Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
HUG_23/HUG1019
Victor HUGO
LES QUATRE VENTS DE L'ESPRIT
1881
II
LE LIVRE DRAMATIQUE
— LA FEMME —
LES DEUX TROUVAILLES DE GALLUS
I
MARGUARITA
COMÉDIE
PERSONNAGES
LE DUC GALLUS.
NELLA.
GEORGE.
LE BARON GUNICH, chambellan.
LE BARON D'HOLBURG, soldat.
— En Souabe. 17.. —
Un burg dans une forêt. Intérieur de la grande salle du rez-de-chaussée. Aspect de ruine. Le dénûment rustique mêlé au délabrement seigneurial. De vieilles statues dans des niches, de l’herbe dans le pavé. Dans les coins, des débris. Une table de chêne. Des chaises de bois. Vaisselle d’étain et grosse poterie sur une planche. Coffres le long des murs. Près de la table, sur un bahut de paysan, des in-folio reliés en parchemin. Un ou deux sont ouverts. Dans l’angle à gauche, sous une voussure en ogive, un enfoncement fermé d’une porte à deux volets. À droite, sur le devant, la tourelle de l’escalier en spirale qui mène aux étages d’en haut. Cette tourelle est contiguë à la muraille. La porte de la tourelle s’ouvre sur le devant du théâtre. On en voit les premières marches. Le mur de la tourelle est percé de petites fenêtres longues et étroites. Au fond une grande porte, tout ouverte, donnant sur la forêt. Fenêtres démantelées. Volets descellés. Çà et là des vitres cassées.
SCENE PREMIERE
LE DUC GALLUS, GUNICH.
Ils entrent par la porte du fond. Le duc, élégant, beau, grisonnant, environ cinquante ans, avec la prétention de n’en paraître que quarante. Il a un pardessus de voyage. Gunich est vieux.
LE DUC GALLUS
Que sais-tu d’elle ?
GUNICH
Rien.— Son nom, c’est tout. Nella. 6+6 a
LE DUC GALLUS
Tes talents d’espionont été jusque-là ! 6+6 a
Il regarde autour de lui le délabrement.
Donc, c’est dans ce taudisqu’habite cette fille ! 6+6 b
GUNICH
Avec son père.
LE DUC GALLUS
Seuleen ce burg !
GUNICH
Sans famille. 6+6 b
LE DUC GALLUS
Elle a tous les attraits,me dis-tu.
GUNICH,
saluant.
5 Réunis. 6+6 a
LE DUC GALLUS
Le plus beau des oiseauxdans le plus laid des nids ! 6+6 a
Regardant dans la salle.
Personne.
Il frappe du pied sur le pavé et heurte le marteau sur la porte.
On ne vient pas.Entrons.
Ils avancent de quelques pas. Il hausse la voix et appelle.
À la boutique ! 6+6 b
Silence et solitude dans le burg.
Le duc Gallus regarde de toutes parts si personne ne paraît. Gunich le suit jusque sur le devant du théâtre.
GUNICH
Souffrez que je vous parleun moment politique. 6+6 b
Altesse, en attendant,votre neveu grandit. 6+6 a
LE DUC GALLUS
10 Il ne me gêne point,puisqu’il reste inédit. 6+6 a
GUNICH
Ces complicationssont fâcheuses en somme. 6+6 b
Moi, j’eusse, monseigneur,supprimé le jeune homme. 6+6 b
Tout ou rien. Pourquoi faireune chose à demi ? 6+6 a
LE DUC GALLUS
Et l’adoucissementdes mœurs, mon cher ami ! 6+6 a
15 On prend une couronne,et l’on n’est pas hostile. 6+6 b
Mon frère laisse un fils.Tuer l’enfant ! Vieux style. 6+6 b
Fi ! C’est de mauvais gt.On usurpe aujourd’hui 6+6 a
Avec indulgence.
GUNICH
Humpf !
LE DUC GALLUS
Mon frère mort, l’ennui 6+6 a
Me prit. Être sujetd’un marmot, c’était rude ; 6+6 b
20 Je fis je ne sais plustrop quelle platitude 6+6 b
À Kaunitz, et je fusreconnu duc régnant. 6+6 a
Je me débarrassaidu mioche en l’éloignant. 6+6 a
Dans ces bois, comme filsd’un vieux mtre de forge, 6+6 b
Je l’ai fait élever.C’est l’étudiant George. 6+6 b
25 Point de dégât. J’ai misdans ces monts, purs sommets, 6+6 a
Mon prince légitimeen sevrage à jamais. 6+6 a
Incognito, tout seulavec toi, sans escorte, 6+6 b
Je viens de temps en tempsvoir comment il se porte. 6+6 b
Il ne se doute pasqu’il est duc.
GUNICH
C’est profond, 6+6 a
Mais doux.
LE DUC GALLUS
30 Les rois se font,mon cher, et se défont. 6+6 a
GUNICH
Humpf !
LE DUC GALLUS
Ce que nous nommonsnos droits, nous autres princes, 6+6 b
Sont-ce des droits ? Oui. Non.Puisque j’ai les provinces, 6+6 b
Je les garde. Elles sontà mon neveu, mais quoi ! 6+6 a
Étant un peu larron,je suis d’autant plus roi ! 6+6 a
35 Le premier qui fut roifut un voleur sans juges. 6+6 b
Bah ! Tout est bien, les boissont d’augustes refuges, 6+6 b
Ce gaon est vivant,les nids chantent, les cieux 6+6 a
Sont sur nous. Quant à moi,je règne de mon mieux ; 6+6 a
J’ai brisé les vieux jougset les vieilles bricoles, 6+6 b
40 Supprimé la potence,ouvert beaucoup d’écoles, 6+6 b
Diminué l’impôt,semé le vrai, dissous 6+6 a
L’erreur, et je n’ai pasde remords pour deux sous. 6+6 a
Je tolère dans l’ombreun neveu qui s’ignore. 6+6 b
Claudius de Hamletguette la pâle aurore, 6+6 b
45 Mais il est Claudiuset l’enfant est Hamlet. 6+6 a
Moi, nul spectre ne vientme saisir au collet. 6+6 a
Ce que j’ai, c’est l’ennui.Le trône, triste proie ! 6+6 b
Sais-tu ce que je suis ?Un pauvre homme de joie. 6+6 b
Plutôt bon que mauvais ;très canaille ; occupé, 6+6 a
50 Mais oisif ; fort penaud.Comme on est attrapé ! 6+6 a
L’ambitieux pensif,usurpateur en herbe, 6+6 b
Dit en préméditantle trône : — C’est superbe ! 6+6 b
On est le mtre ; on ale budget plein les mains ; 6+6 a
Le prince resplendit,regardé des humains, 6+6 a
55 Au-dessus de la terre ;il est dans la comète ! 6+6 b
Vite, ôte-toi de là,petit, que je m’y mette ! — 6+6 b
