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12 longueur métrique
6-6 mètre
HUG_21/HUG971
Victor HUGO
RELIGIONS ET RELIGION
1880
RELIGIONS ET RELIGION
Ce livre a été commencé en 1870 ; il est terminé
en 1880. L'an 1870 a donné à la papauté
l'infaillibilité et à l'empire Sedan. Que fera l'an 1880 ?
I
QUERELLES
I
LE DIMANCHE
— Je n'ai pas entendule facteur frapper. — Certe ! 6+6 a
Votre porte aujourd'hui,monsieur, n'est pas ouverte. 6+6 a
Ah bah ! — Vous n'aurez pasaujourd'hui de journaux. 6+6 b
— Pourquoi ?
Mary, qui vientd'éteindre ses fourneaux, 6+6 b
5 Est superbe ; elle a missa grande coiffe blanche. 6+6 a
— Ni de lettres. — Pourquoi ?— Parce que c'est dimanche. 6+6 a
Eh bien ? — On ne lit pasde lettres ce jour-là. 6+6 b
— Pourquoi ? — Parce que Dieufit le monde. Il parla 6+6 b
Et travailla pendantsix jours. — Soit. Que m'importe ? 6+6 a
10 — Le dimanche on ne peutfrapper à votre porte. 6+6 a
— Mais pourquoi ? — C'est le jour Dieu s'est reposé. 6+6 b
Apprendre au mtre, impieet français, l'A Bé Cé, 6+6 b
C'est beau ; Mary triomphe,et ne se sent pas d'aise, 6+6 a
Étant bonne chrétienneet servante irlandaise. 6+6 a
15 On entend bourdonnerla cloche dans la tour. 6+6 b
Ainsi l'infini vajusqu'au septième jour ! 6+6 b
Arrivé là, c'est dit ;l'infini devient morne, 6+6 a
Reste court, et s'arrêteépuisé ; c'est sa borne. 6+6 a
Nous appelons celale dimanche. Il est sûr 6+6 b
20 Qu'il faut pour faire un cielbien des rouleaux d'azur, 6+6 b
Qu'un chêne à fabriquern'est pas un mince arbuste, 6+6 a
Et qu'il faut une échelleétrangement robuste 6+6 a
Et que l'échafaudageait été bien construit 6+6 b
Pour peindre l'aube à fresqueau mur noir de la nuit. 6+6 b
25 Ainsi ce grand travailqu'on nomme la nature 6+6 a
Ne s'est point terminésans quelque courbature ! 6+6 a
Ainsi le Tout-Puissanta dit : Je n'en puis plus ! 6+6 b
Et las, suant, soufflant,ankylosé, perclus, 6+6 b
Pris d'un vieux rhumatismeincurable à l'échine, 6+6 a
30 Après avoir crééle monde, et la machine 6+6 a
Des astres pêle-mêleau fond des horizons, 6+6 b
La vie, et l'engrenageénorme des saisons, 6+6 b
La fleur, l'oiseau, la femme,et l'abîme, et la terre, 6+6 a
Dieu s'est laissé tomberdans son fauteuil Voltaire ! 6+6 a
II
PREMIÈRE RÉFLEXION
35 Pas de religionqui ne blasphème un peu. 6+6 b
L'une en croquemitainehabille le bon Dieu ; 6+6 b
Il fait son paradisdu hurlement des âmes ; 6+6 a
Sa cave à son plafondjette un reflet de flammes, 6+6 a
Il grince, et son bonheurest d'avoir un enfer 6+6 b
40 À remuer avecune fourche de fer. 6+6 b
L'autre à la main lui planteun grand sabre, et l'affuble 6+6 a
D'un uniforme, malcaché par sa chasuble ; 6+6 a
Il a l'obus en baset la foudre là-haut ; 6+6 b
Il était Jehovah,le voilà Sabaoth ; 6+6 b
45 On le fait tambour-mtreet général d'armée ; 6+6 a
Il va-t-en guerre. Étantriche en noir de fumée, 6+6 a
Belzébuth jusqu'à Dieuse glisse, et cet escroc 6+6 b
Lui charbonne en riantdeux moustaches en croc ; 6+6 b
Le Père-Éternel sentvaguement qu'on le berne, 6+6 a
50 Se laisse faire, metl'éclair dans sa giberne, 6+6 a
Se voit destituépar le pape, permet 6+6 b
Que la bataille accrocheà sa mitre un plumet, 6+6 b
Ferme les yeux sur l'homme,être irrémédiable, 6+6 a
Et, n'étant plus bon Dieu,tâche d'être bon diable. 6+6 a
III
LE THÉOLOGIEN
O théologien,tu dis :
55 — Rêveurs, penseurs, 6+6 b
En fouillant on ne saitsous quelles épaisseurs, 6+6 b
Vous avez découvertun Dieu sans fin, sans forme ; 6+6 a
Vous niez qu'il se lasseet vous niez qu'il dorme ; 6+6 a
Ce Dieu n'a pas d'histoire.Est-il juif, arien, 6+6 b
60 Grec, indou, parsi ? Non.Il ne ressemble à rien, 6+6 b
Il n'a pas de légendearrangeable en cantique. 6+6 a
Raisonnons. Croyez-vousce Dieu-là bien pratique ? 6+6 a
Tu dis : — Un Dieu n'est pasce que vous supposez. 6+6 b
Un Dieu, c'est une tourdont on fait les fossés. 6+6 b
65 C'est une silhouetteau delà d'un abîme. 6+6 a
Ne point le voir est malet trop le voir est crime. 6+6 a
L'autel, c'est lui. Jamaisla foule n'admettrait 6+6 b
L'être pur, l'infinicompliqué par l'abstrait. 6+6 b
Dieu, cela n'est pas, tantque ce n'est pas en pierre. 6+6 a
70 Il faut une maisonpour mettre la prière. 6+6 a
Dieu doit aller, venir,entrer, passer, marcher. 6+6 b
Il a l'ange à sa porte,ainsi qu'un roi l'archer. 6+6 b
Homme, il me faut son piedimprimé sur mon sable. 6+6 a
Et ce pied, c'est le dogme.Un Dieu point saisissable, 6+6 a
75 Un Dieu sans catéchisme,un Dieu sans bible, un Dieu 6+6 b
Que saint Luc et saint Marc,saint Jean et saint Mathieu 6+6 b
Ne tiennent pas tout vif,et par les quatre membres, 6+6 a
Dont les vieilles n'ont pasle portrait dans leurs chambres, 6+6 a
Dont personne ne peutdire : — Il est ainsi fait, 6+6 b
80 Il venait voir Moïse,il parlait à Japhet, 6+6 b
Il a tué beaucoupde gens dans l'Idumée, 6+6 a
Il est un, il est trois,il aime la fumée, 6+6 a
Il ne veut pas qu'on toucheà ses arbres fruitiers ; 6+6 b
Un Dieu qu'on chercheraitpendant des mois entiers 6+6 b
85 Sans le voir flamboyersoudain dans les broussailles ; 6+6 a
Un Dieu qui ne conntni Rome, ni Versailles, 6+6 a
Et qui ne comprendraitpas grandchose aux sermons, 6+6 b
Aux schémas, aux missels, nous le renfermons ; 6+6 b
Un Dieu qu'on n'apprend pointpar demande et réponse, 6+6 a
90 Dont on ne fourbit pasavec la pierre ponce 6+6 a
L'auréole, doréeau fond d'un cul-de-four 6+6 b
Dans une niche en plâtreau coin du carrefour ; 6+6 b
Un Dieu comme celane vaut rien. Qu'il nous montre 6+6 a
Son Pentateuque avecle pour auprès du contre, 6+6 a
95 Ou son Toldos Jeschut,ou son Zend-Avesta, 6+6 b
Son Verbe que lut Jobet qu'Esdras attesta, 6+6 b
Ses psaumes que chantaientles chevaliers de Malte, 6+6 a
Son Talmud ! Mais quoi, rien !pas d'évangile ! Halte ! 6+6 a
Qu'est-ce que ce Dieu-là ?C'est un Dieu sans papiers. 6+6 b
100 Un Dieu pour paysans,un Jésus pour troupiers, 6+6 b
Voilà ce qu'il nous faut.L'Homme-Dieu. Dogme ou fable, 6+6 a
Il nous le faut visible,il nous le faut mangeable. 6+6 a
Il faut qu'il ait un peutoutes nos passions. 6+6 b
Bons croyants, faisons-nousquelques concessions. 6+6 b
105 Prenez notre séné,je prends votre rhubarbe. 6+6 a
Tu dis : — On n'est pas Dieusans une grande barbe. 6+6 a
Dieu doit être très vieux.Ça met l'homme à genoux. 6+6 b
Un gibet d'autrefoistransfiguré par nous 6+6 b
Charme le peuple, et l'âmeen aime le mystère ; 6+6 a
110 La croix de saint Andrécommande à l'Angleterre, 6+6 a
Le gril de saint Laurentproduit l'Escurial. 6+6 b
Tu dis : — L'homme n'a foiqu'à l'immémorial. 6+6 b
Une religionqui veut qu'on croie en elle 6+6 a
Doit être séculaire,antique, solennelle, 6+6 a
115 Appuyée au monceaudes âges révolus. 6+6 b
Tu dis : — Nous vénéronsun culte d'autant plus 6+6 b
Que dans la profondeurde l'histoire il s'éloigne ; 6+6 a
Toute l'autoritédu temps passé témoigne : 6+6 a
Croyons. Voilà mille ans,deux mille ans, trois mille ans 6+6 b
120 Que ce temple est sacrépour les hommes tremblants ; 6+6 b
C'est ici que le tempsvient effeuiller les races, 6+6 a
Et des peuples éteintsmêle les sombres traces ; 6+6 a
Il donne pour garantsà ces croyances-là 6+6 b
Les générationsdont l'âme s'envola. 6+6 b
125 Vieille religion,donc religion sainte. 6+6 a
De la traditionl'homme approche avec crainte. 6+6 a
C'est vrai, car c'est ancien ;et nos pères l'ont cru. 6+6 b
Un autel par l'amasdes siècles est accru. 6+6 b
Donc, c'est en vieillissantque les dogmes se prouvent ; 6+6 a
130 Au fond du puits des joursles vérités se trouvent ; 6+6 a
Il est bon pour un templeou bien pour un koran 6+6 b
Que, sur les bords du Tibreou sous le ciel d'Iran, 6+6 b
Une processiond'ancêtres et de sages 6+6 a
Ait gravi ses degrésou feuilleté ses pages ; 6+6 a
135 Un dogme a le cadrandes heures pour souci ; 6+6 b
Tant qu'il n'a point de ride,il n'a pas réussi ; 6+6 b
Il lui faut, et c'est làsa seule inquiétude, 6+6 a
Le rajeunissementde la décrépitude ; 6+6 a
C'est par la vétustéqu'il plt ; Christ envieux 6+6 b
140 Regarde Teutatèscaduc et Brahma vieux ; 6+6 b
Le vrai n'est vrai, dans l'ombre le temps nous dépouille, 6+6 a
Qu'à la conditiond'être couvert de rouille. 6+6 a
Un dogme vermoulufait bien dans le ciel bleu. 6+6 b
La patine du bronzeest nécessaire à Dieu. 6+6 b
145 L'évidence a besoin,dans l'azur de l'idée, 6+6 a
D'être depuis longtempsdes hommes regardée, 6+6 a
De beaucoup de croyantsbrûlant du même feu, 6+6 b
Et de beaucoup de terreau-dessous d'elle. Un dieu 6+6 b
N'est dieu qu'autant qu'il prendracine comme un arbre ; 6+6 a
150 L'argile de la foidurcit et devient marbre ; 6+6 a
Soyez un verbe, un rite,une religion, 6+6 b
Apportez-nous des saintsgroupés en légion 6+6 b
Et des anges coiffésd'étoiles à facettes, 6+6 a
Réglez l'esprit, le cœur,l'âme, ayez des recettes 6+6 a
155 Pour faire janvier chaudou juillet pluvieux, 6+6 b
C'est bien ; mais commencezd'abord par être vieux. 6+6 b
Si les autels ont droitd'être environnés d'âmes, 6+6 a
Si c'est le ciel qui parleen chaire aux bonnes femmes, 6+6 a
Si les cultes sont purs,solides, sûrs, certains, 6+6 b
160 Vrais, cela se mesureau nombre des matins 6+6 b
Qu'a vus le coq juchésur la tour du village ; 6+6 a
Une religionqui sent lui venir l'âge 6+6 a
Triomphe à chaque siècle,et dit : Encor cent ans ! 6+6 b
J'existe ! — Et l'Éternelcherche à gagner du temps ! 6+6 b
IV
AU THÉOLOGIEN
165 Soit que vous vous coiffiezde turbans en batiste, 6+6 a
Ou de mitres mêlantla perle à l'améthyste, 6+6 a
O prêtres, ô porteursd'éphods et de rabats, 6+6 b
Étant donné le droitde sottise ici-bas, 6+6 b
Vous en usez avecune ardeur sans pareille. 6+6 a
170 Parce que le Très-Haut,faisant la sourde oreille, 6+6 a
A l'air de ne rien voiret de tout accepter, 6+6 b
Parce que Dieu se laisseà peu près insulter, 6+6 b
Et que ce patientdes Te deum ne raille, 6+6 a
Dans sa bonté, pas mêmeun évêque qui braille, 6+6 a
175 Vous avez profitéde son air bon enfant 6+6 b
Pour lui faire endosserl'absurde triomphant, 6+6 b
Là dans les sanhédrinset là dans les conciles, 6+6 a
Et pour bâcler beaucoupde livres imbéciles. 6+6 a
Prêtres, vous remuezaussi facilement 6+6 b
180 La malédiction,le mensonge inclément, 6+6 b
L'imposture et l'erreurdans vos pesants volumes 6+6 a
Que le petit oiseaufouille du bec ses plumes. 6+6 a
prends-tu, moine, abbéde visions imbu, 6+6 b
Ce Tout-Puissant myopeet ce Très-Haut fourbu ? 6+6 b
185 Prêtre, qu'est-ce que c'estque cet Orgon céleste, 6+6 a
Dieu podagre que dupeun démon jeune et leste ? 6+6 a
Ah ! docteur ! quel beau jeutu donnes, imprudent, 6+6 b
