Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
HUG_14/HUG217
Victor HUGO
Les Chants du Crépuscule
1835
XXXIII
DANS L'ÉGLISE DE ***
I
C'était une humble église | au cintre surbaissé, 6+6 a
L'église où nous entrâmes, 6 b
Où depuis trois cents ans | avaient déjà passé 6+6 a
Et pleuré bien des âmes. 6 b
5 Elle était triste et calme | à la chute du jour, 6+6 a
L'église où nous entrâmes ; 6 b
L'autel sans serviteur, | comme un cœur sans amour, 6+6 a
Avait éteint ses flammes. 6 b
Les antiennes du soir, | dont autrefois saint Paul 6+6 a
10 Réglait les chants fidèles, 6 b
Sur les stalles du chœur | d'où s'élance leur vol 6+6 a
Avaient ployé leurs ailes. 6 b
L'ardent musicien | qui sur tous à pleins bords 6+6 a
Verse la sympathie, 6 b
15 L'homme-esprit n'était plus | dans l'orgue, vaste corps 6+6 a
Dont l'âme était partie. 6 b
La main n'était plus là, | qui, vivante et jetant 6+6 a
Le bruit par tous les pores, 6 b
Tout à l'heure pressait | le clavier palpitant, 6+6 a
20 Plein de notes sonores, 6 b
Et les faisait jaillir | sous son doigt souverain 6+6 a
Qui se crispe et s'allonge, 6 b
Et ruisseler le long | des grands tubes d'airain 6+6 a
Comme l'eau d'une éponge. 6 b
25 L'orgue majestueux | se taisait gravement 6+6 a
Dans la nef solitaire ; 6 b
L'orgue, le seul concert, | le seul gémissement 6+6 a
Qui mêle aux cieux la terre ! 6 b
La seule voix qui puisse, | avec le flot dormant 6+6 a
30 Et les forêts bénies, 6 b
Murmurer ici-bas | quelque commencement 6+6 a
Des choses infinies ! 6 b
L'église s'endormait | à l'heure où tu t'endors, 6+6 a
O sereine nature ! 6 b
35 A peine,quelque lampe | au fond des corridors 6+6 a
Étoilait l'ombre obscure. 6 b
A peine on entendait | flotter quelque soupir, 6+6 a
Quelque basse parole, 6 b
Comme en une forêt | qui vient de s'assoupir 6+6 a
40 Un dernier oiseau vole ; 6 b
Hélas ! et l'on sentait, | de moment en moment, 6+6 a
Sous cette voûte sombre, 6 b
Quelque chose de grand, | de saint et de charmant 6+6 a
S'évanouir dans l'ombre ! 6 b
45 Elle était triste et calme | à la chute du jour 6+6 a
L'église où nous entrâmes ; 6 b
L'autel sans serviteur, | comme un cœur sans amour, 6+6 a
Avait éteint ses flammes. 6 b
Votre front se pencha, | morne et tremblant alors, 6+6 a
50 Comme une nef qui sombre, 6 b
Tandis qu'on entendait | dans la ville au dehors 6+6 a
Passer des voix sans nombre. 6 b
II
Et ces voix qui passaient | disaient joyeusement 6+6 a
— « Bonheur ! gaîté ! délices ! 6 b
55 » A nous les coupes d'or | pleines d'un vin charmant ! 6+6 a
» A d'autres les calices ! 6 b
» Jouissons ! l'heure est courte | et tout fuit promptement 6+6 a
» L'urne est vite remplie ! 6 b
» Le nœud de l'âme au corps, | hélas à tout moment 6+6 a
60 » Dans l'ombre se délie ! 6 b
» Tirons de chaque objet | ce qu'il a de meilleur, 6+6 a
» La chaleur de la flamme, 6 b
» Le vin du raisin mûr, | le parfum de la fleur, 6+6 a
» Et l'amour de la femme ! 6 b
65 » Épuisons tout ! Usons | du printemps enchanté 6+6 a
» Jusqu'au dernier zéphire, 6 b
» Du jour jusqu'au dernier | rayon, de la beauté 6+6 a
» Jusqu'au dernier sourire ! 6 b
» Allons jusqu'à la fin | de tout, en bien vivant, 6+6 a
70 » D'ivresses en ivresses, 6 b
» Une chose qui meurt, | mes amis, a souvent 6+6 a
» De charmantes caresses ! 6 b
» Dans le vin que je bois, | ce que j'aime le mieux 6+6 a
» C'est la dernière goutte. 6 b
75 » L'enivrante saveur | du breuvage joyeux 6+6 a
