Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
HUG_16/HUG225
Victor HUGO
LES VOIX INTÉRIEURES
1837
SUNT LACRYMÆ RERUM
II
I
Il est mort. Rien de plus. | Nul groupe populaire, 6+6 a
Urne d'où se répand | l'amour et la colère, 6+6 a
N'a jeté sur son nom | pitié, gloire ou respect. 6+6 a
Aucun signe n'a lui. | Rien n'a changé l'aspect 6+6 a
5 De ce siècle orageux, | mer de récifs bordée, 6+6 a
Où le fait, ce flot sombre, | écume sur l'idée. 6+6 a
Nul temple n'a gémi | dans nos villes. Nul glas 6+6 a
N'a passé sur nos fronts | criant : Hélas ! hélas ! 6+6 a
La presse aux mille voix, | cette louve hargneuse, 6+6 a
10 À peine a retourné | sa tête dédaigneuse ; 6+6 a
Nous ne l'avons pas vue, | irritée et grondant, 6+6 a
Donner à cette pourpre | un dernier coup de dent. 6+6 a
Et chacun vers son but, | la marée à la grève, 6+6 a
La foule vers l'argent, | la penseur vers son rêve, 6+6 a
15 Tout a continué | de marcher, de courir, 6+6 a
Et rien n'a dit au monde : | Un roi vient de mourir ! 6+6 a
II
Sombres canons rangés | devant les Invalides, 6+6 a
Comme des sphinx au pied | des grandes pyramides, 6+6 a
Dragons d'airain, hideux, | verts, énormes, béants, 6+6 a
20 Gardiens de ce palais, | bâti pour des géants, 6+6 a
Qui dresse et fait au loin | reliure à la lumière 6+6 a
Un casque monstrueux | sur sa tête de pierre ! 6+6 a
À ce bruit qui jadis | vous eût fait rugir tous, 6+6 a
— Le roi de France est mort ! | — d'où vient qu'aucun de vous, 6+6 a
25 Comme un lion captif | qui secouerait sa chaîne, 6+6 a
Aucun n'a tressailli | sur sa base de chêne, 6+6 a
Et n'a, se réveillant | par un subit effort, 6+6 a
Dit à son noir voisin : | — Le roi de France est mort ! — 6+6 a
D'où vient qu'il s'est fermé | sans vos salves funèbres, 6+6 a
30 Ce cercueil qu'on clouait | là-bas dans les ténèbres ? 6+6 a
Et que rien n'est sorti | de vos mornes affûts, 6+6 a
Pas même, ô canons sourds, | ce murmure confus 6+6 a
Qu'au vague battement | de ses ailes livides 6+6 a
le vent des nuits arrache | à des armures vides ? 6+6 a
35 C'est que, prostitués | dans nos troubles civils, 6+6 a
Vous êtes comme nous | fiers, sonores et vils ! 6+6 a
C'est que, rouillés, vieillis, | rivés à votre place, 6+6 a
Toujours agenouillés | devant tout ce qui passe, 6+6 a
Retirés des combats, | et dans ce coin obscur 6+6 a
40 Par des soldats boiteux | gardés sous un vieux mur, 6+6 a
Vains foudres de parade | oubliés de l'armée, 6+6 a
Autour de tout vainqueur | faisant de la fumée, 6+6 a
Réservés pour la pompe | et la solennité, 6+6 a
Vous avez pris racine | en cette lâcheté ! 6+6 a
45 Soyez flétris ! canons | que la guerre repousse, 6+6 a
Dont la voix sans terreur | dans les fêtes s'émousse, 6+6 a
Vous qui glorifiez | de votre cri profond 6+6 a
ceux qui viennent, toujours, | jamais ceux qui s'en vont ! 6+6 a
Vous qui, depuis trente ans, | noirs courtisans de bronze, 6+6 a
50 Avez, comme Henri Quatre | adorant Louis Onze, 6+6 a
Toujours tout applaudi, | toujours tout salué, 6+6 a
Vous taisant seulement | quand le peuple a hué ! 6+6 a
Lâches, vous préférez | ceux que le sort préfère ! 6+6 a
Dans le moule brûlant | le fondeur pour vous faire 6+6 a
55 Mit l'étain et le cuivre | et l'oubli du vaincu ; 6+6 a
Car qui meurt exilé | pour vous n'a pas vécu, 6+6 a
Car vos poumons de fer, | où gronde une âpre haleine, 6+6 a
Sont muets pour Goritz, | comme pour Sainte-Hélène ! 6+6 a
Soyez flétris !
