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HUG_16/HUG225
Victor HUGO
LES VOIX INTÉRIEURES
1837
SUNT LACRYMÆ RERUM
II
I
Il est mort. Rien de plus. Nul groupe populaire, 6+6 a
Urne d'où se répand l'amour et la colère, 6+6 a
N'a jeté sur son nom pitié, gloire ou respect. 6+6 a
Aucun signe n'a lui. Rien n'a changé l'aspect 6+6 a
5 De ce siècle orageux, mer de récifs bordée, 6+6 a
Où le fait, ce flot sombre, écume sur l'idée. 6+6 a
Nul temple n'a gémi dans nos villes. Nul glas 6+6 a
N'a passé sur nos fronts criant : Hélas ! hélas ! 6+6 a
La presse aux mille voix, cette louve hargneuse, 6+6 a
10 À peine a retourné sa tête dédaigneuse ; 6+6 a
Nous ne l'avons pas vue, irritée et grondant, 6+6 a
Donner à cette pourpre un dernier coup de dent. 6+6 a
Et chacun vers son but, la marée à la grève, 6+6 a
La foule vers l'argent, la penseur vers son rêve, 6+6 a
15 Tout a continué de marcher, de courir, 6+6 a
Et rien n'a dit au monde : Un roi vient de mourir ! 6+6 a
II
Sombres canons rangés devant les Invalides, 6+6 a
Comme des sphinx au pied des grandes pyramides, 6+6 a
Dragons d'airain, hideux, verts, énormes, béants, 6+6 a
20 Gardiens de ce palais, bâti pour des géants, 6+6 a
Qui dresse et fait au loin reliure à la lumière 6+6 a
Un casque monstrueux sur sa tête de pierre ! 6+6 a
À ce bruit qui jadis vous eût fait rugir tous, 6+6 a
— Le roi de France est mort ! — d'où vient qu'aucun de vous, 6+6 a
25 Comme un lion captif qui secouerait sa chaîne, 6+6 a
Aucun n'a tressailli sur sa base de chêne, 6+6 a
Et n'a, se réveillant par un subit effort, 6+6 a
Dit à son noir voisin : — Le roi de France est mort ! — 6+6 a
D'où vient qu'il s'est fermé sans vos salves funèbres, 6+6 a
30 Ce cercueil qu'on clouait là-bas dans les ténèbres ? 6+6 a
Et que rien n'est sorti de vos mornes affûts, 6+6 a
Pas même, ô canons sourds, ce murmure confus 6+6 a
Qu'au vague battement de ses ailes livides 6+6 a
le vent des nuits arrache à des armures vides ? 6+6 a
35 C'est que, prostitués dans nos troubles civils, 6+6 a
Vous êtes comme nous fiers, sonores et vils ! 6+6 a
C'est que, rouillés, vieillis, rivés à votre place, 6+6 a
Toujours agenouillés devant tout ce qui passe, 6+6 a
Retirés des combats, et dans ce coin obscur 6+6 a
40 Par des soldats boiteux gardés sous un vieux mur, 6+6 a
Vains foudres de parade oubliés de l'armée, 6+6 a
Autour de tout vainqueur faisant de la fumée, 6+6 a
Réservés pour la pompe et la solennité, 6+6 a
Vous avez pris racine en cette lâcheté ! 6+6 a
45 Soyez flétris ! canons que la guerre repousse, 6+6 a
Dont la voix sans terreur dans les fêtes s'émousse, 6+6 a
Vous qui glorifiez de votre cri profond 6+6 a
ceux qui viennent, toujours, jamais ceux qui s'en vont ! 6+6 a
Vous qui, depuis trente ans, noirs courtisans de bronze, 6+6 a
50 Avez, comme Henri Quatre adorant Louis Onze, 6+6 a
Toujours tout applaudi, toujours tout salué, 6+6 a
Vous taisant seulement quand le peuple a hué ! 6+6 a
Lâches, vous préférez ceux que le sort préfère ! 6+6 a
Dans le moule brûlant le fondeur pour vous faire 6+6 a
55 Mit l'étain et le cuivre et l'oubli du vaincu ; 6+6 a
Car qui meurt exilé pour vous n'a pas vécu, 6+6 a
Car vos poumons de fer, où gronde une âpre haleine, 6+6 a
Sont muets pour Goritz, comme pour Sainte-Hélène ! 6+6 a
Soyez flétris !