Aux rieurs, point fâchésd'avoir Dieu sous la dent ! 6+6 b
Écoute-les :
— Fakir,talapoin, muphti, mage, 6+6 a
190 Brave homme, Dieu, dis-tu,t'a fait à son image. 6+6 a
Alors il est fort laid.J'y consens. Prêtre blanc, 6+6 b
Prêtre noir, qu'il vous soità tous deux ressemblant, 6+6 b
C'est son affaire. Et moije siffle. Que de choses 6+6 a
Mal faites dans le tasde ses métempsycoses ! 6+6 a
195 Les diacres aux gros yeuxm'ordonnent d'admirer ; 6+6 b
Je ris. La cathédraleen vain pour m'attirer 6+6 b
Ouvre les deux battantsde sa porte cochère ; 6+6 a
Je laisse bougonnerces bonshommes en chaire. 6+6 a
Paix aux dévots béats !quant à moi, je me tiens 6+6 b
200 Le plus loin que je peuxdes orateurs chrétiens ; 6+6 b
J'écris sur mon carnet :Fuir Nonotte ; et je cloue 6+6 a
À mon chevet : Ne pointaller à Bourdaloue. 6+6 a
Les raisonneurs bigotssont un de mes effrois. 6+6 b
J'abhorre ces forêtsde piliers lourds et froids 6+6 b
205 D' ; tombent les frissons,les toux, les pleurésies ; 6+6 a
Je ne m'expose pointaux églises moisies ; 6+6 a
Je n'irai point gagnerquelques bonnes fraîcheurs 6+6 b
Pour le plaisir d'entendreaboyer vos prêcheurs, 6+6 b
Bavards à barbe ou clercsras tondus, dont le geste 6+6 a
210 S'empêtre dans les plisd'une prose indigeste. 6+6 a
Prêtres de plomb, Laynez,Frayssinous, Bellarmin ! 6+6 b
L'ennui pleut de leur phrase ;et, son croc à la main, 6+6 b
Le chiffonnier qui metles âmes dans sa hotte, 6+6 a
Satan, s'il passe làd'aventure, chuchote : 6+6 a
215 — Quand plus tard, dans l'enfervengeur, nous assommons 6+6 b
Tous ces lourds sermonneurs,c'est avec leurs sermons. 6+6 b
Dieu. Le monde. Anier tristeet mauvaise bourrique. 6+6 a
Ah ! prêtres ! s'il faut croireà votre rhétorique, 6+6 a
Dieu mène tout. Tant pis.L'univers disloqué, 6+6 b
220 Mal sorti du chaos,penche et se cogne au quai. 6+6 b
On distingue ses mâtssur le ciel d'un noir d'encre. 6+6 a
Il n'a plus sa boussole,il a perdu son ancre, 6+6 a
Et semble par momentsfaire eau de toutes parts… 6+6 b
Tout ce que l'homme croit,dans l'abîme est épars. 6+6 b
225 La foi nage, le droitflotte, le vrai tournoie ; 6+6 a
On voit les bras levésde l'espoir qui se noie ; 6+6 a
Qu'est-ce que votre Dieufait pendant ce temps-là ? 6+6 b
Rien. Je me trompe. Il faitNemrod, Cham, Attila, 6+6 b
Gengiskhan, Tamerlan,Charles-Quint, Bonaparte ; 6+6 a
230 Il brise Rome, il tueAthène, il détruit Sparte ; 6+6 a
C'est grâce à lui qu'un roidit : NOMINOR LEO ; 6+6 b
S'il donne au monde un saint,vite, il lâche un fléau ; 6+6 b
Il guide les Colombs,mais conduit les Pizarres ; 6+6 a
Il est fantasque ; il faitdes actions bizarres 6+6 a
235 Dont Bossuet prendranote derrière lui. 6+6 b
Son éclipse survientdès que son aube a lui. 6+6 b
Cet astre est un aveugle.Il est contradictoire. 6+6 a
Ce monde est sa défaiteautant que sa victoire. 6+6 a
Ce Très-Haut tourne et change.Il est hydre, il est Dieu. 6+6 b
240 D'une roue insenséeil est le noir moyeu. 6+6 b
Il est tantôt Hasardet tantôt Providence. 6+6 a
Toute l'horreur humaineen ce Dieu se condense, 6+6 a
Et vous le façonnezsi ressemblant à vous 6+6 b
Que, père, il est vengeur,et, mtre, il est jaloux. 6+6 b
245 Il nous défend le lardtel jour de la semaine ; 6+6 a
Et, si nous en mangeons,l'ange des morts nous mène 6+6 a
Au gouffre tout est feu,braise, flamme et charbon, 6+6 b
Si bien qu'il a cachél'enfer dans un jambon. 6+6 b
Ce qu'il crée, il le fêle ;et s'il met trop de sable, 6+6 a
250 Trop d'ombre ou trop de neige,il en est responsable. 6+6 a
Une peste nous vientde lui ; quand un essieu 6+6 b
Casse, c'est Jehovahqui se détraque, et Dieu 6+6 b
Est sale quand la boueà mon talon s'attache ; 6+6 a
Le mendiant, — pourquoides mendiants ? — le tache ; 6+6 a
255 Tous les haillons du pauvre,à toute heure, en tout lieu, 6+6 b
L'accusent, et, souillés,infects, pendent à Dieu. 6+6 b
Dieu fait tout. Par-dessusle marché, cette droite 6+6 a
Terrible, formidable,immense, est maladroite. 6+6 a
Pour punir un village,il noie un continent. 6+6 b
260 Moi, je lui dis son fait,je suis impertinent, 6+6 b
Je le lorgne, je flâneet ris, je baguenaude, 6+6 a
Son nez majestueuxreçoit ma chiquenaude ; 6+6 a
Certe, il se fâche ; il dit,furieux et rêvant : 6+6 b
diable ai-je fourréma foudre ? — Mais avant 6+6 b
265 Que ce Géronte ait misla main sur son tonnerre, 6+6 a
Moi, tranquille et marchantde mon pas ordinaire, 6+6 a
Je suis déjà bien loin.Il foudroie à côté. 6+6 b
De là votre éloquenceet de là ma gté, 6+6 b
Bons prédicateurs.
Certe,à cela que répondre ? 6+6 a
270 La foi vient couver l'œufqu'on a vu l'erreur pondre ; 6+6 a
L'église sur l'enfantfait peser les aïeux, 6+6 b
Et met à l'ignoranceun dogme sur les yeux. 6+6 b
Le prêtre apporte à l'hommeune carte routière 6+6 a
Du ciel profond, avecpéage à la frontière. 6+6 a
275 Fouille-toi, mort. On paieau pont du paradis. 6+6 b
Si tu n'as pas le sou,reste avec les maudits. 6+6 b
Un Dieu méchant qu'on loue,un Dieu bon qui menace, 6+6 a
Un Dieu signé Sanchez,Trublet, de Maistre, Ignace, 6+6 a
Luit dans l'ombre, entouréde vieillards clignotants, 6+6 b
280 Et c'est fini ; voilàde la nuit pour longtemps. 6+6 b
O prêtres ! ce Dieu-là,sous son dais à panache, 6+6 a
Est du monde idiotla suprême ganache ; 6+6 a
Il a l'utilitédes vieux épouvantails ; 6+6 b
On le sculpte, aïeul sombre,au cintre des portails ; 6+6 b
285 Il écoute, un peu sourd,la cloche sa voisine 6+6 a
Il fait joindre les mainsaux passants, il fascine 6+6 a
Les bons moutons humainsque mènent les bedeaux, 6+6 b
Et charme les rapinsqui, le sac sur le dos 6+6 b
Et les guêtres aux piedsvont barbouillant des crtes 6+6 a
290 Dans les pays, en juin,quand les arbres des routes 6+6 a
S'agitent et se fontmille signes de loin, 6+6 b
Joyeux d'avoir peignéles charrettes de foin. 6+6 b
V
INVENTION
Vous avez inventéle diable. Il est très bête. 6+6 a
Il empoigne les genspar les pieds, par la tête, 6+6 a
295 Part, et croit avoir faitquelque chose de beau 6+6 b
En portant Jésus-Christau mont Tibidabo 6+6 b
Il dit : Je t'offre ça,la terre. Sois docile. 6+6 a
Il ne s'est même pasapeu, l'imbécile, 6+6 a
Que celui qu'il a prispar les cheveux, c'est Dieu ; 6+6 b
300 Et que Jésus, qui cacheétrangement son jeu, 6+6 b
Pourrait lui dire : AffreuxJocrisse, pitre immonde, 6+6 a
Tu me donnes la terreà moi qui tiens le monde ! 6+6 a
Peu de religions,rêvant sur Anankè, ' 6+6 b
Savent faire un titan,et le diable est manqué. 6+6 b
305 Il est, à n'en parlerici que comme artiste, 6+6 a
Plat et vulgaire ; il faitenrager Jean-Baptiste 6+6 a
Et tente saint Antoineavec fort peu d'esprit. 6+6 b
C'est le démon ; tremblez.Non, c'est le diable ; on rit. 6+6 b
Trop massif, il se trne,ou, trop maigre, il s'efflanque. 6+6 a
310 Belphégor ne feraitpas vivre un saltimbanque ; 6+6 a
Belzébuth promenéde foire en foire, aurait 6+6 b
Moins de succès qu'un louppris dans une forêt. 6+6 b
Quant à moi, si j'étaismontreur de phénomènes, 6+6 a
Pour faire écarquillerles prunelles humaines, 6+6 a
315 J'aimerais mieux, plutôtque Sadoch, nain bougon, 6+6 b
Ou Moloch, vieux pantinen forme de dragon, 6+6 b
Ou Bélial soufflantle feu de sa narine, 6+6 a
Avoir un bon lapinsavant qui tambourine. 6+6 a
Le gouffre étant donné,toute l'ombre et l'horreur 6+6 b
320 Amoncelée autourd'un géant éclaireur, 6+6 b
On est surpris du peuque votre fable en tire ; 6+6 a
Vous n'avez rien trouvéde mieux que le satyre. 6+6 a
Le paganisme en luichez vous est revenu. 6+6 b
Toujours le pied fourchu,toujours le front cornu. 6+6 b
325 Toujours la même ampouleau dos du même gnome. 6+6 a
Aveugle, plus, boiteux,c'est là tout le binôme. 6+6 a
Lucifer, Asmodée ;un infirme, un serpent ; 6+6 b
L'un ne voit pas Dieu ; l'autreerre clopin-clopant. 6+6 b
La maison d'or, à Rome,a sur ses vieilles briques 6+6 a
330 Des fantômes qui fontdes gambades lubriques, 6+6 a
Des nains à grosse têteet d'affreux chèvrepieds ; 6+6 b
L'enfer chrétien les asimplement copiés. 6+6 b
Vous avez baptiséle faune ; et c'est le diable. 6+6 a
Le vaste mécontentqui tire sur le câble 6+6 a
335 De l'univers, et veutcasser l'amarre, afin 6+6 b
Que tout rentre au chaos,et que le séraphin, 6+6 b
L'étoile, le ciel, l'homme,et Dieu lui-même, roulent 6+6 a
L'un sur l'autre à vau-l'eaupêle-mêle, et s'écroulent ; 6+6 a
Le fourbe qui, pensif,sous Jehovah créant, 6+6 b
340 Construit la trahisonimmense duant ; 6+6 b
L'être noir, l'effrayanteâme démesurée 6+6 a
Qui fait refluer l'ombreainsi qu'une marée, 6+6 a
Le parodiste ameret terrible qui prend 6+6 b
L'homme, et qui fait petittout ce que Dieu fit grand, 6+6 b
345 Ce monstre, ce méchantd'une si fière taille, 6+6 a
Qu'il attend le tonnerreet lui livre bataille, 6+6 a
Qu'il a pour plaie au frontle mal universel, 6+6 b
Et que tout l'océann'aurait pas trop de sel 6+6 b
Pour sa raillerie acreet son rire insondable, 6+6 a
350 Ce colosse enchnésous l'Etna formidable, 6+6 a
Se retrouve en vos mainspygmée, avec l'ennui 6+6 b
D'avoir la petitesseet la laideur sur lui ; 6+6 b
Il était dans l'Érèbeénorme ; il est au bagne ; 6+6 a
Et se voit une bosseau lieu d'une montagne. 6+6 a
355 En somme, vous avezfort peu d'invention. 6+6 b
Vous refaites le cercle tournait Ixion. 6+6 b
La nature a le singeet l'église a le diable ; 6+6 a
Vive le singe ! il estplus gai. Dans votre fable, 6+6 a
Le Capricorne, étoile,astre, tombe si bas 6+6 b
360 Qu'il n'est plus que le boucimmonde des sabbats ; 6+6 b
L'enfer triste est doubléd'un paradis féroce ; 6+6 a
Démons, damnés, maudits,sont dans la cuve atroce, 6+6 a
Leur tourment fait le cielplus céleste, et le bain 6+6 b
Qui les cuit, rafrchitlà-haut le chérubin ; 6+6 b
365 Mais le démon a beaurôtir, il est fort terne ; 6+6 a
Et l'on ne comprend pasque dans cette citerne 6+6 a
Du flamboiement sans fond,avec un tel grief 6+6 b
Et tant de haine, Iblisait si peu de relief. 6+6 b
La femelle d'Othryx,la pieuvre dont les pattes 6+6 a
370 Sans quitter l'Ararats'accrochaient aux Carpathes, 6+6 a
Et qui, plongeant sous l'eau,faisait hausser les mers, 6+6 b
N'est plus qu'une naboteaux petits ongles verts, 6+6 b
Et le peuple, qu'au fondvotre impuissance blesse, 6+6 a
Rit devant la titaneavortée en diablesse ; 6+6 a
375 Linus venant du cielsur Pégase, au relai, 6+6 b
Trouve votre sorcièreenfourchant son balai ; 6+6 b
La diablerie au moineappart, et pullule, 6+6 a
Espèce de vermine,au mur de la cellule ; 6+6 a
Mais ces monstres sont vils,ces nains sont plus blafards 6+6 b
380 Que le lourd sphinx sortantla nuit des nénuphars 6+6 b
Et que l'impur crapaudcaché sous les broussailles ; 6+6 a