Mais non. | C'est à nous, insensés, 6+6 a
60 Que le mépris revient. | Vous nous obéissez. 6+6 a
Vous êtes prisonniers | et vous êtes esclaves. 6+6 a
La guerre qui vous fit | de ses bouillantes laves 6+6 a
Vous fit pour la bataille, | et nous vous avons pris 6+6 a
Pour vous éclabousser | des fanges de Paris, 6+6 a
65 Pour vous sceller au seuil | d'un palais centenaire, 6+6 a
Et pour vous mettre au ventre | un éclair sans tonnerre ! 6+6 a
C'est nous qu'il faut flétrir, | nous qui, déshonorés, 6+6 a
Donnons notre âme abjecte | à ces bronzes sacrés. 6+6 a
Nous passons dans l'opprobre ! | hélas ! ils y demeurent. 6+6 a
70 Mornes captifs ! le jour | où des rois proscrits meurent, 6+6 a
Vous ne pouvez, jetant | votre fumée à flots, 6+6 a
Prolonger sur Paris | vos éclatants sanglots, 6+6 a
Et, pareils à des chiens | liés à des murailles, 6+6 a
D'un hurlement plaintif | suivre leurs funérailles ! 6+6 a
75 Muets, et vos longs cous | baissés vers les pavés, 6+6 a
Vous restez là pensifs, | et, tristes, vous rêvez 6+6 a
Aux hommes, froids esprits, | cœurs bas, âmes douteuses, 6+6 a
Qui font faire à l'airain | tant de choses honteuses ! 6+6 a
III
Vous vous taisez. — Mais moi, | moi dont parfois le chant 6+6 a
80 Se refuse à l'aurore | et jamais au couchant, 6+6 a
Moi que jadis à Reims | Charle admit comme un hôte, 6+6 a
Moi qui plaignis ses maux, | moi qui blâmai sa faute, 6+6 a
Je ne me tairai pas. | Je descendrai, courbé, 6+6 a
Jusqu'au caveau profond, | où dort ce roi tombé ; 6+6 a
85 Je suspendrai ma lampe | à cette voûte noire ; 6+6 a
Et sans cesse, à côté | de sa triste mémoire, 6+6 a
Mon esprit, dans ces temps | d'oubli contagieux, 6+6 a
Fera veiller dans l'ombre | un vers religieux ! 6+6 a
Et que m'importe à moi | qui, déployant mon aile, 6+6 a
90 Touche parfois d'en bas | à la lyre éternelle, 6+6 a
À moi qui n'ai d'amour | que pour l'onde et les champs, 6+6 a
Et pour tout ce qui souffre, | excepté les méchants, 6+6 a
À moi qui prends souci, | quand la nef s'aventure, 6+6 a
De tous les matelots | risqués dans la mâture, 6+6 a
95 Et dont la pitié grave | hésite quelquefois 6+6 a
De la sueur du peuple | à la sueur des rois, 6+6 a
Que m'importe après tout | que depuis six années 6+6 a
Ce roi fût retranché | des têtes couronnées, 6+6 a
Froide ruine au bord | de nos flots écumants, 6+6 a
100 Vain fantôme penché | sur les événements ! 6+6 a
Qu'il ne changeât de rien | ni le poids ni le nombre, 6+6 a
Que, rasé dès longtemps, | son front plongeât dans l'ombre, 6+6 a
Et que déjà, vieillard | sans trône et sans pavois, 6+6 a
Il eût subi l'exil, | première mort des rois ! 6+6 a
105 Je le dirai, sans peur | que la haine renaisse, 6+6 a
Son avènement pur | eut pour sœur ma jeunesse ; 6+6 a
Saint Rémi nous reçut | sous son mur triomphant 6+6 a
Tous deux le même jour, | lui vieux, moi presque enfant ; 6+6 a