C’est bon, j’ai pris la place,et je règne. À quel prix ! 6+6 a
Quel néant ! Un respectqui ressemble au mépris ; 6+6 a
Voir le fiel dans les cœurset le miel sur les langues ; 6+6 b
60 Une dorure, passolide ; des harangues ; 6+6 b
Des valets ; point d’amis ;de faux éphestions ; 6+6 a
Des malédictions,des indigestions ; 6+6 a
Des tedeums chantéspar des prêtres athées ; 6+6 b
Du fracas, des grandeursvaguement insultées 6+6 b
65 Par cette conscienceénorme des vivants, 6+6 a
Sombre sous les rois, commeune mer sous le vents ; 6+6 a
En chasse, en guerre, un tasde flatteurs déshonnêtes 6+6 b
Vous aidant à viserles peuples et les bêtes ; 6+6 b
Les vastes bâillementsdu cérémonial ; 6+6 a
70 Beaucoup d’enterrementmêlé d’un peu de bal ; 6+6 a
Le rang suprême, un mot ;le pouvoir, un problème ; 6+6 b
Ne jamais être sûrqu’une femme vous aime ; 6+6 b
Voilà ce qu’on usurpe,ami. — Si j’avais su ! 6+6 a
GUNICH
Vous êtes triomphant,grand, couronné
LE DUC GALLUS
Déçu. 6+6 a
75 Ah ! De la chose sceptreet de la chose trône, 6+6 b
J’en suis revenu, va.J’y tiens peu. Pas de prône 6+6 b
Plus sot que l’étiquette,et pas d’orgueil plus creux. 6+6 a
C’est un art des puissantsde n’être pas heureux. 6+6 a
Ils appellent celala majesté. C’est bête. 6+6 b
80 Trop de couronne, hélas,fait qu’on n’a plus de tête. 6+6 b
Sais-tu ce qui seraitmon gt ? Vivre à Paris. 6+6 a
Rome a son carnaval,Stamboul a ses houris, 6+6 a
Mais Paris ! Oui, c’est làqu’il faudrait que je vinsse 6+6 b
Pour être un chenapansans cesser d’être un prince. 6+6 b
85 Un chenapan, vois-tu,c’est un sage gouailleur 6+6 a
Que Paris seul produit,qui rit, cueille la fleur 6+6 a
Et la fille, est féroceau plaisir, vit, s’attable, 6+6 b
Chante, danse, extermine,affreux gueux, et bon diable. 6+6 b
Le scrupule en un coinde son cœur se tient coi. 6+6 a
90 Être ça, c’est vraimentexister. C’est pourquoi, 6+6 a
Quand je pense à Paris,je me dis : c’est la ville ! 6+6 b
Là le mal n’est pas laid,la fange n’est pas vile ! 6+6 b
Jamais comme à Parisles gens d’esprit n’ont pu 6+6 a
Savourer le parfumd’un éden corrompu ; 6+6 a
95 Paris gâte la femmeet l’homme, et les attaque 6+6 b
Par tout le paradisque peut faire un cloaque. 6+6 b
J’aime Paris, de viceet de grandeur pavé. 6+6 a
N’y songeons pas. Je suisà mon sceptre rivé. 6+6 a
Je suis le patientdu trône. Roi, je bâille. 6+6 b
100 Ah ! N’être qu’un bourgeois,quel bonheur ! On ripaille, 6+6 b
On s’amuse, on se vautre,amis, du vin, du rhum, 6+6 a
Du gin ! Et pas d’altesse,et pas de décorum, 6+6 a
On boit, la joie accourtet se livre en personne, 6+6 b
Et vous la possédez !Sais-tu que je grisonne ? 6+6 b
GUNICH
Mais…
LE DUC GALLUS
105 Je grisonne ! — Or, j’ai,par-dessus le marché, 6+6 a
Le désir bienveillantde commettre un péché. 6+6 a
Quel péché ? Le meilleur,le grand, le vrai, l’unique. 6+6 b
L’amour. Attention.Mon cœur se communique. 6+6 b
Tout ce que le destinoffre, j’en ai voulu ; 6+6 a
110 Ce sac, je l’ai vidé ;ce livre, je l’ai lu. 6+6 a
Eh bien, Gunich, le fonddu sort, le but de l’homme, 6+6 b
C’est Elle !
GUNICH
Elle ? Qui donc ?
LE DUC GALLUS
Elle ! Celle qu’on nomme 6+6 b
Plaisir, Tourment, Enferet Ciel, Bien, Mal, Oui, Non. 6+6 a
Elle ! En Grèce Aspasie.Elle ! En France Ninon. 6+6 a
115 Écoute, ô confidentdu prince ! Combler d’aise 6+6 b
Quelque fille sans cœur,sans préjugés, mauvaise, 6+6 b
Charmante, aux grands yeux bleus,ou noirs, se portant bien ; 6+6 a
Avoir ma Pompadourcomme un roi très chrétien, 6+6 a
Je prémédite ça !Mille défauts, pas veuve, 6+6 b
120 Et je la cherche aux boispour l’avoir toute neuve. 6+6 b
Tel est mon idéal.L’ennui, j’en fais l’aveu, 6+6 a
Me ronge, je confieau bon Dieu mon neveu, 6+6 a
Et moi, de mon côté,je vais à l’aventure ; 6+6 b
Je suis un cœur errantquêtant sa nourriture. 6+6 b
125 Vois, je bâille. J’ai faim.Je n’ai rien sous la dent. 6+6 a
Je voudrais rencontrerquelque être indépendant 6+6 a
Dont je sois le despoteet qui me mène en laisse ; 6+6 b
Je cherche cette choseexquise : une drôlesse. 6+6 b
GUNICH
Monseigneur, ce n’est pointimpossible à trouver. 6+6 a
LE DUC GALLUS
Mais je la veux sauvage.
GUNICH
130 Il la faudra rêver, 6+6 a
En ce cas, — C’est un peude complaisance à mettre, — 6+6 b
Et ne pas prendre tropvotre rêve à la lettre. 6+6 b
Sauvage presque.
LE DUC GALLUS
O lacs,ô montagnes, qu’emplit 6+6 a
Le grand songe orageuxdu torrent dans son lit, 6+6 a
135 Du hallier, de la source,et de la bête fauve, 6+6 b
l’antre vaguements’arrondit en alcôve, 6+6 b
Pan se remarieet change de maisons 6+6 a
Avec les douze moiset les quatre saisons, 6+6 a
Espaces que la nuitensemence d’étoiles, 6+6 b
140 Ronces l’araignéeourdit ses sombres toiles, 6+6 b
J’accours, je viens sondervos abîmes profonds ; 6+6 a
Dégté des bourreaux,et même des bouffons, 6+6 a
Accablé de respect,obsédé de richesse, 6+6 b
Las de cet à peu prèsqu’on nomme une duchesse, 6+6 b
145 Blasé, mais confiant,ivre du grand concert, 6+6 a
Je viens chercher Vénustoute nue au désert, 6+6 a
Je tends les bras vers vous,bois, monts, épithalame ! 6+6 b
O nature, un sourire !ô forêts, une femme ! 6+6 b
GUNICH
O forêts, une vierge !