Et l'on dirait que ceuxqui firent ces grisailles 6+6 a
Et tous ces à-peu-prèset tous ces camaïeux, 6+6 b
N'ont ébauche Satanque pour créer Mayeux. 6+6 b
VI
LES MAINS LEVÉES AU CIEL
385 Ciel, laisse-moi tout dire !O ciel, source des êtres, 6+6 a
Tu vois mon âme ; il fautque je parle à ces prêtres. 6+6 a
VII
CHEF-D'ŒUVRE
Vous prêtez au bon Dieuce raisonnement-ci : 6+6 b
— J'ai, jadis, dans un lieucharmant et bien choisi 6+6 b
Mis la première femmeavec le premier homme ; 6+6 a
390 Ils ont mangé, malgréma défense, une pomme ; 6+6 a
C'est pourquoi je punisles hommes à jamais. 6+6 b
Je les fais malheureuxsur terre, et leur promets 6+6 b
En enfer, Satandans la braise se vautre, 6+6 a
Un châtiment sans finpour la faute d'un autre. 6+6 a
395 Leur âme tombe en flammeet leur corps en charbon. 6+6 b
Rien de plus juste. Mais,comme je suis très bon, 6+6 b
Cela m'afflige. Hélas !comment faire ? Une idée ! 6+6 a
Je vais leur envoyermon fils dans la Judée ; 6+6 a
Ils le tueront. Alors,— c'est pourquoi j'y consens, 6+6 b
400 Ayant commis un crime,ils seront innocents. 6+6 b
Leur voyant ainsi faireune faute complète, 6+6 a
Je leur pardonneraicelle qu'ils n'ont pas faite ; 6+6 a
Ils étaient vertueux,je les rends criminels ; 6+6 b
Donc je puis leur rouvrirmes vieux bras paternels, 6+6 b
405 Et de cette façoncette race est sauvée, 6+6 a
Leur innocence étantpar un forfait lavée. 6+6 a
VIII
SUITES
L'homme étant la sourisdont le diable est le chat, 6+6 b
On appelle ceciRédemption, Rachat, 6+6 b
Salut du monde ; et, Christest mort, donc l'homme est libre ; 6+6 a
410 Et tout est désormaisfondé sur l'équilibre 6+6 a
D'un vol de pomme avecl'assassinat de Dieu ; 6+6 b
Soit. Mais ne rions plusquand Thor, à coups d'épieu, 6+6 b
Cherche à tuer Matchi,le grand tigre invisible ; 6+6 a
Ni quand l'archer Zuvochprend l'astre Aleph pour cible ; 6+6 a
415 Ne raillons plus Horusqui trompe Hermès l'expert ; 6+6 b
Ni Sog qui joue aux désla lune et qui la perd ; 6+6 b
Ni la tortue ayantsur son écaille ronde 6+6 a
Huit grands éléphants blancsqui soutiennent le monde ; 6+6 a
Ne raillons plus ces dieuxétranges de Délos, 6+6 b
420 Ailés, palmés, sachantles noms de tous les flots, 6+6 b
Dont la nuit on voyaitconfusément les trônes 6+6 a
Luire aux pâles sommetsdes monts Acrocéraunes ; 6+6 a
Et cessons de hausserles épaules devant 6+6 b
Les Hottentots prenantdans leurs poings noirs le vent, 6+6 b
425 Devant les Grecs faisant,dans un luncheon nocturne, 6+6 a
Manger ses petits-filsau grand-père Saturne ; 6+6 a
Et ne bafouons plusle nègre et son tabou, 6+6 b
Ni ce temple meubléd'idoles en bambou 6+6 b
les sauvages vontavec les sauvagesses. 6+6 a
430 O religions, dieux,certitudes, sagesses ! 6+6 a
IX
QUESTIONS
Qui que tu sois, qui vasdevant toi, méditant 6+6 b
Des perquisitionsdans ce ciel éclatant 6+6 b
Que l'homme de ses dieuxau hasard ensemence, 6+6 a
Toi qui rêves, tu n'asde sûr que ta démence, 6+6 a
435 Toi qui montes, tu n'asde grand que ton orgueil. 6+6 b
D'abord, chercheur, qu'es-tu ?Sur ce flamboyant seuil, 6+6 b
C'est là ce qu'il faut voiravant toute autre chose. 6+6 a
T'appelles-tu Pamphile,Euthyme, Eusèbe, Orose, 6+6 a
N'es-tu qu'un scoliaste,un clerc, un professeur, 6+6 b
440 D'un palimpseste obscurfeuilletant l'épaisseur, 6+6 b
Citant Pierre, Thomasou Paul, sois blême et triste, 6+6 a
Et ne demande rienau ciel, ô casuiste ; 6+6 a
Fais en dehors de luiton Dieu. Sois le rhéteur, 6+6 b
Et n'escalade pasl'inutile hauteur. 6+6 b
445 Si tu n'es que Lactance,homme, il doit te suffire 6+6 a
D'abattre Hiéroclèset d'écraser Porphyre ; 6+6 a
Si tu n'es qu'un docteurd'un culte officiel, 6+6 b
Tu n'as rien à tirerdu mystère et du ciel 6+6 b
Qui ne tourne au profitd'une thèse arbitraire, 6+6 a
450 Et tu ne pourras point,frêle esprit, en extraire 6+6 a
De meilleures raisonsque celles que donna 6+6 b
Irénée à Blastusou Justin à Zena. 6+6 b
C'est bien. Adore un texte,apprends, répète, imite, 6+6 a
Et fais-toi d'une lettreécrite ta limite. 6+6 a
455 Le ciel, ce précipice tu plongerais mal, 6+6 b
N'enseigne rien à ceuxque lie un joug fatal 6+6 b
Et qui ne veulent pasque le vrai les délivre. 6+6 a
Reste dans une ornièreet rampe dans un livre. 6+6 a
Mais es-tu d'aventureun penseur libre, errant 6+6 b
460 Du côté de la nuitqui semble transparent, 6+6 b
N'ayant pas pris d'avanceun parti sur l'abîme, 6+6 a
N'imposant aucun dogmeà la brume sublime, 6+6 a
Ne poursuivant dans l'air,dans l'onde et dans le feu 6+6 b
Aucune forme humaineou terrestre de Dieu ; 6+6 b
465 Es-tu l'homme qui chercheet l'esprit qui s'envole ? 6+6 a
Alors il te faut mieuxqu'un mtre, qu'une école, 6+6 a
Et qu'un missel, fardeaudu lutrin vermoulu. 6+6 b
Il te faut le concretet l'abstrait, l'absolu, 6+6 b
L'infini sans cadrans,sans horloges, sans montres, 6+6 a
470 Sans compas, sans boussole,et les grandes rencontres 6+6 a
De la nuit l'on sentpasser les inconnus ; 6+6 b
Il te faut les vents noirs,des profondeurs venus, 6+6 b
Qui dispersent dans l'ombreon ne sait quels messages. 6+6 a
Mais n'attends pas du gouffre s'effacent les âges, 6+6 a
475 N'attends pas du grand tout,farouche, illimité, 6+6 b
flotte l'invisible,, dans l'obscurité, 6+6 b
L'aile des tourbillonsheurte l'aile des aigles, 6+6 a
Une explicationde Dieu selon les règles, 6+6 a
Ni que, pour contenterton pauvre esprit courbé, 6+6 b
480 L'être va te prouverl'être par A plus Bé. 6+6 b
Si tu veux que l'ensembleétoile te démontre 6+6 a
Un dogme, en débattantles raisons pour et contre, 6+6 a
Comme ferait Sanchezcommentant Loyola, 6+6 b
La Nuit ne monte pointdans cette chaire-là. 6+6 b
485 Ne confonds pas l'abîmeavec un clerc ; distingue 6+6 a
Entre Oxford et la nuit,entre l'aube et Gœttingue. 6+6 a
Les théologiens,les universités, 6+6 b
Les lourds in-foliodoctement feuilletés, 6+6 b
Sont une chose, et l'ombreimmense en est une autre. 6+6 a
490 De quelle véritéle gouffre est-il l'apôtre ? 6+6 a
Tâche de le savoir ;mais n'en espère point 6+6 b
Un cours de facultésuivi de point en point. 6+6 b
La lumière dévoreet le collège broute ; 6+6 a
L'enseignement d'en hautne suit pas l'humble route 6+6 a
495 Par passe en boitantl'enseignement d'en bas ; 6+6 b
Le mystère a ses lois,la Sorbonne a ses bâts ; 6+6 b
La science de l'Être,âpre, escarpée, ardue, 6+6 a
Aire idéale fuitla pensée éperdue, 6+6 a
L'algèbre du grand Tout,le problème absolu, 6+6 b
500 Noir livre de la nuit le rêve a seul lu, 6+6 b
Je ne te cache pasqu'il se peut qu'on l'apprenne 6+6 a
Dans la profondeur bleue,ineffable et sereine, 6+6 a
Ou dans la pâle horreurdes brouillards infernaux, 6+6 b
Autrement qu'à Bologneau collège Albornoz. 6+6 b
505 Vois ! c'est l'empyrée ; aube,éther, sans bords, sans voiles, 6+6 a
Avec sa plénitudeeffroyable d'étoiles, 6+6 a
Étalant ses azursau bleu jamais terni, 6+6 b
Espèces de cristauxvagues de l'infini. 6+6 b
Qu'est-ce que tu vas faireen ce cosmos sans terme, 6+6 a
510 Plus terrible s'il s'ouvreencor que s'il se ferme ? 6+6 a
Comment ton frêle espritse comportera-t-il 6+6 b
Dans ce sombre océandu grand et du subtil ? 6+6 b
À qui parleras-tudans ce milieu tragique ? 6+6 a
Tout ton savoir humain,ta raison, ta logique, 6+6 a
515 Ne vont-ils pas se rompreen angles plus confus 6+6 b
Que les coudes du chêneau fond des bois touffus ? 6+6 b
Dis, que vont devenir,homme, tes syllogismes 6+6 a
Quand ils rencontrerontl'énormité des prismes ? 6+6 a
Pourras-tu supporterl'immense brisement 6+6 b
520 De l'idéal, du vrai,du jour, du firmament ? 6+6 b
Savoir fut de tout tempsla démence des sages. 6+6 a
Osiris consultaitl'abîme ; des visages 6+6 a
Y viennent effarerles prophètes vaincus ; 6+6 b
Mars inspirait Solonet Pallas Zaleucus ; 6+6 b
525 Numa cherchait la nympheen sa grotte enchantée ; 6+6 a
Minos questionnaitZéus sur le Dictée ; 6+6 a
Lycurgue allait à Delpheécouter Apollon. 6+6 b
Tout cela, c'est le gouffre ;et l'obscur aquilon 6+6 b
Mêle au même brouillardtous ces pâles fantômes. 6+6 a
530 Tout cela, c'est la fuiteimmense des atomes ; 6+6 a
C'est le doute.
Le doute,hélas ! Sur cette mer, 6+6 b
tous les vents, le chaud,le froid, l'impur, l'amer, 6+6 b
Épuisent les fureursde leurs rauques poitrines, 6+6 a
Appart l'archipelténébreux des doctrines ; 6+6 a
535 Sommets qui sont des portss'ils ne sont des écueils. 6+6 b
Là se dressent Vesaleentr'ouvrant des cercueils, 6+6 b
Socrate lumineux,Zenon dans un jour triste, 6+6 a
Pyrrhon vague, et si noirqu'on ne sait' s'il existe, 6+6 a
Les sept sages, pareilsaux Cyclades, couverts 6+6 b
540 De nuages, de flots,de brumes et d'hivers, 6+6 b
Swift, Rabelais, Montaigne,Herder, Kant en détresse, 6+6 a
Hegel sombre, et, là-bas,cette cime, Lucrèce. 6+6 a
Les plus mornes, ce sontles rieurs. Avoir ri, 6+6 b
Ce n'est pas contre l'ombreétoilée un abri ; 6+6 b
545 Cela ne construit pasun toit sur notre tête 6+6 a
Contre l'Être, sinistreet splendide tempête ; 6+6 a
Cela n'empêche pasles monts d'être debout ; 6+6 b
Cela ne fait pas taireun Vésuve qui bout, 6+6 b
Ni les clairons de l'ombreaux bouches des borées ; 6+6 a
550 Cela n'empêche pasles mers démesurées 6+6 a
D'offrir on ne sait quelshommages écumants 6+6 b
À la pâle planèteau fond des firmaments ; 6+6 b
Rire, cela ne peutdéconcerter la rose 6+6 a
Qui s'ouvre en juin, ayantpour devoir d'être éclose ; 6+6 a
555 Fermer l'œil et crier :Je lie veux pas les voir ! 6+6 b
Cela n'empêche pasles rayons de pleuvoir. 6+6 b
Riez. Soit. L'Inconnuderrière sa muraille 6+6 a
Ne s'inquiète pasde Lucien qui raille ; 6+6 a
Ni les eaux, ni les champs,ni les fleurs, ni les blés, 6+6 b
560 Ni les forêts ne sontd'un sarcasme troublés ; 6+6 b
L'invisible cocherdes sept astres du pôle 6+6 a
Ne baisse pas le front,ne tourne pas l'épaule, 6+6 a
En poussant au zénithl'effrayant chariot, 6+6 b
Pour voir ce que Voltaireécrit à Thiriot. 6+6 b
565 Les rieurs sont-ils sûrsde leur rire ? Leur style 6+6 a
Élide volontiersDieu, syllabe inutile ; 6+6 a
Du vieux surplis du prêtreils chiffonnent l'empois ; 6+6 b
Mais que veulent-ils ? Faireaux croyants contrepoids. 6+6 b
Est-ce tout ? À quoi bon ?Quel choix dans la nuit noire ! 6+6 a
570 Le hasard de nierou le hasard de croire ! 6+6 a
Que sert, dans cette énigme l'homme est enfoui, 6+6 b
De balbutier Nonparce qu'on bégaie Oui ? 6+6 b
Donc, esprit, prends ton vol,si tu te sens des ailes. 6+6 a
Mais, homme, quel que soitl'éclair de tes prunelles, 6+6 a
575 N'espère pas, si hautque ton âme ait monté, 6+6 b
T'envoler au delàde ton humanité. 6+6 b