Et moi je ne veux pas, | harpe qu'il a connue, 6+6 a
110 Qu'on mette mon roi mort | dans une bière nue ! 6+6 a
Tandis qu'au loin la foule | emplit l'air de ses cris, 6+6 a
L'auguste piété, | servante des proscrits, 6+6 a
Qui les ensevelit | dans sa plus blanche toile, 6+6 a
N'aura pas, dans la nuit | que son regard étoile, 6+6 a
115 Demandé vainement | à ma pensée en deuil 6+6 a
Un lambeau de velours | pour couvrir ce cercueil ! 6+6 a
IV
Oh ! que Versaille était superbe 8 a
Dans ces jours purs de tout affront 8 b
Où les prospérités en gerbe 8 a
120 S'épanouissaient sur son front ! 8 b
Là, tout faste était sans mesure ; 8 a
Là, tout arbre avait sa parure ; 8 a
Là, tout homme avait sa dorure ; 8 a
Tout du maître suivait la loi. 8 a
125 Comme au même but vont cent routes, 8 b
Là les grandeurs abondaient toutes ; 8 b
L'olympe ne pendait aux voûtes 8 b
Que pour compléter le grand roi ! 8 a
Vers le temps où naissaient nos pères 8 a
130 Versailles rayonnait encor. 8 b
Les lions ont de grands repaires ; 8 a
Les princes ont des palais d'or. 8 b
Chaque fois que, foule asservie, 8 a
Le peuple au cœur rongé d'envie 8 a
135 Contemplait du fond de sa vie 8 a
Ce fier château si radieux, 8 a
Rentrant dans sa nuit plus livide, 8 b
Il emportait dans son œil vide 8 b
Un éblouissement splendide 8 b
140 De rois, de femmes et de dieux ! 8 a
Alors riaient dans l'espérance 8 a
Trois enfants sous ces nobles toits, 8 b
Les deux Louis, aînés de France, 8 a
Le beau Charles, comte d'Artois. 8 b
145 Tous trois nés sous les dais de soie, 8 a
Frêles enfants, mais pleins de joie 8 a
Comme ceux qu'un chaud soleil noie 8 a
De rayons purs sous le ciel bleu. 8 a
Oh ! d'un beau sort quelle semence ! 8 b
150 Près d'eux le roi d'où tout commence, 8 b
Au-dessous d'eux le peuple immense, 8 b
Au-dessus la bonté de Dieu ! 8 a
V
Qui leur eût dit alors | l'austère destinée ? 6+6 a
Qui leur eût dit qu'un jour | cette France, inclinée 6+6 a
155 Sous leurs fronts de fleurons chargés, 8 a
Ne se souviendrait d'eux | ni de leur morne histoire, 6+6 b
Pas plus que l'océan | sans fond et sans mémoire 6+6 b
Ne se souvient des naufragés ! 8 a
Que, chaînes, lys, dauphins, | un jour les Tuileries 6+6 a
160 Verraient l'illustre amas | des vieilles armoiries 6+6 a
S'écrouler de leur plafond nu, 8 a
Et qu'en ces temps lointains | que le mystère couvre, 6+6 b
Un Corse, encore à naître, | au noir fronton du Louvre 6+6 b
Sculpterait un aigle inconnu ! 8 a
165 Que leur royal Saint-Cloud | se meublait pour un autre, 6+6 a
Et qu'en ces fiers jardins | du rigide Lenôtre, 6+6 a
Amour de leurs yeux éblouis, 8 a
Beaux parcs où dans les jeux | croissait leur jeune force, 6+6 b
Les chevaux de Crimée | un jour mordraient l'écorce 6+6 b
170 Des vieux arbres du grand Louis ! 8 a
VI
Dans ces temps radieux, | dans cette aube enchantée 6+6 a
