et qui met sur ma tête |
6+6 |
a |
|
Un reflet de soleil.│Ce que c’est que d’avoir |
6+6 |
a |
160 |
Une source au milieu│d’un bois pour tout miroir ! |
6+6 |
a |
Elle se retourne. Un grand miroir de Venise ovale, encadré de vermeil ciselé,
apparaît devant elle dans le massif. |
|
Ciel ! |
|
|
Stupéfaite, elle regarde le miroir. Elle porte la main au bouquet de diamants
qu’elle a sur le front. |
|
Ciel ! Ah ! Les reines sont│de la sorte coiffées ! |
6+6 |
a |
Elle regarde le miroir. |
|
Est-ce que par hasard│il passe un vol de fées |
6+6 |
a |
|
Qui s’est venu poser│sur les branches du bois ? |
6+6 |
a |
Elle regarde sa coiffure de diamants. |
|
Ai-je peur ? Non. J’ai fait│ce rêve bien des fois. |
6+6 |
a |
165 |
Autour de moi tout tremble│et devient ineffable. |
6+6 |
a |
Elle approche du miroir. Elle aperçoit un petit être, espèce de nain ou d’enfant,
vêtu de satin blanc glacé vert, qui porte le miroir et le lui présente, et qui disparaît
presque derrière, tant il est petit et tant le miroir est grand.
Lison, admirant l’enfant. |
|
Qu’il est joli ! |
|
|
Elle le considère sans crainte et comme apprivoisée à l’aventure. |
|
Qu’il est joli ! C’est ça !│Le nain ! C’est une fable |
6+6 |
b |
|
Qui m’arrive. |
|
|
Elle l’admire. |
|
Qui m’arrive. Il est fée.│Es-tu fée ? Oui, pour sûr ! |
6+6 |
c |
|
Quelle est ta reine ? |
|
|
|
LE NAIN |
|
Quelle est ta reine ? Vous,│madame. |
|
|
|
LISON, |
reculant. |
|
Quelle est ta reine ? Vous, madame. C’est obscur, |
6+6 |
c |
|
Mais charmant. Suis-je en vie ?│Oh ! L’extase m’accable. |
6+6 |
b |
|
Suis-je morte ? |
|
|
Pendant qu’elle regarde le nain, le miroir et l’épi de diamants sur sa tête, un collier
vient se poser sur sa gorge et sur ses épaules nues. Elle s’écrie. |
|
Suis-je morte ? Un collier│tout en perles ! |
|
|
Elle se retourne et voit un nègre. Ce nègre vient de sortir du massif, et c’est
lui qui lui a agrafé le collier au cou, sans être aperçu d’elle. Il est vêtu de velours
feu. Lison le regarde, pas effarouchée. |
170 |
Suis-je morte ? Un collier tout en perles ! Le diable ! |
6+6 |
a |
|
Je comprends. |
|
|
|
On entend une musique sous les arbres et une vague chanson murmurée qui semble
chantée au loin par des passants invisibles.
|
|
LISON, |
pâmée et fascinée. |
|
Notre rêve — Et l’amour C’est le jour. — Je suis Ève ! |
6+6 |
a |
Une fumée se disperse dans les branches. |
175 |
Qu’est-ce que cet encens│dans l’ombre répandu ? |
6+6 |
a |
|
Je sens comme une odeur│de paradis. |
|
|
|
GALLUS, |
paraissant. |
|
Je sens comme une odeur de paradis. Perdu. |
6+6 |
a |
|
Enfin ! Je tiens mon rêve !│ |
|
|
Gallus, sorti du massif, laisse tomber son manteau. Il apparaît vêtu de brocart
d’or de la tête aux pieds, avec son cordon bleu et sa plaque d’ordres. Il a sur
la tête un panache couleur feu. Il se dresse devant Lison.
|
|
LISON |
|
Enfin ! Je tiens mon rêve ! Un homme fait de flamme ! |
6+6 |
a |
On aperçoit dans les arbres Gunich au guet, caché par l’ombre du bois. |
|
|
LISON, |
maintenant effrayée. |
Avec une révérence tremblante. |
|
Je viens combler tes vœux. Monseigneur Satan… |
|
|
|
GALLUS, |
à part. |
|
Je viens combler tes vœux. Monseigneur Satan… Peste ! |
6+6 |
a |
|
C’est plus que je n’osais│espérer. |
|
|
|
LISON, |
éperdue. |
|
C’est plus que je n’osais espérer. Oui. Non. Si ! |
6+6 |
a |
|
Mais je suis toute nue,│et c’est plein d’yeux ici. |
6+6 |
a |
Un manteau de velours pourpre lui tombe sur les épaules.
C’est le nègre qui lui met ce manteau. |
|
|
|
|
|
LISON, |
effarouchée. |
|
Sois ma maîtresse. Moi !│ |
|
|
|
GALLUS, |
souriant. |
|
Sois ma maîtresse. Moi ! D’école. Belle, il sied |
6+6 |
a |
200 |
D’expliquer tout. Ce nègre│est mon valet de pied. |
6+6 |
a |
|
J’ai toujours avec moi│ma musique de chambre, |
6+6 |
a |
|
Et, même dans les bois,│je fais brûler de l’ambre. |
6+6 |
a |
Il montre la fumée d’encens dans les arbres. |
|
De là vient cette odeur│de sainteté. Ce nain, |
6+6 |
a |
|
Diabolique à peu près,│tant il est féminin, |
6+6 |
a |
205 |
Est un de mes laquais.│J’ai de plus dans ma suite |
6+6 |
a |
|
Un rimeur qui me dit│la messe, étant jésuite ; |
6+6 |
a |
|
Ce maroufle est chargé│de me faire mes vers. |
6+6 |
a |
|
J’en fais moi-même aussi│parfois. J’ai pour travers |
6+6 |
a |
|
De rire, et de vouloir│qu’autour de moi l’on rie. |
6+6 |
a |
210 |
Je me fabrique un peu│d’aurore et de féerie. |
6+6 |
a |
|
Je voyage en nabab│de l’Inde, et mes fourgons, |
6+6 |
a |
|
Que Médée aurait fait│traîner à ses dragons, |
6+6 |
a |
|
Contiennent en décors│de quoi jouer Armide ; |
6+6 |
a |
|
Je ne suis pas méchant,│mais ne suis pas timide. |
6+6 |
a |
215 |
Qu’on nous donne un hallier,│de l’ombre, et cætera, |
6+6 |
a |
|
Et nous improvisons│d’emblée un opéra. |
6+6 |
a |
|
Je suis riche, et j’ai pu,│grâce à mes viles piastres, |
6+6 |
a |
|
Te mettre sur la tête│une coiffure d’astres, |
6+6 |
a |
|
O belle, et te rouler│une rivière au cou. |
6+6 |
a |
220 |
C’est là le réel. Point│de rêve. Rien de fou, |
6+6 |
a |
|
Tout est simple, et la fable│en vérité s’achève. |
6+6 |
a |
|
LISON, |
comme somnambule et l’œil égaré. |
|
Ce réel est déjà│très joli comme rêve. |
6+6 |
a |
|
|
LISON |
|
Comment t’appelles-tu ? Monseigneur… |
|
|
|
|
LISON, |
revenant peu à peu à la réalité. — À part. |
|
Mains qui doivent haïr le vil travail. Pas jeune. |
6+6 |
a |
|
Ce n’est pas encor ça.│ |
|
|
Le regardant en dessous. |
|
Ce n’est pas encor ça. Tout doré. De beaux yeux. |
6+6 |
a |
240 |
Plus de jeunesse avec│moins de dorure est mieux. |
6+6 |
a |
|
Mais il a l’air d’avoir│bien de l’esprit. |
|
|
|
|
|
|
LISON |
|
Comment sais-tu cela ? Je l’ai lu dans les livres. |
6+6 |
c |
|
|
LISON |
260 |
Un certain air lettré… Lire ! Est-ce donc mauvais ? |
6+6 |
a |
|
|
|
GUNICH, |
en observation au fond du théâtre. À part. |
270 |
Bon détail. Je mettrai│ce mot dans ma brochure |
6+6 |
a |
|
Sur les femmes. |
|
|
|
GALLUS, |
à Lison. |
|
Sur les femmes. Tu n’as│toujours pas dit ton nom. |
6+6 |
a |
|
|
|
|
|
LISON |
se regardant dans le miroir. À part. |
280 |
Oh ! Comme je suis belle│avec ces choses-là ! |
6+6 |
a |
À GALLUS |
|
Monsieur ! Reprenez tout !│ |
|
|
|
GALLUS |
|
Monsieur ! Reprenez tout ! Pourquoi ? |
|
|
|
LISON |
|
Monsieur ! Reprenez tout ! Pourquoi ? C’était pour rire, |
6+6 |
a |
|
N’est-ce pas ? |
|
|
|
|
|
GALLUS |
|
Que je dois aujourd’hui me marier. Parbleu, |
6+6 |
a |
|
Tu peux… |
|
|
|
LISON |
|
Tu peux… Dites-moi vous.│ |
|
|
|
GALLUS |
285 |
Tu peux… Dites-moi vous. Madame la marquise, |
6+6 |
a |
|
Vous pouvez… |
|
|
|
LISON |
|
Vous pouvez… Laissez-moi !│Je suis la pauvre Lise. |
6+6 |
a |
On entend un bruit de violons et le claquement d’un fouet dans la route d’en haut. |
|
|
LISON |
|
Votre voiture vient. Cette charrette ! |
|
|
|
GALLUS |
|
Votre voiture vient. Cette charrette ! À moins |
6+6 |
a |
|
Que vous ne préfériez│celle-ci. |
|
|
Paraît la voiture dorée à quatre chevaux revenant dans la route basse
par le côté d’où elle est sortie. |
|
GUNICH, |
au duc. Du fond du théâtre. |
|
Que vous ne préfériez celle-ci. Sans témoins |
6+6 |
a |
|
Fuir serait aisé. |
|
|
|
LISON, |
à gallus. |
|
Fuir serait aisé. Mais…│— à qui donc ce carrosse ? |
6+6 |
a |
|
|
LISON |
|
À vous ! À moi ! |
|
|
Le carrosse s’arrête. Gunich ouvre la portière.