Va ! mais, songes-y bien,nul ne sort de sa sphère. 6+6 a
L'Être en qui tout se fond,mais de qui tout diffère, 6+6 a
A fait les régionspour qu'on s'y renfermât ; 6+6 b
580 Et l'oiseau le plus librea pour cage un climat. 6+6 b
II
PHILOSOPHIE
Homme, qu'est-ce que c'estque tes cérémonies 6+6 a
Misérables, devantles choses infinies ? 6+6 a
À quoi bon tes pæans,tes chants, tes hosannas ? 6+6 b
Pourquoi, n'ayant pas plusde jours que tu n'en as, 6+6 b
585 Prier au pied d'un tasd'autels contradictoires ? 6+6 a
Quelle manie, atomeen proie aux purgatoires, 6+6 a
As-tu d'interpellerles cieux ? et quel besoin 6+6 b
De prendre l'invisibleet l'obscur à témoin ? 6+6 b
Crois-tu féconder l'Ombreen y semant des rites, 6+6 a
590 Des formules de nuitsur du brouillard transcrites ? 6+6 a
T'imagines-tu donc,être aux songes bornés, 6+6 b
Que, lorsqu'avec tes yeux,tes oreilles, ton nez, 6+6 b
Tu bâtis un féticheayant ta ressemblance, 6+6 a
En t'adressant au videinsondable, au silence, 6+6 a
595 Au mystère, à l'horreur,tu les amèneras 6+6 b
À lui faire des piedsquand tu lui fais des bras ? 6+6 b
Te figures-tu pasque le gouffre, Socrate, 6+6 a
Les druides d'Armor,les mages de l'Euphrate, 6+6 a
Jean de Patmos, et Dante,et Thaïes ont frémi, 6+6 b
600 Entrera pour sa part,et de compte à demi, 6+6 b
Dans la formationde quelque être inutile 6+6 a
Que la réalitéde toutes parts mutile ? 6+6 a
Quiconque, apôtre, augure,ou barde au large front, 6+6 b
Forge un Dieu de son mieuxet l'offre au ciel profond, 6+6 b
605 N'apeoit que la brumeet la noirceur confuse 6+6 a
Du firmament sinistreet calme, qui refuse ; 6+6 a
L'homme a beau présenterun Dieu, prémédité 6+6 b
Dans son aveuglementet dans sa surdité, 6+6 b
Que ce Dieu soit indou,païen, grec ou biblique, 6+6 a
610 L'ombre ne donne pasà l'homme la réplique ; 6+6 a
Sans écho, sans qu'un signeait paru dans l'éther, 6+6 b
L'Être a vu par Orphéeenfanter Jupiter, 6+6 b
Allah par Mahomet,Jehovah par Moïse ; 6+6 a
La négation tristeest dans le vide assise ; 6+6 a
615 Le prêtre par l'abîmeest toujours éconduit ; 6+6 b
L'immobilité graveet morne de la nuit 6+6 b
Suffit au Tout lugubre,et le gouffre n'invente 6+6 a
Aucune idole, ayantl'éternelle épouvante. 6+6 a
Ah ! tu montes vers l'ombreavec un Dieu tout fait. 6+6 b
620 Que Dieu soit. Ton néantde grandeur le revêt ; 6+6 b
Ta nuit lui pose au frontl'aurore éblouissante ; 6+6 a
Puis au-dessous de luitu mets une descente 6+6 a
D'anges, d'êtres ayantl'azur pour point d'appui, 6+6 b
Décroissant jusqu'à toi,puis croissant jusqu'à lui. 6+6 b
625 Il te faut ta sérieallant du ciel à terre ; 6+6 a
Tu veux d'un seul regardembrasser le mystère ; 6+6 a
Voir le point d'arrivéeet le point de départ ; 6+6 b
Tu veux dire : voicila moitié, puis le quart ; 6+6 b
Compter les échelons ;tu rêves ce quadrille : 6+6 a
630 Dieu, puis l'archange, et l'hommeen regard du mandrille ; 6+6 a
Eh bien, non. Tout n'est qu'Un.Sache, ô sombre écolier, 6+6 b
Qu'on ne monte pas Dieucomme ton escalier ; 6+6 b
Il est dans une rucheaussi bien que dans Rome ; 6+6 a
Le ver n'est pas plus loinde l'infini que l'homme. 6+6 a
635 Nous autres les songeursque dévorent la faim 6+6 b
Et la soif de conntre,et qui, sans peur, sans fin, 6+6 b
Creusons l'éternitéformidable et candide, 6+6 a
Du côté noir, ainsique du côté splendide 6+6 a
l'on voit tant de vieet de flamme abonder, 6+6 b
640 Nous avons beau guetter,contempler, regarder, 6+6 b
Observer, épier,jamais nous n'apeûmes 6+6 a
Pas plus ce que tu croisque ce que tu présumes. 6+6 a
Conntre à fond Celuiqui Vit, ses attributs, 6+6 b
Son essence, sa loi,son pouvoir, — de tels buts 6+6 b
645 Sont plus hauts que l'effortde l'homme qui trépasse. 6+6 a
Les invisibles sont.Ils emplissent l'espace, 6+6 a
Ils peuplent la lumière,ils parlent dans les bruits ; 6+6 b
Mais ne ressemblent pointà ce que tu construis. 6+6 b
Renonce à fatiguerle réel de tes songes ; 6+6 a
650 L'Ombre, en bas comme en haut,repousse tes mensonges ; 6+6 a
Le tonnerre n'est pasl'ami ni l'ennemi 6+6 b
De ton Dieu que ne haitni n'aime la fourmi ; 6+6 b
Quand ta dévotiondresse un temple et s'y mure, 6+6 a
L'ouragan en ricaneet l'abeille en murmure' ; 6+6 a
655 Tu n'es pas moins raillédu nain que duant ; 6+6 b
Tes dragons sont d'airain,tes dieux sont deant ; 6+6 b
Tu peux les ciseler,mais non les faire vivre ; 6+6 a
L'oiseau craint le serpentet perche sur ta guivre ; 6+6 a
Sculpte tes déités !dans leurs yeux de granit 6+6 b
660 Le vautour fait sa fienteet le crapaud son nid ! 6+6 b
Toi-même tu rirais,si tu pouvais conntre 6+6 a
À quel point tu ne peux,homme, rien faire ntre, 6+6 a
Rien construire en dehorsdes formes que tu vois ; 6+6 b
À quel point tous tes arts,travaillant à la fois, 6+6 b
665 Tes peintres, tes sculpteurs,sont nuls pour rien produire 6+6 a
Hors du cercle tu voisun jour pâle te luire ; 6+6 a
Jusqu' sont puérilstes rêves délirants ; 6+6 b
Quelle est, pour inventer,l'enfance des plus grands ; 6+6 b
Combien est infécondRembrandt, et dans quel lange 6+6 a
670 Sont encor Phidias,Rubens et Michel-Ange ! 6+6 a
La nature, l'aïeuleaux mille sombres voix 6+6 b
Rugissantes parmiles antres et les bois, 6+6 b
La nourrice des loups,des ours et des panthères, 6+6 a
À des dessous profondspeuplés de noirs mystères 6+6 a
675 Qui te feraient pâlirsi tu les pénétrais, 6+6 b
Et, dans l'énormitédes eaux et des forêts, 6+6 b
Riche en monstres, n'a pasbesoin de tes chimères. 6+6 a
Crois-tu pas qu'épousanttes songes éphémères, 6+6 a
Elle accepte ton hydreou ta licorne, ayant 6+6 b
680 Son tigre, son lionau regard flamboyant, 6+6 b
Et son hippopotamehorrible, et qu'elle abdique 6+6 a
Son grand aigle des montspour ton aigle héraldique ? 6+6 a
Ah ! pauvre homme inutileet fou sous le ciel bleu, 6+6 b
Tu ne peux faire un monstreet tu veux faire un Dieu ! 6+6 b
685 Et puis quand tu l'auras,fort bien, que tu lui fasses 6+6 a
Deux sexes comme à Fô,comme à Janus deux faces, 6+6 a
Que tu l'ornes d'un tasde titres et de noms, 6+6 b
Le voilà sur ses pieds,c'est Dieu, nous le tenons, 6+6 b
le mettre ? En quel gouffre,homme ? ou dans quelle sphère ? 6+6 a
690 Perceras-tu, toi l'homme,un trou dans la lumière 6+6 a
Pour y loger ce Dieuque ton esprit forma 6+6 b
D'un peu de Jupiteret d'un peu de Brahma ? 6+6 b
Ce Zésus, cet Allah,ce Pan, que tu fabriques 6+6 a
Avec tes passionsféroces et lubriques, 6+6 a
695 Comment le mettras-tudans les astres ? Quel clou 6+6 b
Prendras-tu pour clouerau fond des cieux Vishnou ? 6+6 b
Fusses-tu secondéd'Alcée et de Terpandre, 6+6 a
Dis, comment feras-tupour fixer, pour suspendre, 6+6 a
Et pour faire tenirÉrigone aux seins nus, 6+6 b
700 Érynnis, Astarté,Bellone, la Vénus, 6+6 b
Ces buveuses de sanget ces prostituées, 6+6 a
Dans la façade énormeet pâle des nuées ? 6+6 a
Ah ! noir vivant, tu veuxun Dieu ! Qu'en feras-tu ? 6+6 b
Auras-tu moins d'orgueil,homme, et plus de vertu ? 6+6 b
705 Embrasseras-tu l'homme ?aimeras-tu ton frère ? 6+6 a
Deviendras-tu flambeau ?briseras-tu la guerre, 6+6 a
Ce vieux glaive éterneld' dégoutte le sang ? 6+6 b
Dis, jetteras-tu moinsde pierres en passant 6+6 b
Aux penseurs, aux héros,aux martyrs, aux apôtres ? 6+6 a
710 Laisseras-tu, devantl'affliction des autres, 6+6 a
Entrer la pitié blancheet douce dans ton cœur ? 6+6 b
Seras-tu plus pensif,plus grave et moins moqueur, 6+6 b
Surtout pour les déchuset pour les incurables ? 6+6 a
Seras-tu moins hautaindevant les misérables, 6+6 a
715 Plus doux pour l'insenséqu'entrnent ses penchants, 6+6 b
Moins grand pour les petitset meilleur aux méchants ? 6+6 b
Réponds, mêleras-tu,dis, un peu de tendresse, 6+6 a
O juste, à ta justice,ô sage, à ta sagesse ? 6+6 a
Feras-tu grâce au monstreen pleurs, et seras-tu 6+6 b
720 Un Abel moins altierpour Caïn abattu ? 6+6 b
Et, si tu n'es qu'un monstreet qu'un Caïn toi-même, 6+6 a
Viendras-tu t'effarerà la lueur suprême, 6+6 a
Et te prosterner, pâle,heureux, épouvanté, 6+6 b
Sous la prodigieuseet clémente clarté ? 6+6 b
725 Un Dieu tient de la place,homme, dans une sphère. 6+6 a
Avant d'en vouloir un,il faut savoir qu'en faire. 6+6 a
Un Dieu, quand ce n'est pasun port, c'est un péril. 6+6 b
Ah ! la plupart du temps,sénile et puéril, 6+6 b
Importunant les cieux,livide solitude, 6+6 a
730 Tu veux un Dieu, de peurd'en perdre l'habitude, 6+6 a
Parce que du passétu subis l'ascendant, 6+6 b
Tu veux un Dieu, pour rien,pour faire, en attendant 6+6 b
Que ton cadavre tombeau sépulcre et pourrisse, 6+6 a
Ce que ton père a fait,ce qu'a fait ta nourrice, 6+6 a
735 Par ennui, pour sentirsur ta tête un patron, 6+6 b
Pour avoir quelque choseà mettre en ton juron. 6+6 b
Enfin te rends-tu compteun peu du vaste rêve 6+6 a
ton destin commence, ton destin s'achève, 6+6 a
Qu'on nomme l'univers,et qui flotte infini ? 6+6 b
740 En vois-tu le côtéfatal, blessé, puni ? 6+6 b
Le lait coule, et le sangaussi ; l'esprit s'effraie. 6+6 a
Sous la grande mamelleon voit la grande plaie. 6+6 a
Lucine pleure ayantdevant elle Atropos. 6+6 b
Hélas ! hélas ! s'il estquelqu'un qui, sans repos, 6+6 b
745 Crée, engendre et produit,homme, il est quelque chose 6+6 a
Qui sans trêve détruit,dévore et décompose. 6+6 a
Ce fileur ne fait rienque pour ce déchireur. 6+6 b
Les êtres sont éparsdans l'indicible horreur. 6+6 b
L'ombre en étouffe plusque le jour n'en anime. 6+6 a
750 La lumière s'épuiseà traverser l'abîme ; 6+6 a
Les rayons dans l'éthers'enfoncent éperdus ; 6+6 b
L'obscurité, vers quitous les bras sont tendus, 6+6 b
Livide, est toujours làqui fait la nuit, et creuse 6+6 a
Ce trou pour engloutirla clarté généreuse ; 6+6 a
755 Quoi que fasse l'étoileet l'aube à l'horizon, 6+6 b
Tout n'est qu'une malsaineet nocturne prison ; 6+6 b
Malgré le vaste effortde l'aurore, tout souffre ; 6+6 a
Quelle épaisseur de nuitne faut-il pas au gouffre 6+6 a
Pour amortir la flècheénorme du soleil ? 6+6 b
760 Eh bien, vois ! Mars est noir ;Saturne est-il vermeil ? 6+6 b
Les azurs sont brumeux,les planètes sont pâles. 6+6 a
Quant à ton globe à toi,des pleurs, des cris, des râles. 6+6 a
Ta sphère a-t-elle un Dieu ?S'il existe, il dément 6+6 b
Sans cesse la beauté,l'astre, le firmament ; 6+6 b
765 Que ce Dieu donne un chantaux oiseaux, qu'il revête 6+6 a
Le rossignol de joieet d'amour la fauvette, 6+6 a
Qu'importe s'il les faitguetter par l'épervier ! 6+6 b
Soi-même s'abhorrer,soi-même s'envier, 6+6 b
Telle est l'obscure loide l'être lamentable. 6+6 a
770 Ton affreux ciel mugitcomme un bœuf dans l'étable ; 6+6 a
Quant au genre humain, vois !