LE DUC GALLUS
Oui, vierge. J’y consens. 6+6 a
150 Un démon vierge ! Un êtreaux penchants malfaisants 6+6 a
Ayant l’aspect du lysque la nature encense ! 6+6 b
Laïs Agnès ! Le monstreà l’état d’innocence ! 6+6 b
C’est curiosité,rien de plus ; mais j’aurais 6+6 a
Cet appétit. La touffeépaisse des forêts 6+6 a
155 Contient tout ; fleurs, venins.Ami, gagner le quine 6+6 b
D’un ange contenanten germe une coquine ! 6+6 b
Comprends-tu ? L’observer !Voir aboutir au mal 6+6 a
L’innocence à tâtonsdans l’instinct animal, 6+6 a
Peser dans la vertuce que la chair en ôte, 6+6 b
160 Assister dans une âmeà l’aube de la faute, 6+6 b
Je ne suis pas méchant,mais j’aimerais ce jeu. 6+6 a
Moi, des crimes, fi donc !Mais des vices, parbleu ! 6+6 a
Quel plaisir, se gratterdu doigt la bte osseuse, 6+6 b
Et se dire tout bas :bon ! Elle est paresseuse, 6+6 b
165 Elle hait le travail,elle aime les bijoux, 6+6 a
Elle me tromperapour d’affreux sapajous, 6+6 a
Elle est chaque jour pire,elle est chaque jour moindre, 6+6 b
Elle sent avec joieen elle Phryné poindre, 6+6 b
Elle ignore l’honneur,le devoir, la raison ; 6+6 a
170 Elle a l’éclosionsinistre du poison ! 6+6 a
Se dire : de faroucheelle devient servile, 6+6 b
La faunesse des champsest catin à la ville, 6+6 b
Néère tourne malet se change en Lola, 6+6 a
Assez déesse icipour être diable là ! 6+6 a
175 Elle a des yeux profondsde plus en plus funèbres, 6+6 b
C’est une gueuse, ô joie !Et voir, dans les ténèbres, 6+6 b
Lentement, dépouillanttout voile, tout remord, 6+6 a
Toute pudeur, avecle regard de la mort, 6+6 a
Sombre comme Astarté,blanche comme Suzanne, 6+6 b
180 De la vierge au front pursortir la courtisane ! 6+6 b
Et se dire : c’est bien !Je vais la dévorer ! 6+6 a
Le tout pour rire.
GUNICH
Au fait,c’est gai.
LE DUC GALLUS
Flâner, errer, 6+6 a
Se refaire le cœur !
GUNICH
Bravo.
LE DUC GALLUS
J’ai des nausées 6+6 b
Des femmes qui chez nousnaissent apprivoisées. 6+6 b
185 Cet immense plaisir,corrompre, on ne l’a pas. 6+6 a
Leur fuite est l’art savantde faire tous les pas. 6+6 a
Ces prudes ! La Macetteest dans la Cidalise. 6+6 b
Elles baissent les yeuxen sortant de l’église ; 6+6 b
Elles prennent pour riendes airs majestueux ; 6+6 a
190 Leur croupe se recourbeen replis vertueux. 6+6 a
Moi qui sais le tarif,voir ces saintes-nitouches 6+6 b
S’offrir dans l’ombre en venteet faire les farouches, 6+6 b
Ça m’assomme. Et je vienschercher en d’autres lieux 6+6 a
Quelque chose de pis,c’est-à-dire de mieux. 6+6 a
195 Je viens ici, parmiles ignorances franches, 6+6 b
Parmi l’échange obscurdes baisers sous les branches, 6+6 b
Parmi les impudeursnaïves, faire un choix. 6+6 a
L’acclimatationd’une femme des bois 6+6 a
À la cour, c’est mon rêve,ami !
GUNICH
Si, par prodige, 6+6 b
Vous la trouvez
LE DUC GALLUS
200 Je veuxla dévorer, te dis-je. 6+6 b
GUNICH
Je vois ce qu’il vous faut,une femme à croquer. 6+6 a
LE DUC GALLUS
Je m’ennuie !
GUNICH
Il seraitétrange de manquer 6+6 a
De femme quand on estprince.
LE DUC GALLUS
Si, d’aventure, 6+6 b
Nous allions déterrerici la créature ! 6+6 b
Je l’espère !
GUNICH
205 Et le crois.Grattons du bec le sol. 6+6 a
Une allemande avecun regard espagnol 6+6 a
Habite en ce burg.
Regardant au dehors par une des fenêtres ruinées.
Tiens,à point nommé, c’est elle ! 6+6 b
LE DUC GALLUS
Regardant par la même fenêtre, avec un geste de stupeur.
Et c’est lui !
GUNICH
Duo.
LE DUC GALLUS
C’estmon neveu !
GUNICH
C’est la belle ! 6+6 b
LE DUC GALLUS
Çà, que fait-il céans ?
GUNICH
Dame ! Il est prétendant. 6+6 a
210 Je ne suis pas du toutsurpris de l’incident. 6+6 a
Vous l’avez dans ces boismis avec soin vous-même. 6+6 b
Il flâne. Il est vivant,il en profite. Il aime. 6+6 b
Rapportez-vous-en doncaux jocrisses locaux ! 6+6 a
Je m’étais renseignéprès de tous les échos, 6+6 a
215 j’ignorais ce détail.Chimène a son Rodrigue. 6+6 b
Je comprends. La natureest une immense intrigue ; 6+6 b
il aura rencontréla belle, par hasard. 6+6 a
Le hasard, monseigneur,quel dieu ! Mais quel gueusard ! 6+6 a
Dans les bois on a droità l’églogue ; l’eau coule, 6+6 b
220 l’air souffle, on est gaonet fille, et l’on roucoule. 6+6 b
Il regarde par la fenêtre.
Ce vieux burg est ainsiconstruit qu’ils sont forcés 6+6 a
de suivre les rempartstout le long des fossés. 6+6 a
Montrant la porte qui ouvre sur l’escalier.
Vous allez les revoirsortir par la tourelle. 6+6 b
LE DUC GALLUS
Ah çà, mais me voilàjaloux !
GUNICH
Et de qui ?
LE DUC GALLUS
D’elle ! 6+6 b
De lui !
GUNICH
225 Vous allez viteen besogne. Comment, 6+6 a
Vous avez vu, de loin,cette belle, un moment, 6+6 a
Prince, et voilà le feuqui prend à votre altesse ! 6+6 b
LE DUC GALLUS
Être vite amoureux,c’est de la politesse. 6+6 b
Et puis, chacun son genre,ami. C’est ma façon, 6+6 a
230 À moi, de me hâterde perdre la raison. 6+6 a
GUNICH
Faites.
Il rit.
LE DUC GALLUS
Quoi ! L’on m’indiqueen ce donjon sinistre 6+6 b
Une belle ! J’accours,et tu ne veux pas, cuistre, 6+6 b
Dadais, triple crétin,qu’en ce pays de loups 6+6 a
J’enrage, et que je soisfurieux et jaloux ! 6+6 a
235 Je trouve mon neveuqui courtise la dame ! 6+6 b
GUNICH
Vous usurpez le trône,il usurpe la femme. 6+6 b
Carambolage.
LE DUC GALLUS
Il ala bride sur le cou. 6+6 a
N’étant pas roi, qu’a-t-ilbesoin d’un garde-fou ? 6+6 a
En fait de libertéjamais je ne lésine. 6+6 b
240 Il est étudiantici près ; il voisine. 6+6 b
Il était sur la pisteavant moi. C’est flagrant. 6+6 a
Mais, bah ! Je lutterai.Sais-tu qu’il est fort grand, 6+6 a
Ce petit ?
GUNICH
C’est un homme.
LE DUC GALLUS
En outre il a l’astuce 6+6 b
D’être beau.
GUNICH
Prétendantà deux tranchants.
Avec un sourire.
Je l’eusse 6+6 b
Supprimé.
LE DUC GALLUS
245 Ce gaonest deux fois mon rival. 6+6 a
GUNICH
Droit, mince, il doit avoirbonne mine à cheval. 6+6 a
LE DUC GALLUS
En politique il ason droit, et près des femmes 6+6 b
Sa figure.
