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| = césure
HUG_17/HUG302
Victor HUGO
CHÂTIMENTS
1853
LIVRE PREMIER
LA SOCIÉTÉ EST SAUVÉE
II
TOULON
I
En ces temps-là, c'était | une ville tombée 6+6 a
Au pouvoir des Anglais, | maîtres des vastes mers, 6+6 b
Qui, du canon battue | et de terreur courbée, 6+6 a
Disparaissait dans les éclairs. 8 b
5 C'était une cité | qu'ébranlait le tonnerre 6+6 a
À l'heure où la nuit tombe, | à l'heure où le jour naît, 6+6 b
Qu'avait prise en sa griffe | Albion, qu'en sa serre 6+6 a
La République reprenait. 8 b
Dans la rade couraient | les frégates meurtries ; 6+6 a
10 Les pavillons pendaient | troués par le boulet ; 6+6 b
Sur le front orageux | des noires batteries 6+6 a
La fumée à longs flots roulait. 8 b
On entendait gronder | les forts, sauter les poudres ; 6+6 a
Le brûlot flamboyait | sur la vague qui luit ; 6+6 b
15 Comme un astre effrayant | qui se disperse en foudres 6+6 a
La bombe éclatait dans la nuit. 8 b
Sombre histoire ! Quel temps ! | Et quelle illustre page ! 6+6 a
Tout se mêlait, le mât | coupé, le mur détruit, 6+6 b
Les obus, le sifflet | des maîtres d'équipage, 6+6 a
20 Et l'ombre, et l'horreur, et le bruit. 8 b
Ô France ! Tu couvrais | alors toute la terre 6+6 a
Du choc prodigieux | de tes rébellions. 6+6 b
Les rois lâchaient sur toi | le tigre et la panthère, 6+6 a
Et toi, tu lâchais les lions. 8 b
25 Alors la République | avait quatorze armées. 6+6 a
On luttait sur les monts | et sur les océans. 6+6 b
Cent victoires jetaient | au vent cent renommées. 6+6 a
On voyait surgir les géants ! 8 b
Alors apparaissaient | les aubes rayonnantes. 6+6 a
30 Des inconnus, soudain | éblouissant les yeux, 6+6 b
Se dressaient, et faisaient | aux trompettes sonnantes 6+6 a
Dire leurs noms mystérieux. 8 b
Ils faisaient de leurs jours | de sublimes offrandes ; 6+6 a
Ils criaient : Liberté ! | guerre aux tyrans ! mourons ! 6+6 b
35 Guerre ! — et la gloire ouvrait | ses ailes toutes grandes 6+6 a
Au-dessus de ces jeunes fronts ! 8 b
II
Aujourd'hui c'est la ville | où toute honte échoue. 6+6 a
Là, quiconque est abject, | horrible et malfaisant, 6+6 b
Quiconque un jour plongea | son honneur dans la boue, 6+6 a
40 Noya son âme dans le sang. 8 b
Là, le faux-monnayeur | pris la main sur sa forge. 6+6 a
L'homme du faux serment | et l'homme du faux poids, 6+6 b
Le brigand qui s'embusque | et qui saute à la gorge 6+6 a
Des passants, la nuit, dans les bois, 8 b
45 Là, quand l'heure a sonné, | cette heure nécessaire, 6+6 a
Toujours, quoi qu'il ait fait | pour fuir, quoi qu'il ait dit, 6+6 b
Le pirate hideux, | le voleur, le faussaire, 6+6 a
Le parricide, le bandit, 8 b
Qu'i1 sorte d'un palais | ou qu'il sorte d'un bouge, 6+6 a
50 Vient, et trouve une main, | froide comme un verrou, 6+6 b
Qui sur le dos lui jette | une casaque rouge 6+6 a
Et lui met un carcan au cou ! 8 b
L'aurore luit, pour eux | sombre et pour nous vermeille. 6+6 a
Allons ! debout ! Ils vont | vers le sombre Océan. 6+6 b
55 Il semble que leur chaîne | avec eux se réveille, 6+6 a
Et dit : me voilà ; viens-nous-en ! 8 b
Ils marchent, au marteau | présentant leurs manilles, 6+6 a
À leur chaîne cloués, | mêlant leurs pas bruyants, 6+6 b
Traînant leur pourpre infâme | en hideuses guenilles, 6+6 a
60 Humbles, furieux, effrayants. 8 b
Les pieds nus, leur bonnet | baissé sur leurs paupières, 6+6 a
Dès l'aube harassés, | l'œil mort, les membres lourds, 6+6 b
Ils travaillent, creusant | des rocs, roulant des pierres, 6+6 a
Sans trêve, hier, demain, toujours. 8 b
65 Pluie ou soleil, hiver, | été, que juin flamboie, 6+6 a
Que janvier pleure, ils vont, | leur destin s'accomplit, 6+6 b
Avec le souvenir | de leurs crimes pour joie, 6+6 a
Avec une planche pour lit. 8 b
Le soir, comme un troupeau | l'argousin vit les comptes. 6+6 a
70 Ils montent deux à deux | l'escalier du ponton, 6+6 b
Brisés, vaincus, le cœur | incliné sous la honte. 6+6 a
Le dos courbé sous le bâton. 8 b
La pensée implacable | habite encor leurs têtes. 6+6 a
Morts vivants, aux labeurs | voués, marqués au front, 6+6 b
75 Ils rampent, recevant | le fouet comme des bêtes, 6+6 a
Et comme des hommes l'affront. 8 b
III
Ville que l'infamie | et la gloire ensemencent, 6+6 a
Où du forçat pensif | le fer tond les cheveux, 6+6 b
Ô Toulon ! c'est par toi | que les oncles commencent, 6+6 a
80 Et que finissent les neveux ! 8 b
Va, maudit ! Ce boulet | que, dans des temps stoïques, 6+6 a
Le grand soldat, sur qui | ton opprobre s'assied. 6+6 b
Mettait dans les canons | de ses mains héroïques, 6+6 a
Tu le traîneras à ton pied ! 8 b
mètre profils métriques : 8, 6+6
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