Dieu ! comme avec terreur | leur mère épouvantée 6+6 a
Les eût contre son cœur | pressés, pâle et sans voix, 6+6 a
Si quelque vision, | troublant ces jours de fêtes, 6+6 b
175 Eût jeté tout à coup | sur ces fragiles têtes 6+6 b
Ce cri terrible : — Enfants ! | vous serez rois tous trois ! 6+6 a
Et la voix prophétique | aurait pu dire encore : 6+6 a
« — Enfants, que votre aurore | est une triste aurore ! 6+6 a
Que les sceptres pour vous | sont d'odieux présents ! 6+6 a
180 D'où vient donc que le Dieu | qui punit Babylone 6+6 b
Vous fait à pareille heure | éclore au pied du trône ? 6+6 b
Et qu'avez-vous donc fait, | ô pauvres innocents ? 6+6 a
Beaux enfants qu'on berce et qu'on flatte, 8 a
Tout surpris, vous si purs, si doux, 8 b
185 Que des vieux en robe écarlate 8 a
Viennent vous parler à genoux ! 8 b
Quand les sévères Malesherbes 8 a
Ont relevé leurs fronts superbes, 8 a
Vous courez jouer dans les herbes, 8 a
190 Sans savoir que tout doit finir, 8 a
Et que votre race qui sombre 8 b
Porte à ses deux bouts couverts d'ombre 8 b
Ravaillac dans le passé sombre, 8 b
Robespierre dans l'avenir ! 8 a
195 Dans ce Louvre où de vieux murs gardent 8 a
Les portraits des rois hasardeux, 8 b
Allez voir comme vous regardent 8 a
Charles premier et Jacques deux ! 8 b
Sur vous un nuage s'étale. 8 a
200 Sol étranger, terre natale, 8 a
L'émeute, la guerre fatale, 8 a
Dévoreront vos jours maudits. 8 a
De vous trois, enfants sur qui pèse 8 b
L'antique masure française, 8 b
205 Le premier sera Louis seize, 8 b
Le dernier sera Charles dix ! 8 a
Que l'aîné, peu crédule | à la vie, à la gloire, 6+6 a
Au peuple ivre d'amour, | sache d'une nuit noire 6+6 a
D'avance emplir son cœur | de courage pourvu ; 6+6 a
210 Qu'il rêve un ciel de pluie, | un tombereau qui roule, 6+6 b
Et là-bas, tout au fond, | au-dessus de la foule, 6+6 b
Quelque étrange échafaud | dans la brume entrevu ! 6+6 a
Frères par la naissance | et par le malheur frères, 6+6 a
Les deux autres fuiront, | battus des vents contraires. 6+6 a
215 Le règne de Louis, | roi de quelques bannis, 6+6 a
Commence dans l'exil, | celui de Charle y tombe. 6+6 b
L'un n'aura pas de sacre | et l'autre pas de tombe. 6+6 b
À l'un Reims doit manquer, | à l'autre Saint-Denis ! » 6+6 a
VII
Quel rêve horrible ! — C'est l'histoire. 8 a
220 De nos pères couchés | dans les tombeaux profonds 6+6 b
Ce qu'aucun n'aurait voulu croire, 8 a
Nous l'avons vu, nous qui vivons ! 8 b
Tous ces maux, et d'autres encore, 8 a
Sont tombés sur ces fronts | de la main du Seigneur. 6+6 b
225 Maintenant croyez à l'aurore ! 8 a
Maintenant croyez au bonheur ! 8 b
Croyez au ciel pur et sans rides ! 8 a
Saluez l'avenir | qui vous flatte si bien ! 6+6 b
L'avenir, fantôme aux mains vides, 8 a
230 Qui promet tout et qui n'a rien ! 8 b
Ô rois ! ô familles tronquées ! 8 a
Brusques écroulements | des vieilles majestés ! 6+6 b