Gallus abat le marche-pied et y fait monter Lison éperdue. |
|
GALLUS |
290 |
À vous ! À moi ! Viens, c’est…│ta voiture de noce ! |
6+6 |
a |
|
Tous sont dans le carrosse. La portière est refermée. Le carrosse part. Au moment
où il sort, entre dans la route haute, du côté opposé, la charrette traînée par l’âne.
On aperçoit dedans un groupe en tête duquel on voit Harou en habits de marié,
avec un gros bouquet, et deux violoneux qui jouent du violon. |
|
|
ACTE DEUXIÈME
LA MARQUISE ZABETH |
PERSONNAGES
GALLUS.
ZABETH.
LE BARON GUNICH.
LE DUC DE CRÉQUI.
LE DUC DE MONTBAZON.
LE MARQUIS DE COCHEFILET.
LE VICOMTE DE THOUARS.
LORD EFFINGHAM.
L’ABBÉ.
LE DOCTEUR.
SILLETTE,
fille de chambre.
NANTAIS,
laquais.
GENTILSHOMMES.
SEIGNEURS.
VALETS.
|
— À Paris. — |
Un boudoir avec tous les raffinements du luxe. C’est l’hiver. Feu dans la cheminée.
Au fond une haute et large fenêtre par où l’on voit les arbres d’un parc, noirs et couverts
de givre. Le boudoir est octogone. Aux deux pans coupés du fond, des deux côtés de la
fenêtre, deux grandes portes dorées à deux battants. La porte de droite donne sur les
appartements intérieurs, la porte de gauche donne sur les vestibules et les antichambres.
Sur une crédence, un bouquet de fleurs exotiques rares ; à côté un écrin ouvert, montrant
un fouillis de pierreries, posé sur un plat de vermeil. Sur une assiette de vermeil, un pli
cacheté. |
La cheminée est à droite. En face, à gauche, une porte bâtarde, basse, dorée. |
SCÈNE PREMIÈRE
NANTAIS,
SILLETTE,
PUIS ZABETH.
|
Sillette range. Elle met l’écrin près du bouquet et l’expose très en vue. Nantais
entr’ouvre un battant de la porte de gauche et passe la tête par l’entre-bâillement. On
entend une chanson dans la coulisse et un bruit de guitare. |
|
|
FREDON, |
dans la coulisse. |
|
Laquais de monseigneur, bonjour. Zon zon, Suzon. |
6+6 |
a |
|
|
|
NANTAIS |
300 |
Ton maître va venir ? Moi d’abord. En personne. |
6+6 |
a |
|
Puis lui. — Madame est là ?│ |
|
|
|
SILLETTE |
|
Puis lui. — Madame est là ? J’attends qu’elle me sonne. |
6+6 |
a |
|
Voici divers objets│pour elle. |
|
|
Elle montre la crédence. |
|
Voici divers objets pour elle. Des bouquets. |
6+6 |
a |
|
Des cadeaux. Apportés│par différents laquais. |
6+6 |
a |
|
|
SILLETTE |
|
Qui fait tous ces présents ? On ne sait. |
|
|
|
NANTAIS |
|
Qui fait tous ces présents ? On ne sait. Tu l’ignores ? |
6+6 |
a |
|
|
NANTAIS |
|
Une main s’ouvre, donne, et se cache. Bravo ! |
6+6 |
a |
|
C’est élégant. Sont-ils│plusieurs ? |
|
|
|
|
|
|
|
SILLETTE |
|
Dort. Madame est rentrée│assez tard, des Bouffons, |
6+6 |
a |
|
D’un bal, qui coûte au duc│mille écus de chiffons, |
6+6 |
a |
320 |
Ou de la comédie,│ou du brelan, que sais-je ? |
6+6 |
a |
|
Elle s’est attablée│avec tout son cortège, |
6+6 |
a |
|
Ayant sur son sofa│son chat et son abbé, |
6+6 |
a |
|
Puis on a voulu boire,│et le punch a flambé, |
6+6 |
a |
|
Elle a soupé, dansé,│que c’est une folie, |
6+6 |
a |
325 |
Elle a tout ce temps-là,│mon cher, été jolie. |
6+6 |
a |
|
Fatigue. Toujours rire,│et vivre au paradis, |
6+6 |
a |
|
Cela vous courbature.│Et le matin, tandis |
6+6 |
a |
|
Qu’elle sommeille, après│ces peines infinies, |
6+6 |
a |
|
Les hommes à madame│offrent des symphonies |
6+6 |
a |
330 |
Qu’elle n’entend pas même ;│ils sont faits pour cela. |
6+6 |
a |
|
NANTAIS |
|
Ces filles-là ! |
|
|
La porte à gauche vient de s’ouvrir. Zabeth paraît ; elle est enveloppée d’un surtout
de satin et de fourrure, et elle a sa faille et son manchon. Elle écoute. |
|
SILLETTE, |
à Nantais. |
|
Ces filles-là ! Silence.│On vient. |
|
|
|
ZABETH, |
à part. |
|
Ces filles-là ! Silence. On vient. Ces filles-là ! |
6+6 |
a |
Haut, à Sillette. |
|
Ma chaise est-elle en bas ?│ |
|
|
|
SILLETTE, |
avec un signe affirmatif. |
|
Ma chaise est-elle en bas ? Sous la porte cochère, |
6+6 |
a |
|
À toute heure elle attend│madame. |
|
|
|
ZABETH |
|
À toute heure elle attend madame. Bien, ma chère. |
6+6 |
a |
|
Surtout n’oubliez pas│mes ordres pour ce soir. |
6+6 |
a |
|
|
ZABETH |
335 |
Tout sera prêt, madame. Ici, dans ce boudoir. |
6+6 |
a |
Nouveau signe d’obéissance de Sillette. Elle présente à Zabeth la lettre sur l’assiette
de vermeil. |
|
ZABETH |
|
Qu’est-ce ? |
|
|
Elle ouvre la lettre. |
|
Qu’est-ce ? Ah ! Des vers ! |
|
|
Elle met la letre dans son manchon. |
|
SILLETTE |
|
Qu’est-ce ? Ah ! Des vers ! Voici│des cadeaux qu’on apporte. |
6+6 |
a |
Zabeth regarde les fleurs et l’écrin avec distraction. |
|
ZABETH |
|
J’ai la migraine. Il faut│qu’une heure ou deux je sorte. |
6+6 |
a |
|
Si le duc vient, je vais│rentrer. |
|
|
À part. |
|
Si le duc vient, je vais rentrer. Ces filles-là ! |
6+6 |
a |
Elle sort par la porte opposée. |
|
NANTAIS, |
écoutant à la porte bâtarde. |
|
Elle part. L’autre arrive.│ |
|
|
La porte bâtarde s’ouvre. Entrent Gallus et Gunich. Gallus en habit de soie
mordorée. Cordon bleu et plaque.
Sur un signe de Gunich, Sillette et Nantais se retirent par la porte du fond à droite. |
|
|
SCÈNE II
NANTAIS,
SILLETTE,
PUIS ZABETH.
|
GALLUS |
|
Elle part. L’autre arrive. Et tu dis donc qu’elle a… |
6+6 |
b |
|
Moi qui ne quitte point│Zabeth… |
|
|
|
GUNICH, |
à part. |
340 |
Moi qui ne quitte point Zabeth… Ce qui m’agace. |
6+6 |
c |
|
|
|
GALLUS |
|
Comme un décor. Combien│de dettes ? |
|
|
|
GUNICH |
|
Comme un décor. Combien de dettes ? Elle achève |
6+6 |
a |
|
Son second million,│je pense. |
|
|
|
GALLUS |
345 |
Son second million, je pense. Bonne élève. |
6+6 |
a |
|
|
GALLUS |
|
Et vous allez garder cette femme ? Morbleu ! |
6+6 |
a |
|
C’est mon chef-d’œuvre. |
|
|
|
GUNICH |
|
C’est mon chef-d’œuvre. Mais…│ |
|
|
|
|
|
GALLUS |
|
Fausse. Elle triche au jeu. Gourmande. |
|
|
|
GUNICH |
|
Fausse. Elle triche au jeu. Gourmande. Elle est goulue. |
6+6 |
a |
|
|
GUNICH |
|
Vaine. Elle est folle. |
|
|
|
GALLUS |
|
Vaine. Elle est folle. Aimant│l’amour. |
|
|
|
GUNICH |
|
Vaine. Elle est folle. Aimant l’amour. C’est Astarté. |
6+6 |
a |
|
|
GUNICH |
|
Prodigue. Elle est avare.│ |
|
|
Gallus le regarde. Il insiste. |
355 |
Prodigue. Elle est avare. Et met l’or de côté. |
6+6 |
a |
|
Ah ! Vous réussissez !│ |
|
|
|
|
|
GALLUS |
|
Tôt ou tard. Je m’amuse,│ô cuistre, à ma façon. |
6+6 |
a |
Il fredonne. |
|
Qu’est-ce en somme que la femme ? |
7 |
a |
365 |
Beaucoup de chair, un peu d’âme, |
7 |
a |
|
Un éden entre-bâillé, |
7 |
a |
|
Un masque, un rêve, une fable, |
7 |
b |
|
Un vaudeville du diable |
7 |
b |
|
Auquel l’homme a travaillé. |
7 |
a |
370 |
Je travaille à Zabeth.│L’outil, c’est la débauche. |
6+6 |
a |
|
Je fais le monstre, moi,│dont Satan fit l’ébauche. |