GUNICH
Il fallait,lorsque nous triomphâmes, 6+6 b
En finir de l’enfant.Certe, ainsi nous eussions 6+6 a
250 Dans leur source extirpéles révolutions. 6+6 a
L’obscure pressiondes successeurs possibles 6+6 b
Trouble un règne ; un amasd’incidents invisibles 6+6 b
Se forme, et le pouvoirne peut se maintenir. 6+6 a
Qui veut régner doit faireeunuque l’avenir. 6+6 a
255 Monseigneur, on verraitdu fait qui vous tracasse 6+6 b
Rire Machiavel.
LE DUC GALLUS
Et plus encor Boccace. 6+6 b
Oh ! Ce George ! Abuserde ce qu’il n’est pas roi 6+6 a
Pour aimer, profiterde son retrait d’emploi 6+6 a
Pour me prendre ma placeici. Quelle canaille ! 6+6 b
260 Dois-je persévérer ?Faut-il que je m’en aille ? 6+6 b
Conclusion : je suisdans un bois, et volé. 6+6 a
Cupidon à Jupinescroque Sémélé. 6+6 a
George est dans le réel,moi je suis dans le rêve. 6+6 b
Satan, jadis, prit-ilAdam ? Non. Il prit Ève. 6+6 b
265 Adam, c’est la puissance,Ève est l’amour. Satan, 6+6 a
Entre les deux façonsqu’on a d’être sultan, 6+6 a
Choisissait la meilleureen s’adjugeant la femme. 6+6 b
Moi, j’ai fait le contraire.À présent je réclame. 6+6 b
Trop tard. Empanaché,bardé d’un grand cordon, 6+6 a
270 Je suis Mamamouchibattu par Céladon. 6+6 a
Mon neveu rit, je règne ;il vit, je me lamente, 6+6 b
Et j’enrage. Et je voisdans ses mains mon amante 6+6 b
Au pillage. J’ai l’ombre,il a la proie. Et moi, 6+6 a
Morbleu, je me sens dupeà force d’être roi ! 6+6 a
GUNICH
Prince, vous êtes l’aigle,et vous planez.
LE DUC GALLUS
275 Sans joie. 6+6 b
Le prince est un niaispuissant ; l’aigle est une oie. 6+6 b
Les palais, la fanfare,et les arcs triomphaux, 6+6 a
L’amour des sujets, l’or,le faste, c’est du faux ; 6+6 a
Le trône nous enfermeen son cercle héraldique ; 6+6 b
280 Celui qu’on aime est roi ;celui qui règne abdique. 6+6 b
Donc, voyant le gaon,beau, jeune, épris, pas vieux… 6+6 a
GUNICH
Vous en êtes jaloux…
LE DUC GALLUS
Non. J’en suis envieux ! 6+6 a
Vois-tu, l’heureux c’est lui,moi je suis l’imbécile. 6+6 b
Je changerais fort bienavec lui.
GUNICH
C’est facile. 6+6 b
LE DUC GALLUS
Non, s’il est aimé.
GUNICH
Quoi !Vous tremblez, vous !
LE DUC GALLUS
285 Moqueur ! 6+6 a
GUNICH
Vous, prince !
LE DUC GALLUS
On prend un trône,on ne prend pas un cœur. 6+6 a
Pourtant je lutterai.
GUNICH
Mais il est d’autres femmes. 6+6 b
LE DUC GALLUS
Non.
Surprenant un ricanement de Gunich.
Sous ta flatterieon sent tes épigrammes. 6+6 b
Tu penses que je suisinepte. Je te dis 6+6 a
290 Que mes aïeux livraientbataille un contre dix, 6+6 a
Qu’étant grison, je doisaffronter ce jeune homme, 6+6 b
Que j’ignore commentcette fille se nomme, 6+6 b
Que j’ai marché dans l’herbeet bu dans les ruisseaux, 6+6 a
Que depuis ce matinj’entends un tas d’oiseaux 6+6 a
295 Qui font l’amour dans l’ombreau-dessus de ma tête, 6+6 b
Que George est bien plus fortque moi, puisqu’il est bête, 6+6 b
Du moins je le supposeen voyant son succès, 6+6 a
Que je devrais m’enfuirsi je réfléchissais, 6+6 a
Que puisque cette fillehabite une masure 6+6 b
300 Elle rêve un palais,qu’elle est vaine, peu sûre, 6+6 b
Coquette, pauvre, avecdes fleurs dans ses cheveux, 6+6 a
Et que c’est pour cela,butor, que je la veux ! 6+6 a
Je te dis qu’il n’est pasd’autre femme sur terre. 6+6 b
GUNICH
Le couple se croit seulen ce burg solitaire, 6+6 b
305 Observons-les. J’entendsdans l’escalier des pas. 6+6 a
Ce sont eux. Les voilàde retour ici-bas. 6+6 a
LE DUC GALLUS
Que de choses serontà la mort révélées ! 6+6 b
On saura le secretdu vent, des giboulées, 6+6 b
Des roses, de l’instinctféminin et viril, 6+6 a
310 Des madrigaux dont estformé le mois d’avril ! 6+6 a
L’œil tourné vers l’escalier.
Ils descendent du cielen effet. Quelle ivresse, 6+6 b
Être deux amoureux !Que Chloé soit trtresse, 6+6 b
Qu’importe ! Daphnis bêteest un heureux berger. 6+6 a
Paraissent George et NELLA Ils descendent l’escalier de la tourelle, George le premier, donnant la main à NELLA Le duc Gallus et Gunich se retirent en arrière de la tourelle, de façon à n’être pas aperçus. De ce recoin, le duc ne voit que GEORGE Nella reste sous la porte de la tourelle debout sur la dernière marche de l’escalier. Le duc contemple la bonne mine de GEORGE
Décidément, vingt ans,c’est charmant. C’est léger. 6+6 a
George est beau.
SCÈNE II
LES MÊMES. NELLA. GEORGE.
GEORGE
Nella !
NELLA
315 George !Ami, je vous renvoie. 6+6 b
GEORGE
À bientôt.
NELLA
Oui. Prenezgarde qu’on ne vous voie. 6+6 b
Quel malheur que je soisfille noble !
GEORGE
Et que moi 6+6 a
Je sois roturier !
NELLA
George !
GEORGE
Oh ! Je ne sais pourquoi, 6+6 a
Mais je fais en moi-mêmeun roman. J’imagine 6+6 b
320 Que je ne connais pointau vrai mon origine. 6+6 b
J’ai le pressentimentd’un destin inconnu. 6+6 a
Mais non, je ne suis rienque le premier venu. 6+6 a
J’ose vous adorer,Nella.
LE DUC GALLUS,
à part.
Quelle bravoure ! 6+6 b
NELLA
Profitez du moment mon père laboure 6+6 b
325 Au fond de son enclos,et fuyez par le bois. 6+6 a
LE DUC GALLUS,
à Gunich.
Son père ? Est-ce un soldat,ou bien un villageois ? 6+6 a
Par la fenêtre il montre à Gunich quelqu’un au dehors.
C’est ce bon vieux là-bascourbé sur sa charrue. 6+6 b
GEORGE
Vous êtes sur ma cendreune flamme apparue ; 6+6 b
Sans vous je ne vis pas.Quand pourrai-je, à genoux, 6+6 a
Vous épouser ?
NELLA
330 Hélas !Je ne sais. Cachez-vous. 6+6 a
Mon père est encor pleind’orgueil nobiliaire. 6+6 b
GEORGE
Le donjon vieillissantn’a pas honte du lierre. 6+6 b
Pourquoi ce vétéranme repousserait-il ? 6+6 a
Mon chaste amour ressembleà son farouche exil. 6+6 a
335 Nous serions là, devantson front que l’âge ploie, 6+6 b
Nous aimant, et quel mallui ferait notre joie ? 6+6 b
NELLA
Il est bon. Attendons.Dieu nous aidera.