O calamités embusquées 8 a
Au tournant des prospérités ! 8 b
235 Tout colosse a des pieds de sable. 8 a
Votre abîme est, Seigneur, | un abîme infini. 6+6 b
Louis quinze fut le coupable, 8 a
Louis seize fut le puni ! 8 b
La peine se trompe et dévie. 8 a
240 Celui qui fit le mal, | c'est la loi du Très-Haut, 6+6 b
A le trône et la longue vie, 8 a
Et l'innocent a l'échafaud. 8 b
Les fautes que l'aïeul peut faire 8 a
Te poursuivront, ô fils ! | en vain tu t'en défends. 6+6 b
245 Quand il a neigé sous le père, 8 a
L'avalanche est pour les enfants ! 8 b
Révolutions ! mer profonde ! 8 a
Que de choses, hélas ! | pleines d'enseignement, 6+6 b
Dans les ténèbres de votre onde 8 a
250 On voit flotter confusément ! 8 b
VIII
Charles Dix ! — Oh ! le Dieu | qui retire et qui donne 6+6 a
Forgea pour cette tête | une lourde couronne ! 6+6 a
L'empire était penchant | et les temps étaient durs. 6+6 a
Une ombre quand il vint | couvrait encor nos murs, 6+6 a
255 L'ombre de l'empereur, | figure colossale. 6+6 a
Peuple, armée, et la France, | et l'Europe vassale, 6+6 a
Par cette vaste main | depuis quinze ans pétris, 6+6 a
Demandaient un grand règne, | et, pour remplir Paris 6+6 a
Ainsi qu'après César | Auguste remplit Rome, 6+6 a
260 Après Napoléon | il fallait plus qu'un homme. 6+6 a
Charles ne fut qu'un homme. | À ce faîte il eut peur. 6+6 a
Le gouffre attire. Pris | d'un vertige trompeur, 6+6 a
Dans l'abîme, fermant | les yeux à la lumière, 6+6 a
Il se précipita | la tête la première. 6+6 a
265 Silence à son tombeau ! | car tout vient de finir. 6+6 a
À peine il aura teint | d'un vague souvenir 6+6 a
Le peuple à l'eau pareil, | qui passe, clair ou sombre, 6+6 a
Près de tout sans en prendre | autre chose que l'ombre ! 6+6 a
Je n'aurai pas pour lui | de reproches amers. 6+6 a
270 Je ne suis pas l'oiseau | qui crie au bord des mers 6+6 a
Et qui, voyant tomber | la foudre des nuées 6+6 a
Jette aux marins perdus | ses sinistres huées. 6+6 a
Des passions de tous | isolé bien souvent, 6+6 a
Je n'ai jamais cherché | les baisers que nous vend 6+6 a
275 Et l'hymne dont nous berce | avec sa voix flatteuse 6+6 a
La popularité, | cette grande menteuse. 6+6 a
Aussi n'attendez pas | que j'achète aujourd'hui 6+6 a
Des louanges pour moi | par des affronts pour lui. 6+6 a
Qu'un autre, aux rois déchus | donnant un nom sévère 6+6 a
280 Fasse un vil pilori | de leur fatal calvaire ; 6+6 a
Moi je n'affligerai | pas plus, ô Charles dix, 6+6 a
Ton cercueil maintenant | que ton exil jadis ! 6+6 a
IX
Repose, fils de France, | en ta tombe exilée ! 6+6 a
Dormez, sire ! — Il convient | que cette ombre voilée, 6+6 a
285 Que ce vieux pasteur mort | sans peuple et sans troupeaux, 6+6 a
Roi presque séculaire, | ait au moins le repos, 6+6 a
Qu'il ait au moins la paix | où la mort nous convie, 6+6 a
Puisqu'il eut le travail | d'une si dure vie ! 6+6 a
