Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
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e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
HUG_13/HUG1082
Victor HUGO
La Fin de Satan
1886
HORS DE LA TERRE I
ET NOX FACTA EST
I
Depuis quatre mille ansil tombait dans l'abîme 6+6 a
Il n'avait pas encorpu saisir une cime, 6+6 a
Ni lever une foisson front démesuré. 6+6 b
Il s'enfonçait dans l'ombreet la brume, effaré, 6+6 b
5 Seul, et derrière lui,dans les nuits éternelles, 6+6 a
Tombaient plus lentementles plumes de ses ailes. 6+6 a
Il tombait foudroyé,morne silencieux, 6+6 b
Triste, la bouche ouverteet les pieds vers les cieux, 6+6 b
L'horreur du gouffre empreinteà sa face livide. 6+6 a
10 Il cria : — Mort ! — les poingstendus vers l'ombre vide. 6+6 a
Ce mot plus tard fut hommeet s'appela Caïn. 6+6 b
Il tombait. Tout à coupun roc heurta sa main ; 6+6 b
Il l'étreignit, ainsiqu'un mort étreint sa tombe, 6+6 a
Et s'arrêta.
Quelqu'un,d'en haut, lui cria : — Tombe ! 6+6 a
15 Les soleils s'éteindrontautour de toi, maudit ! — 6+6 b
Et la voix dans l'horreurimmense se perdit. 6+6 b
Et, pâle, il regardavers l'éternelle aurore. 6+6 a
Les soleils étaient loin,mais ils brillaient encore. 6+6 a
Satan dressa la têteet dit, levant le bras : 6+6 b
20 — Tu mens ! — Ce mot plus tardfut l'âme de Judas. 6+6 b
Pareil aux dieux d'airaindebout sur leurs pilastres, 6+6 a
Il attendit mille ans,l'œil fixé sur les astres. 6+6 a
Les soleils étaient loin,mais ils brillaient toujours. 6+6 b
La foudre alors grondadans les cieux froids et sourds. 6+6 b
25 Satan rit, et crachadu côté du tonnerre. 6+6 a
L'immensité, qu'emplitl'ombre visionnaire, 6+6 a
Frissonna. Ce crachatfut plus tard Barabbas. 6+6 b
Un souffle qui passaitle fit tomber plus bas. 6+6 b
II
La chute du damnérecommença. — Terrible, 6+6 a
30 Sombre, et piqué de trouslumineux comme un crible, 6+6 a
Le ciel plein de soleilss'éloignait, la clarté 6+6 b
Tremblait, et dans la nuitle grand précipité, 6+6 b
Nu, sinistre, et tirépar le poids de son crime, 6+6 a
Tombait, et, comme un coin,sa tête ouvrait l'abîme. 6+6 a
35 Plus bas ! plus bas ! toujoursplus bas ! Tout à présent 6+6 b
Le fuyait ; pas d'obstacleà saisir en passant, 6+6 b
Pas un mont, pas un roccroulant, pas une pierre, 6+6 a
Rien, l'ombre, et d'épouvanteil ferma sa paupière. 6+6 a
Quand il rouvrit les yeux,trois soleils seulement 6+6 b
40 Brillaient, et l'ombre avaitrongé le firmament. 6+6 b
Tous les autres soleilsétaient morts.