» Souvent s'y cache toute ! 6 b
» Sur chaque volupté | pourquoi nous hâter tous, 6+6 a
Sans plonger dans son onde, 6 b
» Pour voir si quelque perle | ignorée avant nous 6+6 a
80 » N'est pas sous l'eau profonde ? 6 b
» Que sert de n'effleurer | qu'à peine ce qu'on tient, 6+6 a
» Quand on a les mains pleines, 6 b
» Et de vivre essoufflé | comme un enfant qui vient 6+6 a
» De courir dans les plaines ? 6 b
85 » Jouissons à loisir! | Du loisir tout renaît ! 6+6 a
» Le bonheur nous convie! 6 b
» Faisons, comme un tison | qu'on heurte au dur chenet, 6+6 a
» Étinceler la vie ! 6 b
» N'imitons pas ce fou | que l'ennui tient aux fers, 6+6 a
90 » Qui pleure et qui s'admire. 6 b
» Toujours les plus beaux fruits | d'ici-bas sont offerts 6+6 a
» Aux belles dents du rire!— 6 b
» Les plus tristes d'ailleurs, | comme nous qui rions, 6+6 a
» Souillent parfois leur âme. 6 b
95 » Pour fondre ces grands cœur | il suffit des rayons 6+6 a
» De l'or ou de la femme. 6 b
» Ils tombent comme nous, | malgré leur fol orgueil 6+6 a
» Et leur vaine amertume ; 6 b
» Les flots les plus hautains, | dès que vient un écueil, 6+6 a
100 » S'écroulent en écume 6 b
» Vivons donc ! et buvons, | du soir jusqu'au matin, 6+6 a
» Pour l'oubli de nous-même, 6 b
» Et déployons gaîment | la nappe du festin, 6+6 a
» Linceul du chagrin blême ! 6 b
105 » L'ombre attachée aux pas | du beau plaisir vermeil, 6+6 a
» C'est la tristesse sombre. 6 b
» Marchons les yeux toujours | tournés vers le soleil ; 6+6 a
» Nous ne verrons pas l'ombre ! 6 b
» Qu'importe le malheur, | le deuil, le désespoir, 6+6 a
110 » Que projettent nos joies, 6 b
» Et que derrière nous | quelque chose de noir 6+6 a
» Se traîne sur nos voies ! 6 b
» Nous ne le savons pas. | — Arrière les douleurs, 6+6 a
» Et les regrets moroses! 6 b
115 Faut-il donc, en fanant | des couronnes de fleurs, 6+6 a
» Avoir pitié des roses ? 6 b
» Les vrais biens dans ce monde, | — et l'autre est importun ! 6+6 a
» C'est tout ce qui nous fête, 6 b
» Tout ce qui met un chant, | un rayon, un parfum, 6+6 a
120 » Autour de notre tête ! 6 b
» Ce n'est jamais demain, | c'est toujours aujourd'hui ! 6+6 a
» C'est la joie et le rire ! 6 b
» C'est un sein éclatant | peut-être plein d'ennui, 6+6 a
» Qu'on baise et qui soupire ! 6 b
125 » C'est l'orgie opulente, | enviée au-dehors, 6+6 a
» Contente, épanouie, 6 b
» Qui rit, et qui chancelle, | et qui boit à pleins bords, 6+6 a
» De flambeaux éblouie! » 6 b
III
Et tandis que ces voix, | que tout semblait grossir, 6+6 a
130 Voix d'une ville entière, 6 b
Disaient : Santé, bonheur, | joie, orgueil et plaisir! 6+6 a
Votre œil disait : Prière ! 6 b
IV
Elles parlaient tout haut | et vous parliez tout bas 6+6 a
— « Dieu qui m'avez fait naître, 6 b
135 » Vous m'avez réservée | ici pour des combats 6+6 a
» Dont je tremble, ô mon maître ! 6 b
» Ayez pitié ! — L'esquif | où chancellent mes pas 6+6 a
» Est sans voile et sans rames. 6 b
» Comme pour les enfants, | pourquoi n'avez-vous pas 6+6 a
140 » Des anges pour les femmes ? 6 b
» Je sais que tous nos jours | ne sont rien, Dieu tonnant, 6+6 a
» Devant vos jours sans nombre. 6 b
» Vous seul êtes réel, | palpable et rayonnant ; 6+6 a
» Tout le reste est de l'ombre. 6 b
145 » Je le sais. Mais cette ombre | où nos cœurs sont flottants, 6+6 a
» J'y demande ma route. 6 b
» Quelqu'un répondra-t-il ? | Je prie, et puis j'attends ! 6+6 a