GEORGE
Non. 6+6 a
J’accuse Dieu. Pourquoisuis-je un homme sans nom ? 6+6 a
NELLA
Ami !
GEORGE
Mon âme est francheet mon destin est louche. 6+6 b
NELLA
George !
Le duc Gallus fait des efforts pour voir Nella sans y parvenir.
LE DUC GALLUS,
à part.
340 Entendre la voix,c’est presque voir la bouche. 6+6 b
C’est égal. Maudit mur !
GEORGE
Ah ! Sort infortuné ! 6+6 a
Pourquoi suis-je puni ?Parce que je suis né. 6+6 a
Il fallait ntre noble.Hélas, le grain de sable 6+6 b
Est-il de son néantcoupable et responsable ? 6+6 b
345 Ah ! Quel accablement !J’aime au-dessus de moi. 6+6 a
NELLA
Mon George !
GEORGE
J’ai le cœurtrop haut !
NELLA
Tu serais roi, 6+6 a
T’aimerais-je mieux ?
GEORGE
Non.Mais tu serais ma femme. 6+6 b
NELLA
George, dites-moi vous.Ne troublez pas mon âme. 6+6 b
Vous serez le mari,ne soyez pas l’amant ! 6+6 a
Respectez-moi.
GEORGE
350 Nella,laissez-moi seulement 6+6 a
Déposer un baisersur votre main.
NELLA
J’exige 6+6 b
Que vous soyez sage.
GEORGE
Oui.
Elle est restée sur l’escalier. George est hors de la tourelle. Nella tend son bras nu par la lucarne. Il lui prend la main.
NELLA
Soyez sage, vous dis-je ! 6+6 b
GEORGE
Un seul baiser.
Il lui baise la main avec emportement.
LE DUC GALLUS,
à part.
Trois, quatre !Ah ! Tu me le paieras. 6+6 a
Je suis éperdumentamoureux de ce bras. 6+6 a
GEORGE
Adieu, mon âme !
NELLA
Adieu,mon cœur !
GEORGE
355 Quand reviendrai-je ? 6+6 b
NELLA
Demain.
GEORGE
Non. Aujourd’hui.
George furtivement et sans regarder s’esquive par une des fenêtres qui font brèche. Le duc Gallus et Gunich s’effacent dans l’ombre de la tourelle. Il ne les voit pas. Nella reste seule. On la voit dans l’escalier de la tourelle, pensive, cherchant par la lucarne à voir encore de loin George, qui a disparu.
LE DUC GALLUS,
à part.
Le paradis, quel piège ! 6+6 b
Comme ils sont pris ! L’amourest le profond jardin 6+6 a
Au fond duquel est Dieucaché. Bravo l’éden ! 6+6 a
Toute cette ombre aimableest d’aube pénétrée. 6+6 b
360 Il s’agit maintenantd’y faire mon entrée. 6+6 b
Qrens quem devoret.C’est moi. — George, mon cher, 6+6 a
On vous aime, mais bah !La beauté c’est la chair, 6+6 a
La femme c’est la faute ;et vous avez le charme, 6+6 b
Jeune homme, vous avezl’amour ; mais j’ai mon arme, 6+6 b
365 L’expérience. Ami,vous allez en avant, 6+6 a
Beau, tendre, frais, naïf.Moi, je suis le savant, 6+6 a
L’artiste. Il est ardent,moi calme. Il a l’ivresse, 6+6 b
J’ai l’appétit.
Cependant Nella est sortie de la tourelle ; elle fait quelques pas, et s’arrête, sans voir Gallus et Gunich. Le duc la montre à Gunich.
Commenttrouves-tu ma mtresse ? 6+6 b
Gunich salue profondément le dos de Nella, immobile sur le devant du théâtre. Le duc Gallus regarde par la fenêtre d’où il a aperçu le père travaillant dans les champs.
Le pauvre père est dupe,et George tient Nella ! 6+6 a
GUNICH
370 Nous venons au secoursdu père. Enlevons-la. 6+6 a
Vous êtes roi ; je suisun baron pour tout faire. 6+6 b
Donc…
Le duc Gallus fait un signe de tête négatif.
LE DUC GALLUS
J’ai l’attraction.Je suis la haute sphère. 6+6 b
Passer près d’elle doitsuffire.
NELLA,
allant à une armoire.
Et mon couvert 6+6 a
Qui n’est pas mis !
Elle tire de l’armoire une nappe de grosse toile très blanche qu’elle étale
sur la table, puis des vaisselles et des gobelets d’étain, un pot de lait et un
pain bis, qu’elle dispose avec symétrie, puis deux assiettes et deux cuillers
de fer, et elle place deux chaises devant les deux assiettes.
Le duc Gallus la contemple. Gunich et lui sont restés au fond de la salle.
Elle ne se doute pas de leur présence.
LE DUC GALLUS,
à gunich.
Va-t’enrêver dans le bois vert. 6+6 a
NELLA,
se dépêchant.
Mon père va rentrer.
LE DUC GALLUS,
à gunich.
375 Laisse-nous. Herborise. 6+6 b
Gunich fait une nouvelle révérence au dos de Nella, et sort.
SCÈNE III
LE DUC GALLUS. NELLA.
LE DUC GALLUS,
s’avançant et saluant.
Madame… —
Nella se retourne et le regarde.
À part.
Elle a grand air.Elle n’est pas surprise. 6+6 b
Haut à Nella.
Je suis un voyageurqui passe. S’il vous plt, 6+6 a
Pourrait-on ici boireune tasse de lait ? 6+6 a
En payant ?
NELLA
Sans payer.Oui, monsieur.
Elle verse du lait dans un gobelet.
Le duc s’assied sur une des deux chaises, et boit une gorgée de lait. Nella va et vient dans la salle, rangeant les meubles et serrant du linge dans les bahuts sans s’occuper de lui.
LE DUC GALLUS,
lorgnant la masure.
Pierre et briques. 6+6 b
380 Édifice à classerparmi les historiques. 6+6 b
Lorgnant la fille.
— Vingt ans. De trop grands yeux,et de trop petits pieds. 6+6 a
Revenant à l’inspection du logis.
— Des ancêtres cassés.Des preux estropiés. 6+6 a
Force héros sans nez,perdus dans les décombres. 6+6 b
Ce mélange imposantde Charlemagnes sombres, 6+6 b
385 De Barberousses morts,de Christs, de Jéhovahs, 6+6 a
De saints, que le vulgaireappelle des gravats. 6+6 a
L’auguste bric-à-brac,épars sous la fougère, 6+6 b
Que l’histoire plus tardmet sur son étagère. 6+6 b
Une commissionde savants trouverait 6+6 a
Regardant le chiendent qui pousse entre les pavés.
390 À camper dans cette herbeénormément d’attrait. 6+6 a
L’humidité triomphe,et fait sous ce portique 6+6 b
Prospérer la grenouille,animal aquatique. 6+6 b
Tous les siècles moisisensemble. Que c’est beau ! 6+6 a
La ruine vraimentvaut presque le tombeau. 6+6 a
395 C’est superbe. Les goths,les romains, les sicambres. 6+6 b
Des pierres dans le blé,du gazon dans les chambres, 6+6 b
Un burg, quoi ! C’est là, certe,un rare monument, 6+6 a
l’on doit s’ennuyerépouvantablement. 6+6 a
Lorgnant Nella.