6+6 |
a |
|
Et plein d’extase, ainsi│que jadis Salomon, |
6+6 |
a |
|
Je regarde sortir│d’une perle un démon. |
6+6 |
a |
|
|
GALLUS |
|
Vous m’avez l’air d’un homme amoureux. Par exemple ! |
6+6 |
a |
|
|
GALLUS |
375 |
Dame ! C’est une idole. Et l’athée à ce temple |
6+6 |
a |
|
Construit par moi, c’est moi.│ |
|
|
|
GUNICH |
|
Construit par moi, c’est moi. Vous vous vantez. |
|
|
|
GALLUS |
|
Construit par moi, c’est moi. Vous vous vantez. Jamais. |
6+6 |
a |
|
Amoureux, moi ! Jamais.│Je rirais, si j’aimais ! |
6+6 |
a |
|
|
|
GUNICH |
|
Un Bartholo ! Moi ! Non.│Céladon. Grand modèle. |
6+6 |
a |
|
|
|
GALLUS, |
haussant les épaules. |
395 |
Sont l’énigme du cœur humain. Idéologue ! |
6+6 |
a |
|
|
|
|
|
|
GALLUS |
|
Au fond, vous la prenez au sérieux. Qui ? Moi ! |
6+6 |
a |
|
J’en ris. |
|
|
|
|
GALLUS |
|
Vous vous cachez. Nella│m’échappant, j’ai pris Lise. |
6+6 |
a |
|
Je chassais, je cherchais│des appas indulgents, |
6+6 |
a |
|
Une charmeuse ayant│pitié des pauvres gens, |
6+6 |
a |
410 |
Un peu libre, un peu folle,│ayant de la clémence. |
6+6 |
a |
|
Tombé sur des vertus│par un hasard immense, |
6+6 |
a |
|
M’étant cassé le nez│juste à l’escarpement |
6+6 |
a |
|
D’une vierge d’acier,│d’ombre et de diamant, |
6+6 |
a |
|
Ayant vu tout à coup,│quand je rêvais la butte |
6+6 |
a |
415 |
Montmartre où dix moulins│font gaîment la culbute, |
6+6 |
a |
|
Surgir avec sa neige│auguste la Yungfrau, |
6+6 |
a |
|
Ayant tiré du sac│ce mauvais numéro, |
6+6 |
a |
|
J’ai dit : je me crois aigle│et lion, je suis âne. |
6+6 |
a |
|
Je me suis rejeté│sur une paysanne |
6+6 |
a |
420 |
Quelconque, fort jolie│et pas bête, ma foi, |
6+6 |
a |
|
Et je l’ai faite reine│en me défaisant roi. |
6+6 |
a |
|
Roman simple ; et j’en suis│au deuxième chapitre. |
6+6 |
a |
Gallus fouille dans le gousset de son gilet, en tire sa tabatière, ne s’aperçoit pas qu’il
vient d’en tirer en même temps un papier, et prend une prise de tabac. Le papier est tombé
à terre. Gunich, en arrière de Gallus, le ramasse, y jette un coup d’œil, et le met
dans sa poche pendant que Gallus éternue et secoue d’une chiquenaude les dentelles de son jabot. |
|
|
|
GUNICH |
|
Faquin ! Le conseiller│d’état, si vous voulez. |
6+6 |
a |
425 |
Je plains les papillons│aux chandelles brûlés. |
6+6 |
a |
|
Je vous vois approcher│d’une flamme hagarde, |
6+6 |
a |
|
Charmante et formidable,│et je dis : prenez garde. |
6+6 |
a |
|
Quelque chose se passe│au fond de votre cœur. |
6+6 |
a |
|
Vous êtes un captif│qui se drape en vainqueur. |
6+6 |
a |
430 |
C’est une maladie│étrange propre aux hommes |
6+6 |
a |
|
Très corrompus, blasés,│exquis, comme nous sommes, |
6+6 |
a |
|
d’idolâtrer avec│dédain, et d’être pris |
6+6 |
a |
|
parfois profondément,│tout en disant : je ris. |
6+6 |
a |
|
L’eau qu’on jette à ce feu│le rallume et l’attise. |
6+6 |
a |
435 |
Est-on jaloux ? Fi donc !│Tendre ? Quelle bêtise ! |
6+6 |
a |
|
Si quelqu’un vous pénètre│et dans votre âme lit, |
6+6 |
a |
|
On se fâche ; on se sent│comme en flagrant délit. |
6+6 |
a |
|
Surtout il ne faut pas│que la belle s’en doute. |
6+6 |
a |
|
Qu’aime-t-on d’elle ? Rien.│Et tout. Sotte, on l’écoute. |
6+6 |
a |
440 |
Grasse, c’est un Rubens ;│maigre, c’est un Watteau. |
6+6 |
a |
|
Don Juan extérieur,│Pyrame incognito, |
6+6 |
a |
|
On se croit libertin.│Point. On est platonique. |
6+6 |
a |
|
On couve en souriant│un vague amour chronique. |
6+6 |
b |
|
On aime l’âme, et non│la chair fragile, on croit |
6+6 |
c |
445 |
N’être que gris, hélas !│On est ivre. L’œil froid |
6+6 |
c |
|
Masque le cœur brûlant.│ |
|
|
|
|
|
|
GUNICH |
|
Rien ne m’enivre. Hum !│ |
|
|
|
GALLUS |
|
Rien ne m’enivre. Hum ! Je suis froid par système. |
6+6 |
a |
|
|
|
GUNICH |
|
Hum ! Tu dis ?… Est-ce un cri│factieux ? Je dis : hum ! |
6+6 |
a |
|
|
|
GALLUS |
|
Pourtant permettez-vous que… Buse, je permets. |
6+6 |
a |
|
|
GALLUS |
|
Et d’abord, tu ne sais│pas même l’alphabet |
6+6 |
a |
|
Du respect. Nomme-la│madame. Elle est au prince. |
6+6 |
a |
|
À moi, qui suis ton maître.│Et maintenant, si mince |
6+6 |
a |
|
Que soit ton intellect,│comprends que, sans déchoir, |
6+6 |
a |
465 |
Je ne puis aimer, moi│qui jette le mouchoir. |
6+6 |
a |
|
Être un Tityre inepte│au fond d’un site agreste, |
6+6 |
a |
|
À d’autres ! N’aimant pas,│je reste moi. Je reste |
6+6 |
a |
|
Le maître. Devenir│amoureux, moi rieur ! |
6+6 |
a |
|
Tu crois que je prendrais│ce rôle inférieur ! |
6+6 |
a |
|
GUNICH, |
ricanant. |
|
Le rôle vous prend. |
|
|
|
GALLUS |
470 |
Le rôle vous prend. Non.│Si bon te semble, certe, |
6+6 |
a |
|
Vieux fou, sois amoureux,│passe aux femmes, déserte. |
6+6 |
a |
|
Moi, point. J’ai pu, le jour│où le dégoût me prit, |
6+6 |
a |
|
Abdiquer comme roi,│mais comme homme d’esprit, |
6+6 |
a |
|
Non pas. Moi, grimacer│l’amour ! Qu’on me lapide. |
6+6 |
a |
475 |
Je vois mes rides, va.│Me crois-tu donc stupide |
6+6 |
a |
|
Jusqu’à m’imaginer│que de jeunes yeux bleus |
6+6 |
a |
|
Planteront là messieurs│les blancs-becs merveilleux |
6+6 |
a |
|
Pour contempler rêveurs│mon gilet de flanelle ! |
6+6 |
a |
|
Ah ! Rien ne change, ami,│la nature éternelle ! |
6+6 |
a |
480 |
Avril sera toujours│par Aurore ébloui. |
6+6 |
a |
|
Matin et renouveau│sont des lieux communs ; oui, |
6+6 |
a |
|
C’est vieux, le lys, c’est vieux,│la rose ; mais qu’importe, |
6+6 |
a |
|
C’est toujours jeune, et l’aube│est toujours la plus forte. |
6+6 |
a |
|
Oui, pour comprendre l’ombre│et les cieux infinis, |
6+6 |
a |
485 |
L’astre et la fleur, Chloé│se penche sur Daphnis, |
6+6 |
a |
|
Oui, Nella cherche George,│oui, les Agnès épellent |
6+6 |
a |
|
Les Chérubins ; jeunesse│et jeunesse s’appellent. |
6+6 |
a |
|
Est-ce toi, printemps ? Dit│la fauvette tout bas. |
6+6 |
a |
|
Il faut les bleus sommets│pour les tendres ébats. |
6+6 |
a |
|
Résignons-nous. Rions.│ |
|
|
|
|
|
|
GALLUS |
495 |
Devant les femmes, non.│L’orgueil du rang est bête. |
6+6 |
a |
|
Pour la femme, un roi passe│après son page. Un duc |
6+6 |
a |
|
Ne vaut point ses laquais,│mon cher, s’il est caduc. |
6+6 |
a |
|
Aucun soleil couchant│n’a droit à l’espérance. |
6+6 |
a |
|
Le sage ne fait pas│aux jeunes concurrence ; |
6+6 |
a |
500 |
Il ne va pas livrer│un sot amour risqué |
6+6 |
a |
|
Aux quolibets des gens│qui flânent sur le quai ; |
6+6 |
a |
|
Il voit son œil s’éteindre│auprès d’un œil qui brille ; |
6+6 |
a |
|
Il s’observe. Devant│n’importe quelle fille, |
6+6 |
a |
|
Devant une catau│de trente sous, on est |
6+6 |
a |
505 |
Allié des Habsbourg│et des Plantagenet, |
6+6 |
a |
|
Landgrave palatin,│duc d’Autriche, infant d’Este, |