Esclaves et bourreaux, 6+6 b
Vil tas de cendre ayantpour tisons les héros, 6+6 b
Paille éteinte d'un souffleet d'un souffle allumée, 6+6 a
Foule qu'on voit passeret dans de la fumée 6+6 a
775 Fuir après qu'on l'a vueun instant se mouvoir ! 6+6 b
À peine en reste-t-ilquelque chose de noir. 6+6 b
Ses chefs n'ont pas de but,ses dieux n'ont pas de norme ; 6+6 a
Rien que pour les nommer,son histoire est difforme ; 6+6 a
Les canons remplaçantles chars armés de faulx, 6+6 b
780 Des trônes, des bûchers,d'affreux arcs triomphaux, 6+6 b
Des profils de césarséquestres sous des porches, 6+6 a
De toutes ces lueursl'homme faisant des torches, 6+6 a
Un reflux d'ombre aprèsun flux de liberté, 6+6 b
De la haine et du bruit,voilà l'humanité. 6+6 b
785 La vie est de la nuit,la mort seule est lucide ; 6+6 a
La science aboutità l'âme suicide ; 6+6 a
Tout ment ; et les espritsse blessent aux scalpels. 6+6 b
Les sens à la raisonfont d'obscènes appels ; 6+6 b
Sur la chair crt le vice,infâme parasite ; 6+6 a
790 Le mal tente l'esprit,l'esprit tremblant hésite. 6+6 a
La conscience est làpour régler ces débats ? 6+6 b
Soit. Mais a-t-elle peur ?pourquoi parler si bas ? 6+6 b
Vois ton indignité,dont tu fais ta victoire. 6+6 a
Est-il, bien que le cielait aussi sa nuit noire, 6+6 a
795 Un coin du firmament,d'ombre ou d'azur baigné, 6+6 b
Qui ne jette sur l'hommeun regard indigné ? 6+6 b
Est-il une vertuque l'homme dans ses doutes 6+6 a
N'ait flétrie ou niée ?Interroge-les toutes. 6+6 a
Demande au dévouement,au courage, à l'amour, 6+6 b
800 Ce qu'ils pensent de l'homme,âpre et vil tour à tour. 6+6 b
La justice en a peurquand elle voit sa toge. 6+6 a
Questionne sur luila sagesse ; interroge 6+6 a
La faiseuse d'ingrats,la mère au sein mordu, 6+6 b
La bonté. Le devoirest un flambeau perdu. 6+6 b
805 Qui grandit soudain penche,et qui nt périclite. 6+6 a
O vivants, Démocriteaussi bien qu'Héraclite, 6+6 a
Rabelais comme Job,Timon comme Pangloss, 6+6 b
Tout s'écroule en chimèreou se fond en sanglots. 6+6 b
Là, des pôles tombeaux,ici, des déserts mornes 6+6 a
810 rôdent le bubaleet la vipère à cornes, 6+6 a
le soleil emplitde venin les buissons, 6+6 b
la lumière sertà faire des poisons. 6+6 b
Le soir, comme un mourantles horizons blêmissent ; 6+6 a
Ce globe, couvert d'eauxet d'arbres qui frémissent, 6+6 a
815 Entrecoupe on ne saitquels cris et quels abois 6+6 b
Dans un balancementde vagues et de bois. 6+6 b
Tout menace et tout tremble ;et la mer accoutume 6+6 a
La terre misérableà l'immense amertume. 6+6 a
Homme, ton universa l'air d'être inquiet. 6+6 b
820 Devant qui ? Tout s'enfuit.Le jour craint, la nuit hait. 6+6 b
L'être est un bloc confusde masques et de bouches 6+6 a
Mêlés lugubrementdans des effrois farouches ; 6+6 a
Comme deux oiseaux noirssans fin se poursuivant 6+6 b
L'éclair étreint la nuitdans la fuite du vent, 6+6 b
825 Et la nature entr'ouvreau fond de ces alarmes 6+6 a
Son œil mystérieux,noyé de sombres larmes. 6+6 a
L'être est morne, odieuxà sonder, triste à voir. 6+6 b
De là les battementsd'ailes du désespoir. 6+6 b
Tu dis : — Je vois le mal,et je veux le remède. 6+6 a
830 Je cherche le levier,et je suis Archimède. 6+6 a
Le remède est ceci :Fais le bien. Le levier, 6+6 b
Le voici : Tout aimeret ne rien envier. 6+6 b
Homme, veux-tu trouverle vrai ? cherche le juste. 6+6 a
Mais quant au dogme, neufet jeune, ou vieux et fruste, 6+6 a
835 Quant aux saints fabliaux,quant aux religions 6+6 b
Inoculant l'erreurdans leurs contagions, 6+6 b
Semant les fictions,les terreurs, les présages, 6+6 a
Quant à tous ces docteurs,à ces essaims de sages 6+6 a
Qui vont l'un maudissantce que l'autre a béni, 6+6 b
840 Qui, volant, bourdonnant,harcelant l'infini, 6+6 b
Feraient abriter Dieusous une moustiquaire, 6+6 a
Quant au daïri roi,quant au pape vicaire, 6+6 a
Quant à tous ces koransque chaque âge inventa, 6+6 b
Edda, Veda, Talmud,King ou Zend-Avesta, 6+6 b
845 Ce n'est qu'une confuseet perverse mêlée ; 6+6 a
En les étudiant,ô pauvre âme aveuglée, 6+6 a
Tu n'apprendras pas plusle réel qu'en cherchant 6+6 b
À composer, avecdes insultes, un chant ! 6+6 b
Et qu'importe, après tout,que l'homme prie ou croie ; 6+6 a
850 Qu'avec son propre songe,inepte, il se foudroie ; 6+6 a
Qu'il adore le Toutinforme, ou l'esprit pur, 6+6 b
Une statue en bronzeou bien un pan d'azur ; 6+6 b
Que l'homme au ciel s'égareou qu'il se fanatise 6+6 a
Avec la fauve odeurdes bûchers qu'il attise ; 6+6 a
855 Que sa religionait des pieds et des mains 6+6 b
Et des sens, et se livreaux appétits humains, 6+6 b
Ou soit vapeur, fumée,ombre ; que dans l'église 6+6 a
Son Dieu se pétrifieou se volatilise ; 6+6 a
Que l'homme, impur, s'aveugleà suivre n'importe 6+6 b
860 Tantôt l'abstraction,tantôt le manitou ; 6+6 b
Que ce soit la chandelleou l'astre qu'il contemple ; 6+6 a
Qu'il adore une idéeou qu'il adore un temple ; 6+6 a
Que, croyant voir des dieux,au fond des bois épais, 6+6 b
Il nomme Argès l'éclair,la foudre Stéropès ; 6+6 b
865 Que, l'un couché dans l'or,l'autre nu sur des nattes, 6+6 a
Le nègre ait ses tabouset César ses pénates ; 6+6 a
Que le flamine encenseen chlamyde de lin 6+6 b
Le morne Olympien,le noir Capitolin ; 6+6 b
Qu'on ait un Dieu hantantl'alcôve impériale, 6+6 a
870 Un pour le sénateur,un pour le curiale ; 6+6 a
Que les dieux soient diverset mesurés aux rangs, 6+6 b
Pour l'esclave petitset pour le mtre grands ; 6+6 b
Qu'en l'honneur d'un Indraquelconque, le brahmine 6+6 a
Se laisse dévorervivant par la vermine ; 6+6 a
875 Qu'on se damne en carêmeâ manger du jambon ; 6+6 b
Que pour faire un saint Pierreun Jupiter soit bon, 6+6 b
Et que la foule, au fonddes hautes basiliques, 6+6 a
Use un orteil païende baisers catholiques, 6+6 a
Si bien qu'un vieux Très-Hautressert et se revend, 6+6 b
880 Et qu'avec un dieu morton bâcle un saint vivant ; 6+6 b
Qu'ainsi qu'un terre-neuveattaque un boule-dogue, 6+6 a
La mosquée en fureurmorde la synagogue ; 6+6 a
Que Rome ait en dédainMoscou ; que Borgia 6+6 b
Soit pour la Vierge et nonpour la Panagia ; 6+6 b
885 Que les frontons sacréschangent d'hiéroglyphe ; 6+6 a
Que le blanc d'Hildebrandsoit le noir de Caïphe ; 6+6 a
Que l'homme à Mahometdonne un dôme écrasé, 6+6 b
À Notre-Dame un chœurfait en bois menuisé, 6+6 b
Au grand éléphant blancun éventail de plumes ; 6+6 a
890 Qu'il ait ses dieux brochésen plusieurs gros volumes ; 6+6 a
Qu'il discute si c'estle Pinde, âpre coteau, 6+6 b
Qui vit l'hydre déesse,Amphitrite Céto 6+6 b
Sortir de la mer bleueet triste, ou si l'Élide 6+6 a
La première apeutl'effroyable annélide ; 6+6 a
895 Qu'il donne Thèbe aux sphinxet Tyr aux belzébuths ; 6+6 b
Qu'il appelle le jourAdonis ou Phébus ; 6+6 b
Qu'il écoute de Panles invisibles flûtes ; 6+6 a
Qu'il bâtisse un cromlechavec des pierres brutes, 6+6 a
Ou fasse à Phidiassculpter le Parthénon ; 6+6 b
900 Qu'il juche Dieu sur l'aigleou bien sur un ânon ; 6+6 b
Qu'il serve le Baalavec la Baaltide ; 6+6 a
Qu'il soit évêque, et propre,ou derviche, et fétide, 6+6 a
Vil caloyer barbu,beau diacre tonsuré, 6+6 b
Très révérend ministre,ou monsieur le curé ; 6+6 b
905 Que la sottise autourdu mensonge se groupe ; 6+6 a
Que le meilleur orfèvre,avec sa bonne loupe, 6+6 a
Ne puisse distinguerles dieux vrais des dieux faux ; 6+6 b
Que le rêve ait Endor,que la chair ait Paphos ; 6+6 b
Qu'avant de croire en Dieu,le genre humain le crée ; 6+6 a
910 Que sous la pressionde la crainte sacrée, 6+6 a
Que, sous la pesanteurdes vagues régions, 6+6 b
Les superstitionset les religions 6+6 b
Sortent de son espritcomme l'eau des éponges ; 6+6 a
Que, sans savoir pourquoi,dans un noir tas de songes, 6+6 a
915 Il choisisse tel dogmeou tel autre ; qu'en bloc, 6+6 b
Acceptant Irmensul,il rejette Moloch ; 6+6 b
Qu'il adopte une idoleinfâme et s'en entiche, 6+6 a
Faisant le délicatpour quelque autre fétiche ; 6+6 a
Que, sur Dieu, pour savoirs'il est de bonne humeur, 6+6 b
920 Il consulte le ventou le flot en rumeur, 6+6 b
Ou la flamme, ou l'oiseauplanant dans des tempêtes ; 6+6 a
Qu'il nourrisse ce Dieude la viande des bêtes, 6+6 a
De gâteaux sans levainou de pain trois fois cuit, 6+6 b
Qu'est-ce que cela fait,homme, au puits de la nuit ? 6+6 b
925 Qu'est-ce que cela faitau précipice énorme, 6+6 a
la vie en de l'ombreet du vent se transforme, 6+6 a
le songeur hagardn'apeoit vaguement 6+6 b
Qu'un incommensurableet sombre écroulement, 6+6 b
le jour, blêmissantdans les vides sans bornes, 6+6 a
930 Meurt dans l'aveuglementdes immensités mornes ! 6+6 a
Invente, si tu veux,toi, ta doctrine aussi, 6+6 b
Et quand tu l'auras faiteet construite, crois-y ; 6+6 b
Combine, tu le peux,d'autres idolâtries. 6+6 a
Après ces tourbillonsde croyances flétries, 6+6 a
935 Après ces larves, Bel,Ammon, Janus, Rhéa, 6+6 b
Osiris, Odin, Thor,que la guerre créa, 6+6 b
Ces enfers, ces édens,ces cieux, ces rêveries, 6+6 a
Et les houris donnantla main aux walkyries, 6+6 a
Homme, après le dieu bœuf,après le dieu dragon, 6+6 b
940 Après Chronos, aprèsMagog, après Dagon, 6+6 b
Apportés, remportéspar les nuits grandissantes, 6+6 a
Qu'importe à l'infinilivide que tu sentes 6+6 a
Une religionde plus, flottant au bord 6+6 b
De tout ce que tu faisdans la brume du sort, 6+6 b
945 Promener sur ton frontson souffle de fantôme, 6+6 a
Et, dans l'ombre sans forme, tu rêves un dôme, 6+6 a
Dans le ciel, plus menteuret plus noir que la mer, 6+6 b
Un Dieu de plus passersur le poil de ta chair ! 6+6 b
Toute religion,homme, est un exemplaire 6+6 a
950 De l'impuissance ayantpour appui la colère. 6+6 a
Toute religionest un avortement 6+6 b
Du rêve humain devantl'être et le firmament ; 6+6 b
Le dogme, quel qu'il soit,juif ou grec, rapetisse 6+6 a
À sa taille le vrai,l'idéal, la justice, 6+6 a
955 La lumière, l'azur,l'abîme, l'unité ; 6+6 b
Il coupe l'absolusur sa brièveté ; 6+6 b
Tous les cultes ne sont,à Memphis comme à Rome, 6+6 a
Que des réductionsde l'éternel sur l'homme, 6+6 a
Fragments d'indivisible,ombres de la clarté, 6+6 b
960 Masques de l'infinipris sur l'humanité. 6+6 b
Leur tonnerre est un brasqui lance un dard de soufre ; 6+6 a
Leur cercle n'admet pasl'immensité ; leur gouffre 6+6 a
Est comblé d'un Odinou d'un Adonaï. 6+6 b
Eh bien, penseurs, niezOlympe et Sinaï ; 6+6 b
965 Au lieu de ce vain cielqui sur un mont s'appuie, 6+6 a
Et d'Éole trouantles outres de la pluie, 6+6 a
Et des quatre chevauxd'Apollon hennissant 6+6 b
De joie et de fureurvers la nuit qui descend ; 6+6 b
Au lieu de ces palaisde nuage et de flammes 6+6 a
970 flottent, transparents,des dieux hommes et femmes, 6+6 a
, les foudres au poing,rôdent tous ces fléaux 6+6 b
Que l'homme appelle Allah,Sabaoth, Fô, Théos ; 6+6 b
Au lieu de l'éléphantpontifical qui groupe 6+6 a
sur sa tête les cieuxet l'enfer sur sa croupe ; 6+6 a
975 Au lieu de cette merdu désert ténébreux 6+6 b
Qui laisse fuir Moïseet passer les Hébreux 6+6 b
Entre ses flots ainsiqu'entre deux murs de verre ; 6+6 a
Au lieu de cette luneétrange du Calvaire, 6+6 a
Toute rouge du sangque Jésus a sué ; 6+6 b
980 Au lieu du faux soleilqu'arrête Josué, 6+6 b
Et de l'eau sur laquelleun Christ étoile marche, 6+6 a
Montrez aux bonzes noirs,gardant le temple et l'arche, 6+6 a
Quoi ? la Réalité,ce prodige inouï, 6+6 b
La lumière, ce vasteaspect épanoui, 6+6 b
985 La mort créant la vie,et transformant la tombe 6+6 a
En crèche fait son nidl'âme, cette colombe, 6+6 a
Le miracle des gaz,des forces, des aimants, 6+6 b
L'infini ténébreux,plein d'éblouissements, 6+6 b
L'ombre ayant des soleilsplus que la mer n'a d'ondes, 6+6 a
990 La confrontationformidable des mondes, 6+6 a
L'étoile, astre central,et la terre tournant, 6+6 b
L'homme, atome perdudans ce tout rayonnant, 6+6 b
Les comètes, les feux,les souffles, les bolides, 6+6 a
Les sphères tourbillonset les globes solides, 6+6 a
995 Les univers sans fin,splendides visions, 6+6 b
Et les créationset les créations ; 6+6 b
Montrez les profondeurssaintes ; montrez aux prêtres 6+6 a
Les abîmes de vieet les océans d'êtres, 6+6 a
Vous les verrez crier :Cela n'est pas ! horreur ! 6+6 b
1000 Vous verrez se ruerles cultes eh fureur, 6+6 b
Païens, sur Hicétas,chrétiens, sur Galilée, 6+6 a
Et l'autel tressaillirsur la terre ébranlée, 6+6 a
Et les pâles docteursfrémir dans le saint lieu, 6+6 b
Et les religionsreculer devant Dieu. 6+6 b
1005 Fanatismes ! terreurs !la fable est sur les hommes ! 6+6 a
Sur tous ces yeux fermésfaisant de sombres sommes ! 6+6 a
Quel rêve ! quel monceaud'olympes insensés ! 6+6 b
Que d'effroi ! que d'enfer !
Assez, prêtres ! assez ! 6+6 b
La bacchante au flanc nurit dans le bois infâme ; 6+6 a
1010 L'Indou qui saigne et pendaux crocs de fer, se pâme ; 6+6 a
La mère, avec la chairde son enfant, nourrit 6+6 b
Le dieu-fournaise aux dentsde feu, Baal-Bérith ; 6+6 b
Ici, temple à la Nuit ;là, temple à la Famine ; 6+6 a
Le cheval de Pimande la Mecque chemine 6+6 a
1015 Sur des hommes couchésà terre, qui lui font 6+6 b
Un fumier de leur âme,un pavé de leur front ; 6+6 b
La Chine donne aux mœurs,aux arts, aux lois, aux codes 6+6 a
La forme monstrueuseet folle des pagodes. 6+6 a
Que d'hommes ont vécusans jamais être nés ! 6+6 b
1020 Et ceux-ci, ces croyantsépris et forcenés 6+6 b
Sur qui le sphinx romainpose ses larges griffes, 6+6 a
Que d'affreux hommes dieux,qu'ils appellent pontifes, 6+6 a
Courbent sous leur vil sceptre,infaillible, accepté, 6+6 b
Insolent pour l'azuret pour l'éternité, 6+6 b
1025 Oh ! les infortunés !est-il rien de plus triste 6+6 a
Que leur sinistre foidans la Rome papiste ! 6+6 a
Rome, charnier sous l'aigle,est, sous la croix, bazar. 6+6 b
Quel est le plus hideuxde Pierre ou de César ? 6+6 b
Rome a l'un après l'autre.Épouvantable liste ! 6+6 a
1030 Ce vampire c'est Jean,ce spectre c'est Caliste ; 6+6 a
Boniface a des filsde ses nièces ; Urbain 6+6 b
Fait saigner et mourircinq prêtres dans leur bain ; 6+6 b
Borgia dans Gomorrhey serait une tache ; 6+6 a
Grégoire tient la torcheet Sixte tient la hache ; 6+6 a
1035 Félix est un désastreet Simplicius ment ; 6+6 b
Cet Innocent brûlaitles hommes, ce Clément 6+6 b
Les massacrait, ce Pieest un vendeur du temple ; 6+6 a
Jule est l'épouvantailcomme Christ est l'exemple ; 6+6 a
Toutes les passionsse tenant par la main, 6+6 b
1040 Toute la turpitudeet tout l'orgueil humain 6+6 b
Se donnent rendez-vousdans la ville éternelle ; 6+6 a
Tout vient là, dol, parjure,impureté charnelle, 6+6 a
Tous les forfaits connuset tous les inconnus, 6+6 b
Tous les crimes masquéset tous les vices nus ; 6+6 b
1045 Rome appelle à son littous ces passants infâmes ; 6+6 a
Rome, l'entremetteuseet la marchande d'âmes, 6+6 a
Rit, et se prostitue,une tiare au front ; 6+6 b
Et, tandis que Brutustressaille de l'affront 6+6 b
Et que Trajan frémitsur sa haute colonne, 6+6 a
1050 Eux, ces fous, se livrantà cette Babylone, 6+6 a
Chantent, et, croyant voirla céleste Sion, 6+6 b
D'elle ils adorent tout,fraude, inquisition, 6+6 b
La luxure, l'horreur,le bûcher, le massacre, 6+6 a
Et les saints qu'elle faitet les rois qu'elle sacre, 6+6 a
1055 Et, l'extase au cœur, fiersdu joug, captifs, amants, 6+6 b
Ils respirent l'odeurde ses vomissements ! 6+6 b
Et dire que la terreest tout entière en proie 6+6 a
Aux affirmationsde ces prêtres sans joie, 6+6 a
Sans pitié, sans bonté,sans flambeau, sans raison, 6+6 b
1060 Dont l'ombre, l'ombre, l'ombreet l'ombre est l'horizon ! 6+6 b
III
RIEN
Mais quelqu'un me vient-ilen aide, ô nuit farouche ? 6+6 a
J'écoutais, j'entendis.Ombre obscure ! Une bouche 6+6 a
Parlait, et dégageaitde la brume en parlant. 6+6 b
— « La croyance est une hydreet vous ronge le flanc. 6+6 b
1065 Niez tout. O vivants,l'atome sort, puis rentre. 6+6 a
Pas de ciel, pas d'enfer.L'ombre éparse. Aucun centre. 6+6 a
Rien n'existe en deçà,rien n'existe au delà. 6+6 b
Tout meurt. Dormez. »
Ainsil'étrange voix parla. 6+6 b
O nuit ! qu'est-ce que c'estque cet auxiliaire ? 6+6 a
Mais écoutons. La voixpoursuit.