Peuple ! soyons cléments ! | soyons forts ! oublions ! 6+6 a
290 Jamais l'odeur des morts | n'attire les lions. 6+6 a
La haine d'un grand peuple | est une haine grande 6+6 a
Qui veut que le pardon | au sépulcre descende 6+6 a
Et n'a pour ennemis | que ceux qui sont debout. 6+6 a
Hélas ! quel poids encor | pourrions-nous après tout 6+6 a
295 Jeter sur ce vieillard | cassé par la misère, 6+6 a
Qui dort sous le fardeau | de la terre étrangère ! 6+6 a
Roi, puissant, vous l'avez | brisé ; c'est un grand pas. 6+6 a
Il faut l'épargner mort. | Et moi, je ne crois pas 6+6 a
Qu'il soit digne du peuple | en qui Dieu se reflète 6+6 a
300 De joindre au bras qui tue | une main qui soufflette. 6+6 a
X
Nous, pasteurs des esprits, | qui, du bord du chemin 6+6 a
Regardons tous les pas | que fait le genre humain, 6+6 a
Poètes, par nos chants, | penseurs, par nos idées, 6+6 a
Hâtons vers la raison | les âmes attardées ! 6+6 a
305 Hâtons l'ère où viendront | s'unir d'un nœud loyal 6+6 a
Le travail populaire | et le labeur royal ; 6+6 a
Où colère et puissance | auront fait leur divorce ; 6+6 a
Où tous ceux qui sont forts | auront peur de leur force, 6+6 a
Et d'un saint tremblement | frémiront à la fois, 6+6 a
310 Rois, devant leurs devoirs, | peuples, devant leurs droits ! 6+6 a
Aidons tous ces grands faits | que le Seigneur envoie 6+6 a
Pour ouvrir une route | ou pour clore une voie, 6+6 a
Les révolutions | dont la surface bout, 6+6 a
Les changements soudains | qui font vaciller tout, 6+6 a
315 À dégager du fond | des nuages de l'âme, 6+6 a
À poser au-dessus | des lois comme une flamme 6+6 a
Ce sentiment profond | en nous tous replié 6+6 a
Que l'homme appelle doute | et la femme pitié ! 6+6 a
Expliquons au profit | de la sainte clémence 6+6 a
320 Ces hauts événements | où l'état recommence, 6+6 a
Et qui font, quand l'œil va | des vaincus aux vainqueurs, 6+6 a
Trembler la certitude | humaine au fond des cœurs ! 6+6 a
Faisons venir bientôt | l'heure où l'on pourra dire 6+6 a
Que sur le froid sépulcre | on ne doit rien écrire 6+6 a
325 Hors des mots de pardon, | d'espérance et de paix ; 6+6 a
Et que, l'empereur mort | comme les vieux Capets, 6+6 a
On a tort d'exiler, | lorsque rien ne bouillonne, 6+6 a
Eux de leur Saint-Denis | et lui de sa colonne. 6+6 a
À quoi sert, Dieu clément, | cette vaine action ? 6+6 a
330 Et comment se fait-il | que la Proscription 6+6 a
Ne brise pas ses dents | au marbre de la tombe ? 6+6 a
N'est-ce donc pas assez | que, cygne, aigle ou colombe, 6+6 a
Dès qu'un vent de malheur | lui jette un nid de rois, 6+6 a
Sortant de ce bois noir | qu'on appelle les lois, 6+6 a
335 Cette hyène, acharnée | aux grandes races mortes, 6+6 a
Vienne, là, sous nos murs, | les ronger à nos portes ! 6+6 a
Un jour, — mais nous serons | couchés sous le gazon 6+6 a
Quand cette aube de Dieu | blanchira l'horizon ! — 6+6 a