— Divine ! Un brin de fleur,et la voilà coiffée ! 6+6 b
Haut à NELLA
400 — Mademoiselle, on voitdans les contes de fée 6+6 b
Des belles, comme vous,que garde en une tour 6+6 a
Un dragon, et pour quides rois meurent d’amour, 6+6 a
Et que viennent sauverdes paladins bravaches. 6+6 b
Ah çà ! Que faites-vousici ?
NELLA
Je trais les vaches. 6+6 b
LE DUC GALLUS
405 Traire les vaches. Soit.Il est d’autres bonheurs. 6+6 a
Que faites-vous après ?
NELLA
Je porte aux moissonneurs 6+6 a
Leur dîner dans les champs.
LE DUC GALLUS
Après, belle pensive ? 6+6 b
NELLA
Je lave à la fontaineet je fais la lessive. 6+6 b
LE DUC GALLUS
Ah ! Grâce pour ces mainscharmantes ! — Puis après ? 6+6 a
NELLA
410 Je balaie, et je rangeau cellier nos œufs frais. 6+6 a
LE DUC GALLUS
Après ?
NELLA
J’ai ma quenouille,ou bien je raccommode 6+6 b
Ma robe.
LE DUC GALLUS
Qui n’est pastout à fait à la mode. 6+6 b
NELLA
Je ne sais pas.
LE DUC GALLUS
Après ?
NELLA
Quand mon père, à pas lents… 6+6 a
Elle montre la fenêtre d’où le duc a déjà aperçu le père.
— Regardez, — on le voitd’ici. — ces cheveux blancs ! — 6+6 a
415 Quand il rentre le soir,je tiens la table prête, 6+6 b
Je mets la nappe.
LE DUC GALLUS
Et puis ?
NELLA
Nous soupons tête à tête. 6+6 b
LE DUC GALLUS
De pain bis ?
NELLA
Et de lait.
LE DUC GALLUS
C’est là tout le gala ? 6+6 a
NELLA
Puis je lui lis un peude ces gros livres-là. 6+6 a
Elle montre les livres sur le bahut qui touche à la table. Le duc tourne la tête et, sans se lever, regarde les titres des livres sur les dossiers des volumes.
LE DUC GALLUS,
déchiffrant.
Homère. Grotius.Polybe, la Genèse. 6+6 b
NELLA
420 Ou bien, tout en causant,je couds près de sa chaise, 6+6 b
et, le travail faisantdes trous à ses habits, 6+6 a
je les lui double avecde la peau de brebis. 6+6 a
Puis mon père me tendses bottes, je les ôte. 6+6 b
LE DUC GALLUS
Ensuite ?
NELLA
Ensuite on faitla prière à voix haute. 6+6 b
Il m’embrasse, et l’on vadormir.
LE DUC GALLUS,
se levant.
C’est tout ?
NELLA
425 C’est tout. 6+6 a
Le duc s’approche d’un air insinuant avec un sourire d’intelligence.
LE DUC GALLUS
Qu’avez-vous dans l’esprit ?
NELLA
Croire en Dieu.
LE DUC GALLUS
C’est beaucoup. 6+6 a
Nella se remet à faire le ménage de la salle.
Après un silence.
Vous devez par instantsvous sentir sérieuse ? 6+6 b
Vous êtes…
NELLA
Je ne suispas même curieuse. 6+6 b
J’ignore votre nom.
Avec une révérence fière.
Soyez le bien venu. 6+6 a
LE DUC GALLUS,
souriant.
430 Le bonheur est parfoiscaché dans l’inconnu. 6+6 a
Se rapprochant.
Rêvez-vous ? Pensez-vous ?
NELLA
Penser, c’est trop. J’espère. 6+6 b
LE DUC GALLUS,
accentuant son sourire.
Mais, belle, il faut aimerquelqu’un.
NELLA
J’aime mon père. 6+6 b
LE DUC GALLUS
Mais par des cheveux blancstout le cœur n’est pas pris. 6+6 a
NELLA,
le regardant.
J’aime les cheveux blancs,et non les cheveux gris. 6+6 a
435 Maintenant, s’il vous plt,je vais serrer mon linge. 6+6 b
LE DUC GALLUS,
à part.
Une gazelle ayantde l’esprit comme un singe ! 6+6 b
Nella retourne à ses occupations d’intérieur. Elle remet la ruine en ordre le plus
qu’elle peut. Elle va et vient, sans faire attention au duc.
LE DUC GALLUS,
se rasseyant.
Ah çà, je n’aime pointvoir des enterrements. 6+6 a
Ces yeux profonds et bleuscomme des firmaments, 6+6 a
Cette frcheur timide,et cette rougeur fière, 6+6 b
440 Ce front rose qui sembleun lever de lumière, 6+6 b
Tout cela n’est pas faitpour garder la maison. 6+6 a
Je crois en vous voyantvoir l’aurore en prison. 6+6 a
Oui, vous êtes l’aurore,et vous êtes esclave 6+6 b
Dans la nuit ! Au cachot,seule au fond d’une cave, 6+6 b
445 Chez ce bonhomme affreuxqu’on appelle l’hiver. 6+6 a
La beauté c’est le fruit,l’indigence est le ver. 6+6 a
Regardant la masure.
Burg sinistre ! donc estton échelle. Ô Latude ! 6+6 b
À Nella.
— Tel que vous me voyez,j’aime la solitude, 6+6 b
À la conditionde ne pas être seul. — 6+6 a
450 Croupir ! Devenir laide !Autant vaut le linceul. 6+6 a
Viviane se changeen Toinon dans ces bouges. 6+6 b
La taille s’épaissit,les bras deviennent rouges. 6+6 b
Guerre à cet oppresseurinfâme, le corset ! 6+6 a
Je viens vous annoncerune nouvelle, c’est 6+6 a
455 Qu’il existe des lieuxcharmants ; c’est que Versailles, 6+6 b
Potsdam, Schœnbrunn, ont misl’Olympe en leurs broussailles 6+6 b
C’est qu’il est des palais ;c’est qu’il est des bosquets ; 6+6 a
C’est qu’au seuil d’une idylleil faut de grands laquais ; 6+6 a
C’est que le buisson, l’herbe,et la bruyère, et l’arbre, 6+6 b
460 Ne sont beaux que mêlésà des nymphes de marbre ; 6+6 b
C’est qu’un torrent est laid,et qu’au fond du vallon 6+6 a
L’eau doit se comportercomme dans un salon ; 6+6 a
C’est qu’Homère et Miltonne sont que des maroufles 6+6 b
Faits pour passer le tempsà chanter vos pantoufles ; 6+6 b
465 C’est qu’il est un devoir,l’oisiveté, pour ceux 6+6 a
Qu’enivre la langueurdes appas paresseux ; 6+6 a
C’est que les beaux habitssont beaux ; c’est que les femmes 6+6 b
Doivent être de poupreet d’or, comme les flammes, 6+6 b
Car toutes ont pour loide brûler à leur tour 6+6 a
470 Dans l’immense incendieuniversel, l’amour ! 6+6 a
Je viens vous annoncerque vous êtes déesse ; 6+6 b
Que la beauté, cet astre,a pour ciel la richesse, 6+6 b
Et que sur cette terre,ancien fief de Vénus, 6+6 a
, pour voir deux beaux yeuxet baiser deux pieds nus, 6+6 a
475 Le pape donneraitRome, et moi, Babylone, 6+6 b
Vous avez une jupeen serge à dix sous l’aune ! 6+6 b
Montrant tour à tour Nella et le burg.