6+6 |
a |
|
Prince !… — on voit ses cheveux│blanchir, on est modeste. |
6+6 |
a |
|
|
|
GUNICH |
|
Mais j’ai dix lustres ! Soit.│Bel âge ! |
|
|
|
|
|
GALLUS |
|
Être jeune est le ciel. Rester jeune… Est l’abîme. |
6+6 |
a |
|
Un ridicule à moi !│J’aimerais mieux un crime. |
6+6 |
a |
520 |
Oh ! Qui que vous soyez,│devant Lise ou Ninon, |
6+6 |
a |
|
Tenez-vous bien, soyez│moqueur et fort, sinon |
6+6 |
a |
|
Vous verrez bientôt poindre│une belle hargneuse. |
6+6 |
a |
|
Le méprisant peut seul│braver la dédaigneuse. |
6+6 |
a |
|
Surtout, méfions-nous│des scènes que nous font |
6+6 |
a |
525 |
Ces belles, et des cris,│et de leur art profond |
6+6 |
a |
|
De s’irriter, de fondre│en pleurs, d’être hardies, |
6+6 |
a |
|
Et ne nous laissons pas│prendre à leurs comédies. |
6+6 |
a |
|
Plutôt livrer ma vie│au tigre libyen |
6+6 |
a |
|
Qu’à la femme ! — À propos,│mon anneau, tu sais bien ? |
6+6 |
a |
|
Ma bague empoisonnée ?│ |
|
|
|
|
GALLUS |
|
Qui contient un poison. Un remède infaillible. |
6+6 |
a |
|
|
GALLUS |
|
Eh bien ? Je ne l’ai plus.│ |
|
|
|
GUNICH |
|
Eh bien ? Je ne l’ai plus. Comment ? |
|
|
|
|
|
GALLUS |
535 |
Un ami. Cet anneau│me venait de Ferrare |
6+6 |
a |
|
Dont une Borgia│fut duchesse. On vieillit, |
6+6 |
a |
|
Tu comprends ; le destin│devient un mauvais lit ; |
6+6 |
a |
|
Un vieux beau, c’est un être│absurde et difficile, |
6+6 |
a |
|
D’un côté sensitive│et de l’autre fossile. |
6+6 |
a |
540 |
On sort de l’opéra,│du bal, de chez Mesmer, |
6+6 |
a |
|
De chez le roi de France,│avec le mal de mer. |
6+6 |
a |
|
C’est pour cela, dût-on│n’en jamais faire usage, |
6+6 |
a |
|
Qu’on tient à ces bijoux│sinistres, et qu’un sage, |
6+6 |
a |
|
À tous les biens qu’il a,│qu’il attend, qu’on lui doit, |
6+6 |
a |
545 |
Qu’il espère ou qu’il veut,│joint la mort, bague au doigt. |
6+6 |
a |
|
GUNICH |
|
Un suicide en l’air,│facultatif, possible, |
6+6 |
a |
|
Départ à volonté│pour le monde invisible, |
6+6 |
a |
|
Avoir toujours la clef│du tombeau sous sa main, |
6+6 |
a |
|
Faire, comme un valet,│venir ce noir Demain, |
6+6 |
a |
550 |
Avoir derrière soi│l’éternité qu’on sonne |
6+6 |
a |
|
Et qui paraît : que veut│monseigneur ? — J’en frissonne, |
6+6 |
a |
|
Mais c’est bien agréable,│au fait. |
|
|
|
GALLUS, |
pensif. |
|
Mais c’est bien agréable, au fait. L’empoisonneur |
6+6 |
a |
|
Des bijoux, c’est le sort.│ |
|
|
|
|
GALLUS |
|
Zabeth ! |
|
|
Il hausse les épaules. |
|
Zabeth ! Bah ! |
|
|
|
|
GALLUS |
|
Révélation. Quoi ?│ |
|
|
|
GUNICH, |
s’approchant de la crédence et montrant le bouquet. |
|
Révélation. Quoi ? Voyez-vous ce bouquet ? |
6+6 |
a |
|
|
GUNICH |
|
Oui. De qui ça vient-il ?│ |
|
|
|
|
|
|
GUNICH, |
s’approchant de la fenêtre et montrant le jardin. |
|
Qui veut plaire. En ce parc,│dessiné par Lenôtre, |
6+6 |
a |
|
Tous les matins on joue│une aubade. |
|
|
|
|
|
GALLUS |
|
Quelqu’un tous les jours donne un bouquet. Qui se fane. |
6+6 |
a |
|
|
|
GUNICH |
|
Personne ne connaît leurs noms. Personne, sire, |
6+6 |
a |
|
Excepté moi. |
|
|
|
GALLUS |
|
Excepté moi. Tu dis ?│… |
|
|
|
GUNICH |
|
Excepté moi. Tu dis ?… Excepté moi. |
|
|
|
GALLUS |
|
Excepté moi. Tu dis ?… Excepté moi. Tu crois |
6+6 |
a |
|
Les connaître ? |
|
|
|
GUNICH |
|
Les connaître ? Je peux│les nommer. |
|
|
|
GALLUS |
|
Les connaître ? Je peux les nommer. Tous les trois ? |
6+6 |
a |
|
GUNICH |
|
Tous les trois. Le premier,│le jeune, offrant des roses, |
6+6 |
a |
575 |
C’est vous. L’autre, plus vieux,│donnant ces belles choses, |
6+6 |
a |
|
Ces diamants, c’est vous.│Le troisième, à genoux |
6+6 |
a |
|
Aussi lui, le seigneur│des aubades, c’est vous. |
6+6 |
a |
|
|
GUNICH |
|
Eh bien, après ? C’est vous.│ |
|
|
|
GALLUS |
|
Eh bien, après ? C’est vous. Voilà ta découverte ! |
6+6 |
a |
|
|
|
GUNICH |
|
Niez-vous ? Non. C’est vrai. Qu’en conclut monsieur ? Certe, |
6+6 |
a |
580 |
Que vous êtes, mon prince,│énormément épris. |
6+6 |
a |
|
GALLUS, |
se tenant les côtes. |
|
Ah ! Vraiment, mon baron│est trop bête. Ah ! J’en ris ! |
6+6 |
a |
|
Ah ! Je suis amoureux│parce que je m’ennuie, |
6+6 |
a |
|
Et qu’il me plaît de mettre│un rayon dans la pluie, |
6+6 |
a |
|
Du soleil dans la brume,│un sourire en des yeux |
6+6 |
a |
585 |
Qui, tristes, seraient laids,│et qui sont beaux, joyeux. |
6+6 |
a |
|
C’est mon goût. La beauté,│plus la gaîté ; fleur double. |
6+6 |
a |
|
Ah ! Mon pauvre espion│myope, tu vois trouble. |
6+6 |
a |
|
Ah ! Je suis amoureux│parce que je distrais |
6+6 |
a |
|
Mes cinquante ans à mettre│en relief des attraits |
6+6 |
a |
590 |
Qui, charmants sous des fleurs,│sont exquis sous des perles ! |
6+6 |
a |
|
Parce que le sommeil│des moineaux et des merles |
6+6 |
a |
|
Ne m’est pas à ce point│sacré que dans ce bois |
6+6 |
a |
|
Je ne me glisse avec│des joueurs de hautbois, |
6+6 |
a |
|
Et parce que j’ordonne│à cinq ou six maroufles |
6+6 |
a |
595 |
De faire avec leurs chants,│leurs gammes et leurs souffles, |
6+6 |
a |
|
Flotter un songe d’or│sur de beaux yeux fermés ! |
6+6 |
a |
|
Parce que j’ai le goût│des bouquets embaumés, |
6+6 |
a |
|
Des bijoux envoyés│aux belles, par Hercule, |
6+6 |
a |
|
Je suis un vieux crétin│d’amoureux ridicule ! |
6+6 |
a |
600 |
Je m’amuse, morbleu !│J’ai cette fille-là, |
6+6 |
a |
|
Et j’en fais le motif│d’un éternel gala ! |
6+6 |
a |
|
Mais à qui donc veux-tu│que je donne des roses ? |
6+6 |
a |
|
À toi ? Quand tes gros yeux│collent leurs cils moroses, |
6+6 |
a |
|
Quand tu dors, dois-je aller,│pendant une heure ou deux, |
6+6 |
a |
605 |
Faire de la musique│à tes rêves hideux ? |
6+6 |
a |
|
Faut-il qu’au point du jour│sous tes volets je rôde ? |
6+6 |
a |
|
Dois-je faire couler│la perle et l’émeraude |
6+6 |
a |
|
En rivières autour│de ton vieux cou ridé ? |
6+6 |
a |
|
Dois-je te déclarer│sultane validé ? |
6+6 |
a |
610 |
Ægipans, nymphes, dieux,│ô faunes de Sicile, |
6+6 |
a |
|
Accourez, venez voir│cet immense imbécile ! |
6+6 |
a |
|
Mais pense un peu, voyons,│peux-tu ? Lise a vingt ans, |
6+6 |
a |
|
J’en ai cinquante. Eh bien,│je me masque, et j’entends, |
6+6 |
a |
|
À défaut du bonheur,│fleur que nul ne transplante, |
6+6 |
a |
615 |
Lui faire une nuée│amoureuse et galante. |
6+6 |
a |
|
Personnages du conte :│Angélique et Médor. |
6+6 |
a |
|
Elle est Danaë. Soit.│Moi, pluie et grêle d’or. |
6+6 |
a |
|
Elle est Héro, pensive,│et moi je me ranime |
6+6 |
a |
|
À lui faire rêver│un Léandre anonyme. |
6+6 |
a |
620 |
Trouves-tu qu’être aimable│est au-dessous de moi ? |
6+6 |
a |
|
Trop de distance ! Elle est│goton et je suis roi. |
6+6 |
a |
|
Non, belître. Elle est femme,│et je suis gentilhomme. |