Un jour on comprendra, | même en changeant de règne, 6+6 a
340 Qu'aucune loi ne peut, | sans que l'équité saigne, 6+6 a
Faire expier à tous | ce qu'a commis un seul, 6+6 a
Et faire boire au fils | ce qu'a versé l'aïeul. 6+6 a
On fera ce que nul | aujourd'hui ne peut faire. 6+6 a
Quand un aiglon royal | tombera de sa sphère, 6+6 a
345 On ne l'abattra pas | sur l'aigle foudroyé. 6+6 a
Et, tout en gardant bien | le droit qu'il a payé 6+6 a
De mettre le pouvoir | sur un front comme un signe 6+6 a
Et de donner le trône | et le Louvre au plus digne, 6+6 a
Un grand peuple pourra, | sans être épouvanté, 6+6 a
350 Voir un enfant de plus | jouer dans la cité. 6+6 a
Car tous les cœurs diront : | C'est une juste aumône 6+6 a
De laisser la patrie | à qui n'a plus le trône ! 6+6 a
Alors, jetant enfin | l'ancre dans un port sûr, 6+6 a
Ayant les biens germés | sur nos maux, et l'azur 6+6 a
355 Du ciel nouveau dont Dieu | nous donne la tempête, 6+6 a
Proscription ! nos fils | broieront du pied ta tête ! 6+6 a
Démon qui tiens du tigre | et qui tiens du serpent ! 6+6 a
Dans les prospérités | invisible et rampant, 6+6 a
Qui, lâche et patient, | épiant en silence 6+6 a
360 Ce que dans son palais | le roi dit, rêve, ou pense, 6+6 a
Horrible, en attendant | l'heure d'être lâché, 6+6 a
Vis, monstre ténébreux, | sous le trône caché ! 6+6 a
O poésie ! au ciel | ton vol se réfugie 6+6 a
Quand les partis hurlants | luttent à pleine orgie, 6+6 a
365 Quand la nécessité | sous son code étouffant 6+6 a
Brise le fort, le faible, | hélas ! l'innocent même, 6+6 b
Et sourde et sans pitié | promène l'anathème 6+6 b
Du front blanc du vieillard | au front pur de l'enfant ! 6+6 a
Tu fuis alors à tire-d'aile 8 a
370 Vers le ciel éternel et pur, 8 b
Vers la 1umière à tous fidèle, 8 a
Vers l'innocence, vers l'azur ! 8 b
Afin que ta pureté fière 8 a
N'ait pas la fange et la poussière 8 a
375 Des vils chemins par nous frayés, 8 a
Et que, nuages et tempêtes, 8 b
Tout ce qui passe sur nos têtes 8 b
Ne puisse passer qu'à tes pieds ! 8 a
Tu sais qu'étoile sans orbite, 8 a
380 L'homme erre au gré de tous les vents ; 8 b
Tu sais que l'injustice habite 8 a
Dans la demeure des vivants ; 8 b
Et que nos cœurs sont des arènes 8 a
Où les passions souveraines, 8 a
385 Groupe horrible en vain combattu, 8 a
Lionnes, louves affamées, 8 b
Tigresses de taches semées, 8 b
Dévorent la chaste vertu ! 8 a
Tout ce qui souffre est plein de haine. 8 a
390 Tout ce qui vit traîne un remords. 8 b
Les morts seuls ont rompu leur chaîne. 8 a
Tout est méchant, hormis les morts ! 8 b
Aussi, voyant partout la vie 8 a
Palpiter de rage et d'envie, 8 a
395 Et que parmi nous rien n'est beau, 8 a
Si parfois, oiseau solitaire, 8 b
Tu redescends sur cette terre, 8 b
Tu te poses sur un tombeau ! 8 a
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