» J'appelle, et puis j'écoute ! 6 b
» Nul ne vient. Seulement | par instants, sous mes pas, 6+6 a
150 » Je sens d'affreuses trames. 6 b
» Comme pour les enfants, | pourquoi n'avez-vous pas 6+6 a
» Des anges pour les femmes ? 6 b
» Seigneur ! autour de moi, | ni le foyer joyeux, 6+6 a
» Ni la famille douce, 6 b
155 » Ni l'orgueilleux palais | qui touche presque aux cieux, 6+6 a
» Ni le nid dans la mousse, 6 b
» Ni le fanal pieux | qui montre le chemin, 6+6 a
» Ni pitié, ni tendresse, 6 b
» Hélas ! ni l'amitié | qui nous serre la main, 6+6 a
160 » Ni l'amour qui la presse, 6 b
» Seigneur, autour de moi | rien n'est resté debout ! 6+6 a
» Je pleure et je végète, 6 b
» Oubliée au milieu | des ruines de tout, 6+6 a
» Comme ce qu'on rejette ! 6 b
165 » Pourtant je n'ai rien fait | à ce monde d'airain, 6+6 a
» Vous le savez vous-même. 6 b
» Toutes mes actions | passent le front serein 6+6 a
» Devant votre œil suprême. 6 b
» Jusqu'à ce que le pauvre | en ait pris la moitié, 6+6 a
170 » Tout ce que j'ai me pèse. 6 b
» Personne ne me plaint. | Moi, de tous j'ai pitié. 6+6 a
» Moi, je souffre et j'apaise ! 6 b
» Jamais de votre haine | ou de votre faveur 6+6 a
» Je n'ai dit : Que m'importe ! 6 b
175 » J'ai toujours au passant | que je voyais rêveur 6+6 a
» Enseigné votre porte. 6 b
» Vous le savez. — Pourtant | mes pleurs que vous voyez, 6+6 a
» Seigneur, qui les essuie ? 6 b
» Tout se rompt sous ma main, | tout tremble sous mes pieds, 6+6 a
180 » Tout coule où je m'appuie. 6 b
» Ma vie est sans bonheur, | mon berceau fut sans jeux. 6+6 a
» Cette loi, c'est la vôtre ! 6 b
» Tous les rayons de jour | de mon ciel orageux 6+6 a
» S'en vont l'un après l'autre. 6 b
185 » Je n'ai plus même, hélas ! | le flux et le reflux 6+6 a
» Des clartés et des ombres. 6 b
» Mon esprit chaque jour | descend de plus en plus 6+6 a
» Parmi les rêves sombres. 6 b
» On dit que sur les cœurs, | pleins de trouble et d'effroi, 6+6 a
190 » Votre grâce s'épanche. 6 b
» Soutenez-moi, Seigneur! | Seigneur, soutenez-moi, 6+6 a
» Car je sens que tout penche ! » 6 b
V
Et moi, je contemplais | celle qui priait Dieu 6+6 a
Dans l'enceinte sacrée, 6 b
195 La trouvant grave et douce | et digne du saint lieu, 6+6 a
Cette belle éplorée. 6 b
Et je lui dis, tâchant | de ne pas la troubler, 6+6 a
La pauvre enfant qui pleure, 6 b
Si par hasard dans l'ombre | elle entendait parler 6+6 a
200 Quelque autre voix meilleure, 6 b
Car au déclin des ans | comme au matin des jours, 6+6 a
Joie, extase ou martyre, 6 b
Un autel que rencontre | une femme a toujours 6+6 a
Quelque chose à lui dire! 6 b
VI
205 —« O madame! pourquoi | ce chagrin qui vous suit, 6+6 a
» Pourquoi pleurer encore, 6 b
» Vous, femme au cœur charmant, | sombre comme la nuit, 6+6 a
» Douce comme l'aurore ? 6 b
» Qu'importe que la vie, | inégale ici-bas 6+6 a
210 » Pour l'homme et pour la femme, 6 b
» Se dérobe et soit prête | à rompre sous vos pas ? 6+6 a
» N'avez-vous pas votre âme ? 6 b
» Votre âme qui bientôt | fuira peut-être ailleurs 6+6 a
» Vers les régions pures, 6 b
215 » Et vous emportera | plus loin que nos douleurs, 6+6 a
» Plus loin que nos murmures ! 6 b
» Soyez comme l'oiseau, | posé pour un instant 6+6 a
» Sur des rameaux trop frêles, 6 b
» Qui sent ployer la branche | et qui chante pourtant, 6+6 a
220 » Sachant qu'il a des — ailes ! » 6 b
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