Mais non. C'est à nous, insensés, 6+6 a
60 Que le mépris revient. Vous nous obéissez. 6+6 a
Vous êtes prisonniers et vous êtes esclaves. 6+6 a
La guerre qui vous fit de ses bouillantes laves 6+6 a
Vous fit pour la bataille, et nous vous avons pris 6+6 a
Pour vous éclabousser des fanges de Paris, 6+6 a
65 Pour vous sceller au seuil d'un palais centenaire, 6+6 a
Et pour vous mettre au ventre un éclair sans tonnerre ! 6+6 a
C'est nous qu'il faut flétrir, nous qui, déshonorés, 6+6 a
Donnons notre âme abjecte à ces bronzes sacrés. 6+6 a
Nous passons dans l'opprobre ! hélas ! ils y demeurent. 6+6 a
70 Mornes captifs ! le jour où des rois proscrits meurent, 6+6 a
Vous ne pouvez, jetant votre fumée à flots, 6+6 a
Prolonger sur Paris vos éclatants sanglots, 6+6 a
Et, pareils à des chiens liés à des murailles, 6+6 a
D'un hurlement plaintif suivre leurs funérailles ! 6+6 a
75 Muets, et vos longs cous baissés vers les pavés, 6+6 a
Vous restez là pensifs, et, tristes, vous rêvez 6+6 a
Aux hommes, froids esprits, cœurs bas, âmes douteuses, 6+6 a
Qui font faire à l'airain tant de choses honteuses ! 6+6 a
III
Vous vous taisez. — Mais moi, moi dont parfois le chant 6+6 a
80 Se refuse à l'aurore et jamais au couchant, 6+6 a
Moi que jadis à Reims Charle admit comme un hôte, 6+6 a
Moi qui plaignis ses maux, moi qui blâmai sa faute, 6+6 a
Je ne me tairai pas. Je descendrai, courbé, 6+6 a
Jusqu'au caveau profond, où dort ce roi tombé ; 6+6 a
85 Je suspendrai ma lampe à cette voûte noire ; 6+6 a
Et sans cesse, à côté de sa triste mémoire, 6+6 a
Mon esprit, dans ces temps d'oubli contagieux, 6+6 a
Fera veiller dans l'ombre un vers religieux ! 6+6 a
Et que m'importe à moi qui, déployant mon aile, 6+6 a
90 Touche parfois d'en bas à la lyre éternelle, 6+6 a
À moi qui n'ai d'amour que pour l'onde et les champs, 6+6 a
Et pour tout ce qui souffre, excepté les méchants, 6+6 a
À moi qui prends souci, quand la nef s'aventure, 6+6 a
De tous les matelots risqués dans la mâture, 6+6 a
95 Et dont la pitié grave hésite quelquefois 6+6 a
De la sueur du peuple à la sueur des rois, 6+6 a
Que m'importe après tout que depuis six années 6+6 a
Ce roi fût retranché des têtes couronnées, 6+6 a
Froide ruine au bord de nos flots écumants, 6+6 a
100 Vain fantôme penché sur les événements ! 6+6 a
Qu'il ne changeât de rien ni le poids ni le nombre, 6+6 a
Que, rasé dès longtemps, son front plongeât dans l'ombre, 6+6 a
Et que déjà, vieillard sans trône et sans pavois, 6+6 a
Il eût subi l'exil, première mort des rois ! 6+6 a
105 Je le dirai, sans peur que la haine renaisse, 6+6 a
Son avènement pur eut pour sœur ma jeunesse ; 6+6 a
Saint Rémi nous reçut sous son mur triomphant 6+6 a
Tous deux le même jour, lui vieux, moi presque enfant ; 6+6 a
Et moi je ne veux pas, harpe qu'il a connue, 6+6 a
110 Qu'on mette mon roi mort dans une bière nue ! 6+6 a
Tandis qu'au loin la foule emplit l'air de ses cris, 6+6 a
L'auguste piété, servante des proscrits, 6+6 a
Qui les ensevelit dans sa plus blanche toile, 6+6 a
N'aura pas, dans la nuit que son regard étoile, 6+6 a
115 Demandé vainement à ma pensée en deuil 6+6 a
Un lambeau de velours pour couvrir ce cercueil ! 6+6 a
IV
Oh ! que Versaille était superbe 8 a
Dans ces jours purs de tout affront 8 b
Où les prospérités en gerbe 8 a
120 S'épanouissaient sur son front ! 8 b