Je ne suis pas Dieu. Non.Mais pour lui je rougis 6+6 a
Que faisant de tels yeux,il fasse un tel logis ! 6+6 a
Morbleu ! Faut-il qu’on rie,ou bien faut-il qu’on pleure ? 6+6 b
480 Vous êtes la beautésuprême, pour demeure 6+6 b
Vous avez la tristessehorrible ! C’est complet. 6+6 a
Ma parole d’honneur,si j’avais un valet 6+6 a
Maladroit comme Dieu,laissant de sa fenêtre 6+6 b
Tomber le pot de fleurs le lys vient de ntre 6+6 b
485 Et cassant un destincharmant sur le pavé, 6+6 a
Cachant dans un taudisl’être qu’on a rêvé, 6+6 a
Brouillant tout, faussant tout,faisant traire les vaches 6+6 b
À Psyché, j’useraissur son dos vingt cravaches ! 6+6 b
Dieu se moque de nous,tristes fils de Japhet ! 6+6 a
Il s’est levé et, comme par mégarde, laisse s’écarter son habit de voyage sous lequel
on entrevoit sa plaque et son grand cordon.
NELLA
490 Monsieur, si vous croyezme faire de l’effet 6+6 a
Parce que vous ouvrezvotre habit de manière 6+6 b
À montrer un crachatsous votre boutonnière 6+6 b
Et dans votre giletle coin d’un cordon bleu, 6+6 a
Vous vous trompez.
Elle va au coin où est la voussure, et écarte les deux volets fermés. En tournant sur leurs gonds, ils découvrent un tableau qui est le portrait en pied d’un homme de guerre en grand uniforme, couvert de décorations et de broderies, avec un grand cordon, le même que porte le duc.
— Voicimon grand-père.
LE DUC GALLUS
Vrai Dieu ! 6+6 a
C’est un feld-maréchal.
NELLA
Parfaitement.
LE DUC GALLUS
495 Vous êtes ?… 6+6 b
NELLA
Sa petite-fille.
Elle salue le portrait avec gravité, puis se redresse.
Oui.Les tambours, les trompettes 6+6 b
L’annonçaient. Maintenant,il dort dans son linceul. 6+6 a
Les autres générauxl’admiraient. Mon aïeul 6+6 a
Étant le plus prudentétait le plus terrible. 6+6 b
500 Il était infaillible,il était invincible. 6+6 b
Et l’empereur, présent,voulait qu’il commandât. 6+6 a
LE DUC GALLUS
Et son fils, votre père ?
NELLA
Est un simple soldat. 6+6 a
Elle salue de nouveau le portrait, puis se retourne vers le duc.
Mon père est le barond’Holburg. La destinée 6+6 b
L’avait brisé déjàque je n’étais pas née. 6+6 b
505 On n’apprend point l’histoireaux femmes, c’est pourquoi 6+6 a
Je ne vous dirai passi ce fut pour le roi 6+6 a
Ou l’empereur, si c’estpour la Prusse ou l’Autriche, 6+6 b
Qu’étant noble, il donnason sang, et qu’étant riche, 6+6 b
Il donna son argentjusqu’au dernier écu ; 6+6 a
510 Je sais qu’il eut le tortd’être pour le vaincu. 6+6 a
Le vainqueur le frappa.L’on mit sous le séquestre 6+6 b
Ses fiefs seigneuriauxrayés de l’ordre équestre, 6+6 b
Puis on le fit soldat.Ce burg fut son exil. 6+6 a
Tout paysan pour luidevint un alguazil ; 6+6 a
515 Les murs tombent, hélas,et les cœurs dégénèrent. 6+6 b
Ceux qu’il avait jadisnourris, l’espionnèrent. 6+6 b
Mon père n’eut plus droitde porter l’éperon. 6+6 a
Défense de lui direexcellence ou baron. 6+6 a
Il laboure son champ.Lui, cousin des margraves, 6+6 b
520 Quoiqu’il fût le plus braveau milieu des vieux braves, 6+6 b
Les jeunes officiersn’ont pas l’air de le voir. 6+6 a
Il fait le blé, je faisle pain. Calme, le soir, 6+6 a
Il s’en revient, trnantle soc parmi les plaines, 6+6 b
Tandis que le soleildescend dans les grands chênes. 6+6 b
525 Nous buvons l’eau du cielqui remplit le fossé. 6+6 a
Il ne parle jamaisde ce qui s’est passé ; 6+6 a
Si quelqu’un par hasardlui fait une demande, 6+6 b
Il répond : j’ai servila patrie allemande, 6+6 b
Et se retire, un peuplus fier qu’auparavant. 6+6 a
530 Il songe volontiersdans les bois pleins de vent. 6+6 a
Il a le front pensifde l’homme qui persiste. 6+6 b
Il est vieux, seul, vaincu,proscrit. Il n’est pas triste. 6+6 b
On sent qu’il porte en luila cause juste. Il croit. 6+6 a
À mesure que l’ombreautour de lui s’accrt 6+6 a
535 Je vois dans sa prunelleaugmenter la lumière. 6+6 b
Son donjon lentementdevient une chaumière. 6+6 b
Il regarde souventce portrait, son trésor ; 6+6 a
L’épaulette de laineà l’épaulette d’or 6+6 a
Raconte son histoireet parle de la guerre, 6+6 b
540 Et je vois mon aïeulqui sourit à mon père. 6+6 b
N’ayant pas de quoi mettreune tuile à son toit, 6+6 a
Mon père dans sa chambreen ruine reçoit 6+6 a
L’averse quand il pleutet le froid quand il vente, 6+6 b
Et moi je suis sa filleet je suis sa servante, 6+6 b
545 Et c’est ce qu’on appelleêtre un homme déchu. 6+6 a
LE DUC GALLUS,
à part.
En entrant je voulaischiffonner ce fichu ; 6+6 a
Maintenant, — est-ce doncle sol qui se dérobe ? — 6+6 b
Je suis prêt à baiserle bas de cette robe. 6+6 b
Haut à Nella.
Je ne suis pas très forten histoire non plus. 6+6 a
550 Votre père appartientaux âges révolus. 6+6 a
Mais, voyons, qu’a-t-il fait ?
NELLA
De ce qu’a fait mon père, 6+6 b
Je ne sais rien du tout,sinon que j’en suis fière. 6+6 b
LE DUC GALLUS
L’empereur pourrait, toutétant calme aujourd’hui, 6+6 a
Lui faire grâce.
NELLA
Hein ?Lui faire grâce ! à lui ! 6+6 a
555 Lui seul aurait le droitde faire grâce aux autres. 6+6 b
De qui donc croyez-vousparler ?
LE DUC GALLUS
De l’un des nôtres. 6+6 b
D’un seigneur.