1070 « O fourmilière, 6+6 a
O foule, ô genre humain !L'homme flotte, et c'est tout. 6+6 b
Cette apparence d'êtreest un moment debout ; 6+6 b
Il palpite le tempsd'être inique, funeste, 6+6 a
Méchant, obscène, aveugle ;et qu'est-ce qu'il en reste ? 6+6 a
1075 La terre le reprendet dit : A-t-il été ? 6+6 b
Et la terre elle-mêmeest-elle ? O cécité ! 6+6 b
Ténèbres ! Vous nommezces feux follets des âmes ? 6+6 a
C'est du néant. Passant,qu'est-ce que tu réclames ? 6+6 a
« Homme, tu n'as à toique l'heure tu te meus, 6+6 b
1080 Triste ou gai, sage ou fou,dans l'affreux tout brumeux ! 6+6 b
Goutte d'eau, quand la mers'ouvre, à quoi bon la lutte ? 6+6 a
Prends ce que ton destina de clair, la minute, 6+6 a
Avril quand il sourit,la fleur quand elle éclôt. 6+6 b
Laisse au gouffre éternelrouler l'éternel flot. 6+6 b
Vis, meurs.
1085 « Tu veux un Dieu,toi l'homme, afin d'en être 6+6 a
Si tu veux l'infini,c'est pour y repartre. 6+6 a
Quoi ! vivre avant la vieet vivre après la mort ! 6+6 b
Traverser toute l'ombreimmense avec ton sort ! 6+6 b
Que ce cosmos, couvertdu voile babélique, 6+6 a
1090 De ton moi misérableà jamais se complique ! 6+6 a
Que tout ce que régitl'inconcevable loi 6+6 b
Soit nécessairementun composé de toi ! 6+6 b
Que tu n'en puisses pointêtre absent ! que tu fasses, 6+6 a
Toujours vivant, le fondde toutes ces surfaces ! 6+6 a
1095 Que jamais l'être humain,rayé, clos, aboli, 6+6 b
Ne s'appelle trépaset ne se nomme oubli ! 6+6 b
Quoi ! ce qu'a reçu l'homme,il ne doit pas le rendre ! 6+6 a
Il est ; donc il sera !Quoi, l'homme, cette cendre 6+6 a
Sur qui le vent de vieobscurément souffla, 6+6 b
1100 Être quelqu'un ! Quel rêveabsurde fais-tu là ! 6+6 b
Ce monde est-il ? Qui sait ?N'est-il pas ? C'est possible. 6+6 a
Tout flotte. Le certainn'est pas dans le visible. 6+6 a
Mais toi, fourmi, ciron,grain de poussière, avoir 6+6 b
Une place quelconqueen ce grand chaos noir ! 6+6 b
1105 Vain songe du néantdont ton orgueil est dupe ! 6+6 a
Vas-tu croire qu'un Dieus'il existe — s'occupe 6+6 a
De toi, larve ! et qu'il veilleet médite, agité 6+6 b
Par l'éphémère au fonddé son éternité ! 6+6 b
« Matière ou pur esprit,bloc sourd ou dieu sublime, 6+6 a
1110 Le monde, quel qu'il soit,c'est ce qui dans l'abîme 6+6 a
N'a pas dû commenceret ne doit pas finir. 6+6 b
Quelle prétentionas-tu d'appartenir 6+6 b
À l'unité suprêmeet d'en faire partie, 6+6 a
Toi, fuite ! toi monadeen naissant engloutie, 6+6 a
1115 Qui jettes sur le gouffreun regard insensé, 6+6 b
Et qui meurs quand le cride ta vie est poussé ! 6+6 b
« Ah ! triste Adam, floconqui fonds presque avant d'être, 6+6 a
Lugubre humanité,n'est-ce pas trop de ntre ? 6+6 a
N'est-ce pas trop d'avoirà vivre, en vérité, 6+6 b
1120 O morne genre humain,bref, rapide, emporté ! 6+6 b
Il ne te suffit pas,quoique ta fange souffre, 6+6 a
D'appartre une foisdans la lueur du gouffre ! 6+6 a
L'homme éternel, voilàce que l'homme comprend. 6+6 b
Tu demandes au ciel,au grand ciel ignorant 6+6 b
1125 Qui t'assourdit de foudreet t'aveugle d'étoiles, 6+6 a
Quel fil te noue, ô mouche,à ses énormes toiles, 6+6 a
Comment il tient à l'homme,et quel est ce lien ? 6+6 b
Tu devrais te sentirpourtant tellement rien 6+6 b
Qu'avec ce vil néantque tu nommes ta sphère 6+6 a
1130 Le ciel — en supposantqu'il soit — n'a rien à faire ! 6+6 a
Tout ce qu'il peut cacher,couver ou contenir, 6+6 b
Est hors de toi, qui n'asqu'un soir pour avenir. 6+6 b
O le risible effortde rattacher ce dôme 6+6 a
De prodige, d'horreuret d'ombre à ton atome ! 6+6 a
1135 Quel besoin as-tu doncd'être de l'univers ? 6+6 b
Chair promise au tombeau,contente-toi des vers ! 6+6 b
« Et d'ailleurs, à quoi bonavoir un personnage 6+6 a
Dans ce mystérieuxet fatal engrenage ? 6+6 a
À quoi bon être un plidans ces flux et reflux 6+6 b
1140 Qui font effort pour êtreet déjà ne sont plus ? 6+6 b
À quoi bon être un chiffreet compter dans la foule 6+6 a
Qui n'est que de l'écumeajoutée à la houle ? 6+6 a
Regarde : tout est vain,fuyant, triste, inouï. 6+6 b
Avant d'être apparu,tout est évanoui. 6+6 b
1145 Ces groupes de soleils,de globes, de planètes, 6+6 a
Moins funèbres peut-êtreou plus noirs que vous n'êtes ; 6+6 a
Ce zodiaque obscurqui jamais ne finit 6+6 b
De descendre au nadir,de monter au zénith ; 6+6 b
Ces Jupiters, ces Mars,ces Vénus, ces Saturnes, 6+6 a
1150 Qui semblent des édensou des bagnes nocturnes, 6+6 a
Et qu'on rêve peuplésd'anges ou de démons 6+6 b
D'après l'ombre que fontsur leur face les monts ; 6+6 b
Ces visions de cieuxque rougit ou que dore 6+6 a
Tantôt le soir sanglant,tantôt la fauve aurore ; 6+6 a
1155 Ces lunes dont on voitl'épouvantable flanc ; 6+6 b
Ces blêmes tourbillons,ces abîmes roulant 6+6 b
Des apparitionsde mondes dans leurs vagues ; 6+6 a
Cette successionde créations vagues 6+6 a
Qu'on apeoit au fonddes gouffres entr'ouverts ; 6+6 b
1160 Cet enchevêtrementd'astres et d'univers 6+6 b
Dont la série immenseet pâle se dévide 6+6 a
Dans le ciel, dit Platon ;Pyrrhon dit : dans le vide ; 6+6 a
Spectres qui n'ont entre euxrien de commun, sinon 6+6 b
Qu'un chnon trne et tireà lui l'autre chnon ; 6+6 b
1165 Ces constellationsconfusément tournées 6+6 a
Par la roue invisibleet sombre des années, 6+6 a
Et qui te feraient peursi nous pénétrions 6+6 b
Jusqu'aux profonds azursde leurs septentrions ; 6+6 b
Ces masques effrayantsd'une vie inconnue 6+6 a
1170 Qu'entrevoit le songeurau-delà de la nue ; 6+6 a
Ces firmaments qu'on sondeet dont on n'est pas sûr ; 6+6 b
L'aérolithe, erranten foule dans l'azur, 6+6 b
Plus nombreux que l'abeilleau sommet de l'Hymète, 6+6 a
Le météore au volfurieux, la comète 6+6 a
1175 Qui s'évade d'un cielcomme d'un cabanon, 6+6 b
Tous ces mondes ne sontque les formes, sans nom 6+6 b
De l'obscurité vasteet morne des espaces ; 6+6 a
Et que gagneras-tu,toi, pauvre esprit qui passes, 6+6 a
Quand tu mêleras l'homme,' et son trouble, et son bruit, 6+6 b
1180 À ces nœuds de fuméeondoyant dans la nuit ? 6+6 b
« Dieu n'est pas. Nie et dors.Tu n'es pas responsable. 6+6 a
Ris de l'inaccessible,étant l'insaisissable. 6+6 a
Sois humble, pas de ciel.Pas d'enfer, sois content. 6+6 b
Fais ce que tu voudras.Personne ne t'attend. 6+6 b
J'ai dit. — »
Soit. Plus d'enfer.
1185 Mais rien après la vie, 6+6 a
Rien avant ; la lueurdes ténèbres suivie ; 6+6 a
Tout ramené pour l'hommeà l'instinct animal ; 6+6 b
Le bien n'ayant pas plusraison contre le mal 6+6 b
Que le tropique n'araison contre le pôle ; 6+6 a
1190 De Sade, triomphant,raillant Vincent de Paule ; 6+6 a
Tout réduit à l'atomeinerte, inconscient, 6+6 b
Sourd, tantôt tourmenteuret tantôt patient ; 6+6 b
Tout dans les appétitset dans les épigastres ; 6+6 a
Par l'aube, par le jour,par la nuit, par les astres, 6+6 a
1195 Par l'univers, sur l'hommeouvert et refermé, 6+6 b
Socrate démenti,Lacenaire affirmé ; 6+6 b
Pour tout dogme : — « Il n'est pointde vertus ni de vices ; 6+6 a
« Sois tigre, si tu peux.Pourvu que tu jouisses, 6+6 a
« Vis n'importe commentpour finir n'importe ; » 6+6 b
1200 Caligula le sage,Aristide le fou ; 6+6 b
Jésus-Christ et Judasdésagrégés ensemble, 6+6 a
Puis remêlés à l'ombreéternelle qui tremble, 6+6 a
Sans que l'atome, au fondde l'être ou tout périt, 6+6 b
Sache s'il fut Judasou s'il fut Jésus-Christ ! 6+6 b
1205 Oui, c'est vrai, plus d'enfer,rêve hideux de Rome, 6+6 a
Plus d'affreux punisseurrôdant derrière l'homme. 6+6 a
Mais tout nivelant tout ;je croyais, tu niais, 6+6 b
Qu'importe ! l'honneur sot,le martyre niais ; 6+6 b
Pas d'âme ; pas de moiqui survive et qui dure ; 6+6 a
1210 L'infâme égalitéde l'astre et de l'ordure ; 6+6 a
La pourriture, ô deuil !reprenant tout Brutus ; 6+6 b
C'est-à-dire pas plusd'astres que de vertus ; 6+6 b
L'azur roulant, aux plisde ses ténébreux voiles, 6+6 a
Dans un spectre de cieldes fantômes d'étoiles ! 6+6 a
1215 Oui, c'est vrai, plus de fourcheau poing de Lucifer, 6+6 b
Plus d'éternel bûcherflamboyant, plus d'enfer. 6+6 b
Mais l'atome Attila,fatal, irresponsable, 6+6 a
Comme l'atome feu,comme l'atome sable, 6+6 a
Innocent, ne pouvantpas plus être accusé 6+6 b
1220 Pour un peuple aboli,pour un monde écrasé 6+6 b
Que l'un d'éboulementet l'autre d'incendie ; 6+6 a
Que Job racle sa plaieet qu'Homère mendie, 6+6 a
Trimalcion les vaut,faisant un bon repas ; 6+6 b
Marc-Aurèle ? À quoi bon ?Tibère ? Pourquoi pas ? 6+6 b
1225 Néron, Trajan, ce n'estqu'une forme qui flotte ; 6+6 a
Ce que vous nommez czar,tyran, bourreau, despote, 6+6 a
Mange de l'homme ainsique vous mangez du pain ; 6+6 b
Après ? Pour le grand tout,qui vous permet la faim, 6+6 b
Un grain de blé mûr pèseautant que Caton libre ; 6+6 a
1230 Tout rentre dans l'immenseet tranquille équilibre 6+6 a
Dès que le pain est mortet l'homme digéré. 6+6 b
Demain le dévorantsera le dévoré ; 6+6 b
L'atome qui fut aigle,éperdu, fuira l'aile 6+6 a
De l'atome qui futcolombe ou tourterelle ; 6+6 a
1235 Les transformationsdu gouffre écraseront, 6+6 b
Roi, ce qui fut ton piedsous ce qui fut mon front ; 6+6 b
L'agneau devenu loupteindra de sang sa griffe, 6+6 a
Et ce sera le tourde Christ d'être Caïphe, 6+6 a
Sans même que ce soitrevanche et châtiment, 6+6 b
1240 Nul n'ayant conscienceen dehors du moment, 6+6 b
Le fil étant rompud'un avatar à l'autre. 6+6 a
Qu'appelez-vous faux, vrai,droit ou devoir ? L'apôtre, 6+6 a
Le bourreau, le héros,le trtre, tout est vain. 6+6 b
Oh ! que rien ne soit plusbon, grand, sacré, divin ; 6+6 b
1245 Que tout soit le hasard,l'ébauche, le décombre, 6+6 a
L'éclosion du poudans les cheveux de l'ombre ; 6+6 a
Que la création,ivre d'obscurité, 6+6 b
Soit idiote, et n'aità son extrémité 6+6 b
Rien qu'on puisse nommeramour, raison, justice ; 6+6 a
1250 Qu'après avoir vomi,lugubre, elle engloutisse ; 6+6 a
Et n'ait pour résultat,en souffrant, en créant, 6+6 b
Que de donner un peude vermine auant ; 6+6 b
Qu'il ne soit pas prouvéque cette terre, en somme, 6+6 a
Sent la démangeaisonde la vie et de l'homme ; 6+6 a
1255 Qu'il ne soit nulle partd'idéal, ni de loi ; 6+6 b
Que tout soit sans réponseet demande pourquoi ; 6+6 b
Que l'être, en supposantque l'abîme livide 6+6 a
Ne nous recrache pasce mot sinistre et vide, 6+6 a
Se résolve, au milieud'un vain frisson qui fuit, 6+6 b
1260 En un fourmillementaveugle dans la nuit ; 6+6 b
Que le fond noir de toutrampe, et soit quelque chose 6+6 a
Qui ne sait pas, qui luitsans jour, qui va sans cause, 6+6 a
Un hideux bloc abstrait,pas même une prison, 6+6 b
Une espèce de morténorme, sans raison 6+6 b
1265 Pour entrer dans la nuit,pour sortir de la tombe, 6+6 a
Un vague tournoiementde poussière qui tombe 6+6 a
Quoi ! lorsqu'on s'est aimé,pleurs et cris superflus ! 6+6 b
Ne jamais se revoir,jamais, jamais ! ne plus 6+6 b
Se donner rendez-vousau delà de la vie ! 6+6 a
1270 Quoi ! la petite têteéblouie et ravie, 6+6 a
L'enfant qui souriaitet qui s'en est allé, 6+6 b
Mères, c'est de la nuit !cela s'est envolé ! 6+6 b
Quoi ! toi que j'aime, toiqui me fais de l'aurore, 6+6 a
Femme par qui je sensen moi l'archange éclore, 6+6 a
1275 Quoi ! le néant riraquand, pâle, je dirai : 6+6 b
Attends-moi, je te suis,je viens, être adoré ! 6+6 b
Prépare-moi ma placeen ton lit solitaire ! 6+6 a
Quoi ! le seul lieu qu'on aitbesoin d'aimer sur terre 6+6 a
Et de sentir vivant,le tombeau, serait mort ! 6+6 b
1280 En présence des cieux,quoi ! l'espérance a tort ! 6+6 b
Le deuil qui tord mon cœuren exprime un mensonge ! 6+6 a
Pas d'avenir ! un vide l'œil égaré plonge ! 6+6 a
Fosse en la profondeur,linceul sur la hauteur ! 6+6 b
Pour mouvement la vieet la mort pour moteur ! 6+6 b
1285 La cécité, tournantsans but sur elle-même, 6+6 a
Engendre la lumière,imposture suprême ; 6+6 a
L'être inutilements'élève et se détruit ; 6+6 b
Le monde croule au gréd'une haleine de nuit ; 6+6 b
Le vent est l'enveloppeobscure de la brume ; 6+6 a
1290 Pour s'éteindre à jamaisun instant on s'allume ; 6+6 a
Tout est l'horrible roue,et Rien le cabestan !… 6+6 b
Rien !
