Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
HUG_16/HUG242
Victor HUGO
LES VOIX INTÉRIEURES
1837
À UN RICHE
XIX
Jeune homme ! je te plains ;et cependant j'admire 6+6 a
Ton grand parc enchantéqui semble nous sourire, 6+6 a
Qui fait, vu de ton seuil,le tour de l'horizon, 6+6 b
Grave ou joyeux suivantle jour et la saison, 6+6 b
5 Coupé d'herbe et d'eau vive,et remplissant huit lieues 6+6 a
De ses vagues massifset de ses ombres bleues. 6+6 a
J'admire ton domaine,et pourtant je te plains ! 6+6 b
Car dans ces bois touffusde tant de grandeur pleins, 6+6 b
le printemps épancheun faste sans mesure, 6+6 a
10 Quelle plus misérableet plus pauvre masure 6+6 a
Qu'un homme usé, flétri,mort pour l'illusion, 6+6 b
Riche et sans volupté,jeune et sans passion, 6+6 b
Dont le cœur délabré,dans ses recoins livides, 6+6 a
N'a plus qu'un triste amasd'anciennes coupes vides, 6+6 a
15 Vases brisés qui n'ontrien gardé que l'ennui, 6+6 b
Et d' l'amour, la joieet la candeur ont fui ! 6+6 b
Oui, tu me fais pitié,toi qui crois faire envie ! 6+6 a
Ce splendide séjoursur ton cœur, sur ta vie, 6+6 a
Jette une ombre ironique,et rit en écrasant 6+6 b
20 Ton front terne et chétifd'un cadre éblouissant. 6+6 b
Dis-moi, crois-tu, vraimentposséder ce royaume 6+6 a
D'ombre et de fleurs, l'arbrearrondi comme un dôme, 6+6 a
L'étang, lame d'argentque le couchant fait d'or, 6+6 b
L'allée entrant au boiscomme un noir corridor, 6+6 b
25 Et là, sur la forêt,ce mont qu'une tour garde, 6+6 a
Font un groupe si beaupour l'âme qui regarde ! 6+6 a
Lieu sacré pour qui saitdans l'immense univers, 6+6 b
Dans les prés, dans les eauxet dans les vallons verts, 6+6 b
Retrouver les profilsde la face éternelle 6+6 a
30 Dont le visage humainn'est qu'une ombre charnelle ! 6+6 a
Que fais-tu donc ici ?Jamais on ne te voit, 6+6 b
Quand le matin blanchitl'angle ardoisé du toit, 6+6 b
sortir, songer, cueillirla fleur, coupe irisée 6+6 a
Que la plante à l'oiseautend pleine de rosée, 6+6 a
35 Et parfois t'arrêter,laissant pendre à ta main 6+6 b
Un livre interrompu,debout sur le chemin, 6+6 b
Quand le bruit du vent coupeen strophes incertaines 6+6 a
Cette longue chansonqui coule des fontaines. 6+6 a
Jamais tu n'as suivide sommets en sommets 6+6 b
40 La ligne des coteauxqui fait rêve ; jamais 6+6 b
Tu n'as joui de voir,sur l'eau qui LE reflète, 6+6 a
Quelque saule noueuxtordu comme un athlète. 6+6 a
Jamais, sévère espritau mystère attaché, 6+6 b
Tu n'as questionnéle vieux orme penché 6+6 b
45 Qui regarde à ses piedstoute la pleine vivre 6+6 a
Comme un sage qui rêveattentif à son livre. 6+6 a
L'été, lorsque le jourest par midi frappé, 6+6 b
Lorsque la lassitudea tout enveloppé, 6+6 b
À l'heure l'andalouseet l'oiseau font la sieste, 6+6 a
50 Jamais le faon peureux,tapi dans l'antre agreste, 6+6 a
Ne te vois, à pas lents,loin de l'homme importun, 6+6 b
Grave, et comme ayant peurde réveiller quelqu'un, 6+6 b
Errer dans les forêtsténébreuses et douces 6+6 a
le silence dortsur le velours des mousses. 6+6 a
55 Que te fais tout cela ?Les nuages des cieux, 6+6 b
La verdure et l'azursont l'ennui de tes yeux. 6+6 b
Tu n'est pas de ces fousqui vont, et qui s'en vantent, 6+6 a
Tendant partout l'oreilleaux voix qui partout chantent, 6+6 a
Rendant grâce au Seigneurd'avoir fait le printemps, 6+6 b
60 Qui ramassent un nid,ou contemplent longtemps 6+6 b
Quelque noir champignon,monstre étrange de l'herbe. 6+6 a
Toi, comme un sac d'argent,tu vois passer la gerbe. 6+6 a
Ta futaie, en avril,sous ses bras plus nombreux 6+6 b
