Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
HUG_12/HUG947
Victor HUGO
l'Art d'être grand-père
1877
X
ENFANTS, OISEAUX ET FLEURS
VI
LA MISE EN LIBERTÉ
Après ce rude hiver, | un seul oiseau restait 6+6 a
Dans la cage où jadis | tout un monde chantait. 6+6 a
Le vide s'était fait | dans la grande volière. 6+6 b
Une douce mésange, | autrefois familière, 6+6 b
5 Était là seule avec | ses souvenirs d'oiseau. 6+6 a
N'être jamais sans grain, | sans biscuit et sans eau, 6+6 a
Voir entrer quelquefois | dans sa cage une mouche, 6+6 b
C'était tout son bonheur. | Elle en était farouche. 6+6 b
Rien, pas même un serin, | et pas même un pierrot. 6+6 a
10 La cage, c'est beaucoup ; | mais le désert, c'est trop. 6+6 a
Triste oiseau ! dormir seul, | et, quand l'aube s'allume, 6+6 b
Être seul à fouiller | de son bec sous sa plume ! 6+6 b
Le pauvre petit être | était redevenu 6+6 a
Sauvage, à faire ainsi | tourner ce perchoir nu. 6+6 a
15 Il semblait par moments | s'être donné la tâche 6+6 b
De grimper d'un bâton | à l'autre sans relâche ; 6+6 b
Son vol paraissait fou ; | puis soudain le reclus 6+6 a
Se taisait, et, caché, | morne, ne bougeait plus. 6+6 a
À voir son gonflement | lugubre, sa prunelle, 6+6 b
20 Et sa tête ployée | en plein jour sous son aile, 6+6 b
On devinait son deuil, | son veuvage, et l'ennui 6+6 a
Du joyeux chant de tous | dans l'ombre évanoui. 6+6 a
Ce matin j'ai poussé | la porte de la cage. 6+6 b
J'y suis entré.
Deux mâts, | une grotte, un bocage, 6+6 b
25 Meublent cette prison | où frissonne un jet d'eau ; 6+6 a
Et l'hiver on la couvre | avec un grand rideau. 6+6 a
Le pauvre oiseau, voyant | entrer ce géant sombre, 6+6 b
A pris la fuite en haut, | puis en bas, cherchant l'ombre, 6+6 b
Dans une anxiété | d'inexprimable horreur ; 6+6 a
30 L'effroi du faible est plein | d'impuissante fureur ; 6+6 a
Il voletait devant | ma main épouvantable. 6+6 b
Je suis, pour le saisir, | monté sur une table. 6+6 b
Alors, terrifié, | vaincu, jetant des cris, 6+6 a
Il est allé tomber | dans un coin ; je l'ai pris. 6+6 a
35 Contre le monstre immense, | hélas, que peut l'atome ? 6+6 b
À quoi bon résister | quand l'énorme fantôme 6+6 b
Vous tient, captif hagard, | fragile et désarmé ? 6+6 a
Il était dans mes doigts | inerte, l'œil fermé, 6+6 a
Le bec ouvert, laissant | pendre son cou débile, 6+6 b
40 L'aile morte, muet, | sans regard, immobile, 6+6 b
Et je sentais bondir | son petit cœur tremblant. 6+6 a
Avril est de l'aurore | un frère ressemblant ; 6+6 a
Il est éblouissant | ainsi qu'elle est vermeille. 6+6 b
Il a l'air de quelqu'un | qui rit et qui s'éveille. 6+6 b
45 Or, nous sommes au mois | d'avril, et mon gazon, 6+6 a
Mon jardin, les jardins | d'à côté, l'horizon, 6+6 a
Tout, du ciel à la terre, | est plein de cette joie 6+6 b
Qui dans la fleur embaume | et dans l'astre flamboie : 6+6 b
Les ajoncs sont en fête, | et dorent les ravins 6+6 a
50 Où les abeilles font | des murmures divins ; 6+6 a
Penché sur les cressons, | le myosotis goûte 6+6 b
À la source, tombant | dans les fleurs goutte à goutte ; 6+6 b
Le brin d'herbe est heureux ; | l'âcre hiver se dissout ; 6+6 a
La nature parait | contente d'avoir tout, 6+6 a
55 Parfums, chansons, rayons, | et d'être hospitalière. 6+6 b
L'espace aime.
Je suis | sorti de la volière, 6+6 b
Tenant toujours l'oiseau ; | je me suis approché 6+6 a
Du vieux balcon de bois | par le lierre caché ; 6+6 a
Ô renouveau ! Soleil ! | tout palpite, tout vibre, 6+6 b
60 Tout rayonne ; et j'ai dit, | ouvrant la main : Sois libre ! 6+6 b
L'oiseau s'est évadé | dans les rameaux flottants, 6+6 a
Et dans l'immensité | splendide du printemps ; 6+6 a
Et j'ai vu s'en aller | au loin la petite âme 6+6 b
Dans cette clarté rose | où se mêle une flamme, 6+6 b
65 Dans l'air profond, parmi | les arbres infinis, 6+6 a
Volant au vague appel | des amours et des nids, 6+6 a
Planant éperdument | vers d'autres ailes blanches, 6+6 b
Ne sachant quel palais | choisir, courant aux branches, 6+6 b
Aux fleurs, aux flots, aux bois | fraîchement reverdis, 6+6 a
70 Avec l'effarement | d'entrer au paradis. 6+6 a
Alors, dans la lumière | et dans la transparence, 6+6 b
Regardant cette faite | et cette délivrance, 6+6 b
Et ce pauvre être, ainsi | disparu dans le port, 6+6 a
Pensif, je me suis dit : | Je viens d'être la mort. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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