Là, tout faste était sans mesure ; 8 a
Là, tout arbre avait sa parure ; 8 a
Là, tout homme avait sa dorure ; 8 a
Tout du maître suivait la loi. 8 a
125 Comme au même but vont cent routes, 8 b
Là les grandeurs abondaient toutes ; 8 b
L'olympe ne pendait aux voûtes 8 b
Que pour compléter le grand roi ! 8 a
Vers le temps où naissaient nos pères 8 a
130 Versailles rayonnait encor. 8 b
Les lions ont de grands repaires ; 8 a
Les princes ont des palais d'or. 8 b
Chaque fois que, foule asservie, 8 a
Le peuple au cœur rongé d'envie 8 a
135 Contemplait du fond de sa vie 8 a
Ce fier château si radieux, 8 a
Rentrant dans sa nuit plus livide, 8 b
Il emportait dans son œil vide 8 b
Un éblouissement splendide 8 b
140 De rois, de femmes et de dieux ! 8 a
Alors riaient dans l'espérance 8 a
Trois enfants sous ces nobles toits, 8 b
Les deux Louis, aînés de France, 8 a
Le beau Charles, comte d'Artois. 8 b
145 Tous trois nés sous les dais de soie, 8 a
Frêles enfants, mais pleins de joie 8 a
Comme ceux qu'un chaud soleil noie 8 a
De rayons purs sous le ciel bleu. 8 a
Oh ! d'un beau sort quelle semence ! 8 b
150 Près d'eux le roi d'où tout commence, 8 b
Au-dessous d'eux le peuple immense, 8 b
Au-dessus la bonté de Dieu ! 8 a
V
Qui leur eût dit alors l'austère destinée ? 6+6 a
Qui leur eût dit qu'un jour cette France, inclinée 6+6 a
155 Sous leurs fronts de fleurons chargés, 8 a
Ne se souviendrait d'eux ni de leur morne histoire, 6+6 b
Pas plus que l'océan sans fond et sans mémoire 6+6 b
Ne se souvient des naufragés ! 8 a
Que, chaînes, lys, dauphins, un jour les Tuileries 6+6 a
160 Verraient l'illustre amas des vieilles armoiries 6+6 a
S'écrouler de leur plafond nu, 8 a
Et qu'en ces temps lointains que le mystère couvre, 6+6 b
Un Corse, encore à naître, au noir fronton du Louvre 6+6 b
Sculpterait un aigle inconnu ! 8 a
165 Que leur royal Saint-Cloud se meublait pour un autre, 6+6 a
Et qu'en ces fiers jardins du rigide Lenôtre, 6+6 a
Amour de leurs yeux éblouis, 8 a
Beaux parcs où dans les jeux croissait leur jeune force, 6+6 b
Les chevaux de Crimée un jour mordraient l'écorce 6+6 b
170 Des vieux arbres du grand Louis ! 8 a
VI
Dans ces temps radieux, dans cette aube enchantée 6+6 a
Dieu ! comme avec terreur leur mère épouvantée 6+6 a
Les eût contre son cœur pressés, pâle et sans voix, 6+6 a
Si quelque vision, troublant ces jours de fêtes, 6+6 b
175 Eût jeté tout à coup sur ces fragiles têtes 6+6 b
Ce cri terrible : — Enfants ! vous serez rois tous trois ! 6+6 a
Et la voix prophétique aurait pu dire encore : 6+6 a
« — Enfants, que votre aurore est une triste aurore ! 6+6 a
Que les sceptres pour vous sont d'odieux présents ! 6+6 a
180 D'où vient donc que le Dieu qui punit Babylone 6+6 b
Vous fait à pareille heure éclore au pied du trône ? 6+6 b
Et qu'avez-vous donc fait, ô pauvres innocents ? 6+6 a
Beaux enfants qu'on berce et qu'on flatte, 8 a
Tout surpris, vous si purs, si doux, 8 b
185 Que des vieux en robe écarlate 8 a
Viennent vous parler à genoux ! 8 b
Quand les sévères Malesherbes 8 a
Ont relevé leurs fronts superbes, 8 a
Vous courez jouer dans les herbes, 8 a
190 Sans savoir que tout doit finir, 8 a
Et que votre race qui sombre 8 b
Porte à ses deux bouts couverts d'ombre 8 b
Ravaillac dans le passé sombre, 8 b
Robespierre dans l'avenir ! 8 a
195 Dans ce Louvre où de vieux murs gardent 8 a
