Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
HUG_14/HUG184
Victor HUGO
Les Chants du Crépuscule
1835
PRÉLUDE
De quel nom te nommer, | heure trouble où nous sommes ? 6+6 a
Tous les fronts sont baignés | de livides sueurs. 6+6 b
Dans les hauteurs du ciel | et dans le cœur des hommes 6+6 a
Les ténèbres partout | se mêlent aux lueurs. 6+6 b
5 Croyances, passions, | désespoir, espérances, 6+6 a
Rien n'est dans le grand jour | et rien n'est dans la nuit, 6+6 b
Et le monde, sur qui | flottent les apparences, 6+6 a
Est à demi couvert | d'une ombre où tout reluit. 6+6 b
Le bruit que fait cette ombre | assourdit la pensée : 6+6 a
10 Tout s'y mêle, depuis | le chant de l'oiseleur 6+6 b
Jusqu'au frémissement | de la feuille froissée 6+6 a
Qui cache un nid peut-être | ou qui couve une fleur. 6+6 b
Tout s'y mêle ! les pas | égarés hors des voies 6+6 a
Qui cherchent leur chemin | dans les champs spacieux ; 6+6 b
15 Les roseaux verts froissant | leurs luisantes courroies ; 6+6 a
Les angélus lointains | dispersés dans les cieux ; 6+6 b
Le lierre tressaillant | dans les fentes des voûtes ; 6+6 a
Le vent, funeste au loin | au nocher qui périt ; 6+6 b
Les chars embarrassés | dans les tournants des routes, 6+6 a
20 S'accrochant par l'essieu | comme nous par l'esprit ; 6+6 b
La mendiante en pleurs | qui marche exténuée ; 6+6 a
Celui qui dit Satan | ou qui dit Jéhova ; 6+6 b
La clameur des passants | bientôt diminuée ; 6+6 a
La voix du cœur qui sent, | le bruit du pied qui va ; 6+6 b
25 Les ondes que toi seul, | ô Dieu, comptes et nommes; 6+6 a
L'air qui fuit ; le caillou | par le ruisseau lavé ; 6+6 b
Et tout ce que, chargés | des vains projets des hommes, 6+6 a
Le soc dit au sillon | et la roue au pavé ; 6+6 b
Et la barque, où dans l'ombre | on entend une lyre, 6+6 a
30 Qui passe, et loin du bord | s'abandonne au courant, 6+6 b
Et l'orgue des forêts | qui sur les monts soupire, 6+6 a
Et cette voix qui sort | des villes en pleurant ! 6+6 b
Et l'homme qui gémit | à côté de la chose ; 6+6 a
Car dans ce siècle, en proie | aux sourires moqueurs, 6+6 b
35 Toute conviction | en peu d'instants dépose 6+6 a
Le doute, lie affreuse, | au fond de tous les cœurs ! 6+6 b
Et de ces bruits divers, | redoutable ou propice, 6+6 a
Sort l'étrange chanson | que chante sans flambeau 6+6 b
Cette époque en travail, | fossoyeur ou nourrice, 6+6 a
40 Qui prépare une crêche | ou qui creuse un tombeau ! 6+6 b
※ ※ ※
L'orient ! l'orient ! | qu'y voyez-vous, poëtes ? 6+6 a
Tournez vers l'orient | vos esprits et vos yeux ! — 6+6 b
« Hélas ! ont répondu | leurs voix long-temps muettes, 6+6 a
Nous voyons bien là-bas | un jour mystérieux ! 6+6 b
45 Un jour mystérieux | dans le ciel taciturne, 6+6 a
Qui blanchit l'horizon | derrière les coteaux, 6+6 b
Pareil au feu lointain | d'une forge nocturne 6+6 a
Qu'on voit sans en entendre | encore les marteaux ! 6+6 b
Mais nous ne savons pas | si cette aube lointaine 6+6 a
50 Vous annonce le jour, | le vrai soleil ardent ; 6+6 b
