Métrique en Ligne
HUG_17/HUG323
Victor HUGO
CHÂTIMENTS
1853
LIVRE III
LA FAMILLE EST RESTAURÉE
I
APOTHÉOSE
Méditons ! Il est bon que l'esprit se repaisse 12
De ces spectacles-là. L'on n'était qu'une espèce 12
De perroquet ayant un grand nom pour perchoir ; 12
Pauvre diable de prince, usant son habit noir, 12
5 Auquel mil-huit-cent-quinze avait coupé les vivres. 12
On n'avait pas dix sous, on emprunte cinq livres. 12
Maintenant remarquons l'échelle, s'il vous plaît : 12
De l'écu de cinq francs on s'élève au billet 12
Signé Garat ; bravo ! puis du billet de banque 12
10 On grimpe au million, rapide saltimbanque ; 12
Le million gobé fait mordre au milliard. 12
On arrive au lingot en partant du liard. 12
Puis carrosses, palais, bals, festins, opulence ; 12
On s'attable au pouvoir et l'on mange la France. 12
15 C'est ainsi qu'un filou devient homme d'État. 12
Qu'a-t-il fait ? un délit ? fi donc ! un attentat ; 12
Un grand acte, un massacre, un admirable crime 12
Auquel la Haute-cour prête serment. L'abîme 12
Se referme en poussant un grognement bourru. 12
20 La Révolution sous terre a disparu 12
En laissant derrière elle une senteur de soufre. 12
Romieu montre la trappe et dit : voyez le gouffre ! 12
Vivat Mascarillus ! roulement de tambours. 12
On tient sous le bâton parqués dans les faubourgs 12
25 Les ouvriers ainsi que des noirs dans leurs cases ; 12
Paris sur ses pavés voit neiger les ukases ; 12
La Seine devient glace autant que la Néva. 12
Quant au maître, il triomphe ; il se promène, va 12
De préfet en préfet, vole de maire en maire, 12
30 Orné du deux-décembre et du dix-huit brumaire, 12
Bombardé de bouquets, voituré dans des chars, 12
Laid, joyeux, salué par des chœurs de mouchards. 12
Puis il rentre empereur au Louvre, il parodie 12
Napoléon, il lit l'histoire, il étudie 12
35 L'honneur et la vertu dans Alexandre six ; 12
Il s'installe au palais du spectre Médicis ; 12
Il quitte par moments sa pourpre ou sa casaque, 12
Flâne autour du bassin en pantalon cosaque, 12
Et riant, et, semant les miettes sur ses pas, 12
40 Donne aux poissons le pain que les proscrits n'ont pas. 12
La caserne l'adore, on le bénit au prône ; 12
L'Europe est sous ses pieds et tremble sous son trône ; 12
Il règne par la mitre et par le hausse-col. 12
Ce trône a trois degrés : parjure, meurtre et vol. 12
45 Ô Carrare ! ô Paros ! ô marbres pentéliques ! 12
Ô tous les vieux héros des vieilles républiques ! 12
Ô tous les dictateurs de l'empire latin ! 12
Le moment est venu d'admirer le destin, 12
Voici qu'un nouveau dieu monte au fronton du temple. 12
50 Regarde, peuple, et toi, froide histoire, contemple. 12
Tandis que nous, martyrs du droit, nous expions, 12
Avec les Périclès, avec les Scipions, 12
Sur les frises où sont les Victoires aptères, 12
Au milieu des Césars traînés par des panthères, 12
55 Vêtus de pourpre et ceints du laurier souverain, 12
Parmi les aigles d'or et les louves d'airain, 12
Comme un astre apparaît parmi ses satellites, 12
Voici qu'à la hauteur des empereurs stylites, 12
Entre Auguste à l'œil calme et Trajan au front pur, 12
60 Resplendit, immobile en l'éternel azur, 12
Sur vous, ô panthéons, sur vous, ô propylées, 12
Robert Macaire avec ses bottes éculées ! 12
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