Les portraits des rois hasardeux, 8 b
Allez voir comme vous regardent 8 a
Charles premier et Jacques deux ! 8 b
Sur vous un nuage s'étale. 8 a
200 Sol étranger, terre natale, 8 a
L'émeute, la guerre fatale, 8 a
Dévoreront vos jours maudits. 8 a
De vous trois, enfants sur qui pèse 8 b
L'antique masure française, 8 b
205 Le premier sera Louis seize, 8 b
Le dernier sera Charles dix ! 8 a
Que l'aîné, peu crédule à la vie, à la gloire, 6+6 a
Au peuple ivre d'amour, sache d'une nuit noire 6+6 a
D'avance emplir son cœur de courage pourvu ; 6+6 a
210 Qu'il rêve un ciel de pluie, un tombereau qui roule, 6+6 b
Et là-bas, tout au fond, au-dessus de la foule, 6+6 b
Quelque étrange échafaud dans la brume entrevu ! 6+6 a
Frères par la naissance et par le malheur frères, 6+6 a
Les deux autres fuiront, battus des vents contraires. 6+6 a
215 Le règne de Louis, roi de quelques bannis, 6+6 a
Commence dans l'exil, celui de Charle y tombe. 6+6 b
L'un n'aura pas de sacre et l'autre pas de tombe. 6+6 b
À l'un Reims doit manquer, à l'autre Saint-Denis ! » 6+6 a
VII
Quel rêve horrible ! — C'est l'histoire. 8 a
220 De nos pères couchés dans les tombeaux profonds 6+6 b
Ce qu'aucun n'aurait voulu croire, 8 a
Nous l'avons vu, nous qui vivons ! 8 b
Tous ces maux, et d'autres encore, 8 a
Sont tombés sur ces fronts de la main du Seigneur. 6+6 b
225 Maintenant croyez à l'aurore ! 8 a
Maintenant croyez au bonheur ! 8 b
Croyez au ciel pur et sans rides ! 8 a
Saluez l'avenir qui vous flatte si bien ! 6+6 b
L'avenir, fantôme aux mains vides, 8 a
230 Qui promet tout et qui n'a rien ! 8 b
Ô rois ! ô familles tronquées ! 8 a
Brusques écroulements des vieilles majestés ! 6+6 b
O calamités embusquées 8 a
Au tournant des prospérités ! 8 b
235 Tout colosse a des pieds de sable. 8 a
Votre abîme est, Seigneur, un abîme infini. 6+6 b
Louis quinze fut le coupable, 8 a
Louis seize fut le puni ! 8 b
La peine se trompe et dévie. 8 a
240 Celui qui fit le mal, c'est la loi du Très-Haut, 6+6 b
A le trône et la longue vie, 8 a
Et l'innocent a l'échafaud. 8 b
Les fautes que l'aïeul peut faire 8 a
Te poursuivront, ô fils ! en vain tu t'en défends. 6+6 b
245 Quand il a neigé sous le père, 8 a
L'avalanche est pour les enfants ! 8 b
Révolutions ! mer profonde ! 8 a
Que de choses, hélas ! pleines d'enseignement, 6+6 b
Dans les ténèbres de votre onde 8 a
250 On voit flotter confusément ! 8 b
VIII
Charles Dix ! — Oh ! le Dieu qui retire et qui donne 6+6 a
Forgea pour cette tête une lourde couronne ! 6+6 a
L'empire était penchant et les temps étaient durs. 6+6 a
Une ombre quand il vint couvrait encor nos murs, 6+6 a
255 L'ombre de l'empereur, figure colossale. 6+6 a
Peuple, armée, et la France, et l'Europe vassale, 6+6 a
Par cette vaste main depuis quinze ans pétris, 6+6 a
Demandaient un grand règne, et, pour remplir Paris 6+6 a
Ainsi qu'après César Auguste remplit Rome, 6+6 a
260 Après Napoléon il fallait plus qu'un homme. 6+6 a
Charles ne fut qu'un homme. À ce faîte il eut peur. 6+6 a
Le gouffre attire. Pris d'un vertige trompeur, 6+6 a
Dans l'abîme, fermant les yeux à la lumière, 6+6 a
Il se précipita la tête la première. 6+6 a
265 Silence à son tombeau ! car tout vient de finir. 6+6 a
À peine il aura teint d'un vague souvenir 6+6 a
Le peuple à l'eau pareil, qui passe, clair ou sombre, 6+6 a
Près de tout sans en prendre autre chose que l'ombre ! 6+6 a