6+6 |
a |
|
Être amoureux ! Jamais.│Non. Mais être économe, |
6+6 |
a |
|
Non plus. Garder son cœur,│dépenser son argent, |
6+6 |
a |
625 |
C’est ma mode. Être aux goûts│d’une femme indulgent ; |
6+6 |
a |
|
Lui faire tous les jours│d’agréables surprises ; |
6+6 |
a |
|
Lui racheter l’ennui│de voir vos mèches grises |
6+6 |
a |
|
Par des bals, des bijoux,│des fleurs ; être courtois ; |
6+6 |
a |
|
Et se taire ; et n’aller│pas crier sur les toits : |
6+6 |
a |
630 |
Mesdames et messieurs,│je suis celui qui paie ! |
6+6 |
a |
|
Faire en somme à la belle│une existence gaie, |
6+6 |
a |
|
Libre, opulente, vive│et jeune, de façon |
6+6 |
a |
|
À se dire : après tout│je suis un bon garçon ! |
6+6 |
a |
|
Voilà l’élégance. Hein ?│ |
|
|
|
GUNICH |
|
Voilà l’élégance. Hein ? Vous êtes à l’escrime |
6+6 |
a |
|
Très fort. |
|
|
|
|
|
GALLUS |
|
Vous me jetez ce mot : buse ! Oui, je le décoche. |
6+6 |
a |
|
GUNICH |
|
Mais il ne faudrait pas│alors de votre poche |
6+6 |
a |
640 |
Laisser tomber ces vers│écrits de votre main. |
6+6 |
a |
Il présente à Gallus le papier que Gallus a laissé tomber, le déploie, et se met à lire. |
|
Sonnet. À Zabeth. |
|
|
Déclamant. |
|
Sonnet. À Zabeth. … Belle│au regard inhumain… |
6+6 |
a |
|
|
GUNICH |
|
Mais lisez, monseigneur.│ |
|
|
Lui montrant le sonnet. |
645 |
Mais lisez, monseigneur. — … Vos appas… vos attraits… — |
6+6 |
a |
|
Donc vous voulez charmer !│Donc vous désirez plaire ! |
6+6 |
a |
Gallus jette le papier au feu. |
|
GALLUS |
|
Tu me feras crever│de joie et de colère. |
6+6 |
a |
|
Tudieu ! Quel animal│réjouissant ! Comment ! |
6+6 |
a |
|
Parce qu’étant poëte,│un peu, suffisamment |
6+6 |
a |
650 |
Pour égaler, si bon│me semble, qui ? Virgile, |
6+6 |
a |
|
Je bâcle un vers ou deux,│je meurs d’amour ! Mais, Gille ! |
6+6 |
a |
|
Un poëte est un être│indifférent, divers, |
6+6 |
a |
|
Qui s’exerce à viser│un cœur avec un vers, |
6+6 |
a |
|
Qui prend pour but d’une ode│une femme quelconque, |
6+6 |
a |
655 |
Et qui, tout en criant :│c’est Vénus dans sa conque ! |
6+6 |
a |
|
C’est Léda sur son cygne !│Hébé ! Turlututu, |
6+6 |
a |
|
Ne veut pas plus charmer│cette femme, vois-tu, |
6+6 |
b |
|
Qu’un archer dans un tir│ne veut tuer la cible. |
6+6 |
c |
|
La cible est en carton.│La femme aussi. L’horrible, |
6+6 |
c |
660 |
C’est d’avoir pour laquais│un baron saugrenu |
6+6 |
b |
|
Tel que toi, marié│jadis, jadis cornu, |
6+6 |
a |
|
Croyant aux vers ! Le vrai│poëte est impassible. |
6+6 |
a |
|
Si les sonnets comptaient,│tout serait impossible. |
6+6 |
a |
|
Être forcé d’aimer,│parce que ça rime ! |
|
|
|
GUNICH |
|
Être forcé d’aimer, parce que ça rime ! Oui. |
6+6 |
a |
|
Au fond, c’est vrai. La rime│est piège. |
|
|
|
|
GUNICH |
|
Zabeth l’a dans les mains ! Mais d’une autre écriture. |
6+6 |
a |
|
Gageons. |
|
|
|
|
|
|
GUNICH |
|
Inaccessible, inex… Pugnable. |
|
|
Souriant et saluant. |
675 |
Inaccessible, inex… Pugnable. Et vulnérable. |
6+6 |
a |
|
|
|
|
|
GALLUS, |
lui tournant le dos. |
|
Prenez garde. Il me prend│pour un de ces benêts |
6+6 |
a |
|
Qui, vu qu’un grand cordon│leur coupe en deux le ventre, |
6+6 |
a |
|
Rêvent de plaire au sphinx│accroupi dans son antre, |
6+6 |
a |
|
À la femme. |
|
|
S’affermissant sur ses talons et regardant Gunich en face. |
|
À la femme. L’amour│pour les niais est bon. |
6+6 |
a |
685 |
Je puis être un vieillard,│mais jamais un barbon. |
6+6 |
a |
|
De Louis quinze vieux│bien souvent nous sourîmes, |
6+6 |
a |
|
Personne ne rira│de moi. Quant à mes rimes, |
6+6 |
a |
|
C’est un jeu, mes bouquets,│de même. Et, fût-on roi, |
6+6 |
a |
|
Il faut avec la femme│enfin qu’on a chez soi, |
6+6 |
a |
690 |
Belle ou non, paysanne,│ou marquise, ou comtesse, |
6+6 |
a |
|
Savoir vivre. De là│mes cadeaux. Politesse. |
6+6 |
b |
|
|
|
GUNICH, |
écoutant à la grande porte de gauche. |
695 |
T’étranglera. J’annonce│un groupe à votre altesse. |
6+6 |
a |
Entre Zabeth, et avec elle une foule de petits jeunes gens, parmi lesquels le duc de
Montbazon, avec le cordon bleu, le duc de Créqui avec la croix de Saint-Louis, Lord
Effingham avec la jarretière, le vicomte de Thouars. Au milieu des jeunes gentilshommes,
un docteur, noir, en perruque ronde. En avant du groupe, un abbé. L’abbé entre le premier,
en dansant et en raclant une guitare. |
|
|
SCÈNE III
LES MÊMES,
ZABETH,
L'ABBÉ
LE DUC DE CRÉQUI,
LE DUC DE MONTBAZON,
LORD EFFINGHAM,
LE MARQUIS DE COCHEFILET,
LE VICOMTE DE THOUARS,
LE DOCTEUR,
SEIGNEURS ET GENTILHOMMES.
|
Tous, en arrivant, saluent Gallus, qui donne la main à quelques-uns. |
L'ABBÉ, |
chantant et dansant. |
|
|
Zabeth en entrant jette sur un fauteuil sa faille et son manchon. Elle tire du manchon
son éventail et le pli que lui a remis Sillette à sa sortie. Gallus la salue d’un signe de
tête, et Gunich d’une profonde révérence. Gallus se met à causer avec le docteur. Les
jeunes gens entourent Zabeth. |
|
|
|
|
LE VICOMTE DE THOUARS |
|
De là ce cordon bleu. J’arrive du sermon. |
6+6 |
a |
|
L’ABBÉ, |
posant la guitare sur un pliant. |
|
Je n’y vais plus. On dit│trop de mal du démon. |
6+6 |
a |
|
On exagère. |
|
|
|
|
ZABETH |
|
Qu’est-ce que c’est que ça,│la vierge d’Orléans ? |
6+6 |
a |
|
|
ZABETH, |
à part. |
|
Vous autres n’êtes pas admises là. Vous autres ! |
6+6 |
a |
|
|
ZABETH |
|
Une vierge ! On n’en voit jamais ! Bah ! Votre épée. |
6+6 |
a |
Le duc de Créqui pirouette dédaigneusement et lui tourne le dos. |
|
LE DUC DE CRÉQUI, |
au vicomte de Thouars. |
|
La Duthé dans un bal│t’a, dit-on, maltraité. |
6+6 |
a |
|
|
ZABETH, |
à part, regardant le baronnet. |
|
Vu que je suis Rohan. Breton du premier ordre. |
6+6 |
a |
|
L'ABBÉ, |
à Zabeth, lui montrant les seigneurs. |
|
Dieu fit vos dents pour rire│et fit les leurs pour mordre. |
6+6 |
a |
|
ZABETH, |
à l’abbé, montrant le duc de Créqui. |
|
D’où vient que ce petit│est duc ? |
|
|
|
|
ZABETH, |
à lord Effingham. |
|
À propos, je reçois│des sonnets. |
|
|
|
LORD EFFINGHAM |
|
À propos, je reçois des sonnets. Des sonnets ! |
6+6 |
a |
|
|
|
ZABETH, |
insistant, à Gallus. |
|
Le duc lui prend sa femme.│ |
|
|
|
GALLUS, |
s’asseyant. |
|
Le duc lui prend sa femme. Eh bien ! Il l’a conquise. |
6+6 |
c |
|
On est très bien assis│dans vos fauteuils, marquise. |
6+6 |
c |
740 |
Dites-moi donc le nom│de votre tapissier. |
6+6 |
b |
Il se tourne vers les petits seigneurs épars et causant autour de lui. |
|
Allons-nous voir ce soir│Brizard officier |
6+6 |
a |
|
En grand prêtre tragique ?│On donne Montezume. |
6+6 |
a |
Il se remet à causer avec le docteur. |
|
LE VICOMTE DE THOUARS, |
au duc de Montbazon. |