III
Une roche 6+6 a
Sortait du noir brouillardcomme un bras qui s'approche. 6+6 a
Il la prit, et ses piedstouchèrent des sommets. 6+6 b
Alors l'être effrayantqui s'appelle Jamais 6+6 b
45 Songea. Son front tombadans ses mains criminelles. 6+6 a
Les trois soleils, de loin,ainsi que trois prunelles, 6+6 a
Le regardaient, et luine les regardait pas. 6−6 b
L'espace ressemblaitaux plaines d'ici-bas, 6+6 b
Le soir, quand l'horizonqui tressaille et recule, 6+6 a
50 Noircit sous les yeux blancsdu spectre crépuscule. 6+6 a
De longs rayons rampaientaux pieds du grand banni. 6+6 b
Derrière lui son ombreemplissait l'infini. 6+6 b
Les cimes du chaosse confondaient entre elles. 6+6 a
Tout à coup il se vitpousser d'horribles ailes ; 6+6 a
55 Il se vit devenirmonstre, et que l'ange en lui 6+6 b
Mourait, et le rebelleen sentit quelque ennui. 6+6 b
Il laissa son épaule,autrefois lumineuse, 6+6 a
Frémir au froid hideuxde l'aile membraneuse, 6+6 a
Et croisant ses deux bras,et relevant son front, 6+6 b
60 Ce bandit, comme s'ilgrandissait sous l'affront, 6+6 b
Seul dans ces profondeursque la ruine encombre, 6+6 a
Regarda fixementla caverne de l'ombre. 6+6 a
Les ténèbres sans bruitcroissaient dans leant. 6+6 b
L'opaque obscuritéfermait le ciel béant ; 6+6 b
65 Et, faisant, au-delàdu dernier promontoire, 6+6 a
Une triple fêlureà cette vitre noire, 6+6 a
Les trois soleils mêlaientleurs trois rayonnements. 6+6 b
Après quelque combatdans les hauts firmaments, 6+6 b
D'un char de feu brisél'on t dit les trois roues. 6+6 a
70 Les monts hors du brouillardsortaient comme des proues. 6+6 a
Eh bien, cria Satan,soit ! Je puis encor voir ! 6+6 b
Il aura le ciel bleu,moi j'aurai le ciel noir. 6+6 b
Croit-il pas que j'iraisangloter à sa porte ? 6+6 a
Je le hais. Trois soleilssuffisent. Que m'importe ! 6+6 a
75 Je hais le jour, l'azur,le rayon, le parfum ! — 6+6 b
Soudain, il tressaillit ;il n'en restait plus qu'un. 6+6 b
IV
L'abîme s'effaçait.Rien n'avait plus de forme. 6+6 a
L'obscurité semblaitgonfler sa vague énorme. 6+6 a
C'était on ne sait quoide submergé ; c'était 6+6 b
80 Ce qui n'est plus, ce quis'en va, ce qui se tait ; 6+6 b
Et l'on n'aurait pu dire,en cette horreur profonde, 6+6 a
Si ce reste effrayantd'un mystère ou d'un monde, 6+6 a
Pareil au brouillard vague le songe s'enfuit, 6+6 b
S'appelait le naufrageou s'appelait la nuit ; 6+6 b
85 Et l'archange sentitqu'il devenait fantôme. 6+6 a
Il dit : — Enfer ! — Ce motplus tard créa Sodome. 6+6 a
Et la voix répétalentement sur son front : 6+6 b
— Maudit ! autour de toiles astres s'éteindront. — 6+6 b
Et déjà le soleiln'était plus qu'une étoile. 6+6 a
V
90 Et tout disparaissaitpar degrés sous un voile. 6+6 a
L'archange alors frémit ;Satan eut le frisson. 6+6 b
Vers l'astre qui tremblait,livide, à l'horizon, 6+6 b
Il s'élança, sautantd'un fte à l'autre fte. 6+6 a
Puis, quoiqu'il t horreurdes ailes de la bête, 6+6 a
95 Quoique ce fût pour luil'habit de la prison, 6+6 b
Comme un oiseau qui vade buisson en buisson, 6+6 b
Hideux, il prit son volde montagne en montagne, 6+6 a
Et ce foat se mità courir dans ce bagne. 6+6 a
Il courait, il volait,il criait : — Astre d'or ! 6+6 b
100 Frère ! attends-moi ! j'accours !ne t'éteins pas encor ! 6+6 b
Ne me laisse pas seul !
Le monstre de la sorte 6+6 a
Franchit les premiers lacsde l'immensité morte, 6+6 a
D'anciens chaos vidéset croupissant déjà, 6+6 b
Et dans les profondeurslugubres se plongea. 6+6 b
105 L'étoile maintenantn'était qu'une étincelle. 6+6 a
Il entra plus avantdans l'ombre universelle, 6+6 a
S'enfonça, se jeta,se rua dans la nuit, 6+6 b
Gravit les monts fangeuxdont le front mouillé luit, 6+6 b
Et dont la base au fonddes cloaques chancelle, 6+6 a
Et, triste, regardadevant lui.