Je n'aurai pas pour lui de reproches amers. 6+6 a
270 Je ne suis pas l'oiseau qui crie au bord des mers 6+6 a
Et qui, voyant tomber la foudre des nuées 6+6 a
Jette aux marins perdus ses sinistres huées. 6+6 a
Des passions de tous isolé bien souvent, 6+6 a
Je n'ai jamais cherché les baisers que nous vend 6+6 a
275 Et l'hymne dont nous berce avec sa voix flatteuse 6+6 a
La popularité, cette grande menteuse. 6+6 a
Aussi n'attendez pas que j'achète aujourd'hui 6+6 a
Des louanges pour moi par des affronts pour lui. 6+6 a
Qu'un autre, aux rois déchus donnant un nom sévère 6+6 a
280 Fasse un vil pilori de leur fatal calvaire ; 6+6 a
Moi je n'affligerai pas plus, ô Charles dix, 6+6 a
Ton cercueil maintenant que ton exil jadis ! 6+6 a
IX
Repose, fils de France, en ta tombe exilée ! 6+6 a
Dormez, sire ! — Il convient que cette ombre voilée, 6+6 a
285 Que ce vieux pasteur mort sans peuple et sans troupeaux, 6+6 a
Roi presque séculaire, ait au moins le repos, 6+6 a
Qu'il ait au moins la paix où la mort nous convie, 6+6 a
Puisqu'il eut le travail d'une si dure vie ! 6+6 a
Peuple ! soyons cléments ! soyons forts ! oublions ! 6+6 a
290 Jamais l'odeur des morts n'attire les lions. 6+6 a
La haine d'un grand peuple est une haine grande 6+6 a
Qui veut que le pardon au sépulcre descende 6+6 a
Et n'a pour ennemis que ceux qui sont debout. 6+6 a
Hélas ! quel poids encor pourrions-nous après tout 6+6 a
295 Jeter sur ce vieillard cassé par la misère, 6+6 a
Qui dort sous le fardeau de la terre étrangère ! 6+6 a
Roi, puissant, vous l'avez brisé ; c'est un grand pas. 6+6 a
Il faut l'épargner mort. Et moi, je ne crois pas 6+6 a
Qu'il soit digne du peuple en qui Dieu se reflète 6+6 a
300 De joindre au bras qui tue une main qui soufflette. 6+6 a
X
Nous, pasteurs des esprits, qui, du bord du chemin 6+6 a
Regardons tous les pas que fait le genre humain, 6+6 a
Poètes, par nos chants, penseurs, par nos idées, 6+6 a
Hâtons vers la raison les âmes attardées ! 6+6 a
305 Hâtons l'ère où viendront s'unir d'un nœud loyal 6+6 a
Le travail populaire et le labeur royal ; 6+6 a
Où colère et puissance auront fait leur divorce ; 6+6 a
Où tous ceux qui sont forts auront peur de leur force, 6+6 a
Et d'un saint tremblement frémiront à la fois, 6+6 a
310 Rois, devant leurs devoirs, peuples, devant leurs droits ! 6+6 a
Aidons tous ces grands faits que le Seigneur envoie 6+6 a
Pour ouvrir une route ou pour clore une voie, 6+6 a
Les révolutions dont la surface bout, 6+6 a
Les changements soudains qui font vaciller tout, 6+6 a
315 À dégager du fond des nuages de l'âme, 6+6 a
À poser au-dessus des lois comme une flamme 6+6 a
Ce sentiment profond en nous tous replié 6+6 a
Que l'homme appelle doute et la femme pitié ! 6+6 a
Expliquons au profit de la sainte clémence 6+6 a
320 Ces hauts événements où l'état recommence, 6+6 a
Et qui font, quand l'œil va des vaincus aux vainqueurs, 6+6 a
Trembler la certitude humaine au fond des cœurs ! 6+6 a
Faisons venir bientôt l'heure où l'on pourra dire 6+6 a
Que sur le froid sépulcre on ne doit rien écrire 6+6 a
325 Hors des mots de pardon, d'espérance et de paix ; 6+6 a
Et que, l'empereur mort comme les vieux Capets, 6+6 a
On a tort d'exiler, lorsque rien ne bouillonne, 6+6 a
Eux de leur Saint-Denis et lui de sa colonne. 6+6 a
À quoi sert, Dieu clément, cette vaine action ? 6+6 a