Montrant Zabeth. |
|
Nous sommes tous ici│ses amants, je présume. |
6+6 |
a |
|
Le duc ne s’aperçoit│de rien. Vois comme il rit. |
6+6 |
a |
|
LE DUC DE MONTBAZON |
745 |
Il s’aperçoit de tout,│mais il a de l’esprit. |
6+6 |
a |
|
LE DUC DE CRÉQUI, |
au vicomte. |
|
Le crois-tu bête au point│d’aimer cette donzelle ? |
6+6 |
a |
Zabeth prête l’oreille. |
|
ZABETH, |
à part. |
|
Donzelle ! |
|
|
|
|
LE VICOMTE DE THOUARS |
|
Qu’on aime, c’est deux. Mais│d’autres sont fort épris. |
6+6 |
a |
|
LE DUC DE CRÉQUI |
|
Pas lui. |
|
|
|
LE VICOMTE DE THOUARS, |
montrant la crédence. |
|
Pas lui. Vois ces cadeaux.│ |
|
|
|
LE DUC DE CRÉQUI, |
regardant les diamants. |
|
Pas lui. Vois ces cadeaux. L’écrin est d’un grand prix, |
6+6 |
a |
|
Certe ! |
|
|
|
L’ABBÉ, |
flairant le bouquet. |
|
Certe ! En hiver, des fleurs│de serre ! |
|
|
|
ZABETH, |
à Gallus. |
750 |
Certe ! En hiver, des fleurs de serre ! Votre altesse |
6+6 |
a |
|
Est poëte. |
|
|
|
GALLUS |
|
Est poëte. Jamais.│ |
|
|
|
ZABETH, |
lui tendant le pli qu’elle a à la main. |
|
Est poëte. Jamais. Lisez donc ceci. |
|
|
|
GALLUS |
|
Est poëte. Jamais. Lisez donc ceci. Qu’est-ce ? |
6+6 |
a |
Il prend le papier et y jette un coup d’œil. |
|
Des vers. Fi donc ! |
|
|
|
ZABETH |
|
Des vers. Fi donc ! Comment│les trouvez-vous ? |
|
|
|
GALLUS, |
les parcourant négligemment. |
|
Des vers. Fi donc ! Comment les trouvez-vous ? Mauvais. |
6+6 |
a |
|
|
|
ZABETH |
|
Dieu m’en garde. Ces vers│sont jolis. |
|
|
|
GALLUS |
|
Dieu m’en garde. Ces vers sont jolis. Plats. |
|
|
|
ZABETH |
|
Dieu m’en garde. Ces vers sont jolis. Plats. Vous êtes |
6+6 |
a |
|
Contrariant. |
|
|
|
GALLUS |
755 |
Contrariant. Des vers│d’amour sont toujours bêtes. |
6+6 |
a |
L’abbé se remet à flairer les roses de Chine. |
|
L’ABBÉ, |
se retournant vers zabeth. |
|
Beau bouquet ? |
|
|
|
LE DOCTEUR, |
à Zabeth. |
|
Beau bouquet ? Qui vous l’a│donné ? |
|
|
|
ZABETH, |
montrant le bouquet à gallus. |
|
Beau bouquet ? Qui vous l’a donné ? Qu’en dites-vous ? |
6+6 |
a |
|
|
L’ABBÉ, |
admirant les diamants. |
|
Bel écrin ! |
|
|
|
|
GALLUS |
|
Bel écrin ! Je ne sais qui me l’envoie. Un pauvre |
6+6 |
a |
760 |
Évidemment. Écrin│médiocre, et fané. |
6+6 |
a |
|
|
|
ZABETH |
|
Vous offre-t-on toujours une aubade ? Oui. |
|
|
|
|
|
GUNICH, |
à part, observant Gallus. |
|
Il a bien dépisté│Zabeth. |
|
|
|
ZABETH |
770 |
Il a bien dépisté Zabeth. Moi, je déclare |
6+6 |
a |
|
Ces fleurs belles, ces vers│charmants, cet écrin rare. |
6+6 |
a |
|
L’aubade, comme un chant│des anges affaibli, |
6+6 |
a |
|
Me berce, et le matin│m’apporte un peu d’oubli. |
6+6 |
a |
|
C’est anonyme. Soit.│Moi, pour ne rien vous taire, |
6+6 |
a |
775 |
Si je savais qui m’offre,│avec tant de mystère, |
6+6 |
a |
|
Tant de galanterie,│oui, je pourrais… |
|
|
|
GALLUS |
|
Tant de galanterie, oui, je pourrais… Eh bien ? |
6+6 |
a |
|
|
LORD EFFINGHAM |
|
L’aimer. Ils sont plusieurs.│ |
|
|
|
LE DUC DE CRÉQUI |
|
L’aimer. Ils sont plusieurs. Oh ! Cela ne fait rien. |
6+6 |
a |
À Gallus. |
|
Hein ? Si nous savions qui,│les bonnes gorges chaudes ! |
6+6 |
a |
|
GALLUS |
À part. |
|
Comme ils riraient ! — |
|
|
Haut. |
|
Comme ils riraient ! — Les vers,│les fleurs, les émeraudes, |
6+6 |
a |
|
Et les aubades, peuh !│ |
|
|
Il hausse les épaules et pirouette sur ses talons. |
|
|
|
ZABETH |
|
Non. Mais ça m’est égal.│ |
|
|
|
LE DUC DE MONTBAZON, |
à Zabeth. |
|
Non. Mais ça m’est égal. La haine, c’est province. |
6+6 |
a |
|
|
|
LE DUC DE CRÉQUI |
|
De sa boue. |
|
|
Il rit et regarde Zabeth. |
|
LE MARQUIS |
|
De sa boue. Elle entend.│Prends garde. Tu la blesses. |
6+6 |
a |
|
LE DUC DE CRÉQUI |
|
Qu’est-ce que ça me fait,│ces drôlesses ? |
|
|
|
ZABETH, |
aux écoutes, à part. |
|
Qu’est-ce que ça me fait, ces drôlesses ? Drôlesses ! |
6+6 |
a |
Ricanements autour de Zabeth. Gallus fait un signe. Tous s’approchent de lui. Zabeth
reste seule à l’autre coin du boudoir. |
|
GALLUS, |
à demi-voix, au groupe des gentilshommes. |
|
Je n’ai pas le travers,│qu’ont les gens fatigués, |
6+6 |
a |
|
D’empêcher, étant vieux,│les jeunes d’être gais. |
6+6 |
a |
|
Riez. — |
|
|
Au duc de Créqui. |
790 |
Riez. — Pourvu, monsieur│le duc et pair de France, |
6+6 |
a |
|
Que cela n’aille pas│jusqu’à la transparence. |
6+6 |
a |
|
Les femmes ! Y compris│la reine, j’ai souci |
6+6 |
a |
|
De toutes ces margots│autant que de ceci ; |
6+6 |
a |
Il fait claquer ses doigts. |
|
Mais une étant chez moi,│l’on ne doit pas en rire. |
6+6 |
a |
795 |
Nous sommes bons amis.│Je ne trouve à redire |
6+6 |
a |
|
Qu’à de certains clins d’yeux│railleurs. Messieurs, milords, |
6+6 |
a |
|
C’est compris, n’est-ce pas ?│Car, autrement, alors |
6+6 |
a |
|
Il faudrait voir un peu│la pointe des épées. |
6+6 |
a |
Il s’approche de Zabeth et lui montre le paysage nocturne au dehors. |
|
Ah ! Madame, admirez│ces belles échappées |
6+6 |
a |
800 |
De clair de lune au fond│de ces arbres ! La nuit |
6+6 |
a |
|
Est un profond concert│que gâte notre bruit. |
6+6 |
a |
|
Ce monde, l’homme ôté,│serait beau. |
|
|
Il revient vers le groupe des gentilshommes. |
|
Ce monde, l’homme ôté, serait beau. Mais, j’y pense, |
6+6 |
a |
|
Messieurs, la comédie│à huit heures commence. |
6+6 |
a |
|
LE DOCTEUR, |
tirant sa montre. |
|
Neuf heures. |
|
|
|
|
|
|
LE DUC DE MONTBAZON |
|
Je reste. Comme il va│s’ennuyer ! |
|
|
|
LE DUC DE CRÉQUI |
|
Je reste. Comme il va s’ennuyer ! O martyr ! |
6+6 |
c |
|
Tous saluent Gallus et sortent. |
Zabeth va à la cheminée et sonne. La porte de droite s’ouvre à deux battants. Entre
Sillette, suivie de quatre laquais portant une table à deux couverts sur laquelle est servi
un en-cas. Gibier. Vins. Cristaux. Au centre, un surtout de table en vermeil avec deux
girandoles allumées.
Les valets posent la table au centre du boudoir, et placent un fauteuil devant chacun
des couverts qui se font vis-à-vis.
Zabeth fait signe à Sillette et aux valets de sortir. Elle ôte et jette sur un sofa sa pelisse
de soie et de martre, sous laquelle elle est décolletée, avec un collier et des bracelets de
pierreries.
Elle montre à Gallus un des deux fauteuils et s’assied sur l’autre. |
|
SCÈNE IV
GALLUS,
ZABETH.
|
|
ZABETH |
|
Des appas, qui feraient tourner la tête… À qui ? |
6+6 |
a |
|
Pas à vous. |
|
|
|
GALLUS |
|
Pas à vous. Je suis vieux.│Mais ce petit Créqui… |
6+6 |
a |
|
ZABETH |
|
À lui pas plus qu’à vous,│prince. D’ailleurs, qu’importe ! |
6+6 |
a |
815 |
Je crois qu’il vient un peu│de vent par cette porte. |
6+6 |
a |
Elle va à la porte du fond, comme pour s’assurer que personne n’écoute, l’entr’ouvre,
puis la referme.