Car, survenus dans l'ombre | à cette heure incertaine, 6+6 a
Ce qu'on croit l'orient | peut-être est l'occident ! 6+6 b
« C'est peut-être le soir | qu'on prend pour une aurore ! 6+6 a
Peut-être ce soleil | vers qui l'homme est penché, 6+6 b
55 Ce soleil qu'on appelle | à l'horizon qu'il dore, 6+6 a
Ce soleil qu'on espère | est un soleil couché ! » — 6+6 b
※ ※ ※
Seigneur ! est-ce vraiment | l'aube qu'on voit éclore ? 6+6 a
Oh! l'anxiété croît | de moment en moment. 6+6 b
N'y voit-on déjà plus ? | n'y voit-on pas encore ? 6+6 a
60 Est-ce la fin, Seigneur, | ou le commencement ? 6+6 b
Dans l'âme et sur la terre | effrayant crépuscule ! 6+6 a
Les yeux pour qui fut fait, | dans un autre univers, 6+6 b
Ce soleil inconnu | qui vient ou qui recule, 6+6 a
Sont-ils déjà fermés | ou pas encore ouverts ? 6+6 b
65 Ce tumulte confus, | où nos esprits s'arrêtent, 6+6 a
Peut-être c'est le bruit, | fourmillant en tout lieu, 6+6 b
Des ailes qui partout | pour le départ s'apprêtent. 6+6 a
Peut-être en ce moment | la terre dit : adieu ! 6+6 b
Ce tumulte confus | qui frappe notre oreille, 6+6 a
70 Parfois pur comme un souffle | et charmant comme un luth, 6+6 b
Peut-être c'est le bruit | d'un Éden qui s'éveille. 6+6 a
Peut-être en ce moment | la terre dit : salut ! 6+6 b
Là-bas l'arbre frissonne, | est-ce allégresse ou plainte ? 6+6 a
Là-bas chante un oiseau, | pleure-t-il ? a-t-il ri ? 6+6 b
75 Là-bas l'océan parle, | est-ce joie ? est-ce crainte ? 6+6 a
Là-bas l'homme murmure, | est-ce un chant ? est-ce un cri ? 6+6 b
A si peu de clarté | nulle âme n'est sereine. 6+6 a
Triste, assis sur le banc | qui s'appuie à son mur, 6+6 b
Le vieux prêtre se courbe, | et, n'y voyant qu'à peine, 6+6 a
80 A ce jour ténébreux | épèle un livre obscur. 6+6 b
O prêtre ! vainement | tu rêves, tu travailles. 6+6 a
L'homme ne comprend plus | ce que Dieu révéla ; 6+6 b
Partout des sens douteux | hérissent leurs broussailles ; 6+6 a
La menace est ici, | mais la promesse est là ! 6+6 b
85 Et qu'importe ! bien loin | de ce qui doit nous suivre, 6+6 a
Le destin nous emporte, | éveillés ou dormant. 6+6 b
Que ce soit pour mourir | ou que ce soit pour vivre, 6+6 a
Notre siècle va voir | un accomplissement ! 6+6 b
Cet horizon, qu'emplit | un bruit vague et sonore, 6+6 a
90 Doit-il pâlir bientôt ? | doit-il bientôt rougir ? 6+6 b
Esprit de l'homme ! attends | quelques instants encore. 6+6 a
Ou l'Ombre va descendre, | ou l'Astre va surgir ! 6+6 b
Vers l'orient douteux | tourné comme les autres, 6+6 a
Recueillant tous les bruits | formidables et doux, 6+6 b
95 Les murmures d'en haut | qui répondent aux nôtres, 6+6 a
Le soupir de chacun | et la rumeur de tous, 6+6 b
Le poëte, en ses chants | où l'amertume abonde, 6+6 a
Reflétait, écho triste | et calme cependant, 6+6 b
Tout ce que l'âme rêve | et tout ce que le monde 6+6 a
100 Chante, bégaie ou dit | dans l'ombre en attendant! 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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