Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
HUG_14/HUG192
Victor HUGO
Les Chants du Crépuscule
1835
VIII
À CANARIS
Canaris ! Canaris ! | nous t'avons oublié ! 6+6 a
Lorsque sur un héros | le temps s'est replié, 6+6 a
Quand le sublime acteur | a fait pleurer ou rire, 6+6 b
Et qu'il a dit le mot | que Dieu lui donne à dire, 6+6 b
5 Quand, venus au hasard | des révolutions, 6+6 a
Les grands hommes ont fait | leurs grandes actions, 6+6 a
Qu'ils ont jeté leur lustre, | étincelant ou sombre, 6+6 b
Et qu'ils sont pas à pas | redescendus dans l'ombre, 6+6 b
Leur nom s'éteint aussi. | Tout est vain ! tout est vain ! 6+6 a
10 Et jusqu'à ce qu'un jour | le poëte divin 6+6 a
Qui peut créer un monde | avec une parole, 6+6 b
Les prenne, et leur rallume | au front une auréole, 6+6 b
Nul ne se souvient d'eux, | et la foule aux cent voix 6+6 a
Qui rien qu'en les voyant | hurlait d'aise autrefois, 6+6 a
15 Hélas ! si par hasard | devant elle on les nomme, 6+6 b
Interroge et s'étonne | et dit : Quel est cet homme ? 6+6 b
Nous t'avons oublié. | Ta gloire est dans la nuit. 6+6 a
Nous faisons bien encor | toujours beaucoup de bruit, 6+6 a
Mais plus de cris d'amour, | plus de chants, plus de culte, 6+6 b
20 Plus d'acclamations | pour toi dans ce tumulte! 6+6 b
Le bourgeois ne sait plus | épeler ton grand nom. 6+6 a
Soleil qui t'es couché, | tu n'as plus de Memnon ! 6+6 a
Nous avons un instant | crié : — « La Grèce ! Athènes ! 6+6 b
Sparte ! Léonidas ! | Botzaris ! Démosthènes ! 6+6 b
25 Canaris, demi-dieu | de gloire rayonnant !… » — 6+6 a
Puis, l'entr'acte est venu, | c'est bien, et maintenant 6+6 a
Dans notre esprit, si plein | de ton apothéose, 6+6 b
Nous avons tout rayé | pour écrire autre chose ! 6+6 b
Adieu les héros grecs ! | leurs lauriers sont fanés. 6+6 a
30 Vers d'autres orients | nos regards sont tournés. 6+6 a
On n'entend plus sonner | ta gloire sur l'enclume 6+6 b
De la presse, géant | par qui tout feu s'allume, 6+6 b
Prodigieux cyclope | à la tonnante voix, 6+6 a
A qui plus d'un Ulysse | a crevé l'œil parfois. 6+6 a
35 Oh ! la presse ! ouvrier | qui chaque jour s'éveille, 6+6 b
Et qui défait souvent | ce qu'il a fait la veille ; 6+6 b
Mais qui forge du moins, | de son bras souverain, 6+6 a
A toute chose juste | une armure d'airain ! 6+6 a
Nous t'avons oublié ! |
Mais à toi, que t'importe ? 6+6 b
40 Il te reste, ô marin, | la vague qui t'emporte, 6+6 b
Ton navire, un bon vent | toujours prêt à souffler, 6+6 a
Et l'étoile du soir | qui te regarde aller. 6+6 a
Il te reste l'espoir, | le hasard, l'aventure, 6+6 b
Le voyage à travers | une belle nature, 6+6 b
45 L'éternel changement | de choses et de lieux, 6+6 a
La joyeuse arrivée | et le départ joyeux ; 6+6 a
L'orgueil qu'un homme libre | a de se sentir vivre 6+6 b
Dans un brick fin voilier | et bien doublé de cuivre, 6+6 b
Soit qu'il ait à franchir | un détroit sinueux, 6+6 a
50 Soit que, par un beau temps, | l'océan monstrueux 6+6 a
Qui brise quand il veut | les rocs et les murailles, 6+6 b
Le berce mollement | sur ses larges écailles ; 6+6 b
Soit que l'orage noir, | envolé dans les airs, 6+6 a
Le batte à coups pressés | de son aile d'éclairs ! 6+6 a
55 Mais il te reste, ô Grec, | ton ciel bleu, ta mer bleue, 6+6 b
Tes grands aigles qui font | d'un coup d'aile une lieue, 6+6 b
Ton soleil toujours pur | dans toutes les saisons, 6+6 a
La sereine beauté | des tièdes horizons, 6+6 a
Ta langue harmonieuse, | ineffable, amollie, 6+6 b
60 Que le temps a mêlée | aux langues d'Italie 6+6 b
Comme aux flots de Baia | la vague de Samos ; 6+6 a
Langue d'Homère où Dante | a jeté quelques mots ! 6+6 a
Il te reste, trésor | du grand homme candide, 6+6 b
Ton long fusil sculpté, | ton yatagan splendide, 6+6 b
65 Tes larges caleçons | de toile, tes caftans 6+6 a
De velours rouge et d'or, | aux coudes éclatants ! 6+6 a
Quand ton navire fuit | sur les eaux écumeuses, 6+6 b
Fier de ne côtoyer | que des rives fameuses, 6+6 b
Il te reste, ô mon Grec, | la douceur d'entrevoir 6+6 a
70 Tantôt un fronton blanc | dans les brumes du soir, 6+6 a
Tantôt, sur le sentier | qui près des mers chemine, 6+6 b
Une femme de Thèbe | ou bien de Salamine, 6+6 b
Paysanne à l'œil fier | qui va vendre ses blés 6+6 a
Et pique gravement | deux grands bœufs accouplés, 6+6 a
75 Assise sur un char | d'homérique origine, 6+6 b
Comme l'antique Isis | des bas-reliefs d'Égine ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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