A l'air de réclamerbien des pas amoureux, 6+6 b
65 Bien des cœurs soupirants,bien des têtes pensives ; 6+6 a
Toi qui jouis aussisous ses branches massives, 6+6 a
Tu songes, calculantle taillis qui s'accrt, 6+6 b
Que Paris, ce vieillardqui, l'hiver, a si froid, 6+6 b
Attend, sous ses vieux quaispercés de rampes neuves, 6+6 a
70 Ces longs serpents de boisqui descendent les fleuves ! 6+6 a
Ton regard voit, tandisque ton œil flotte au loin, 6+6 b
Les blés d'or en farineet la prairie en foin ; 6+6 b
Pour toi le laboureurest un rustre qu'on paie ; 6+6 a
Pour toi toute fuméeondulant, noire ou gaie, 6+6 a
75 Sur le clair paysage,est un foyer impur 6+6 b
l'on cuit quelque viandeà l'angle d'un vieux mur. 6+6 b
Quand le soir tend le cielde ses moires ardentes 6+6 a
Au dos d'un fort chevalassis, jambes pendantes, 6+6 a
Quand les bouviers hâlés,de leur bras vigoureux 6+6 b
80 Pique tes bœufs géantsqui par le chemin creux 6+6 b
Se hâtent pêle-mêleet s'en vont à la crèche, 6+6 a
Toi, devant ce tableautu rêves à la brèche 6+6 a
Qu'il faudra réparer,en vendant tes silos, 6+6 b
Dans ta rente qui trembleaux pas de don Carlos ! 6+6 b
85 Au crépuscule, aprèsun long jour monotone, 6+6 a
Tu t'enferme chez toi.Les tièdes nuits d'automne 6+6 a
Versent leur chaste haleineaux coteaux veloutés. 6+6 b
Tu n'en sais rien. D'ailleurs,qu'importe ! À tes côtés, 6+6 b
Belles, leur bruns cheveuxappliqués sur les tempes, 6+6 a
90 Fronts roses empourpréspar le reflet des lampes, 6+6 a
Des femmes aux yeux purssont assises, formant 6+6 b
Un cercle frais qui bordeet cause doucement ; 6+6 b
Toutes, dans leurs discours rien n'ose appartre, 6+6 a
Cachant leurs vœux, leur âmeet leur cœur que peut-être 6+6 a
95 Embaume un vague amour,fleur qu'on ne cueille pas, 6+6 b
Parfum qu'on sentiraiten se baissant tout bas. 6+6 b
Tu n'en sais rien. Tu fais,parmi ces élégies, 6+6 a
Tomber ton froid sourire,, sous quatre bougies, 6+6 a
D'autres hommes et toi,dans un coin attablés 6+6 b
100 Autour d'un tapis vert,bruyants, vous querellez 6+6 b
Les caprices du whist,du brelan ou de l'hombre. 6+6 a
La fenêtre est pourtantpleine de lune et d'ombre ! 6+6 a
O risible insensé !vraiment, je te le dis, 6+6 b
Cette terre, ces prés,ces vallons arrondis, 6+6 b
105 Nids de feuilles et d'herbe jasent les villages, 6+6 a
Ces blés les moineauxont leurs joyeux pillages, 6+6 a
Ces champs qui, l'hiver même,ont d'austères appas, 6+6 b
Ne t'appartiennent point :tu ne les comprends pas. 6+6 b
Vois-tu, tous les passants,les enfants, les poètes, 6+6 a
110 Sur qui ton bois répandses ombres inquiètes, 6+6 a
Le pauvre jeune peintreépris de ciel et d'air, 6+6 b
L'amant plein d'un seul nom,le sage au cœur amer, 6+6 b
Qui viennent rafrchirdans cette solitude, 6+6 a
Hélas ! l'un son amouret l'autre son étude, 6+6 a
115 Tous ceux qui, savourantla beauté de ce lieu, 6+6 b
Aiment, en quittant l'homme,à s'approcher de Dieu, 6+6 b
Et qui, laissant icile bruit vague et morose 6+6 a
Des troubles de leur âme,y prennent quelque chose 6+6 a
De l'immense reposde la création, 6+6 b
120 Tous ces hommes, sans oret sans ambition, 6+6 b
Et dont le pied poudreuxou tout mouillé par l'herbe 6+6 a
Te fait rire emportépar ton landau superbe, 6+6 a
Sont dans ce parc touffu,que tu crois sous ta loi, 6+6 b
Plus riches, plus chez eux,plus les mtres que toi, 6+6 b
125 Quoique de leur forêtque ta main grille et mure 6+6 a
Tu puisses couper l'ombreet vendre le murmure ! 6+6 a