110 L'étincelle 6+6 a
N'était qu'un point rougeâtreau fond d'un gouffre obscur. 6+6 b
VI
Comme entre deux créneauxse penche sur le mur 6+6 b
L'archer qu'en son donjonle crépuscule gagne, 6+6 a
Farouche, il se penchadu haut de la montagne, 6+6 a
115 Et sur l'astre, espérantle faire étinceler, 6+6 b
Comme sur une braiseil se mit à souffler, 6+6 b
Et l'angoisse gonflasa féroce narine. 6+6 a
Le souffle qui sortitalors de sa poitrine 6+6 a
Est aujourd'hui sur terreet s'appelle ouragan. 6+6 b
120 A ce souffle, un grand bruittroubla l'ombre, océan 6+6 b
Qu'aucun être n'habiteet qu'aucuns feux n'éclairent, 6+6 a
Les monts qui se trouvaientprès de là s'envolèrent, 6+6 a
Le chaos monstrueuxplein d'effroi se leva 6+6 b
Et se mit à hurler :Jéhova ! Jéhova ! 6+6 b
125 L'infini s'entr'ouvrit,fendu comme une toile, 6+6 a
Mais rien ne remuadans la lugubre étoile ; 6+6 a
Et le damné criant :— Ne t'éteins pas ! j'irai ! 6+6 b
J'arriverai ! — repritson vol désespéré. 6+6 b
Et les volcans mêlésaux nuits qui leur ressemblent 6+6 a
130 Se renversaient ainsique des bêtes qui tremblent, 6+6 a
Et les noirs tourbillonset les gouffres hideux 6+6 b
Se courbaient éperduspendant qu'au-dessus d'eux, 6+6 b
Volant vers l'astre ainsiqu'une flèche à la cible, 6+6 a
Passait, fauve et hagard,ce suppliant terrible. 6+6 a
135 Et depuis qu'il a vuce passage effrayant, 6+6 b
L'âpre abîme, effarécomme un homme fuyant, 6+6 b
Garde à jamais un aird'horreur et de démence, 6+6 a
Tant ce fut monstrueuxde voir, dans l'ombre immense, 6+6 a
Voler, ouvrant son aileaffreuse loin du ciel, 6+6 b
140 Cette chauve-sourisdu cachot éternel ! 6+6 b
VII
Il vola dix mille ans.Pendant dix mille années, 6+6 a
Tendant son cou faroucheet ses mains forcenées, 6+6 a
Il vola sans trouverun mont se poser. 6+6 b
L'astre parfois semblaits'éteindre et s'éclipser, 6+6 b
145 Et l'horreur du tombeaufaisait frissonner l'ange ; 6+6 a
Puis une clarté pâle,obscure, vague, étrange, 6+6 a
Reparaissait, et l'angealors disait : Allons. 6+6 b
Autour de lui planaientles oiseaux aquilons. 6+6 b
Il volait. L'infinisans cesse recommence. 6+6 a
150 Son vol dans cette merfaisait un cercle immense. 6+6 a
La nuit regardait fuirses horribles talons. 6+6 b
Comme un nuage senttomber ses tourbillons, 6+6 b
Il sentait s'écroulerses forces dans le gouffre. 6+6 a
L'hiver murmurait : tremble !et l'ombre disait : souffre ! 6+6 a
155 Enfin il apeutau loin un noir sommet 6+6 b
Que dans l'ombre un refletformidable enflammait. 6+6 b
Satan, comme un nageurfait un effort suprême, 6+6 a
Tendit son aile ongléeet chauve, et, spectre blême, 6+6 a
Haletant, brisé, las,et, de sueur fumant, 6+6 b
160 Il s'abattit au bordde l'âpre escarpement. 6+6 b
VIII
Le soleil était làqui mourait dans l'abîme. 6+6 a
L'astre, au fond du brouillard,sans vent qui le ranime 6+6 a
Se refroidissait, morneet lentement détruit. 6+6 b
On voyait sa rondeursinistre dans la nuit ; 6+6 b
165 Et l'on voyait décrtre,en ce silence sombre, 6+6 a
Ses ulcères de feusous une lèpre d'ombre. 6+6 a
Charbon d'un monde éteint !flambeau soufflé par Dieu ! 6+6 b
Ses crevasses montraientencore un peu de feu 6+6 b
Comme si par les trousdu crâne on voyait l'âme. 6+6 a
170 Au centre palpitaitet rampait une flamme 6+6 a