Gallus prend une bouteille, emplit le verre de Zabeth, puis le sien. Zabeth revient
s’asseoir. |
|
GALLUS, |
regardant le couvert. |
|
Joli dessus de table !│ |
|
|
Il boit tout en examinant l’orfévrerie. |
|
Joli dessus de table ! Oui, j’aime ce sommeil |
6+6 |
a |
|
Des nymphes sous des rocs│sauvages, en vermeil. |
6+6 |
a |
Il prend une pièce de gibier et la découpe. |
|
Le râle de genêt.│Fin gibier. ça patauge |
6+6 |
a |
|
Tout l’été dans le thym,│la lavande, la sauge, |
6+6 |
a |
820 |
La mauve, et ça devient│exquis, surtout avec |
6+6 |
a |
|
La choucroute tudesque│et le bon vieux vin grec. |
6+6 |
a |
Il offre une aile à Zabeth, met de la choucroute dans son assiette et se verse à boire. |
|
Dites-moi, trouvez-vous│ici quelque lacune |
6+6 |
a |
|
Dans l’hôtel, dans la table│ou le service ? |
|
|
|
ZABETH |
|
Dans l’hôtel, dans la table ou le service ? Aucune. |
6+6 |
a |
|
|
|
GALLUS, |
tout en mangeant et tout en servant Zabeth. |
|
Ce tout n’est rien, madame.│Une femme est un être |
6+6 |
a |
|
Charmant parce qu’il est│tremblant, fort éperdu, |
6+6 |
a |
|
Très frêle, et qui doit être│en tout temps défendu |
6+6 |
a |
830 |
Contre tout ce qui peut│d’une ride être cause, |
6+6 |
a |
|
Contre un frisson d’aurore│et contre un pli de rose. |
6+6 |
a |
|
Il faut sur son alcôve│un chant de séraphin, |
6+6 |
a |
|
Le nectar à sa soif,│l’ambroisie à sa faim ; |
6+6 |
a |
|
De nos jours, ce progrès│est goûté de Tartuffe, |
6+6 |
a |
835 |
Le nectar est sauterne│et l’ambroisie est truffe, |
6+6 |
a |
|
Et quant au séraphin,│il s’appelle Grétry. |
6+6 |
a |
|
Des millions ! Sans quoi,│la femme, ange meurtri, |
6+6 |
b |
|
Languit, souffre. Exister,│madame, est nécessaire. |
6+6 |
c |
|
Il faut tuer le temps│qui nous tient dans sa serre ; |
6+6 |
c |
840 |
Donc des plaisirs ; toujours,│sans trêve, hier, aujourd’hui ; |
6+6 |
b |
|
On ne saurait percer│de trop de coups l’ennui. |
6+6 |
a |
|
Avoir froid est ignoble ;│avoir faim est étrange ; |
6+6 |
a |
|
Pourtant, dans un plat d’or,│sans ridicule on mange ; |
6+6 |
a |
|
Et si la cheminée│est un bijou charmant |
6+6 |
a |
845 |
Du plus beau marbre, on peut│s’y chauffer décemment. |
6+6 |
a |
|
La vie enfin doit presque│être un conte de fée. |
6+6 |
a |
|
Je la veux de chansons│et de joie étoffée ; |
6+6 |
a |
|
Phébus, si cet orchestre│à ma guise marchait, |
6+6 |
a |
|
Ne serait pas de trop│pour en tenir l’archet. |
6+6 |
a |
850 |
Morbleu ! Je n’entends pas│que l’ennui vous assomme. |
6+6 |
a |
|
Je vous protège, moi.│Marquise, un galant homme |
6+6 |
a |
|
Prend une femme en gré,│sans être un songe-creux, |
6+6 |
a |
|
Sans être pour cela│forcé d’être amoureux, |
6+6 |
a |
|
Et, gaîment, au-dessus│des misères, l’enlève. |
6+6 |
a |
855 |
Les besoins de la vie│et les besoins du rêve |
6+6 |
a |
|
Se tiennent ; c’est la robe│avec le falbala. |
6+6 |
a |
|
J’ai tâché de comprendre│à peu près tout cela, |
6+6 |
a |
|
Et je prétends, c’est là│ma façon d’être tendre, |
6+6 |
a |
|
Vous préserver de tout│et de tout vous défendre. |
6+6 |
a |
|
ZABETH, |
regardant Gallus fixement. |
|
Désirez-vous savoir│la vérité ? |
|
|
|
GALLUS |
860 |
Désirez-vous savoir la vérité ? Fort peu. |
6+6 |
a |
|
|
GALLUS |
|
Je vous ruine. Après ?│ |
|
|
|
ZABETH |
|
Je vous ruine. Après ? Je vous trompe. |
|
|
|
GALLUS |
|
Je vous ruine. Après ? Je vous trompe. Parbleu ! |
6+6 |
a |
Il découpe une aile de perdrix et l’offre à Zabeth. |
|
Des amants, c’est de droit.│Moi, par-dessus la tête |
6+6 |
a |
|
J’en aurais, si j’étais│femme, et, comme c’est bête ! |
6+6 |
a |
|
Ça n’empêcherait pas│que je n’aime quelqu’un. |
6+6 |
a |
865 |
Trompez-moi. Je n’ai pas│le goût d’être importun |
6+6 |
a |
|
Et jaloux, ni le temps│d’être amoureux et fade. |
6+6 |
a |
|
Et ruinez-moi. J’aime│avoir une naïade, |
6+6 |
a |
|
Une femme, chez moi,│qui, d’un air négligent, |
6+6 |
a |
|
Penche l’urne d’où coule│à grands flots mon argent. |
6+6 |
a |
|
ZABETH |
870 |
Monseigneur, vous m’avez│de vos bienfaits comblée. |
6+6 |
a |
|
Une pauvre âme fauve│aux bois obscurs mêlée, |
6+6 |
a |
|
C’était moi. Je vivais│dans des lieux inconnus, |
6+6 |
a |
|
Misérable, et j’étais│une fille pieds nus ; |
6+6 |
a |
|
On m’avait par pitié│fait lire une grammaire ; |
6+6 |
a |
875 |
Comme je n’avais plus│mon père ni ma mère, |
6+6 |
a |
|
Et que je travaillais│beaucoup pour gagner peu, |
6+6 |
a |
|
J’étais parfois sans pain,│j’étais souvent sans feu, |
6+6 |
a |
|
Et je n’avais pas même│un miroir. Un jour, sire, |
6+6 |
a |
|
Vous vîntes. Vous m’avez,│duc, avec un sourire, |
6+6 |
a |
880 |
Prise en une cabane│et mise en un palais. |
6+6 |
a |
|
Tout à coup j’eus des gens,│des femmes, des valets, |
6+6 |
a |
|
Je vis vers moi monter,│avec un bruit de joie, |
6+6 |
a |
|
Moi, fille de la bure,│un flot d’or et de soie, |
6+6 |
a |
|
Un océan d’azur,│de perles, de saphirs ; |
6+6 |
a |
885 |
Et j’eus à mon service│avril et les zéphirs |
6+6 |
a |
|
Et l’aurore, et l’éden,│avec tout ce qui tente |
6+6 |
a |
|
Et charme, et je devins│une femme éclatante. |
6+6 |
a |
|
Aujourd’hui, vous m’avez│dorée en me touchant. |
6+6 |
a |
|
Loge à la comédie│et carrosse à Longchamp, |
6+6 |
a |
890 |
J’ai tout, et, comme au fond│du ciel noir, dans les boucles |
6+6 |
a |
|
De mes cheveux on voit│luire des escarboucles ; |
6+6 |
a |
|
Je suis superbe, grâce│à vous ; je resplendis, |
6+6 |
a |
|
Je brille, je suis riche.│— |
|
|
Elle se lève. |
|
Je brille, je suis riche. — Eh bien, je vous maudis ! |
6+6 |
a |
|
|
ZABETH |
895 |
Que veut dire ceci ? L’âme en tombant s’éclaire. |
6+6 |
a |
|
Ah oui, contre la faim,│le froid, vous l’avez dit, |
6+6 |
a |
|
Contre tout ce qui presse,│étreint, froisse, engourdit |
6+6 |
a |
|
Les indigents sur qui│tourbillonne la neige, |
6+6 |
a |
|
Une barrière d’or│me couvre et me protège ; |
6+6 |
a |
900 |
Vous m’entourez de soins,│duc, n’importe à quel prix, |
6+6 |
a |
|
Et vous me préservez│de tout. — Hors du mépris ! |
6+6 |
a |
|
|
|
|
ZABETH |
905 |
Je ne puis l’empêcher. C’est vous qui l’avez fait. |
6+6 |
a |
|
|
ZABETH |
|
Charmantes. La drôlesse│insultera les drôles. |
6+6 |
a |
Se tournant vers la porte par où tous sont sortis. |
|
Où sont-ils, ces faquins ?│Ah ! Vil groupe rieur ! |
6+6 |
a |
À GALLUS |
|
Savez-vous ce qu’il faut│à la femme, monsieur ? |
6+6 |
a |
910 |
C’est l’amour. Je n’ai pas│ce pain sacré de l’âme, |
6+6 |
a |
|
Et je me sens haïe│et je me vois infâme. |
6+6 |
a |
|
Soyez maudit. |
|
|
Gallus s’accoude sur la table et la considère avec attention. Elle poursuit. |
|
Soyez maudit. Ces ducs,│ces princes, ces marquis ! |
6+6 |
a |
|
Tous ! Ils sont monstrueux,│à force d’être exquis ! |
6+6 |
a |
|
Ils me glacent. Ils sont│joyeux de quoi ? De haine. |
6+6 |
a |
915 |
Ils ont la liberté│féroce ; j’ai la chaîne. |
6+6 |
a |
|
Ils ont une patrie,│eux, c’est l’immense azur, |
6+6 |
a |
|
C’est le ciel. Dans la nue│ils marchent d’un pied sûr. |
6+6 |
a |
|
Ils sont comme des dieux.│On me mêle à la fête. |
6+6 |
a |
|
J’y vais. J’ai l’air d’en être.│Et tout luit sur ce faîte, |
6+6 |
a |
920 |
tout chante. C’est à qui│rira, boira, vivra. |
6+6 |
a |
|
Marquis, que donne-t-on│ce soir à l’Opéra ? |
6+6 |
a |
|
Veux-tu souper ? Dansons.│Mille louis. Je joue. |
6+6 |
a |
|
Belle, la rose est pâle│auprès de votre joue. |
6+6 |
a |
|
Festins. Chasses. On a│des lilas en janvier. |
6+6 |
a |
925 |
On va droit au plaisir│sans jamais dévier. |
6+6 |
a |
|
De l’assouvissement│on fait sa destinée, |
6+6 |
a |
|
Et je suis la proscrite,│et je suis la damnée ! |
6+6 |
a |
|
Vous savez bien, les loups│et les tigres des bois, |
6+6 |
a |
|
Je les préfère à vous│les hommes. |
|
|
|
GALLUS, |
à part. |
|
Je les préfère à vous les hommes. C’est, je crois, |
6+6 |
a |
|
Sérieux. |
|
|
|
ZABETH |
930 |
Sérieux. Pas d’amour│et pas d’espoir ! Je souffre. |
6+6 |
a |
|
J’ai dans le cœur le vide│et dans l’âme le gouffre. |
6+6 |
a |
|
Monseigneur ! Monseigneur !│Que vous avais-je fait ? |
6+6 |
a |
|
Ah ! L’auguste et profond│soleil me réchauffait, |
6+6 |
a |
|
Ah ! J’avais l’innocente│aurore pour ivresse ! |
6+6 |
a |
935 |
Ah oui, c’est vrai, d’accord,│j’étais une pauvresse, |
6+6 |
a |
|
Et parmi les vivants,│et sous le grand ciel bleu, |
6+6 |
a |
|
Et dans tout l’univers,│je n’avais rien, — que Dieu ! |
6+6 |
a |
|
Je ne l’ai plus. Abîme !│Oui, j’avais pour ressource |
6+6 |
a |
|
De cueillir une mûre│et de boire à la source, |
6+6 |
a |
940 |
J’étais libre, et j’avais│pour ami le rocher. |
6+6 |
a |
|
Quelle idée eûtes-vous│de venir me chercher ? |
6+6 |
a |
|
Ce Gunich vous aida,│votre digne ministre. |
6+6 |
a |
|
Vous fîtes ce jour-là,│prince, un complot sinistre |
6+6 |
a |
|
Contre l’inconnu. Mettre│un piège dans les cieux ! |
6+6 |
a |
945 |
Saisir une âme au vol│pour lui crever les yeux ! |
6+6 |
a |
|
Ah ! Ce qu’on tue au ciel,│pour l’enfer on le crée. |
6+6 |
a |
|
O monseigneur, j’étais│l’ignorance sacrée. |
6+6 |
a |
|
Qu’avez-vous fait de moi ?│L’aveugle, mal conduit, |
6+6 |
a |
|
Maudit son guide traître.│Hélas ! J’étais la nuit, |
6+6 |
a |
950 |
Et vous avez été│la mauvaise lumière. |
6+6 |
a |
|
Vous fûtes l’incendie,│et j’étais la chaumière. |
6+6 |
a |
|
Sans doute je penchais│vers la faute, mettons |
6+6 |
a |
|
Que j’étais coquette, oui,│mais j’étais à tâtons, |
6+6 |
a |
|
J’hésitais, un conseil│honnête m’eût sauvée. |
6+6 |
a |
955 |
Ah ! Duc ! Vous m’avez fait│une affreuse arrivée |
6+6 |
a |
|
Dans la chute par l’âcre│et fausse ascension, |
6+6 |
a |
|
Et par l’enivrement│dans la perdition ! |
6+6 |
a |
|
Oui, j’étais l’alouette.│Est-ce un crime ? Hélas, être, |
6+6 |
a |
|
Moi la pauvre aile folle,│et vous le miroir traître, |
6+6 |
a |
960 |
Ce fut notre destin.│Moi, vaine et sans effroi ; |
6+6 |
a |
|
Vous, sans frein, et frivole !│à quoi bon être roi |
6+6 |
a |
|
Si l’on n’a dans le cœur│quelque haute chimère ? |
6+6 |
a |
|
Duc, laissant, au-dessus│du vil peuple éphémère, |
6+6 |
a |
|
Votre esprit souverain│flotter dans l’absolu, |
6+6 |
a |
965 |
Vous rêviez un grand rêve,│altesse ; il vous a plu |
6+6 |
a |
|
D’essayer de jeter│une âme dans ce moule ; |
6+6 |
a |
|
Devant les yeux d’un roi│l’infini se déroule ; |
6+6 |
a |
|
Créer, rien n’est plus beau ;│vous avez, duc féal, |
6+6 |
a |
|
Voulu réaliser│enfin cet idéal, |
6+6 |
a |
970 |
Ce but noble où le cœur│d’un grand prince s’applique, |