330 Et comment se fait-il que la Proscription 6+6 a
Ne brise pas ses dents au marbre de la tombe ? 6+6 a
N'est-ce donc pas assez que, cygne, aigle ou colombe, 6+6 a
Dès qu'un vent de malheur lui jette un nid de rois, 6+6 a
Sortant de ce bois noir qu'on appelle les lois, 6+6 a
335 Cette hyène, acharnée aux grandes races mortes, 6+6 a
Vienne, là, sous nos murs, les ronger à nos portes ! 6+6 a
Un jour, — mais nous serons couchés sous le gazon 6+6 a
Quand cette aube de Dieu blanchira l'horizon ! — 6+6 a
— Un jour on comprendra, même en changeant de règne, 6+6 a
340 Qu'aucune loi ne peut, sans que l'équité saigne, 6+6 a
Faire expier à tous ce qu'a commis un seul, 6+6 a
Et faire boire au fils ce qu'a versé l'aïeul. 6+6 a
On fera ce que nul aujourd'hui ne peut faire. 6+6 a
Quand un aiglon royal tombera de sa sphère, 6+6 a
345 On ne l'abattra pas sur l'aigle foudroyé. 6+6 a
Et, tout en gardant bien le droit qu'il a payé 6+6 a
De mettre le pouvoir sur un front comme un signe 6+6 a
Et de donner le trône et le Louvre au plus digne, 6+6 a
Un grand peuple pourra, sans être épouvanté, 6+6 a
350 Voir un enfant de plus jouer dans la cité. 6+6 a
Car tous les cœurs diront : C'est une juste aumône 6+6 a
De laisser la patrie à qui n'a plus le trône ! 6+6 a
Alors, jetant enfin l'ancre dans un port sûr, 6+6 a
Ayant les biens germés sur nos maux, et l'azur 6+6 a
355 Du ciel nouveau dont Dieu nous donne la tempête, 6+6 a
Proscription ! nos fils broieront du pied ta tête ! 6+6 a
Démon qui tiens du tigre et qui tiens du serpent ! 6+6 a
Dans les prospérités invisible et rampant, 6+6 a
Qui, lâche et patient, épiant en silence 6+6 a
360 Ce que dans son palais le roi dit, rêve, ou pense, 6+6 a
Horrible, en attendant l'heure d'être lâché, 6+6 a
Vis, monstre ténébreux, sous le trône caché ! 6+6 a
O poésie ! au ciel ton vol se réfugie 6+6 a
Quand les partis hurlants luttent à pleine orgie, 6+6 a
365 Quand la nécessité sous son code étouffant 6+6 a
Brise le fort, le faible, hélas ! l'innocent même, 6+6 b
Et sourde et sans pitié promène l'anathème 6+6 b
Du front blanc du vieillard au front pur de l'enfant ! 6+6 a
Tu fuis alors à tire-d'aile 8 a
370 Vers le ciel éternel et pur, 8 b
Vers la 1umière à tous fidèle, 8 a
Vers l'innocence, vers l'azur ! 8 b
Afin que ta pureté fière 8 a
N'ait pas la fange et la poussière 8 a
375 Des vils chemins par nous frayés, 8 a
Et que, nuages et tempêtes, 8 b
Tout ce qui passe sur nos têtes 8 b
Ne puisse passer qu'à tes pieds ! 8 a
Tu sais qu'étoile sans orbite, 8 a
380 L'homme erre au gré de tous les vents ; 8 b
Tu sais que l'injustice habite 8 a
Dans la demeure des vivants ; 8 b
Et que nos cœurs sont des arènes 8 a
Où les passions souveraines, 8 a
385 Groupe horrible en vain combattu, 8 a
Lionnes, louves affamées, 8 b
Tigresses de taches semées, 8 b
Dévorent la chaste vertu ! 8 a
Tout ce qui souffre est plein de haine. 8 a
390 Tout ce qui vit traîne un remords. 8 b
Les morts seuls ont rompu leur chaîne. 8 a
Tout est méchant, hormis les morts ! 8 b
Aussi, voyant partout la vie 8 a
Palpiter de rage et d'envie, 8 a
395 Et que parmi nous rien n'est beau, 8 a
Si parfois, oiseau solitaire, 8 b
Tu redescends sur cette terre, 8 b
Tu te poses sur un tombeau ! 8 a
mètre profils métriques : 8, 6+6
forme globale type : suite de strophes
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