Oh ! reprends ce Rien,gouffre, et rends-nous Satan ! 6+6 b
IV
DES VOIX
Et j'entendais des voixau milieu des nuées ; 6+6 a
Un divin chant d'extase,un noir bruit de huées 6+6 a
Passait.
UNE VOIX
1295 Le cheval doitêtre manichéen. 6+6 b
Arimane lui faitdu mal, Ormus du bien ; 6+6 b
Tout le jour, sous le fouetil est comme une cible, 6+6 a
Il sent derrière luil'affreux mtre invisible, 6+6 a
Le démon inconnuqui l'accable de coups ; 6+6 b
1300 Le soir, il voit un êtreempressé, bon et doux, 6+6 b
Qui lui donne à mangeret qui lui donne à boire, 6+6 a
Met de la paille frcheen sa litière noire, 6+6 a
Et tâche d'effacerle mal par le calmant, 6+6 b
Et le rude travailpar le repos clément ; 6+6 b
1305 Quelqu'un le persécute,hélas ! mais quelqu'un l'aime. 6+6 a
Et le cheval se dit :« Ils sont deux. » C'est le même. 6+6 a
AUTRE VOIX
L'instant de dénouerla chimère est venu ; 6+6 b
La vie, inexprimableeffort dans l'inconnu, 6+6 b
Est terminée, erreur,ou folie, ou bravade ; 6+6 a
1310 Et voici le momentfatal. L'âme s'évade, 6+6 a
L'homme expire. On a vusur son logis tremblant 6+6 b
Planer l'ange Trépas,l'oiseau noir, l'oiseau blanc, 6+6 b
Corbeau pour les méchantset pour les bons colombe ; 6+6 a
C'est fini. Maintenant,que devient dans la tombe 6+6 a
1315 Le corps, ce compagnonauquel l'âme avait cru ? 6+6 b
Attends un peu de temps.Cherche. Il a disparu. 6+6 b
Cherche. Il s'est dissipé.Cherche encor, fouille, creuse, 6+6 a
Et tâte avec la mainsous cette vte affreuse. 6+6 a
Que trouves-tu ? Regarde.Est-ce cela ? Oui. Non. 6+6 b
1320 Qu'est-ce ? Cela n'a plusde forme ni de nom ; 6+6 b
C'est noir comme la nuitet vain comme la cendre ; 6+6 a
C'est l'homme. Et si tu veuxdemain y redescendre, 6+6 a
Tu ne trouveras plus,dans ce hideux réduit, 6+6 b
Même ce peu de cendreet ce reste de nuit. 6+6 b
1325 À peine est-il couché,débris dans les décombres, 6+6 a
Que les mille éléments,tous ces créanciers sombres, 6+6 a
Qui l'avaient pour un tempsà l'âme concédé, 6+6 b
Redemandent ce corpspar les vers seuls gardé ; 6+6 b
Et chacun — car la viea la mort pour domaine 6+6 a
1330 Prend ce qui lui revientdans cette argile humaine. 6+6 a
Tout atome, dans l'eau,dans la terre ou dans l'air, 6+6 b
Est un Shylock qui veutsa part de cette chair. 6+6 b
O nature sans fond !gouffre avare et rapace ! 6+6 a
Partout, en haut, en bas,dans la nuit, dans l'espace, 6+6 a
1335 Tout réclame à la fois,tout s'ouvre en même temps, 6+6 b
La pierre, le buisson,le miasme des étangs, 6+6 b
La poussière, la fleur,le vent, la flamme ardente ; 6+6 a
Et, dans la profondeurdes ténèbres pendante, 6+6 a
La matière dont l'hommeétait formé s'épand, 6+6 b
1340 Et se cache ; et, glissant,coulant, tombant, rampant, 6+6 b
Se hâte de croulerdans tous ces précipices. 6+6 a
Et, soit qu'elle ait là-hauttrouvé les cieux propices, 6+6 a
Grâce au bien qu'elle a fait,au beau qu'elle a pensé, 6+6 b
Soit qu'ayant mal vécu,trnant un vil passé, 6+6 b
1345 Elle ait vu se fermerdevant elle l'aurore, 6+6 a
L'âme, envolée au fondde la mort sombre, ignore 6+6 a
Cette fuite rapideet sinistre du corps. 6+6 b
AUTRE VOIX
J'entends les vivants rire ;ils deviendront les morts. 6+6 b
AUTRE VOIX
Alors que feront-ils ?
AUTRE VOIX
Rien.
AUTRE VOIX
Tout.
AUTRE VOIX
Passez, nuages. 6+6 a
AUTRE VOIX
Tous vos azurs sont faux.
AUTRE VOIX
1350 Moins faux que vos orages. 6+6 a
AUTRE VOIX
Oui, je te le redis,homme, malheur à toi 6+6 b
Si dans quelque docteurton ignorance a foi ! 6+6 b
Malheur à ton esprits'il dit comme tant d'autres : 6+6 a
— Je questionnerailes savants, ces apôtres, 6+6 a
1355 Et j'interrogerailes penseurs, ces devins ; 6+6 b
J'irai, j'approcherailes instructeurs divins, 6+6 b
Les poëtes dont l'aubeéclaire les visages, 6+6 a
Les hommes lumineuxdu mystère, les sages, 6+6 a
Ces colonnes d'azurdu temple de la nuit ! 6+6 b
1360 Sache que nul n'enseigneet que nul ne conduit ; 6+6 b
Nul n'est colonne et rienn'est temple ; sache encore 6+6 a
Qu'Antisthène, Amphion,Pindare, Stésichore, 6+6 a
Terpandre et Callimaqueont des ailes de plomb ; 6+6 b
Qu'Arouet, Kant, Hegeln'en savent pas plus long ; 6+6 b
1365 Et que le sphinx qui ditla parole certaine 6+6 a
N'est pas plus dans Ferneyqu'il n'était dans Athène. 6+6 a
De tout temps les rêveursont fait dans le ciel bleu 6+6 b
Des fouilles du côtéde ce qu'ils nomment Dieu ; 6+6 b
Ils ont le doute au cœurou la prière aux lèvres ; 6+6 a
1370 Ils ont construit, détruit,et, pour calmer leurs fièvres, 6+6 a
Tristes, ont appuyéleur tête au marbre froid. 6+6 b
Homme, tout ce que l'hommeenseigne, pense, croit, 6+6 b
Tout ce qu'il grave, écrit,constate, affirme, sculpte, 6+6 a
De science publiqueou de doctrine occulte, 6+6 a
1375 Sur le papier, le bois,l'airain, sur les frontons 6+6 b
Des grands temples obscurspleins d'âmes à tâtons ; 6+6 b
Balaam sur l'Euphrate,Apulée à Madaure, 6+6 a
Tout ce qu'on imagineet tout ce qu'on adore, 6+6 a
Figulus enseignantCicéron, Érechto 6+6 b
1380 Dont Pompée à genouxlève le noir manteau, 6+6 b
Les prêtres, les rhéteursdrapés dans leurs chlamydes, 6+6 a
Les bibles, les talmudssacrés, les pyramides, 6+6 a
Le difforme alphabetde pierre du galgal, 6+6 b
Les cylindres de Tyr,les runes de Fingal, 6+6 b
1385 Les papyrus de Thèbeet d'Endor, qu'on adopte 6+6 a
Le texte égyptienou la version copte, 6+6 a
Vos sages admirés,Épicure, Thalès, 6+6 b
Diogène, Apulée,Érasme, Rabelais, 6+6 b
Platon, que l'idéallaisse boire à son urne, 6+6 a
1390 Kant, Leibnitz, tout celan'est qu'un souffle nocturne. 6+6 a
Si tu le veux, fais-toide l'audace un devoir ; 6+6 b
Propose-toi ce butredoutable : savoir, 6+6 b
Cette façon splendideet suprême de ntre. 6+6 a
Entre dans le nuageinsondable ; pénètre 6+6 a
1395 Dans l'horreur des Horebs,des Brockens, des Thabors ; 6+6 b
Va ! mais commence, avantd'en tenter les abords, 6+6 b
Par laisser de côtéla sagesse des hommes. 6+6 a
Le peu que nous savonstient au peu que nous sommes ; 6+6 a
Écoute. L'homme à peine,avec ou sans appuis, 6+6 b
1400 A creusé l'inconnuqu'il a comblé son puits ; 6+6 b
Alors il cherche, alorsil rencontre, il dévie, 6+6 a
Se croit mage, ou se faitprêtre.