Qui par instants léchaitles bords extérieurs, 6+6 b
Et de chaque cratère,il sortait des lueurs 6+6 b
Qui frissonnaient ainsique de flamboyants glaives, 6+6 a
Et s'évanouissaientsans bruit comme des rêves. 6+6 a
175 L'astre était presque noir.L'archange était si las 6+6 b
Qu'il n'avait plus de voixet plus de souffle, hélas ! 6+6 b
Et l'astre agonisaitsous ses regards farouches. 6+6 a
Il mourait, il luttait.Avec ses sombres bouches 6+6 a
Dans l'obscurité froideil lançait par moments 6+6 b
180 Des flots ardents, des blocsrougis, des monts fumants, 6+6 b
Des rocs tout écumantsde sa clarté première : 6+6 a
Comme si ce volcande vie et de lumière, 6+6 a
Englouti par la brume tout s'évanouit, 6+6 b
N't point voulu mourirsans insulter la nuit 6+6 b
185 Et sans cracher sa laveà la face de l'ombre. 6+6 a
Autour de lui le tempset l'espace et le nombre 6+6 a
Et la forme et le bruitexpiraient, en créant 6+6 b
L'unité formidableet noire duant. 6+6 b
Le spectre Rien levaitsa tête hors du gouffre. 6+6 a
190 Soudain, du cœur de l'astre,un âpre jet de soufre, 6+6 a
Pareil à la clameurdu mourant éperdu, 6+6 b
Sortit, clair, éclatant,splendide, inattendu, 6+6 b
Et, découpant au loinmille formes funèbres, 6+6 a
Énorme, illumina,jusqu'au fond des ténèbres, 6+6 a
195 Les porches monstrueuxde l'infini profond. 6+6 b
Les angles que la nuitet l'immensité font 6+6 b
Apparurent. Satan,égaré, sans haleine, 6+6 a
La prunelle éblouieet de ce rayon pleine, 6+6 a
Battit de l'aile, ouvritles mains, puis tressaillit 6+6 b
200 Et cria : — Désespoir !le voilà qui pâlit ! — 6+6 b
Et l'archange comprit,pareil au mât qui sombre, 6+6 a
Qu'il était le noyédu déluge de l'ombre ; 6+6 a
Il reploya son aileaux ongles de granit, 6+6 b
Et se tordit les bras,et l'astre s'éteignit. 6+6 b
IX
205 Or, près des cieux, au borddu gouffre rien ne change, 6+6 a
Une plume échappéeà l'aile de l'archange 6+6 a
Était restée, et pureet blanche, frissonnait. 6+6 b
L'ange au front de qui l'aubeéblouissante nt, 6+6 b
La vit, la prit, et dit,l'œil, sur le ciel sublime : 6+6 a
210 — Seigneur, faut-il qu'elle aille,elle aussi, dans l'abîme ? — 6+6 a
Il leva la main, Luipar la vie absorbé, 6+6 b
Et dit : — Ne jetez pasce qui n'est pas tombé. 6+6 b
Antres noirs du passé,porches de la durée 6+6 a
Sans dates, sans rayons,sombre et démesurée, 6+6 a
215 Cycles antérieursà l'homme, chaos, cieux, 6+6 b
Monde terrible et pleind'êtres mystérieux, 6+6 b
O brume épouvantable les préadamites 6+6 a
Apparaissent, deboutdans l'ombre sans limites, 6+6 a
Qui pourrait vous sonder,gouffres, temps inconnus ! 6+6 b
220 Le penseur qui, pareilaux pauvres, va pieds nus 6+6 b
Par respect pour Celuiqu'on ne voit pas, le mage, 6+6 a
Fouille la profondeuret l'origine et l'âge, 6+6 a
Creuse et cherche au-delàdes colosses, plus loin 6+6 b
Que les faits dont le cield'à présent est témoin, 6+6 b
225 Arrive en pâlissantaux choses souonnées, 6+6 a
Et trouve, en soulevantdes ténèbres d'années, 6+6 a
Et des couches de jours,de mondes, deants, 6+6 b
Les siècles monstres mortssous les siècles géants. 6+6 b
Et c'est ainsi que songeau fond des nuits le sage 6+6 a
230 Dont un reflet d'abîmeéclaire le visage. 6+6 a
mètre profil métrique : 6−6
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