Pour eux rien n'est stérileen ces asiles frais. 6+6 b
Pour qui les sait cueillirtout a des dons secrets. 6+6 b
De partout sort un flotde sagesse abondante. 6+6 a
130 L'esprit qu'a désertéla passion grondante, 6+6 a
Médite à l'arbre mort,aux débris du vieux pont. 6+6 b
Tout objet dont le boisse compose répond 6+6 b
À quelque objet pareildans la forêt de l'âme. 6+6 a
Un feu de pâtre éteintparle à l'amour en flamme. 6+6 a
135 Tout donne des conseilsau penseur, jeune ou vieux. 6+6 b
On se pique aux chardonsainsi qu'aux envieux ; 6+6 b
La feuille invite à crtre ;et l'onde, en coulant vite, 6+6 a
Avertit qu'on se hâteet que l'heure nous quitte. 6+6 a
Pour eux rien n'est muet,rien n'est froid, rien n'est mort. 6+6 b
140 Un peu de plume en sangleur éveille un remord ; 6+6 b
Les sources sont des pleurs ;la fleur qui boit aux fleuves, 6+6 a
Leur dit : Souvenez-vous,ô pauvres âmes veuves ! 6+6 a
Pour eux l'antre profondcache un songe étoilé ; 6+6 b
Et la nuit, sous l'azurd'un beau ciel constellé, 6+6 b
145 L'arbre sur ses rameaux,comme à travers ses branches, 6+6 a
Leur montre l'astre d'oret les colombes blanches, 6+6 a
Choses douces aux cœurspar le malheur ployés, 6+6 b
Car l'oiseau dit : Aimez !et l'étoile : Croyez ! 6+6 b
Voilà ce que chez toiverse aux âmes souffrantes 6+6 a
150 La chaste obscuritédes branches murmurantes ! 6+6 a
Mais toi, qu'en fais tu ? dis.— Tous les ans, en flots d'or, 6+6 b
Ce murmure, cette ombre,ineffable trésor, 6+6 b
Ces bruits de vent qui joueet d'arbre qui tressaille, 6+6 a
Vont s'enfouir au fondde ton coffre qui bâille ; 6+6 a
155 Et tu changes ces bois l'amour s'enivra, 6+6 b
Toute cette nature,en loge à l'opéra ! 6+6 b
Encor si la musiquearrivait à ton âme ! 6+6 a
Mais entre l'art et toil'or met son mur infâme. 6+6 a
L'esprit qui comprend l'artcomprend le reste aussi. 6+6 b
160 Tu vas donc dormir là !sans te douter qu'ainsi 6+6 b
Que tous ces verts trésorsque dévore ta bourse, 6+6 a
Gluck est une forêtet Mozart une source. 6+6 a
Tu dors ; et quand parfoisla mode, en souriant, 6+6 b
Te dit : Admire, riche !alors, joyeux, criant, 6+6 b
165 Tu surgis, demandantcomment l'auteur se nomme, 6+6 a
Pourvu que toutefoisla muse soit un homme ! 6+6 a
Car tu te roidirasdans ton étrange orgueil 6+6 b
Si l'on t'apporte, un soir,quelque musique en deuil, 6+6 b
Urne que la penséea chauffée à sa flamme, 6+6 a
170 Beau vase s'est versétout le cœur d'une femme. 6+6 a
O seigneur malvenude ce superbe lieu ! 6+6 b
Caillou vil incrustédans ces rubis en feu ! 6+6 b
Mtre pour qui ces champssont pleins de sourdes haines ! 6+6 a
Gui parasite enfléde la sève des chênes ! 6+6 a
175 Pauvre riche ! — Vis donc,puisque cela pour toi 6+6 b
C'est vivre. Vis sans cœur,sans pensée et sans foi. 6+6 b
Vis pour l'or, chose vile,et l'orgueil, chose vaine. 6+6 a
Végète, toi qui n'asque du sang dans la veine, 6+6 a
Toi qui ne sens pas Dieufrémir dans le roseau, 6+6 b
180 Regarder dans l'auroreet chanter dans l'oiseau ! 6+6 b
Car, — et bien que tu soiscelui qui rit aux belles 6+6 a
Et, le soir, se récrieaux romances nouvelles, — 6+6 a
Dans les coteaux penchants fument les hameaux, 6+6 b
Près des lacs, près des fleurs,sous les larges rameaux, 6+6 b
185 Dans tes propres jardins,tu vas aussi stupide, 6+6 a
Aussi peu clairvoyantdans ton instinct cupide, 6+6 a
Aussi sourd à la vieà l'harmonie, aux voix, 6+6 b
Qu'un loup sauvage errantau milieu des grands bois ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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