Passe ta vie 6+6 a
À labourer l'écumeet l'onde, n'arrivant 6+6 b
Que pour partir, parmile tumulte et le vent ; 6+6 b
1405 Habite Terre-Neuve,ou Zante, ou Tombelaine ; 6+6 a
Sois pêcheur de hareng,sois pêcheur de baleine ; 6+6 a
Emplis ton brick solideou ta barque sans ponts 6+6 b
De trnes, de filets,de dragues, de harpons ; 6+6 b
Affronte des écueilsles sinistres statures ; 6+6 a
1410 Sois forban ; sois coureurde flots et d'aventures ; 6+6 a
Quand même tu vivraisdix ans, vingt ans, cent ans, 6+6 b
Ayant sous toi le gouffreet sur toi les autans, 6+6 b
Lutteur du risque, et roid'une planche qui flotte, 6+6 a
Fusses-tu le plus vieuxet le plus noir pilote, 6+6 a
1415 Jason sur le dromon,Fulton sur le steamer, 6+6 b
Tu ne conntras pasla formidable mer. 6+6 b
Ces choses sans limite flottent des fumées 6+6 a
Résistant, et toujoursbéantes, sont fermées ; 6+6 a
Le chercheur, tâtonnantdans ce fatal milieu, 6+6 b
1420 Quand il serait Platon,ne conntra pas Dieu. 6+6 b
AUTRE VOIX
Prenez garde. Observezl'obscure parallèle. 6+6 a
Le pas s'appuie au pas,l'aile s'appuie à l'aile. 6+6 a
Quoiqu'on retrouve au fondde tout culte la nuit 6+6 b
De l'homme, par qui Dieutrop souvent est construit, 6+6 b
1425 Quoiqu'un dogme, ô penseur,ne soit qu'une masure 6+6 a
En attendant la vieet la vérité pure, 6+6 a
Quoique l'humanitédoive porter en soi 6+6 b
La sagesse sereineet non l'aveugle foi, 6+6 b
Quoiqu'une bible, livreà deux sens, atrophie 6+6 a
1430 Et blesse trop souventl'âme qu'on lui confie, 6+6 a
Quoique, presque toujours,effarant les esprits, 6+6 b
La religion soitune chauve-souris 6+6 b
Faite de vie et d'ombre,et dont l'aile a pour griffes 6+6 a
Les prêtres, les docteurs,les bonzes, les pontifes, 6+6 a
1435 Il faut que l'homme croieà quelque chose ; il faut 6+6 b
Qu'à côté de la chairqui le gouverne trop, 6+6 b
Le mystère lui parleet l'exhorte, et l'élève 6+6 a
Du sommeil l'on dortau sommeil l'on rêve. 6+6 a
Ah ! l'être infortunéqui ne croit pas est nu 6+6 b
1440 Sous le ciel redoutableet lourd, sous l'inconnu ! 6+6 b
O vivants ! il vous fautdes prêtres, quels qu'il soient. 6+6 a
À travers les plus noirsles vérités flamboient ; 6+6 a
Il tombe encore un peude jour sur vos chevets, 6+6 b
Même des plus abjects,même des plus mauvais ; 6+6 b
1445 Mais pour verser plus tardsur l'humanité mûre 6+6 a
La parole d'amourque l'avenir murmure, 6+6 a
Le ciel, au-dessus d'eux,sur d'éclatants degrés 6+6 b
Met les voyants directs,les sages inspirés. 6+6 b
Car l'homme fait le prêtreet Dieu seul fait le mage. 6+6 a
1450 Je préfère, ô songeur,le wigwam du sauvage 6+6 a
l'homme attend la femme, du moins on est deux, 6+6 b
Au manitou qui fait,au fond des bois hideux, 6+6 b
Joindre les mains au nègreet les pattes au singe ; 6+6 a
Au wigwam le cromlech,au cromlech la syringe ; 6+6 a
1455 Aux syringes du Nille sombre temple hébreu ; 6+6 b
Au temple, la mosquéeavec son dôme bleu 6+6 b
Et son minaret blancdans la tiède atmosphère ; 6+6 a
Et comme il faut montersans cesse, je préfère 6+6 a
L'église à la mosquée,à l'église l'azur. 6+6 b
1460 L'homme, être mixte au frontsublime, au pied impur, 6+6 b
Va toujours refaisantet transformant ses arches ; 6+6 a
Chaque âge avance ; on voit,sur chacune des marches 6+6 a
Du sombre esprit humainmontant dans l'ombre à Dieu, 6+6 b
Un temple de l'amourgrandit le chaste feu ; 6+6 b
1465 Passant d'un ciel plus noirdans un air plus salubre, 6+6 a
De moins en moins cruel,de moins en moins lugubre ; 6+6 a
Chaque temple nouveau,grec, juif, égyptien, 6+6 b
À sa base au niveaudu fte de l'ancien ; 6+6 b
Sur celui qui s'élèveun autre monte encore ; 6+6 a
1470 Et le plus haut frontonse dissout dans l'aurore. 6+6 a
AUTRE VOIX
O rêves ! visiondes vagues paradis ! 6+6 b
Crois-tu que l'inconnusoit quelque chose, dis, 6+6 b
Dont ton cerveau chétifpuisse se faire idée ? 6+6 a
Créature par l'êtreabsolu débordée, 6+6 a
1475 Homme étonné d'un graingermant dans le sillon, 6+6 b
Ébloui d'une pourpreau dos d'un papillon, 6+6 b
Tremblant d'un choc d'écumeou d'un râle d'orfraie, 6+6 a
Déjà ce que tu voiste dépasse et t'effraie, 6+6 a
Pourrais-tu supporterce que tu ne vois point ? 6+6 b
1480 Le gouffre le réelaux chimères se joint, 6+6 b
L'aspect de l'insondableet de l'inaccessible, 6+6 a
Le côté ténébreuxde l'univers terrible, 6+6 a
Flottant dans l'infini,dans la brume perdu, 6+6 b
Et dans on ne sait quoid'horrible et d'éperdu ? 6+6 b
1485 Serais-tu comme Jean,l'homme hagard, capable 6+6 a
De regarder l'obscur,de tâter l'impalpable ? 6+6 a
Pourrais-tu contempleravec tes yeux de chair 6+6 b
Les apparitionsdu rêve et de l'éclair, 6+6 b
Les éclipses, les blocs,les profondeurs, les rides, 6+6 a
1490 Les agitationsdes surfaces livides, 6+6 a
La stagnation morteet malsaine des eaux, 6+6 b
Les glissements des versmonstrueux du chaos, 6+6 b
Les larves se montrantà demi, les sorties . 6+6 a
De têtes par la vaseaffreuse appesanties. 6+6 a
1495 Les fléaux s'accouplantparmi les éléments, 6+6 b
L'horreur des suintementset des fourmillements, 6+6 b
Et les êtres sans nom,et les formes immondes, 6+6 a
Et les vagues tumeursdu cloaque des mondes ? 6+6 a
Te représentes-tul'indicible stupeur 6+6 b
1500 De ce qui s'entrevoitdans l'ombre, et se fait peur ; 6+6 b
Ici la marche lourde,ailleurs la fuite prompte ; 6+6 a
Le double effroi d'en haut,d'en bas, qui se confronte ; 6+6 a
Le vent fauve trnantle nuage en haillon ; 6+6 b
Le météore ayanthorreur du tourbillon ? 6+6 b
1505 Connais-tu les deux nuits :la morte et la vivante ; 6+6 a
La vivante, engendrantle monstre, l'épouvante, 6+6 a
L'hydre, les dévorantsans fin et les créant ; 6+6 b
La morte, c'est-à-direun vide, leant, 6+6 b
Une ouverture aveugleet par l'effroi formée, 6+6 a
1510 De l'ombre qui n'est plusmême de la fumée, 6+6 a
Le silence hideuxet funèbre de Rien ? 6+6 b
AUTRE VOIX
Quand on sent se mouvoirl'universel lien 6+6 b
Qui joint le plus petitdes atomes à l'être 6+6 a
Le plus démesuréque le gouffre ait vu ntre, 6+6 a
1515 Et qui fait, dans l'abîme rien n'est endormi, 6+6 b
Tressaillir Siriusau poids d'une fourmi, 6+6 b
Quand les germes confusdans les ombres profondes 6+6 a
S'agitent, détruisantet produisant des mondes, 6+6 a
Mêlés aux voix, aux sons,aux chants, aux cris, aux pas, 6+6 b
1520 Faisant et défaisant,et ne le sachant pas, 6+6 b
Quand l'azur semble ému,bien au delà des nues, 6+6 a
Par une éclosiond'étoiles inconnues, 6+6 a
Lorsqu'en soi, stupéfait,on sent et l'on comprend 6+6 b
Quelque chose de fortfait par quelqu'un de grand, 6+6 b
1525 Quand l'eau fuit, quand le soltremble, quand l'air murmure, 6+6 a
Quand de la forêt sombreil sort un bruit d'armure, 6+6 a
Quand l'oiseau sur son nid,dans les bois frémissants, 6+6 b
Chante un chant dont lui-mêmeil ignore le sens, 6+6 b
L'immensité du faitprodigieux dépasse 6+6 a
1530 L'ombre, le jour, les yeux,les chocs, le temps, l'espace, 6+6 a
Elle est telle, et le pointde départ est si loin 6+6 b
Que, tous étant agents,personne n'est témoin. 6+6 b
AUTRE VOIX
Querelles ! bruits ! rumeurs !cris ! morsures ! piqûres ! 6+6 a
O passages du ventdans les branches obscures ! 6+6 a
AUTRE VOIX
1535 Dante écrit deux vers, puisil sort ; et les deux vers 6+6 b
Se parlent. Le premierdit : — Les cieux sont ouverts ! 6+6 b
Cieux ! Je suis immortel.— Moi, je suis périssable, 6+6 a
Dit l'autre. — Je suis l'astre.Et moi le grain de sable. 6+6 a
— Quoi ! tu doutes étantfils d'un enfant du ciel ! 6+6 b
1540 — Je me sens mort. — Et moi,je me sens éternel. 6+6 b
Quelqu'un rentre et relitces vers, Dante lui-même ; 6+6 a
Il garde le premieret barre le deuxième. 6+6 a
La rature est la hauteet fatale cloison. 6+6 b
L'un meurt, et l'autre vit.Tous deux avaient raison. 6+6 b
V
CONCLUSION
1545 As-tu vu méditerles ascètes terribles ? 6+6 a
Ils ont tout rejeté,talmuds, korans et bibles. 6+6 a
Ils n'acceptent aucundes védas, comprenant 6+6 b
Que le vrai livre s'ouvreau fond du ciel tonnant, 6+6 b
Et que c'est dans l'azurplein d'astres que flamboie 6+6 a
1550 Le texte éblouissantd'épouvante ou de joie. 6+6 a
Contemplant ce qui n'ani bord, ni temps, ni lieu, 6+6 b
Absorbés dans la vueeffrayante de Dieu, 6+6 b
Farouches, ils sont là,chacun seul dans l'espèce 6+6 a
D'horreur qu'il a choisieau bord de l'ombre épaisse, 6+6 a
1555 Faisant vers l'inconnutoujours le même effort, 6+6 b
L'un dans un vieux tombeaudont il semble le mort, 6+6 b
L'autre, sinistre, assisdans un trou du tonnerre 6+6 a
Au tronc prodigieuxd'un cèdre centenaire, 6+6 a
L'autre livide et nudans un creux de rocher, 6+6 b
1560 Muets, affreux, laissantles bêtes s'approcher, 6+6 b
Pas plus importunéssous leur fauve auréole 6+6 a
D'un tigre qui rugitque d'un oiseau qui vole, 6+6 a
Le désert les a vusà jamais s'accroupir. 6+6 b
Jamais un mouvementet jamais un soupir. 6+6 b
1565 Ont-ils faim ? ont-ils soif ?Quand luit l'aube embrasée, 6+6 a
Ils ouvrent vaguementleur bouche à la rosée, 6+6 a
Et la rouvrent parfoisquand vient le soir hagard. 6+6 b
Si la pensée étaitsaisissable au regard, 6+6 b
On verrait le néant,l'éternité, le monde, 6+6 a
1570 L'énigme plus lugubreencor quand on la sonde, 6+6 a
Tomber de leurs fronts noirscomme l'ombre des ifs ; 6+6 b
Ils songent, ni vivants,ni morts, spectres pensifs, 6+6 b
Entre la mort trompéeet la vie impossible ; 6+6 a
L'été passe ; l'hivervide sur eux son crible ; 6+6 a
1575 Ils ne regardent rienque l'obscur firmament, 6+6 b
Et dans des profondeursd'anéantissement 6+6 b
Ces êtres, abrutispar l'idéal, s'abîment. 6+6 a
Nul ne sait quels courantsd'infini les raniment 6+6 a
À mesure que l'hommeen eux s'évanouit. 6+6 b
1580 L'ouragan monstrueuxleur parle dans la nuit 6+6 b
Comme le célébrantparle au catéchumène, 6+6 a
Et ces hideux espritsperdent la forme humaine. 6+6 a
L'aigle leur dit un motà l'oreille en passant ; 6+6 b
Ils font signe parfoisà l'éclair qui descend ; 6+6 b
1585 Ils rêvent, fixes, noirs,guettant l'inaccessible, 6+6 a
L'œil plein de la lueurde l'étoile invisible. 6+6 a
Invisible ! Ai-je ditinvisible ? Pourquoi ? 6+6 b
Il est ! Mais nul cri d'hommeou d'ange, nul effroi, 6+6 b
Nul amour, nulle bouche,humble, tendre ou superbe, 6+6 a
1590 Ne peut balbutierdistinctement ce verbe ! 6+6 a
Il est ! il est ! il est !il est éperdument ! 6+6 b
Tout, les feux, les clartés,les cieux, l'immense aimant, 6+6 b
Les jours, les nuits, tout estle chiffre ; il est la somme. 6+6 a
Plénitude pour lui,c'est l'infini pour l'homme. 6+6 a
1595 Faire un dogme, et l'y mettre !ô rêve ! inventer Dieu ! 6+6 b
Il est ! Contentez-vousdu monde, cet aveu ! 6+6 b
Quoi ! des religions,c'est ce que tu veux faire, 6+6 a
Toi, l'homme ! ouvrir les yeuxsuffit ; je le préfère. 6+6 a
Contente-toi de croireen Lui ; contente-toi 6+6 b
1600 De l'espérance avecsa grande aile, la foi ; 6+6 b
Contente-toi de boire,altéré, ce dictame ; 6+6 a
Contente-toi de dire :Il est, puisque la femme 6+6 a
Berce l'enfant avecun chant mystérieux ; 6+6 b
Il est, puisque l'espritfrissonne curieux ; 6+6 b
1605 Il est, puisque je vaisle front haut ; puisqu'un mtre 6+6 a
Qui n'est pas lui, m'indigne,et n'a pas le droit d'être ; 6+6 a
IÎ est, puisque Césartremble devant Patmos ; 6+6 b
Il est, puisque c'est luique je sens sous ces mots : 6+6 b
Idéal, Absolu,Devoir, Raison, Science ; 6+6 a
1610 Il est, puisqu'à ma fauteil faut sa patience, 6+6 a
Puisque l'âme me sertquand l'appétit me nuit, 6+6 b
Puisqu'il faut un grand joursur ma profonde nuit ! 6+6 b
La pensée en montantvers lui devient géante. 6+6 a
Homme, contente-toide cette soif béante ; 6+6 a
1615 Mais ne dirige pasvers Dieu ta faculté 6+6 b
D'inventer de la peuret de l'iniquité, 6+6 b
Tes catéchismes fous,tes korans, tes grammaires, 6+6 a
Et ton outil sinistreà forger des chimères. 6+6 a
Vis, et fais ta journée ;aime et fais ton sommeil. 6+6 b
1620 Vois au-dessus de toile firmament vermeil ; 6+6 b
Regarde en toi ce cielprofond qu'on nomme l'âme ; 6+6 a
Dans ce gouffre, au zénith,resplendit une flamme. 6+6 a
Un centre de lumièreinaccessible est là. 6+6 b
Hors de toi comme en toicela brille et brilla ; 6+6 b
1625 C'est là-bas, tout au fond,en haut du précipice. 6+6 a
Cette clarté toujoursjeune, toujours propice, 6+6 a
Jamais ne s'interromptet ne pâlit jamais ; 6+6 b
Elle sort des noirceurs,elle éclate aux sommets ; 6+6 b
La haine est de la nuit,l'ombre est de la colère ! 6+6 a
1630 Elle fait cette choseinouïe, elle éclaire. 6+6 a
Tu ne l'éteindrais passi tu la blasphémais ; 6+6 b
Elle inspirait Orphée,elle échauffait Hermès ; 6+6 b
Elle est le formidableet tranquille prodige ; 6+6 a
L'oiseau l'a dans son nid,l'arbre l'a dans sa tige ; 6+6 a
1635 Tout la possède, et rienne pourrait la saisir ; 6+6 b
Elle s'offre immobileà l'éternel désir, 6+6 b
Et toujours se refuseet sans cesse se donne ; 6+6 a
C'est l'évidence énormeet simple qui pardonne ; 6+6 a
C'est l'inondationdes rayons, s'épanchant 6+6 b
1640 En astres dans un ciel,en roses dans un champ ; 6+6 b
C'est, ici, là, partout,en haut, en bas, sans trêve, 6+6 a
Hier, aujourd'hui, demain,sur le fait, sur le rêve, 6+6 a
Sur le fourmillementdes lueurs et des voix, 6+6 b
Sur tous les horizonsde l'abîme à la fois, 6+6 b
1645 Sur le firmament bleu,sur l'ombre inassouvie, 6+6 a
Sur l'être, le délugeimmense de la vie ! 6+6 a
C'est l'éblouissementauquel le regard croit. 6+6 b
De ce flamboiement ntle vrai, le bien, le droit ; 6+6 b
Il luit mystérieuxdans un tourbillon d'astres ; 6+6 a
1650 Les brumes, les noirceurs,les fléaux, les désastres 6+6 a
Fondent à sa chaleurdémesurée, en tout 6+6 b
En sève, en joie, en gloire,en amour, se dissout ; 6+6 b
S'il est des cœurs puissants,s'il est des âmes fermes, 6+6 a
Cela vient du torrentdes souffles et des germes 6+6 a
1655 Qui tombe à flots, jaillit,coule, et, de toutes parts, 6+6 b
Sort de ce feu vivantsur nos têtes épars. 6+6 b
Il est ! il est ! Regarde,âme. Il a son solstice, 6+6 a
La Conscience ; il ason axe, la Justice ; 6+6 a
Il a son équinoxe,et c'est l'Égalité ; 6+6 b
1660 Il a sa vaste aurore,et c'est la Liberté. 6+6 b
Son rayon dore en nousce que l'âme imagine. 6+6 a
Il est ! il est ! il est !sans fin, sans origine, 6+6 a
Sans éclipse, sans nuit,sans repos, sans sommeil. 6+6 b
Renonce, ver de terre,à créer le soleil. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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