NELLA
Les seigneurssont aussi courtisans. 6+6 a
Point. Nous sommes, mon pèreet moi, des paysans. 6+6 a
Mon père est un soldat,je suis une vachère. 6+6 b
560 Notre chute profondeet haute nous est chère. 6+6 b
Ah ! Lui peut s’appuyeraussi sur mon honneur ! 6+6 a
Mon père est en dépôtdans mes mains. Son bonheur 6+6 a
Est mon devoir. Je saisque je dois être forte. 6+6 b
Je suis le seul débrisde sa famille morte ; 6+6 b
565 Il n’a que moi. Vivez,vous les hommes dorés ! 6+6 a
Oui, mes vaches, je vaisles traire dans les prés. 6+6 a
J’aime leurs grands yeux bleusqu’on dirait pleins d’un rêve ; 6+6 b
Elles donnent leur laità vous tous ; je me lève 6+6 b
De grand matin, je cours,je saute les fossés, 6+6 a
570 Je me mouille les piedsdans l’herbe ; je ne sais 6+6 a
Si le roi Frédériccombat l’empereur Charle ; 6+6 b
Mais elles, dans les champs,m’attendent ; je leur parle ; 6+6 b
Chacune semble heureuseet gaie en m’écoutant ; 6+6 a
Elles lèchent mes mains,et j’ai le cœur content 6+6 a
575 Dans la grande nature,et loin de vos chimères, 6+6 b
Moi bonne fille, avectoutes ces bonnes mères. 6+6 b
LE DUC GALLUS,
à part.
Je ne sais pas pourquoije tremble comme un sot. 6+6 a
Serais-je un honnête hommeà mon insu ? L’assaut ! 6+6 a
Vite ! Donnons l’assaut.
Haut à Nella.
Que diriez-vous, madame, 6+6 b
580 D’un prince qui voudraitvous apporter son âme, 6+6 b
Son rang, ses millions,son nom grand et vainqueur ? 6+6 a
NELLA
Le nom est quelquefoisle contraire du cœur ; 6+6 a
Nom auguste, esprit vil ;nom obscur, âme illustre. 6+6 b
Parfois le pâtre est princeet le monarque est rustre. 6+6 b
585 Ici c’est l’ombre. On n’apas vu, dans ce manoir, 6+6 a
De princes, et l’on trouveinutile d’en voir, 6+6 a
Et j’ai toujours pensé,quant à moi, qu’une altesse, 6+6 b
C’était de la grandeur,mais de la petitesse. 6+6 b
LE DUC GALLUS,
à part.
Brusquons.
Haut.
Vous devez, caril faut bien être heureux, 6+6 a
Avoir un amant.
NELLA,
le regardant fixement.
Moi !
LE DUC GALLUS
590 Pardon. Un amoureux. 6+6 a
NELLA
De quoi vous mêlez-vous ?Venez-vous des étoiles 6+6 b
Pour oser regarderl’âme à travers ses voiles ! 6+6 b
Si j’aime, mon amours’ajoute à mon orgueil. 6+6 a
Il est pur, grave et fier,et ma mère au cercueil 6+6 a
595 Le sait, en attendantque mon père le sache. 6+6 b
L’innocence se voileet la faute se cache. 6+6 b
Je ne me cache pas.Aimer est ma grandeur. 6+6 a
Mon secret est sans honteet n’est pas sans pudeur. 6+6 a
Mon cœur cherche la nuit,mais ne craint pas le blâme. 6+6 b
600 L’œil de Dieu reste ouvertdans l’ombre de mon âme. 6+6 b
Le duc veut parler. Elle lui impose silence du geste.
Je comprends. Une filleest chez un paysan. 6+6 a
On se dit : Allons-y.
Elle lui montre la porte.
C’est bien. Allez-vous-en. 6+6 a
Le duc se lève.
On n’entre pas icipar une ligne courbe. 6+6 b
Ah ! Je sais distinguerle cœur vrai du cœur fourbe. 6+6 b
605 L’ange et le tentateurn’ont pas la même voix ; 6+6 a
Le loup n’est pas le chienfidèle ; et dans les bois 6+6 a
Le chant du rossignoln’est pas le cri du merle. 6+6 b
LE DUC GALLUS
Je cherche un grain de mil,et je trouve une perle. 6+6 b
Attrapé.
NELLA
Sortez.
LE DUC GALLUS
Mais…
À part.
Je suis chassé.
Entre George par la brèche, essoufflé, sans voir le duc.
SCÈNE IV
LES MÊMES. GEORGE. puis LE BARON D'HOLBURG.
GEORGE
J’accours. 6+6 a
610 C’est moi. Pour peu d’instants,et des instants bien courts ! 6+6 a
J’en profite. Je viens.Ah ! Loin de vous, que faire ? 6+6 b
Puis-je entrer ?
NELLA,
à part.
Grand Dieu ! George !Et cet homme !
Le baron d’Holburg paraît à la porte du fond ; vieux, en habit de soldat, avec une
souquenille de laboureur.
Et mon père ! 6+6 b
Je tremble.
LE BARON D’HOLBURG,
apercevant le duc.
Un étranger !
NELLA,
au baron d’holburg.
Montrant le duc.
Je lui dis de sortir. 6+6 a
LE DUC GALLUS,
au baron d’holburg.
C’est vous le père ? Eh bien,je dois vous avertir 6+6 a
Que ces deux jeunes genss’aiment.
Il montre George.
GEORGE
615 Quel est cet homme ? 6+6 b
NELLA
Ciel !
GEORGE,
au duc.
Qu’êtes-vous, monsieur ?Sachez que je me nomme 6+6 b
George.
LE DUC GALLUS
C’est bon. On saitmieux que vous votre nom. 6+6 a
S’adressant au baron d’Holburg stupéfait.
Quand vous tournez le dos,ce jeune compagnon 6+6 a
— Le scrupule aux amantsne pèse pas une once, — 6+6 b
620 Vient voir mademoiselle,et je vous les dénonce. 6+6 b
Je viens d’être témoind’un de leurs rendez-vous. 6+6 a
GEORGE
Quel est cet espion ?
LE DUC GALLUS,
continuant.
Au baron d’holburg.
Monsieur fait les yeux doux. 6+6 a
Mademoiselle, avecréserve, les accepte. 6+6 b
LE BARON D’HOLBURG
Ma fille ! Est-il possible !
LE DUC GALLUS
Il faudrait être inepte 6+6 b
625 Pour ignorer qu’avrilest le mois des amours, 6+6 a
Que la douceur des nuitssuit la beauté des jours, 6+6 a
Qu’un souffle est dans les bois,qu’il faut que tout renaisse, 6+6 b
Que c’est la volontéde Dieu que la jeunesse 6+6 b
Sente la pressionamoureuse du ciel, 6+6 a
630 Qu’avoir vingt ans oblige,et qu’il est naturel 6+6 a
Qu’un baiser, enviépar les nids du burg sombre, 6+6 b
Tombe sur le bras blancqu’on entrevoit dans l’ombre. 6+6 b
NELLA,
rougissante et suppliante.
Monsieur…
LE DUC GALLUS,
poursuivant. Au baron.
Moi je suis là,je passe, j’apeois, 6+6 a
Je viens vous informerdu fait.
GEORGE,
au duc.
Qui que tu sois, 6+6 a
635 Ce que tu viens de dire,entends-tu, c’est l’épée, 6+6 b
La dague et le poignard,l’herbe de sang trempée, 6+6 b
Sans quartier, tout de suite,et j’en fais le serment, 6+6 a
Et regarde-moi bienen face fixement, 6+6 a
Tu te rétracterassyllabe par syllabe ! 6+6 b
Ton nom ?
LE DUC GALLUS
640 Je suis Gallus,landgrave de Souabe, 6+6 b
Le frère du feu ducrégnant George premier. 6+6 a
L’aigle à deux têtes prendson vol sur mon cimier. 6+6 a
L’Allemagne n’a pasde famille plus grande. 6+6 b
Il salue profondément le baron.
Et, monsieur le barond’Holburg, je vous demande 6+6 b
645 En mariage icivotre fille Nella 6+6 a
Pour mon neveu le ducGeorge deux
Montrant GEORGE
Que voilà. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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