6+6 |
a |
|
Et c’est pourquoi je suis│une fille publique. |
6+6 |
a |
|
Un, c’est le paradis,│et l’enfer c’est plusieurs. |
6+6 |
a |
|
Qu’est-ce que j’avais fait,│ciel juste, à ces messieurs ! |
6+6 |
a |
|
J’ignorais ; ils savaient.│Un jour, tremblante, nue, |
6+6 |
a |
975 |
Je me suis vue au fond│de l’opprobre, ingénue ! |
6+6 |
a |
|
Ah ! C’est un crime, c’est│un sombre outrage à Dieu, |
6+6 |
a |
|
Ah ! C’est l’assassinat│d’une âme, et c’est un jeu ! |
6+6 |
a |
|
Jusqu’à quel point c’est noir,│vous l’ignorez vous-même ! |
6+6 |
a |
|
On ne sait pas toujours│quel est le grain qu’on sème. |
6+6 |
a |
980 |
On s’imagine avoir│le droit de s’amuser, |
6+6 |
a |
|
Et que, puisqu’on nous dore,│on peut bien nous briser ! |
6+6 |
a |
|
Vous n’êtes pas méchant│pourtant, mais vous vous faites |
6+6 |
a |
|
De nos chutes à nous,│tristes femmes, des fêtes ! |
6+6 |
a |
|
Ah ! La fille du peuple│est prise, et le seigneur |
6+6 |
a |
985 |
L’emporte, éblouissant│et louche suborneur, |
6+6 |
a |
|
Et les voilà tous deux│dans la même nuée. |
6+6 |
a |
|
Folle, et sa chevelure│éparse et dénouée, |
6+6 |
a |
|
La malheureuse rit,│et lui l’entraîne au fond |
6+6 |
a |
|
D’une ombre où le démon│avec Dieu se confond, |
6+6 |
a |
990 |
Et l’on s’enivre, ensemble│on s’égare, et l’on erre, |
6+6 |
a |
|
Et de ce noir baiser│sort un coup de tonnerre ! |
6+6 |
a |
|
L’atome, on peut marcher│dessus. Non. Je crierai. |
6+6 |
a |
|
Duc, vous êtes le char│du triomphe doré, |
6+6 |
a |
|
Mais savez-vous de quoi│vous êtes responsable ? |
6+6 |
a |
995 |
C’est de l’écrasement│du pauvre grain de sable. |
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Il cassera ce char│dont l’orgueil est l’essieu. |
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La prostitution,│c’est l’hymen malgré Dieu. |
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Vous n’avez vu dans moi│qu’une esclave qui ploie, |
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Une chair misérable,│un vil spectre de joie, |
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1000 |
Acceptant ce veuvage│éternel, l’impudeur. |
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Vous vous êtes trompé,│monsieur. J’étais un cœur. |
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Ah ! Vous le croyez donc,│vous avez fait ce songe |
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D’être ma providence,│et moi je dis : mensonge ! |
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Vous m’avez tout donné ?│Vous m’avez tout volé ! |
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1005 |
Vous m’avez pris l’honneur,│le nom immaculé, |
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Le droit aux yeux baissés,│la paix dans la prière, |
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Et la gaie innocence,│et cette extase fière |
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De pouvoir confronter,│quel que soit le destin, |
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Sa conscience avec│l’étoile du matin ! |
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1010 |
Vous m’avez pris la joie│et donné l’ironie. |
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Duc, j’avais le sommeil,│je vous dois l’insomnie. |
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Mon père, ma mère ! Oh !│J’y songe avec remords, |
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Et je sens la rougeur│venir au front des morts. |
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Vos bienfaits, vos bontés,│prince, sont des sévices ; |
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1015 |
vos dons sont des soufflets.│Qu’est-ce que j’ai ? Des vices. |
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Par ces hideux passants│mon cœur sombre est troublé. |
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ZABETH |
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Mais… Oh ! Sarcler dans l’herbe !│Oh ! Glaner dans le blé ! |
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M’éveiller, m’en aller,│sereine et reposée, |
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c |
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L’âme dans la candeur,│les pieds dans la rosée, |
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c |
1020 |
J’avais cela ! J’avais│la sainte pauvreté ! |
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b |
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Maintenant je vois croître│autour de moi, l’été, |
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L’hiver, sans fin, sans cesse,│un luxe énorme, étrange, |
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Fait de plaisir, de pourpre│et d’orgueil, — et de fange ! |
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a |
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Je n’ai plus rien, je râle,│et tout me manque enfin ! |
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1025 |
Le mépris, c’est le froid ;│l’estime, c’est la faim. |
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a |
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Je dois cette indigence│à vos tristes manœuvres, |
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Monseigneur. |
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Elle arrache ses parures. |
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Monseigneur. O colliers│et bracelets, couleuvres ! |
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a |
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O diamants hideux│et vils ! Joyaux méchants ! |
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Bijoux traîtres ! |
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Elle les foule aux pieds. |
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Bijoux traîtres ! Où donc│êtes-vous, fleurs des champs ? |
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Se retournant vers Gallus. |
1030 |
Mais, direz-vous, avoir│ce lourd fermier pour maître |
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M’eût froissée, et j’aurais│eu quelque amant ? Peut-être ! |
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J’eusse pu rencontrer,│oui, pourquoi le nier ? |
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Quelque âpre aventurier│des bois, un braconnier, |
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Que sais-je ? Un voleur ! Oui,│dans l’antre et dans l’ortie, |
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1035 |
Un homme commençant,│prince, une dynastie, |
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Un bandit, le fusil│sur l’épaule, un rôdeur |
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Demandant aux monts noirs,│pleins d’ombre et de grandeur, |
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b |
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Aux bois, où le soleil│dans l’or sanglant se couche, |
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Une épouse, et j’aurais│pris cette âme farouche, |
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c |
1040 |
Et j’aurais laissé prendre│à cette âme mon cœur ! |
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b |
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Il eût été mon chêne│et j’eusse été sa fleur. |
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a |
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Et je vivrais ainsi,│pauvre avec l’homme sombre, |
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Habitant le hallier,│la fuite, le décombre, |
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Aussi hors de la loi│que l’aigle et le vautour, |
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1045 |
Nue, en haillons, sans gîte…│— Eh bien ! J’aurais l’amour ! |
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Et j’entendrais peut-être│en cette vie amère |
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Une petite voix│qui me dirait : ma mère ! |
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Et mon voleur aurait│de l’estime pour moi. |
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Il serait tendre et bon,│n’étant pas encor roi, |
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1050 |
Et nous serions tous deux│honnêtes l’un pour l’autre. |
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Tenez, duc, et voyez│quelle soif est la nôtre ! |
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a |
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Vous êtes prince et vieux,│deux choses que je hais, |
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Eh bien, pourtant peut-être,│hélas ! Nos vains souhaits |
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Gardent au fond de l’ombre│une porte fermée, |
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1055 |
Je vous aurais aimé│si vous m’aviez aimée ! |
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ZABETH |
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Mais que voulez-vous donc ? Dites-le ! Ne plus vivre. |
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Elle tire de son sein quelque chose qu’elle approche de ses lèvres. |
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ZABETH |
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Qu’a-t-elle dans la main ? Grand Dieu ! Ce qui délivre. |
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a |
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Une nuit, vous étiez│ivre, usage des grands. |
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Je vous ai pris ceci.│ |
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Elle montre à Gallus une bague. |
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GALLUS |
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Je vous ai pris ceci. L’anneau ! |
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Zabeth mord vivement le chaton, et, pâle, tend l’anneau à Gallus. |
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ZABETH |
1065 |
Je vous ai pris ceci. L’anneau ! Je vous le rends. |
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GALLUS, |
se jetant à ses pieds. |
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Personne ne m’aima. Je meurs. Je t’adorais ! |
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